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06/07/2023 | FRANCE | N°20DA01199

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 06 juillet 2023, 20DA01199


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Territoires 62 a demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 9 930 810,97 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de l'arrêté de cessibilité pris le 21 juillet 2008 par le préfet du Pas-de-Calais dans le cadre de la réalisation d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et d'un lotissement sur le territoire de la commune de Fouquières-lez-Lens, assortie des

intérêts légaux à compter du 26 janvier 2016. A titre subsidiaire, la société Terr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Territoires 62 a demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 9 930 810,97 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de l'arrêté de cessibilité pris le 21 juillet 2008 par le préfet du Pas-de-Calais dans le cadre de la réalisation d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et d'un lotissement sur le territoire de la commune de Fouquières-lez-Lens, assortie des intérêts légaux à compter du 26 janvier 2016. A titre subsidiaire, la société Territoires 62 a demandé au tribunal de surseoir à statuer dans l'attente de la fixation des indemnités de non restitution par les juridictions judiciaires.

Par un jugement n° 1601939 du 25 février 2020, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à la société Territoires 62 une somme de 135 038 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 2016, et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 août 2020 et un mémoire enregistré le 1er mars 2021, la société Territoires 62, représentée par Me Laetitia Santoni, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 3 854 582,59 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 2016 et de la capitalisation des intérêts à compter du 26 janvier 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son préjudice était certain même si son montant n'a été fixé définitivement que par les décisions de la cour d'appel de Douai postérieures au jugement du tribunal administratif ;

- les autres postes de préjudices sont également établis et devaient donner lieu à indemnisation, qu'il s'agisse des frais liés à la remise en état du terrain, des frais financiers imputables au retard de commercialisation ou liés à l'exécution provisoire des décisions du juge de l'expropriation ou encore des frais d'huissier et d'avocats qu'elle a engagés.

Par un mémoire, enregistré le 21 août 2020, la commune de Fouquières-lez-Lens, représentée par Me Céline Sabattier, s'associe à la requête de la société Territoires 62.

Elle demande que le jugement soit confirmé en ce qu'il a admis son intervention et retenu la responsabilité de l'Etat mais qu'il soit infirmé en ce qu'il a fixé un montant d'indemnités insuffisant au regard du préjudice de la société et en ce qu'il n'a pas sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive du juge de l'expropriation.

Elle soutient que le préjudice avait un caractère certain même s'il était futur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 décembre 2020, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.

Elle reprend les écritures de première instance du préfet du Pas-de-Calais, soutient également que le tribunal administratif n'était pas tenu de surseoir à statuer dans l'attente de la fixation définitive des indemnités de non restitution et conteste la réalité et le montant des autres préjudices invoqués.

La clôture de l'instruction a été fixée avec effet immédiat par ordonnance du 1er avril 2021, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Laetitia Santoni, représentant la société Territoires 62.

Une note en délibéré, enregistrée le 23 juin 2023 a été produite par la société Territoires 62.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. La commune de Fouquières-lez-Lens a conclu le 15 décembre 2000 une concession d'aménagement avec la société d'économie mixte Artois développement, aux droits de laquelle est venue la société Adevia, dénommée Territoires 62 depuis janvier 2014, pour la réalisation d'un programme d'habitat rue du Maréchal Leclerc sur l'ancienne cité minière du tilleul. Un avenant à ce traité de concession a été conclu le 3 janvier 2005 pour inclure un EHPAD dans le périmètre de l'opération. Par un arrêté du 23 octobre 2007, le préfet du Pas-de-Calais a déclaré d'utilité publique cette opération dénommée " vert tilleul ". Par un arrêté du 21 juillet 2008, il a déclaré cessibles les parcelles nécessaires à cette opération. Le préfet a saisi le même jour le juge de l'expropriation qui par une ordonnance du 5 août 2008 a prononcé l'expropriation puis, par une ordonnance du 26 janvier 2010, a fixé les indemnités d'expropriation des deux propriétaires, M. C... propriétaire des parcelles AE 556, 744, AD 897 et AI 197, et Mme A... propriétaire indivis avec le précédent des parcelles AE 743 et AD 898.

2. Ces deux propriétaires ont obtenu l'annulation de l'arrêté de cessibilité du 21 juillet 2008 par un arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 27 mars 2012. La Cour de cassation a annulé l'ordonnance d'expropriation du 5 août 2008, au motif qu'elle était ainsi privée de base légale, par un arrêt du 17 décembre 2013. Par des arrêts du 6 novembre 2017, la cour d'appel de Douai a fixé les indemnités de non restitution dues à M. C... et à Mme A.... Ces arrêts ont été partiellement cassés par un arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2019. Enfin, par deux arrêts du 16 novembre 2020, la cour d'appel de Douai a fixé définitivement les indemnités de non restitution dues à ces deux propriétaires. Parallèlement, la société Territoires 62 a adressé une demande préalable indemnitaire au préfet du Pas-de-Calais le 22 janvier 2016. Faute de réponse, elle a saisi le tribunal administratif de Lille qui a condamné l'Etat à lui payer la somme de 135 038 euros. La société Territoires 62 relève appel de ce jugement du 25 février 2020.

Sur l'intervention de la commune de Fouquières-lez-Lens :

3. Est recevable à former une intervention toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige. L'article 5 du traité de concession entre la commune de Fouquières-lez-Lens et la société Territoires 62, signé le 15 décembre 2000, prévoit que l'opération " vert tilleul " est réalisée aux risques financiers de la commune, le " solde négatif résultant des comptes de l'opération " demeurant le cas échéant à la charge de cette collectivité. Par suite, celle-ci justifie de son intérêt et son intervention doit être admise.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet du Pas-de-Calais à la demande de première instance :

4. Le tribunal administratif n'était pas tenu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision définitive du juge de l'expropriation sur le montant des indemnités de non restitution. Au surplus, la circonstance qu'un préjudice ne présente pas un caractère certain lors de l'introduction d'un recours contentieux a une incidence non pas sur la recevabilité de ce recours mais sur son bien-fondé. Le préfet du Pas-de-Calais, dont la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a repris en appel les écritures de première instance, n'était donc pas fondé à soutenir que la requête était irrecevable tant que la décision du juge judiciaire n'était pas intervenue, le préjudice n'ayant pas un caractère certain.

Sur la faute :

5. Aux termes de l'article L. 121-1 du code de l'expropriation pour utilité publique : " L'utilité publique est déclarée par l'autorité compétente de l'Etat. ".

6. Si, à la date des faits en cause, aucune procédure n'était prévue pour permettre au préfet, constatant une irrégularité dans le rapport ou les conclusions du commissaire enquêteur, d'en saisir le président du tribunal administratif, il lui appartenait en revanche de ne pas donner suite à une procédure entachée d'irrégularité et d'en tirer les conséquences soit en demandant au commissaire enquêteur de corriger cette irrégularité soit de mettre en œuvre une nouvelle procédure en saisissant à nouveau le président du tribunal administratif pour qu'il procède à la désignation d'un nouveau commissaire enquêteur.

7. D'une part, l'arrêt de la cour administrative d'appel du 27 mars 2012, devenu définitif, a jugé que les conclusions du commissaire enquêteur au terme de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique étaient insuffisamment motivées. Même si l'opération d'aménagement déclarée d'utilité publique résultait de l'initiative de la commune de Fouquières-lez-Lens, seul le préfet pouvait la déclarer d'utilité publique. Dans ces conditions, cette illégalité de la procédure constitue une faute de l'Etat de nature à engager sa responsabilité.

8. D'autre part, la société Territoires 62 a saisi le préfet par un courrier du 26 avril 2012, à la suite de l'arrêt de la cour, pour qu'il reprenne une nouvelle procédure de déclaration d'utilité publique. Or le préfet n'a pas accueilli cette demande, aggravant ainsi le montant du préjudice constitué par les dommages et intérêts dus aux propriétaires expropriés.

9. Dans ces conditions, la responsabilité pour faute de l'Etat, qui n'est d'ailleurs plus contestée en cause d'appel, est engagée.

Sur le lien de causalité entre la faute de l'Etat et le préjudice :

10. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a déclaré reprendre les écritures de première instance du préfet du Pas-de-Calais. Elle doit donc être regardée comme contestant l'existence d'un lien de causalité entre la faute commise par l'Etat et les préjudices invoqués par la société Territoires 62.

11. Aux termes de l'article L. 223-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " Sans préjudice de l'article L. 223-1, en cas d'annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale et demander son annulation. ". Aux termes de l'article R. 223-6 du même code : " Le juge constate, par jugement, l'absence de base légale du transfert de propriété et en précise les conséquences de droit. / I. Si le bien exproprié n'est pas en état d'être restitué, l'action de l'exproprié se résout en dommages et intérêts. (...) ".

12. Par un arrêt du 27 mars 2012 devenu définitif, la cour administrative d'appel de Douai a annulé l'arrêté de cessibilité du 21 juillet 2008 au motif de l'illégalité de la déclaration d'utilité publique du 23 octobre 2007 qui constituait la base légale de l'arrêté de cessibilité. Par une décision du 2 février 2015, le juge de l'expropriation a considéré que les parcelles irrégulièrement expropriées ne pouvaient pas être restituées en nature et qu'une indemnisation en dommages et intérêts était en conséquence due par la société Territoires 62 aux propriétaires expropriés. Seuls le calcul et le montant de cette indemnité ont fait l'objet d'un appel et d'une cassation. Le jugement du 2 février 2015 est donc devenu définitif en ce qu'il a jugé les biens expropriés non restituables.

13. D'une part, lorsque l'arrêt de la cour administrative d'appel est intervenu, les terrains en cause ne pouvaient plus, comme la société appelante l'a d'ailleurs exposé sans être contredite, être restitués aux propriétaires expropriés. Il résulte en effet de l'instruction que les travaux de construction de l'EHPAD, réalisés sur une partie du site, étaient alors largement avancés, les travaux de couverture étant en voie d'achèvement. Le constat d'huissier du 9 juillet 2012 atteste aussi que la piste d'accès au futur lotissement également projeté dans le cadre de l'opération était déjà réalisée et que la mise en place des réseaux d'assainissement était en cours.

14. D'autre part, si, lorsqu'une décision est entachée d'un vice de procédure, il appartient au juge de rechercher, pour apprécier l'existence d'un lien direct entre cette faute et le préjudice, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente, il résulte de ce qui précède que les terrains en cause n'auraient pas pu être restitués même si le préfet, à la suite de l'arrêt de la cour administrative d'appel, avait repris une déclaration d'utilité publique et par suite un arrêté de cessibilité selon une procédure légale.

15. Dans ces conditions, les indemnités de non restitution que la société Territoires 62 a été condamnée à payer résultent directement, dans leur principe, de l'annulation de l'arrêté de cessibilité, la date à laquelle cette annulation a été prononcée ne permettant plus la restitution physique des biens. Le lien entre l'illégalité fautive de l'Etat et le préjudice invoqué est donc direct et certain.

Sur le lien de causalité entre le comportement de la société appelante et le préjudice :

16. Dans sa défense de première instance à laquelle la ministre s'est référée, le préfet du Pas-de-Calais a également soutenu que le montant du préjudice résultait directement du comportement de la société Territoires 62 et notamment de la poursuite de l'opération et des travaux.

17. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société Territoires 62 a, dès la fin de l'enquête publique menée du 20 mars au 10 avril 2007 puis le dépôt du rapport du commissaire enquêteur, saisi le préfet à trois reprises, les 10 juin, 17 octobre et 19 octobre 2007, afin qu'il prononce l'utilité publique de l'opération et la cessibilité des terrains. Dans ses deux derniers courriers, la société reconnaissait qu'elle avait eu connaissance du rapport et des conclusions du commissaire enquêteur.

18. La société Territoires 62, société d'économie mixte chargée de réaliser une opération d'urbanisme et donc en mesure de repérer d'éventuelles irrégularités et, le cas échéant, d'en faire part à la préfecture pour sécuriser une procédure lui bénéficiant, n'a donc pas souhaité interrompre l'opération alors même d'une part que le commissaire enquêteur, comme l'a jugé la cour, n'avait pas dressé de bilan des avantages et inconvénients de l'opération et n'avait fait aucune remarque sur la partie de l'opération relative au lotissement, qui constituait pourtant le premier objectif de cette opération, et alors même d'autre part que l'arrêté de cessibilité du 21 juillet 2008 avait ensuite fait l'objet d'un recours en annulation devant le tribunal administratif.

19. En deuxième lieu, la cour d'appel de Douai a jugé, dans ses arrêts définitifs du 16 novembre 2020, que " le propriétaire qui ne peut bénéficier de la restitution de son bien doit recevoir la valeur réelle de l'immeuble au jour de la décision constatant l'absence de restitution sous la seule déduction de l'indemnité déjà perçue augmentée des intérêts au taux légal " et a précisé que " la valeur des parcelles en cause doit être déterminée par comparaison avec des ventes de terrains à bâtir viabilisés et aménagés et situés dans le même secteur géographique que les parcelles à évaluer, intervenues à une date aussi proche que possible de celle du 2 février 2015 ", date du jugement ayant constaté l'impossibilité de restituer les terrains.

20. D'une part, il résulte de ce qui précède que le montant de l'indemnité de non restitution versé aux expropriés par la société Territoires 62 est directement lié à la plus-value prise par les terrains et que cette plus-value résulte essentiellement de la viabilisation de ces terrains entreprise par cette société. Or il résulte de l'instruction et il n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté que, postérieurement à l'annulation de l'arrêté de cessibilité par l'arrêt de la cour administrative d'appel le 27 mars 2012, les travaux de viabilisation se sont poursuivis. Ceux-ci n'étaient pas achevés notamment pour le lotissement le 9 juillet 2012, comme l'établit le constat d'huissier dressé à cette date. Par suite, le préjudice, s'il résulte initialement de l'illégalité fautive de l'Etat, s'est aggravé dans son montant du fait de la poursuite des travaux après l'annulation de l'arrêté de cessibilité.

21. D'autre part, si la société Territoires 62 a demandé au préfet, par un courrier reçu le 27 avril 2012, d'engager une nouvelle procédure afin de régulariser la déclaration d'utilité publique, il résulte des écritures du préfet en première instance que celui-ci a rejeté cette demande au motif qu'elle lui apparaissait prématurée ce qui, quel qu'ait été le bien-fondé de la position du préfet, devait aussi inciter cette société à suspendre les travaux de viabilisation. Or il résulte de l'instruction que cette société n'a en réalité jamais envisagé d'interrompre les travaux.

22. Enfin, si la société Territoires 62 soutient qu'elle était tenue de poursuivre les travaux du fait du risque de péremption de la déclaration d'utilité publique, il résulte de ce qui précède que l'expropriation prévue par cette déclaration avait été réalisée dès 2010 soit dans le délai de cinq ans prévu à l'article L. 11-5 devenu L. 121-4 du code l'expropriation pour cause d'utilité publique. En tout état de cause, en admettant même que l'annulation de l'arrêté de cessibilité intervenue en 2012, au motif de l'illégalité de la déclaration d'utilité publique, n'ait pas eu pour effet de suspendre ce délai, cette société pouvait en demander la prorogation au préfet en application de cet article L. 11-5.

23. Il résulte de ce qui précède que le lien de causalité entre l'aggravation du préjudice invoqué par la société Territoires 62 entre l'arrêt de la cour administrative d'appel en mars 2012 et la décision du juge de l'expropriation en février 2015 n'est pas en lien direct exclusif avec la faute de l'Etat mais résulte pour partie du comportement de cette société.

24. Il sera fait une juste appréciation de ce comportement exonératoire de la société Territoires 62, compte tenu des intérêts économiques et sociaux dont elle avait par ailleurs la charge, en limitant la part du préjudice mis à la charge de l'Etat à la proportion de 90 % des sommes dues. Le jugement du tribunal administratif de Lille doit en conséquence être réformé sur ce point.

Sur les indemnités de non restitution :

25. D'une part, la cour d'appel de Douai, dans ses arrêts du 16 novembre 2020, a fixé le montant de ces indemnités dues par la société Territoires 62 à la somme de 1 405 360 euros pour les consorts C... et A... et à la somme de 2 329 030 euros pour M. C.... Cette indemnisation se fonde sur la valeur réelle des terrains au jour de la décision ayant constaté l'impossibilité de la restitution et prend en compte non pas les constructions implantées sur les terrains mais la viabilisation des terrains. Les arrêts précisent aussi que de ces sommes doivent être déduites les indemnités d'expropriation s'élevant à 101 499,50 euros et 604 119 euros. Il en résulte que le total dû par la société Territoires 62 s'élève à la somme de 3 028 771,50 euros.

26. D'autre part, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales n'a nullement remis en cause l'évaluation ainsi faite par le juge judiciaire, sur le fondement de la jurisprudence de la Cour de cassation, et qui correspond au dommage effectivement subi par la société Territoires 62.

27. Dans ces conditions, l'Etat doit être condamné à verser à la société Territoires 62 les neuf dixièmes de cette somme de 3 028 771,50 euros.

Sur les frais de remise en état des terrains :

28. La société Territoires 62 demande le remboursement, d'une part, des frais de remise en état des terrains qu'elle a été contrainte d'engager à la suite de l'occupation des lieux par des gens du voyage après l'intervention de l'arrêt de la cour administrative d'appel en 2012, d'autre part, du surcoût qu'aurait engendré cette occupation pour l'une des entreprises intervenant sur le chantier.

29. Toutefois, si la société appelante soutient que cette occupation résulte du retard pris par l'opération du fait de l'annulation de l'arrêté de cessibilité par la cour, elle expose également que des agissements des anciens propriétaires ont permis l'accès des gens du voyage aux terrains. Elle ne démontre ainsi pas l'existence d'un lien de causalité entre la faute de l'Etat et le chef de préjudice qu'elle invoque, dont l'indemnisation doit dès lors être écartée.

Sur les frais financiers ayant résulté du retard de commercialisation :

30. La société Territoires 62 soutient que l'annulation de l'arrêté de cessibilité par la cour administrative d'appel en 2012 a entraîné un retard de commercialisation du lotissement ayant lui-même généré des frais financiers.

31. Toutefois, la société appelante ne démontre ni la réalité de ce retard, ni l'existence de ce chef de préjudice, ni même l'existence d'un lien direct entre la faute de l'Etat et le calendrier de commercialisation tel qu'il a été exécuté, dès lors qu'elle expose par ailleurs qu'elle n'a pas estimé nécessaire de suspendre les travaux à la suite de l'annulation de l'arrêté de cessibilité et puisque les parcelles concernées par l'expropriation irrégulière étaient celles destinées non pas au lotissement mais à l'EHPAD. L'indemnisation de ce chef de préjudice ne peut donc qu'être écartée.

Sur les frais financiers liés à l'exécution provisoire des décisions du juge judiciaire :

32. D'une part, la société Territoires 62 a été condamnée à verser des sommes aux propriétaires expropriés en exécution provisoire de décisions du juge judiciaire ayant précédé le règlement définitif du litige par les arrêts de la cour d'appel de Douai du 16 novembre 2020. Elle établit qu'elle a consigné à ce titre la somme totale de 3 122 109,58 euros à la Caisse des dépôts et consignations entre le 24 avril 2015 et le 23 mars 2018. Elle expose, en produisant une lettre de cet établissement chiffrant le " taux débiteur " qui lui serait réclamé en cas de découvert, que cette consignation a eu pour effet de mettre à sa charge des frais financiers.

33. D'autre part, ce chef de préjudice est directement en lien avec la faute de l'Etat qui a contraint la société Territoires 62, pour assurer l'exécution provisoire de décisions du juge judiciaire même si le montant final de l'indemnisation des propriétaires expropriés a été moindre, à indemniser ces propriétaires au-delà du seul montant des indemnités d'expropriation.

34. Enfin, la société appelante a produit un tableau de calcul des frais financiers engendrés par ce paiement de 3 122 109, 58 euros, en fonction du " taux du découvert " de la Caisse des dépôts et consignations, qui chiffre ces frais à un montant total de 337 175,01 euros arrêté à la date du 25 février 2021. En défense, la ministre n'a pas contesté cet élément, se bornant à relever que le caractère certain de ce chef de préjudice n'était pas établi puisque les condamnations n'étaient alors pas définitives.

35. Dans ces conditions, il y a lieu de condamner l'Etat à verser à la société Territoires 62 les neuf dixièmes de cette somme de 337 175,01 euros.

En ce qui concerne les frais d'huissier et d'avocat :

36. En premier lieu, si la société Territoires 62 demande le remboursement des frais qu'elle a engagés avant l'annulation de l'arrêté de cessibilité pour défendre la légalité de cet arrêté devant le juge administratif, pour un montant de 35 284,69 euros, elle aurait dû de toute façon assurer sa défense dans ce dossier, compte tenu des nombreux moyens invoqués à l'encontre de cet arrêté, même en l'absence du vice de procédure retenu par la cour. Ce chef de préjudice est donc sans lien direct avec la faute de l'Etat.

37. En deuxième lieu, les frais d'avocat exposés par la société Territoires 62 en vue de la rectification d'une erreur matérielle ayant entaché l'arrêt de la cour administrative d'appel ne sont pas non plus imputables à la faute de l'Etat ci-dessus analysée et n'ouvrent donc pas droit à indemnisation. De même, les frais exposés par cette société devant le Conseil d'Etat, pour un montant de 3 946,80 euros, à la suite de l'arrêt de la cour administrative d'appel, ne sont pas davantage en lien avec la faute de l'Etat, outre le fait que le pourvoi en cassation formé devant le Conseil d'Etat n'a pas été admis.

38. En troisième lieu, si les frais exposés par la société Territoires 62 devant le juge de l'expropriation à la suite de l'annulation de l'arrêté de cessibilité doivent être compris dans le préjudice réparable, ne peut pas être prise en compte à ce titre la part des factures des cabinets Richer et RLQC, d'un montant global respectif de 13 412,19 euros et 6983,32 euros, correspondant à des prestations, sans lien direct avec la faute de l'Etat, intervenues devant le juge administratif entre l'arrêt de la cour administrative d'appel et la décision du Conseil d'Etat.

39. En quatrième lieu, si la société Territoires 62 demande le remboursement des frais engagés dans la procédure relative à l'expulsion des gens du voyage des terrains expropriés, pour un montant de 7 965,34 euros, ce contentieux était, ainsi qu'il a été dit, sans lien direct avec la faute de l'Etat et l'indemnisation de ce chef de préjudice ne peut qu'être écartée. Il en va de même de la somme réclamée pour un montant de 128,95 euros hors taxes au titre de la signification du référé pour obtenir l'accès au terrain, ce contentieux étant également sans lien avec la faute de l'Etat.

40. En cinquième lieu, si la société Territoire 62 a droit à l'indemnisation des sommes engagées dans le cadre des litiges ayant résulté de la faute de l'Etat et utiles à la résolution de ces litiges, les sommes qu'elle a engagées pour établir la responsabilité de ses premiers avocats, d'un montant de 33 652,01 euros hors taxes, et les frais d'huissiers relatifs à ce contentieux, d'un montant de 624,42 euros, ne sont ni en lien direct avec la faute de l'Etat, ni utiles à la résolution des litiges ayant résulté de cette faute. Leur prise en compte est donc exclue.

41. Dans ces conditions, le préjudice total relatif aux frais de procédure, pour lequel la société Territoires 62 a demandé une somme globale de 234 586,61 euros, doit être chiffré à la somme globale de 132 588,89 euros, dont les neuf dixièmes doivent être mis à la charge de l'Etat en application de ce qui a été dit précédemment.

42. Il résulte de tout ce qui précède que la société Territoires 62 est seulement fondée à demander, compte tenu de la part du préjudice imputable à son comportement fautif, la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant total de 3 148 681,70 euros. Le jugement du tribunal administratif de Lille du 25 février 2020 doit être réformé dans cette mesure.

Sur les intérêts :

43. D'une part, la société Territoires 62 a demandé les intérêts à compter de la date de réception de sa demande préalable le 26 janvier 2016 et il y a lieu d'accueillir cette demande s'agissant des neuf dixièmes des sommes de 3 028 771, 50 euros et 132 588,89 euros, qui porteront donc intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 2016.

44. D'autre part, s'agissant des neuf dixièmes de la somme de 337 175,01 euros, l'indemnité allouée à ce titre répare le préjudice, arrêté à la date du 25 février 2021, né du paiement par la société Territoires 62 de frais financiers à la Caisse des dépôts et consignations. Cette société a donc droit aux intérêts au taux légal à compter des différentes dates, indiquées dans le tableau de " calcul des frais financiers " joint à son dernier mémoire, auxquelles elle a payé ces frais.

Sur la capitalisation des intérêts :

45. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. Une nouvelle capitalisation intervient ensuite à chaque échéance annuelle à compter de la date d'effet de cette demande.

46. La capitalisation des intérêts a été demandée, le 7 août 2020, dans la requête d'appel. Il y a lieu de faire droit à cette demande, à compter de cette date, pour les sommes mentionnées au point 43 ainsi que pour les sommes mentionnées aux lignes 2 à 15 du tableau de " calcul des frais financiers " joint au dernier mémoire de la société Territoires 62, pour lesquelles les intérêts étaient dus au moins pour une année entière. Pour les lignes 16 à 21 de ce tableau, la capitalisation interviendra à l'expiration de l'année entière ayant couru à compter de la date de chaque paiement. Dans tous les cas, une nouvelle capitalisation interviendra ensuite à chaque échéance annuelle.

Sur les frais liés à l'instance :

47. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros à verser à la société Territoires 62 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de la commune de Fouquières-lez-Lens est admise.

Article 2 : L'Etat versera à la société Territoires 62 la somme de 3 148 681,70 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts dans les conditions définies aux points 43, 44 et 46.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 25 février 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à la société Territoires 62 en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Territoires 62, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la commune de Fouquières-lez-Lens.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 22 juin 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. Denis Perrin, premier conseiller,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2023.

Le rapporteur,

Signé : D. Perrin

Le président de la 1ère chambre,

Signé : M. B...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°20DA01199 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01199
Date de la décision : 06/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : FIDAL DIRECTION PARIS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-07-06;20da01199 ?
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