Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... C..., Mme B... C... et M. A... C..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'ayants droit de feu M. D... C..., ont demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier de Dieppe au versement des sommes :
- de 102 408,02 euros au titre des préjudices subis par M. D... C... ;
- de 445 475,48 euros à Mme E... C..., son épouse en réparation de ses préjudices ;
- de 15 000 euros à Mme B... C..., sa fille, au titre de son préjudice d'affection ;
- de 15 000 euros à M. A... C..., son fils, au titre de son préjudice d'affection.
Dans le cadre de la même instance, la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (CARPIMKO), auquel la demande des consorts C... a été communiquée, a demandé le remboursement par le centre hospitalier de Dieppe des prestations versées au défunt et à sa veuve pour un montant total de 116 243,79 euros comprenant 14 719,12 euros au titre des indemnités journalières versées à M. D... C..., 15 069,93 euros au titre de la rente d'invalidité versée à M. D... C... et 68 694,74 euros au titre du capital décès et de la rente de survie versés à Mme E... C....
La caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime (CPAM) a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier de Dieppe à lui régler une somme totale de 218 763,63 euros au titre de ses débours.
Par un jugement n° 1703128 du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Rouen a condamné le centre hospitalier de Dieppe à verser :
- à Mme E... C..., à Mme B... C... et à M. A... C... une somme de 66 225 euros au titre de l'indemnisation des préjudices subis directement par M. D... C... résultant de sa prise en charge au sein de cet établissement, avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2017 et capitalisation des intérêts échus à la date du 10 avril 2018 et à chaque échéance annuelle ultérieure ;
- une somme de 25 000 euros à Mme E... C... au titre de son préjudice d'affection, avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2017 et capitalisation des intérêts échus à la date du 10 avril 2018 et à chaque échéance annuelle ultérieure ;
- une somme de 10 000 euros à Mme B... C... au titre de son préjudice d'affection, avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2017 et capitalisation des intérêts échus à la date du 10 avril 2018 et à chaque échéance annuelle ultérieure ;
- une somme de 10 000 euros à M. A... C... au titre de son préjudice d'affection, avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2017 et capitalisation des intérêts échus à la date du 10 avril 2018 et à chaque échéance annuelle ultérieure ;
- une somme globale de 11 329,50 euros à Mme E... C... en réparation de ses préjudices patrimoniaux avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2017 et capitalisation des intérêts échus à la date du 10 avril 2018 et à chaque échéance annuelle ultérieure ;
- une somme de 218 763,63 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime au titre du remboursement des débours exposés pour le compte de son assuré et la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
- et une somme de 29 789,05 euros à la CARPIMKO au titre du remboursement des débours exposés pour le compte de son assuré et de 1 091 euros au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 20DA00563 le 27 mars 2020, et un mémoire complémentaire enregistré le 26 novembre 2020, Mme E... C..., Mme B... C... et M. A... C..., représentés par Me François Jegu, demandent à la Cour :
1°) de réformer ce jugement du 30 janvier 2020 en tant qu'il a écarté le lien de causalité avec le décès ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Dieppe à verser à Mme E... C... la somme complémentaire de 398 267,32 euros en réparation des pertes de gains subies, avec intérêts à compter du 6 avril 2017 et capitalisation ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Dieppe une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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II. Par une requête, enregistrée sous le n° 20DA00578 le 30 mars 2020 et des mémoires complémentaires enregistrés les 10 juin, 26 août, 18 novembre et 4 décembre 2020, le centre hospitalier de Dieppe, représenté par Me Didier Le Prado, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 30 janvier 2020 ;
2°) de rejeter la demande des consorts C... et les conclusions de la caisse primaire d'assurance malade de Rouen Elbeuf Dieppe Seine-Maritime et de la CARPIMKO présentées devant le tribunal administratif de Rouen.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu son entière responsabilité alors que la cause du débranchement du respirateur n'est pas déterminée, ni une faute à l'origine de l'arrêt de la ventilation artificielle, ni le défaut du matériel ne sont établis de sorte qu'il ne peut être tenu responsable des dommages subis à la suite du débranchement du respirateur ;
- en tout état de cause, seule une perte de chance pourrait être retenue sans excéder 20 % compte tenu de l'état de santé précaire et fragile du patient qui a lourdement pesé sur les conséquences du débranchement du respirateur ;
- les indemnités allouées au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du préjudice esthétique temporaire et du préjudice d'affection sont excessives.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 juillet et 28 septembre 2020, la CARPIMKO, représentée par Me Eric Laforce, demande à la cour :
1°) de rejeter de la requête du centre hospitalier de Dieppe ;
2°) par la voie de l'appel incident,
- de réformer le jugement par lequel le tribunal administratif de Rouen a limité à la somme de 29 789,05 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier ;
- de condamner le centre hospitalier de Dieppe à lui verser la somme complémentaire de 86 454,74 euros au titre du capital décès et de la rente de survie versés à Mme C... et du capital de rente de survie qui lui sera servie jusqu'à son 65ème anniversaire, à titre subsidiaire la somme de 69 163,79 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Dieppe une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,
- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 6 février 2014, M. D... C... a été opéré au centre hospitalier de Dieppe d'une tumeur cancéreuse de l'œsophage. Les suites de l'opération ont été marquées par des complications respiratoires et une infection qui ont conduit à la sédation et curarisation du patient le 11 février 2014. Le 25 février 2014, un arrêt cardio-respiratoire hypoxique avec asystolie est survenu en raison du débranchement de l'appareil de ventilation artificielle auquel il était relié, qui a entraîné une encéphalopathie post-anoxique.
2. Ayant conservé des séquelles neurologiques graves le rendant dépendant pour tous les actes de la vie quotidienne, M. C... et ses proches ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rouen qui a ordonné une expertise médicale. Le rapport du professeur Verhaeghe désigné comme expert, a été déposé le 25 septembre 2015. Mme E... C..., son épouse et leurs enfants Mme B... C... et M. A... C... ont sollicité la réparation des préjudices résultant de la prise en charge par le centre hospitalier de Dieppe de M. D... C..., décédé le 1er octobre 2015. Par le jugement attaqué du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Rouen a retenu que le centre hospitalier de Dieppe devait être regardé comme intégralement responsable des dommages subis par M. D... C... résultant de l'arrêt de sa ventilation artificielle survenue le 25 février 2014 et l'a condamné à verser diverses indemnités. Par une requête enregistrée sous le n° 20DA00578, le centre hospitalier de Dieppe demande l'annulation de ce jugement. Par une requête n° 20DA00563, les consorts C... relèvent appel de ce même jugement en tant qu'il a rejeté leurs demandes tendant à l'indemnisation des pertes de revenus postérieures à la date du décès de M. D... C... aux motifs de l'absence de lien de causalité entre l'accident médical subi et son décès.
3. Les requêtes des consorts C... et du centre hospitalier de Dieppe sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Dieppe :
4. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. "
5. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Rouen que la cause directe des séquelles neurologiques dont est demeuré atteint M. D... C... est constituée par le débranchement accidentel du respirateur survenu au décours de son séjour en réanimation au centre hospitalier de Dieppe dont le mécanisme précis n'a pu être déterminé. Selon le compte-rendu d'hospitalisation du 6 février au 27 mars 2014, ce débranchement a été à l'origine d'une période de " no flow " estimée inférieure à 3 minutes et de " low flow " de 7 minutes. Après avoir exclu que ce débranchement ait pu être volontaire lors d'une manipulation du personnel, ou dû à un mouvement du patient dont l'état imposait une anesthésie profonde avec curarisation, l'expert a émis et analysé cinq hypothèses mettant en cause la responsabilité du centre hospitalier de Dieppe. Il conclut à l'existence d'un " manquement constitué par l'absence de prise en compte suffisamment rapide du débranchement accidentel du respirateur alors que le personnel savait avoir endormi un opéré dont la fragilité particulière demandait de redoubler d'attention ". Il suit de là qu'eu égard à la vigilance particulière qui s'imposait s'agissant d'un patient sédaté et placé sous respirateur artificiel pour un syndrome de détresse respiratoire aigüe sur pneumopathie droite après l'exérèse d'une tumeur de l'œsophage, le dommage subi doit être regardé comme étant en lien direct avec une faute d'organisation dans le service de l'établissement hospitalier.
6. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Dieppe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a retenu sa responsabilité.
Sur les préjudices indemnisables :
7. Les premiers juges ont fait une juste appréciation du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et du préjudice esthétique temporaire subis par M. D... C... qui, après une opération d'un cancer, s'est trouvé soudainement en état pauci-relationnel avec des myoclonies des quatre membres invalidantes, des troubles de l'élocution et une apathie altérant sa communication et le rendant totalement dépendant pendant plus d'une année, en lui allouant respectivement les sommes de 9 200, 30 000 et 20 000 euros.
8. Ils n'ont pas davantage surévalué le préjudice d'affection subi par Mme E... C... et ses enfants, Mme B... C... et M. A... C..., à la vue de la douleur, de la déchéance et de la souffrance de leur époux et père alors âgé de cinquante-sept ans, en allouant les sommes de 25 000 et 10 000 euros.
9. En revanche, le rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés ayant été déposé quelques jours avant le décès de M. D... C..., survenu le 1er octobre 2015, l'état du dossier ne permet pas à la cour de se prononcer sur le lien de causalité entre ce décès et la faute dans l'organisation et le fonctionnement du service visée au point 5, ni sur les pertes de revenus que sa veuve, Mme E... C..., estime avoir subies en raison de la faute du centre hospitalier suite à ce décès et dont les causes ne ressortent pas des autres documents versés par les parties. Dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur sa requête et sur les conclusions incidentes présentées par la CARPIMKO, d'ordonner avant dire droit une expertise complémentaire sur ce point afin de déterminer s'il existe un lien de causalité entre le décès de M. D... C... et les conséquences de l'anoxie cérébrale dont il a été victime le 25 février 2014 à la suite du débranchement accidentel du ventilateur artificiel au service de réanimation au centre hospitalier de Dieppe.
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la requête de Mme E... C..., Mme B... C... et M. A... C... et de la CARPIMKO, avant dire droit, procédé à un complément d'expertise en vue :
1°) de prendre connaissance du dossier médical de M. D... C... et décrire précisément les causes de son décès survenu le 1er octobre 2015 ;
2°) dire si ce décès est en lien avec les séquelles dont il est resté atteint à la suite du débranchement accidentel du respirateur survenu le 25 février 2014 au décours de son séjour en réanimation au centre hospitalier de Dieppe et/ou si M. D... C... a perdu une chance de survie du fait de cet état séquellaire ;
3°) le cas échéant, d'évaluer l'ampleur de cette perte de chance.
Article 2 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire communiquer les documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins et aux diagnostics pratiqués qu'il estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission et pourra entendre tous sachants.
Article 3 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2, R. 621-9 et R. 621-14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé en deux exemplaires dans le délai fixé par le président de la cour à compter de la date de notification du présent arrêt en application de l'article R. 621-2 de ce code. L'expert en notifiera des copies aux parties intéressées.
Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statués en fin d'instance.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C..., à Mme B... C..., à M. A... C..., au centre hospitalier de Dieppe, à la CARPIMKO et à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elboeuf Dieppe Seine-Maritime.
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N°20DA00563,20DA00578