Vu la décision en date du 2 janvier 1989, enregistrée au greffe de la cour le 20 janvier 1989, par laquelle le président de la 7ème sous-section de la Section du contentieux du conseil d'Etat a transmis à la cour, en application de l'article 17 du décret n° 88-906 du 2 septembre 1988, les trois recours présentés par le ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget ;
I) Vu le recours enregistré au secrétariat du contentieux du conseil d'Etat le 8 septembre 1988 par lequel le ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget demande au conseil d'Etat :
a) de réformer le jugement du 10 mai 1988, par lequel le tribunal administratif de NICE a prononcé la décharge d'une partie des impositions à l'impôt sur les sociétés établies au nom de la S.A.R.L. "LE COLONIS" au titre des années 1978 à 1981 ;
b) de rétablir la S.A.R.L. "LE COLONIS" au rôle de l'impôt sur les sociétés à raison de l'intégralité des droits et pénalités qui lui ont été assignés au titre des années 1978 à 1981 ;
c) à titre subsidiaire, de limiter les dégrèvements en base aux montants suivants 827 220 francs, 581 890 francs, 1 076 480 francs et 945 151 francs pour 1978, 1979, 1980 et 1981, du fait de la réintégrattion des achats non comptabilisés et cependant déduits des résultats de l'entreprise ;
II) Vu le recours enregistré au secrétariat du contentieux du conseil d'Etat le 8 septembre 1988 par lequel le ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget demande au conseil d'Etat :
a) de réformer le jugement du 10 mai 1988 par lequel le tribunal administratif de NICE a prononcé la réduction d'une partie des compléments de taxe sur la valeur ajoutée auxquels la S.A.R.L. "LE COLONIS" a été assujettie, ainsi que des pénalités y afférentes pour la période du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1981,
b) de maintenir à la charge de la S.A.R.L. "LE COLONIS" l'intégralité des droits et pénalités qui ont été mis en recouvrement au titre de la taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1981 ;
III) Vu le recours enregistré au secrétariat du contentieux du conseil d'Etat le 8 septembre 1988 par lequel le ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget demande au conseil d'Etat :
a) d'annuler le jugement du 10 mai 1988 par lequel le tribunal administratif de NICE a prononcé la décharge de la cotisation d'impôt sur le revenu établie au nom de la S.A.R.L. "LE COLONIS", au titre de l'année 1978, et des pénalités fiscales assignées à cette dernière au titre des années 1979 à 1981,
b ) de remettre à la charge de la S.A.R.L. "LE COLONIS" l'impôt sur le revenu au titre de 1978 et l'amende fiscale prévue à l'article 1763 A du code général des impôts qui lui a été assignée au titre des années 1979 à 1981 pour les montants de 325 440 francs, par voie de compensation, de 144 720 francs, 498 072 francs et 352 740 francs ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 mai 1991 :
- le rapport de M. BONNAUD, conseiller,
- et les conclusions de Mme HAELVOET, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les trois recours du ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget ont pour objet, pour des motifs identiques, la réformation de trois jugements rendus sur requête d'un même contribuable ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;
Considérant que le ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget demande la réformation de trois jugements en date du 10 mai 1988, par lesquels le tribunal administratif de NICE a accordé à la société "LE COLONIS" la décharge des cotisations à l'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1979 et en 1981, la réduction desdites cotisations et pénalités établies à son nom au titre des exercices clos en 1978 et 1980 dans les rôles de la commune de TOULON, la réduction des compléments de taxe sur la valeur ajoutée dont ladite société est redevable au titre de la période allant du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1981 et la décharge des pénalités fiscales prévues à l'article 1763 A du code général des impôts qui lui ont été assignées au titre des années 1979 à 1981 ;
Sur l'étendue du litige :
Considérant que par deux décisions en date des 8 mars et 26 décembre 1989 postérieures à l'introduction de la requête, le directeur des services fiscaux du VAR a prononcé le dégrèvement des pénalités à concurrence de 84 060 francs en matière d'impôt sur les sociétés et de 85 518 francs en matière de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'année 1978 ; que les conclusions du recours du ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget relatives à ces pénalités sont, dans cette mesure, devenues sans objet ;
Sur la procédure de vérification :
Considérant, en premier lieu, que l'administration fait valoir que la société, ayant déposé hors délai, en ce qui concerne les années 1978, 1979, 1980 et 1981, les déclarations qu'elle était tenue de souscrire en application des dispositions de l'article 223 - 1 du code général des impôts, était en situation d'évaluation d'office des résultats des périodes d'imposition litigieuses et que, dès lors, les moyens tirés de l'irrégularité de la vérification de comptabilité sont inopérants ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu des dispositions des articles 287, 288 et 179 du code général des impôts, dans leur rédaction applicable à la période d'imposition, les redevables de la taxe sur la valeur ajoutée qui n'ont pas souscrit dans le délai légal les déclarations du montant total des affaires réalisées et le détail des opérations taxables, sont taxés d'office ; que l'administration fait valoir que la société "LE COLONIS" a souscrit hors délai les déclarations de ses affaires taxables pour les mois de janvier à octobre de l'année 1978, pour l'ensemble de l'année 1979, pour les mois de janvier à mars 1980, juin à septembre 1980, novembre et décembre 1980 ainsi que pour les mois de janvier, mai et octobre 1981 ; que la société ne conteste plus que ces déclarations aient été déposées hors délai ; que, par suite, et pour chacun de ces mois, la société "LE COLONIS" était en situation d'être taxée d'office et qu'elle ne peut, dès lors, se prévaloir, en ce qui concerne les mois dont il s'agit, des irrégularités dont aurait été entachée la vérification de sa comptabilité ;
Considérant, en troisième lieu que, s'agissant des mois de la période pour lesquels il n'est pas allégué par l'administration que les déclarations des opérations taxables auraient été déposées hors délai, il résulte de l'instruction que la comptabilité enregistrait globalement les recettes journalières de l'entreprise, dont certaines dépassaient la limite de 200 francs ; qu'elle n'était pas appuyée de l'ensemble des factures justificatives et que de nombreuses immobilisations n'appartenant pas à la société étaient inscrites à l'actif de son bilan ; que ces faits étant suffisants pour retirer toute valeur probante à la comptabilité de la société, le service était en droit de mettre en oeuvre la procédure de rectification d'office prévue par les dispositions de l'article L 75, alors en vigueur, du livre des procédures fiscales pour opérer les redressements ; que si l'administration a procédé, comme elle était en droit de le faire, à la vérification de la comptabilité de la société, les irrégularités dont cette vérification aurait été entachée sont, en tout état de cause, sans influence sur la régularité de la procédure d'imposition, dès lors que les redressements sur les recettes minorées n'ont pas trouvé leur origine dans cette vérification, mais dans les renseignements recueillis dans le cadre d'une information ouverte par le parquet de TOULON et communiqués par l'autorité judiciaire conformément aux articles L 100 et L 101 des procédures fiscales ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des termes d'un jugement, statuant en matière correctionnelle, en date du 13 janvier 1987 du tribunal de grande instance de TOULON, confirmé par un arrêt en date du 29 juin 1988 de la cour d'appel d'AIX EN PROVENCE, devenu définitif, que MM. Y... et X..., dirigeants de fait du groupement d'intérêt économique "CODIPRA" auquel appartenait la S.A.R.L. "LE COLONIS", ont été reconnus coupables de fraude fiscale et de l'organisation sous couvert de fausses factures de livraisons de boissons alcoolisées à la S.A.R.L. dont le produit des ventes n'était pas déclaré ; que ces constatations de fait, qui sont le support nécessaire des condamnations qui ont été prononcées à l'encontre de MM. Y... et X..., ont l'autorité de la chose jugée ; qu'il suit de là que les écritures de la S.A.R.L. "LE COLONIS" étaient dépourvues de valeur probante et que l'administration était en droit de rectifier d'office les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés et à la taxe sur la valeur ajoutée des années en cause ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il appartient à la S.A.R.L. "LE COLONIS" d'apporter la preuve du caractère exagéré de l'évaluation faite par l'administration des bases d'impositions mises à sa charge tant en matière de taxe sur la valeur ajoutée que d'impôt sur les sociétés ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Considérant qu'il ressort des termes du jugement précité du tribunal de grande instance de TOULON, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel d'AIX EN PROVENCE que MM. Y... et X... contrôlaient par l'intermédiaire du groupement d'intérêt économique "CODIPRA" diverses sociétés dont la société S.A.R.L. "LE COLONIS" et lui livraient des boissons sans factures, dont le produit leur était reversé ; qu'il résulte de l'instruction pénale, et notamment des différents procès-verbaux constatant ces achats, produits pour la première fois en appel par l'administration fiscale, que les livraisons correspondant à des achats sans factures s'élèvent à 102 000 francs, 68 000 francs, 117 300 francs et 121 550 francs pour les années 1978, 1979, 1980 et 1981 ; que ces achats correspondent à des recettes dissimulées de 929 220 francs, 580 720 francs, 1 120 215 francs et 1 006 434 francs pour les mêmes années, compte tenu des coefficients de bénéfice brut relevés dans l'entreprise et des périodes réelles d'ouverture de la S.A.R.L. "LE COLONIS" ; que la méthode utilisée par l'administration n'est pas radicalemnt viciée ;
Considérant, en outre, qu'une part importante des recettes de la S.A.R.L. "LE COLONIS" ayant été portée au crédit des comptes bancaires de MM. Y... et X..., la déduction de frais financiers ne peut être admise ;
Sur les pénalités :
Considérant que, pour justifier les pénalités de mauvaise foi contestées, l'administration fait valoir que les droits rappelés tant en matière de taxe sur la valeur ajoutée que d'impôt sur les sociétés procèdent de minorations systématiques des achats et corrélativement des recettes correspondantes ; que, dès lors, c'est à bon droit, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que la société ait déposé tardivement les déclarations de résultats pour l'ensemble de la période vérifiée et partiellement pour les déclarations de taxe sur la valeur ajoutée, que l'administration a appliqué les pénalités de mauvaise foi prévues par les dispositions des articles 1729 et 1731 du code général des impôts, alors applicables ;
Considérant enfin, que l'administration, à l'issue de la vérification, et conformément aux dispositions des articles 109 et 117 du code général des impôts, a demandé la désignation du bénéficiaire des distributions correspondant à la partie des recettes dont le bénéficiaire n'était pas connu ; qu'à défaut de réponse dans le délai de trente jours de cette demande, elle a appliqué l'amende fiscale prévue à l'article 1763 A du code général des impôts au titre des années 1979 à 1981 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget est fondé à demander le rétablissement de la S.A.R.L. "LE COLONIS" au rôle de l'impôt sur les sociétés à raison de l'intégralité des droits qui lui ont été assignés au titre des années 1978 à 1981 et des pénalités au titre des années 1979 à 1981, à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de l'intégralité des droits qui ont été mis en recouvrement au titre de la période du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1981 et des pénalités pour la période du 1er janvier 1979 au 31 décembre 1981 et à l'amende fiscale prévue à l'article 1763 A du code général des impôts au titre des années 1979 à 1981 et à demander la réformation des jugements du tribunal administratif de NICE en date du 10 mai 1988 en ce qu'ils ont de contraire à la présente décision ;
Article 1er : A concurrence de la somme de 84 060 francs en matière d'impôt sur les sociétés et de 85 518 francs en matière de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'année 1978, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la S.A.R.L. "LE COLONIS".
Article 2 : La S.A.R.L. "LE COLONIS" est rétablie au rôle de l'impôt sur les sociétés à raison de l'intégralité des droits qui lui ont été assignés au titre des années 1978 à 1981 et des pénalités au titre des années 1979 à 1981, à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de l'intégralité des droits qui ont été mis en recouvrement au titre de la période du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1981 et des pénalités pour la période du 1er janvier 1979 au 31 décembre 1981 et à l'amende fiscale prévue à l'article 1763 A du code général des impôts au titre des années 1979 à 1981.
Article 3 : Les jugements du tribunal administratif de NICE en date du 10 mai 1988 sont réformés en ce qu'ils ont de contraire à la présente décision.