La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/02/2024 | FRANCE | N°23DA02071

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 09 février 2024, 23DA02071


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. et Mme E... et D... A..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'administrateurs de leurs enfants mineures, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen à verser une provision de 38 420,95 euros à M. A..., une provision de 9 500 euros à Mme A... et une provision de 9 500 euros chacune à F..., Eponine e

t C... A..., leurs enfants, sommes à majorer des intérêts moratoires et de leur cap...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme E... et D... A..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'administrateurs de leurs enfants mineures, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen à verser une provision de 38 420,95 euros à M. A..., une provision de 9 500 euros à Mme A... et une provision de 9 500 euros chacune à F..., Eponine et C... A..., leurs enfants, sommes à majorer des intérêts moratoires et de leur capitalisation, en réparation des préjudices résultant du retard de prise en charge et d'erreur de diagnostic dont a souffert M. A....

La caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime a demandé au juge des référés de condamner le CHU de Rouen à lui verser, avant application du taux de perte de chance, une provision de 72 461,48 euros au titre des dépenses de santé actuelles et une provision de 16 465,60 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels, lesdites sommes assorties des intérêts de droit à compter de son mémoire et capitalisés.

Par une ordonnance n° 2302816 du 26 octobre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er novembre 2023, M. E... et Mme D... A..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'administrateurs de leurs enfants mineures, F..., B... et C..., représentés par Me Greco, demandent à la cour :

1°) d'infirmer cette ordonnance, en ce qu'elle a jugé que l'obligation du CHU de Rouen est contestable dans son quantum ;

2°) de condamner le CHU de Rouen à verser une somme de 38 420,95 euros à M. A... au titre de ses préjudices, la somme de 9 500 euros à Mme A... au titre de ses préjudices, ainsi qu'une somme de 28 500 euros à M. A... et à Mme A..., agissant en qualité d'administrateurs légaux de leurs trois enfants mineures, somme à assortir des intérêts légaux à compter du 12 juillet 2023 et de leur capitalisation pour une année entière ;

3°) de déclarer la décision à intervenir commune à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Rouen ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Rouen, outre les entiers dépens, la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la demande en référé provision est fondée car l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité du CHU de Rouen est non sérieusement contestable en son principe ;

- la juge des référés de première instance a commis une erreur en considérant que le caractère certain de l'obligation dudit centre hospitalier n'est pas établi dans son quantum dès lors que le lien de causalité entre les fautes et le dommage subi et la perte de chance est établi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2023, le centre hospitalier universitaire de Rouen, représenté par Me Chiffert, conclut :

1°) au rejet de requête ;

2°) à titre reconventionnel, à la condamnation solidaire des consorts A... à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) à titre subsidiaire, dans le cas où une obligation à la charge du CHU de Rouen serait établie, de réduire la somme des provisions au titre des préjudices à 1 934,31 euros pour M. A..., 150 euros pour Mme A..., et de rejeter la demande en ce qui concerne les enfants ;

4°) à titre subsidiaire, à ce que la somme allouée aux requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative n'excède pas 1 000 euros et à la réserve des dépens.

Il soutient que :

- l'ordonnance n'a pas retenu le caractère non sérieusement contestable en son principe ;

- les demandes de provisions sollicitées sont sérieusement contestables et le calcul effectué par l'expert sur le taux de perte de chance n'est pas justifié.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime qui n'a pas produit d'observations dans la présente instance.

La clôture de l'instruction a été fixée au 5 février 2024 à 12 heures, par ordonnance du 15 janvier 2024.

La présidente de la cour a désigné Mme Borot, présidente de la 1ère chambre, pour statuer sur les appels formés devant la cour contre les décisions rendues par le juge des référés.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de la sécurité sociale,

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite de douleurs lombaires présentes depuis le 29 octobre 2021, M. A... s'est présenté, le 5 novembre 2021 à 17 heures, au service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen où un examen clinique et un scanner du rachis lombaire ont été effectués. Le médecin du service des urgences a conclu à une " protrusion discale responsable d'un rétrécissement du récessus latéral, canalaire et foraminal gauche " mais à une " absence d'argument pour un syndrome de la queue de cheval devant tableau neurologique ". M. A... a été autorisé à regagner son domicile le 6 novembre 2021 à 4 heures 26, avec un traitement antalgique et un rendez-vous rhumatologique. Cependant, son état s'est aggravé et il est retourné aux urgences le soir même, vers 18 heures 30, avec une paralysie complète des deux membres inférieurs. Vers 23 heures 30, une IRM (imagerie par résonance magnétique) lombaire puis une intervention chirurgicale ont été réalisées. Le compte rendu opératoire fait état d'un " patient présentant un syndrome de queue de cheval sur hernie discale exclue, de niveau L2-L3 qui entraînent une sténose canalaire quasi complète ". M. A... a été admis le 15 novembre 2021 dans un centre de rééducation fonctionnel. Il a regagné son domicile le 14 juillet 2022 pour poursuivre sa rééducation en hôpital de jour.

2. Estimant avoir subi des dommages liés aux conditions de sa prise en charge par le CHU de Rouen, qui aurait tardé à diagnostiquer un syndrome de la queue de cheval, M. A... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rouen d'une demande d'expertise. L'experte a rendu son rapport le 18 novembre 2022 et a conclu à l'existence d'une faute lors de la prise en charge, qui a compromis à 95 % les chances de M. A... d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation. M. et Mme A... ont présenté les 27 avril et 4 mai 2023 des réclamations préalables au CHU de Rouen visant à obtenir le versement d'une provision de 37 329,40 euros pour M. A... après application du taux de perte de chance de 95 %, une provision de 9 500 euros pour Mme A... après application du taux de perte de chance de 95 % et une provision de 9 500 euros chacune pour leurs trois enfants mineures, après application du taux de perte de chance de 95 %. A la suite du refus implicite d'indemnisation opposé par le CHU de Rouen, M. et Mme A... ont sollicité du juge des référés du tribunal administratif de Rouen la condamnation de cet établissement à leur verser une indemnité provisionnelle de 38 420,95 euros pour M. A..., de 9 500 euros pour Mme A... et de 9 500 euros chacune pour leurs trois filles. M. et Mme A... relèvent appel de l'ordonnance du 26 octobre 2023 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) "

4. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".

5. Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de la seule obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

6. Par ailleurs, dans le cas où une faute est commise lors de la prise en charge d'un patient dans un établissement public hospitalier, si elle a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage advienne, la réparation qui incombe à l'hôpital devant alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

7. Selon le rapport de l'experte désignée par ordonnance de référé n° 2200940 du 14 juin 2022 du président du tribunal administratif de Rouen, remis le 17 novembre 2022, M. A... présentait les prémices d'un syndrome de la queue de cheval dès sa première admission aux urgences du CHU de Rouen le 5 novembre 2021 au vu des engourdissements et paresthésies. L'experte retient une erreur d'interprétation du scanner du rachis lombaire effectué ce jour-là et qu'un avis neurochirurgical aurait dû être demandé au vu de ce scanner, qui montrait une volumineuse hernie discale ainsi qu'un globe vésical, éléments en faveur de la présence d'un syndrome de la queue de cheval. Dès lors, elle estime que l'état clinique du patient à son arrivée aux urgences aurait dû être suivi d'une hospitalisation pour une surveillance accrue et une réalisation d'un examen par imagerie par résonance magnétique (IRM), afin de procéder à l'intervention chirurgicale nécessaire dès que possible. L'experte estime que la prise en charge de M. A... le 5 novembre 2021 n'a pas été conforme aux règles de l'art et que l'erreur de lecture du scanner du 5 novembre 2021 a retardé sa prise en charge au 6 novembre 2021 et lui a fait perdre 95 % de chance d'éviter " un syndrome de queue de cheval complétement déficitaire ". Si le CHU de Rouen ne conteste pas l'erreur de diagnostic, il conteste cependant que l'indication d'une chirurgie de décompression se posait dès le 5 novembre 2021, qu'elle aurait permis d'éviter l'installation d'un syndrome de queue de cheval complet et que le trajet de retour en ambulance ait pu aggraver l'état du patient.

8. Il résulte de l'instruction, tant du rapport d'expertise judiciaire que du dire adressé à l'expert par le CHU de Rouen le 17 octobre 2022, d'une part, qu'il n'y avait pas " d'indication d'un geste chirurgical en urgence absolue " de façon certaine dès le 5 novembre 2021, qu'il y a eu une décompensation " très brutale " vers 16 heures 30 le 6 novembre 2021, et que si M. A... était resté hospitalisé, il n'aurait vraisemblablement gagné que trois heures, tout au plus, pour la réalisation de l'intervention chirurgicale. D'autre part, l'évolution clinique de récupération de ce type de pathologie n'est pas correctement recensée en cas de chirurgie ultra-précoce de décompression, soit moins de six heures après l'apparition des premiers symptômes, ou précoce, dans un délai de vingt-quatre à quarante-huit heures. Dès lors, il n'apparait pas que l'hospitalisation immédiate de M. A... aurait entrainé une meilleure récupération en cas de chirurgie survenue plus tôt le 6 novembre 2021. Dès lors, le taux de 95 % de perte de chance d'éviter un syndrome complet de la queue de cheval estimé par l'expert et la demande de provision présentée par les consorts A... apparaissent sérieusement contestables.

9. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que la juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU de Rouen, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. et Mme A... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à charge des consorts A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE :

Article 1er : La requête des consorts A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier universitaire de Rouen sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. E... A..., à Mme D... A..., au centre hospitalier universitaire de Rouen et à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime.

Fait à Douai le 9 février 2024.

La présidente de la 1ère chambre,

Juge des référés,

Signé

Ghislaine Borot

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Bénédicte Gozé

2

N°23DA02071


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Numéro d'arrêt : 23DA02071
Date de la décision : 09/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CHIFFERT AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-09;23da02071 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award