Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme I... F... et M. D... E... ont demandé au juge des référés de prescrire une expertise, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, portant sur les conditions de la prise en charge de leur fille à compter de l'âge de deux ans à la suite de troubles de la motricité et de son décès le 12 mars 2020, et menée au contradictoire du centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie, du docteur B... A..., du docteur H... C..., de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux et des maladies nosocomiales et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Opale.
Par une ordonnance n° 2004045 du 30 mars 2021, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a désigné un collège d'experts et a mis hors de cause les docteurs Lucia A... et Olivier C....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 avril 2021, Mme F... et M. E..., représentés par la SCP Jegu et Associés, demandent à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté leurs conclusions tendant à la mise en cause des docteurs A... et C... ;
2°) de dire l'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif opposable et contradictoire aux docteurs A... et C... ;
3°) d'ajouter à la mission d'expertise fixée par le président du tribunal administratif les points suivants :
- décrire l'état de santé de Rose E... à l'apparition des troubles moteurs et notamment des problèmes d'équilibre et de l'élargissement du polygone de sustentation ;
- décrire l'état de santé de Rose E... à compter de l'apparition de ces troubles moteurs jusqu'à l'apparition de l'état grippal du 15 février 2020 ;
- décrire la prise en charge médicale dont a bénéficié Rose E... sur cette période et indiquer si elle a été conforme aux règles de l'art ;
- déterminer l'origine de ces troubles moteurs et en expliquer les manifestations ;
- déterminer l'origine des tremblements des membres supérieurs apparus en octobre 2019 et indiquer quelle aurait dû être sa prise en charge ;
- dire si la prise en charge médicale et notamment la mise en place d'une antibiothérapie prescrite par le docteur C... était conforme aux règles de l'art ;
- dire si la prise en charge par le docteur A... était conforme aux règles de l'art.
4°) de confirmer en toutes ses autres dispositions l'ordonnance entreprise ;
5°) de mettre à la charge des docteurs A... et C... la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
6°) de réserver les dépens.
Ils soutiennent que :
- la participation aux opérations d'expertise des docteurs A... et C..., intervenus respectivement dans le cadre du suivi pédiatrique et du suivi de médecine générale de leur fille, est utile pour la détermination de l'état antérieur de cette dernière ;
- leur participation aux opérations d'expertise est utile pour déterminer s'ils ont tardé à faire réaliser des examens complémentaires alors que leur fille présentait des troubles de l'équilibre et des mouvements oculaires anormaux depuis avril 2019 ;
- si le docteur A... exerce à titre libéral et dans une clinique privée, et que le docteur C... exerce également à titre libéral, la question de leur mise en cause n'échappe pas à la compétence du juge des référés de l'ordre administratif dès lors qu'est également mise en cause la responsabilité du centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 avril 2021, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, représenté par Me Olivier Saumon, s'en rapporte à justice pour apprécier le bien-fondé de l'appel partiel formé par Mme F... et M. E... et demande à la cour de réserver les dépens.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 mai 2021, le docteur H... C..., représenté par Me Vincent Troin, conclut au rejet de la requête de Mme F... et M. E....
Il soutient que sa mise en cause est pas justifiée dès lors que l'examen d'un éventuel manquement de sa part et de sa responsabilité n'est susceptible d'intervenir que devant le juge judiciaire, et que les éléments utiles à la solution du litige figurent au dossier alors que sa responsabilité ne peut d'ailleurs être retenue.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 mai 2021, le docteur B... A..., représentée par Me Georges Lacoeuilhe, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à la condamnation de Mme F... et M. E... à lui verser la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi qu'à leur condamnation aux entiers dépens et demande à la cour, à titre subsidiaire, de lui donner acte de ses protestations et réserves sur le bien-fondé de sa mise en cause dans l'expertise prescrite, d'étendre la mission de l'expert comme précisé dans ses écritures et de réserver les dépens.
Elle fait valoir que Mme F... et M. E... ne justifient pas d'un motif légitime à solliciter une expertise judiciaire à son contradictoire du seul fait de son intervention dans le cadre du suivi pédiatrique de leur fille.
La requête a été communiquée au centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Rose E..., née le 7 juin 2017, suivie par le docteur A..., pédiatre, et ponctuellement par le docteur C..., médecin généraliste, souffrait depuis l'âge de deux ans de troubles de l'équilibre et d'une déviation de la pupille. Le 15 février 2020, l'enfant a présenté un état grippal avec fièvre sévère persistante et a été hospitalisée en urgence le 26 février 2020 à l'hôpital Duchenne de Boulogne-sur-Mer. Elle a été transférée au centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie le 27 février suivant où elle est décédée en service de réanimation le 12 mars 2020. Ses parents, Mme I... F... et M. D... E..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens d'ordonner une expertise portant sur les conditions des prises en charge médicales de l'enfant par le centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie, par le docteur A... et par le docteur C.... Par ordonnance du 30 mars 2021, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a désigné un collège d'experts à cette fin. Mme F... et M. E... interjettent appel de cette ordonnance en tant que le juge des référés du tribunal administratif a mis hors de cause les docteurs A... et C....
Sur la demande de mise en cause des docteurs Lucia A... et Olivier C... :
2. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction (...) ".
3. L'utilité d'une mesure d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative. En revanche, avant tout procès et avant même que puisse être déterminée, eu égard aux parties éventuellement appelées en la cause principale, la compétence sur le fond du litige, et dès lors que ce dernier est de nature à relever, fût-ce pour partie, de l'ordre de juridiction auquel il appartient, le juge des référés a compétence pour ordonner une mesure d'instruction.
4. Pour justifier la mise en cause du docteur A... et du docteur C... dans l'expertise prescrite par le tribunal administratif d'Amiens, Mme F... et M. E... soutiennent qu'en leur qualité respective de pédiatre et médecin généraliste, leur participation est utile dès lors qu'ils sont intervenus dans le suivi médical et pédiatrique de leur fille défunte.
5. D'une part, s'il ressort des pièces du dossier que l'enfant était également suivie par le docteur G... et par son remplaçant, il est constant que le docteur C... l'a vue en consultation plusieurs fois depuis sa naissance, notamment en janvier 2019 et qu'il est également le dernier médecin généraliste consulté par les parents de Rose, le 19 février 2020, à la suite de son état grippal tel que décrit au point 1 et pour lequel il lui a administré un traitement médicamenteux. D'autre part, il résulte de l'instruction que le docteur A..., pédiatre en charge du suivi de Rose, l'a vue a de nombreuses reprises. S'il n'est pas contesté que la patiente a été prise en charge à l'institut Calot de Berck-sur-Mer de juin à novembre 2019 et orientée vers le centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie pour la réalisation d'un scanner en octobre 2019, le docteur A... a continué d'effectuer son suivi pédiatrique, et ce, jusqu'à l'épisode fiévreux du 15 février 2020 à la suite duquel elle a prescrit son hospitalisation d'urgence le 26 février suivant.
6. La demande d'expertise devant le tribunal avait aussi pour objet notamment de préciser l'état de santé antérieur aux prises en charge par le centre hospitalier universitaire de la victime, de décrire les conditions de ces prises en charge, de dire si les soins et actes médicaux ont été attentifs, diligents et conformes aux règles de l'art, de déterminer les causes du décès et dire s'il y a un rapport avec l'état initial de l'enfant ou l'évolution prévisible de cet état, et de fournir au tribunal tous éléments de nature à lui permettre de déterminer les responsabilités encourues. Même si l'appel ne porte que sur l'absence de mise en cause de médecins exerçant à titre libéral dont l'éventuelle responsabilité devrait être appréciée par la juridiction judiciaire, le litige relève au moins pour partie de la compétence de la juridiction administrative en raison de la présence du centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie. La participation des docteurs A... et C... aux opérations d'expertise présente un caractère d'utilité en raison des soins qu'ils ont dispensés à l'enfant rappelés au point précédent sans qu'y fasse obstacle la circonstance invoquée par les docteurs A... et C... qu'ils n'auraient commis aucun manquement, les consultations des 19 février et 26 février 2020 étant notamment très antérieures au décès et ayant été suivies de plusieurs incidents au centre hospitalier.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme F... et M. E... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à ce que le docteur A... et le docteur C... soient attraits aux opérations d'expertise.
8. En revanche, les différents points de la mission d'expertise ordonnée par le juge des référés permettant déjà d'apprécier si ces deux médecins ont assuré un suivi médical de l'enfant conforme aux règles de l'art, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les requérants ou le docteur A... tendant à compléter la mission.
Sur les conclusions relatives aux dépens :
9. Il résulte des dispositions de l'article R. 621-13 du code de justice administrative que la taxation des frais et honoraires d'une expertise ainsi que la détermination de la partie qui doit en supporter la charge ne relève pas de l'office du juge des référés. Les conclusions du docteur A... tendant à la condamnation des appelants aux dépens doivent en conséquence être rejetées.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions du docteur A... présentées contre Mme F... et M. E..., qui ne sont pas parties perdantes à la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de Mme F... et M. E... présentées sur le même fondement.
ORDONNE :
Article 1er : Les opérations de l'expertise prescrite par l'ordonnance du 30 mars 2021 du juge des référés du tribunal administratif d'Amiens sont rendues communes et opposables aux docteurs A... et C.... Les experts leur communiqueront les résultats de leurs constatations, les inviteront à formuler leurs observations et les convoqueront à toutes les réunions.
Article 2 : L'ordonnance susvisée du 30 mars 2021 du juge des référés du tribunal administratif d'Amiens est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme I... F..., à M. D... E..., à Mme B... A..., à M. H... C..., au centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie, à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois, au professeur Nadia Bahi-Buisson et au professeur Denis Devictor, experts.
Fait à Douai le 5 juillet 2021.
Le président de la cour,
Signé
Jean-François MOUTTE
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Bénédicte Gozé
N°21DA00796 2