Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision implicite par laquelle la communauté d'agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane a rejeté sa demande présentée le 11 avril 2017 tendant à l'indemnisation de son préjudice et de condamner la communauté d'agglomération de Béthune-Bray Artois Lys Romane à lui verser la somme totale de 40 000 euros en indemnisation des préjudices subis, qu'il soit enjoint à celle-ci de procéder au démantèlement de la station d'épuration, à titre subsidiaire de cesser toute activité jusqu'à ce qu'il soit remédié aux troubles subis et qu'il soit également enjoint d'effectuer la remise en état du site afin de faire disparaître toutes gênes tant nauséabondes qu'auditives.
Par un jugement n° 1706773 du 4 décembre 2019, le tribunal administratif de Lille a condamné la communauté d'agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane à verser à M. B... la somme de 2 000 euros en indemnisation de ses préjudices, a mis à la charge de la communauté d'agglomération une somme de 5 408,40 euros au titre de frais d'expertise et a rejeté le surplus de la demande de M. B....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 février 2020 et 29 juin 2020, M. B..., représenté par Me D... C..., demande à la cour :
1°) d'infirmer ce jugement en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme de 2 000 euros ;
2°) de condamner la communauté d'agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane à lui verser une somme de 40 000 euros en indemnisation des préjudices subis ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise afin d'évaluer le montant du préjudice si la cour s'estimait insuffisamment éclairée ;
4°) d'enjoindre à la communauté d'agglomération de démanteler la station d'épuration ou, à titre subsidiaire, de cesser toute activité jusqu'à ce qu'il soit remédié aux troubles subis et de remettre en état le site de la station d'épuration, à l'effet de faire disparaître toutes gênes, tant sonores qu'olfactives, sous astreinte de 8 000 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... est propriétaire d'une exploitation agricole et d'une maison à usage d'habitation, situées 11 et 12, ruelle des Harnequets à Richebourg. Entre 2012 et 2015, la communauté d'agglomération Artois Comm a procédé à des travaux de construction d'une nouvelle station d'épuration, mise en service en 2013, au démantèlement de l'ancienne installation et à la réfection de la chaussée attenante. Le requérant a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la communauté d'agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane, venant aux droits de la communauté d'agglomération Artois Comm, à indemniser les préjudices subis résultant tant de la réalisation des travaux de construction et de démantèlement des stations d'épuration que du fonctionnement de la nouvelle installation. Il interjette régulièrement appel du jugement du 4 décembre 2019 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a limité à une somme de 2 000 euros, accordée au titre des troubles subis durant les travaux de démantèlement de l'ancienne station et de construction de la nouvelle, l'indemnisation de ses préjudices. La communauté d'agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane conclut, par la voie de l'appel incident, à la réformation de ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser à M. B... cette somme de 2 000 euros.
Sur la responsabilité de la communauté d'agglomération de Béthune-Bruay Artois-Lys Romane :
En ce qui concerne les nuisances dues aux travaux de démantèlement de l'ancienne station d'épuration, de construction de la nouvelle station et de réfection de la chaussée :
2. Il appartient au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués et, d'autre part, le caractère grave et spécial de son préjudice, les riverains des voies publique étant tenus de supporter sans contrepartie les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général.
3. Les opérations de construction, de démantèlement de stations d'épuration et de réfection d'une voie publique en lien avec ces travaux, dont la communauté d'agglomération est maître d'ouvrage, sont des travaux publics. En l'espèce, il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise en date du 19 mars 2014 réalisé par la société Texa, sollicitée par la communauté d'agglomération Artois Comm et du constat d'huissier rédigé à la demande de M. B... le 10 septembre 2014 que, durant les travaux en cause, d'une part, le passage fréquent des véhicules de chantier a occasionné des troubles dans les conditions d'existence de M. B... et a été à l'origine, d'autre part, des fortes dégradations subies par la ruelle des Harnequets, non goudronnée et trop étroite pour permettre le croisement de deux véhicules, entraînant des empiètements sur la propriété du requérant. Ces dégradations ont rendu nécessaires des travaux de réfection de la ruelle réalisés en 2015, auxquels la communauté d'agglomération Artois Comm s'était d'ailleurs engagée dès 2013. Par ailleurs, dans le cadre des travaux de construction de la nouvelle station d'épuration, la circulation dans la ruelle des Harnequets a été restreinte sur une seule voie du 11 février au 1er mars 2013 en vertu d'un arrêté du maire de la commune de Richebourg en date du 5 février 2013, et interdite du 15 au 17 octobre 2013 entre 8h00 et 17h00. Dans le cadre des travaux de réfection de la ruelle, il résulte de l'instruction que la circulation sur la voie en cause a été restreinte les 16, 18, 23 et 24 février 2015, interdite les 19 et 20 février 2015, puis du 9 au 13 mars 2015 entre 8h00 et 18h00, sauf, sur demande, entre 12h00 et 12h45, et interdite du 23 mars à 8h00 au 24 mars 2015 à 8h00. Ainsi que l'a estimé le tribunal administratif de Lille, les préjudices résultant de la circulation des véhicules de chantier durant toute la durée des travaux de démantèlement de l'ancienne station d'épuration, de construction de la nouvelle station et de la réfection de la ruelle des Harnequets imposée par les dégradations subies en raison de cette circulation, qui se sont étendus du mois de septembre 2012 au mois de mars 2015, présentent, par leur nature, leur étendue, et leur durée, un caractère anormal et spécial de nature à engager la responsabilité de la communauté d'agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane à l'égard de M. B....
4. Compte tenu de l'importance des troubles de toute nature subis dans ses conditions d'existence, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de porter la somme de 2 000 euros qui a été accordée à M. B... par les premiers juges en indemnisation de ses préjudices, à la somme de 5 000 euros.
5. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents, d'une part, que la communauté d'agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a reconnu sa responsabilité à l'égard de M. B... en raison des troubles résultant de la circulation des véhicules de chantier durant toute la durée des travaux de démantèlement de l'ancienne station d'épuration, de construction de la nouvelle station et de la réfection de la ruelle des Harnequets imposée par les dégradations subies en raison de cette circulation et, d'autre part, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, les premiers juges ont limité son indemnisation à ce titre à la somme de 2 000 euros, qu'il y a lieu de porter à 5 000 euros.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute du fait de l'existence et du fonctionnement de la nouvelle station d'épuration :
6. Il appartient au tiers à un ouvrage public qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion de la présence ou du fonctionnement de cet ouvrage d'apporter la preuve de la réalité des préjudices allégués et du lien entre la présence ou le fonctionnement de l'ouvrage et lesdits préjudices. Ne sont pas susceptibles d'ouvrir droit à indemnité les préjudices qui n'excèdent pas les sujétions susceptibles d'être normalement imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics.
7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'ancienne station d'épuration, installée en 1979, avait une capacité de 1 200 équivalent-habitant (unité de mesure permettant d'évaluer la capacité d'une station d'épuration), ne traitait que les eaux de la commune de Richebourg et consistait en un simple baraquement de taille modeste. A l'inverse, la nouvelle station d'épuration est dotée d'une capacité de 4 000 équivalent-habitant, traite les eaux de cinq communes et consiste en de nombreux bâtiments de hauteurs et de dimensions imposantes.
8. En second lieu, il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient la communauté d'agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane, M. B... établit la réalité des nuisances olfactives et sonores générées par le fonctionnement de cette nouvelle installation. Il ressort à cet égard du rapport d'expertise du 19 mars 2014 réalisé par la société Texa, sollicitée par la communauté d'agglomération Artois Comm que, si aucune nuisance n'a été remarquée le jour de l'expertise, c'est en raison du maintien au sol des " émanations olfactives susceptibles de se dégager de la station d'épuration " en raison d'un épais brouillard. Ce rapport admet en outre que " des émanations se dégagent du site ". Le procès-verbal de constat d'huissier réalisé à la demande de M. B... le 7 février 2014 constate, " malgré le vent fort de ce jour, (...) une odeur nauséabonde dans la ruelle ". Le constat d'huissier du 10 septembre 2014, rédigé à la demande de M. B..., évoque également les odeurs prégnantes, assez caractéristiques d'une station d'épuration, qui se dégagent de la station litigieuse et relève que la réalité des bruits qu'elle génère a été reconnue par le directeur de l'exploitation. L'huissier constate également durant sa mission le passage d'un camion malodorant. Enfin, le procès-verbal de constat d'huissier en date du 1er avril 2016, réalisé à la demande de M. B..., établit l'existence d'un bruit d'écoulement continu provenant de la station et produit en annexe de nombreuses attestations de riverains ou d'ouvriers ayant travaillé chez M. B... attestant des " odeurs nauséabondes et écoeurantes " perçues. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la réalité des émanations sonores et olfactives en provenance de la nouvelle station d'épuration construite à proximité immédiate de la propriété de M. B..., composée de sa maison d'habitation et des terres agricoles qu'il exploite, est suffisamment établie et que la communauté d'agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane ne saurait sérieusement se borner à soutenir, pour en contester la réalité, la circonstance selon laquelle la station serait conforme aux normes environnementales en vigueur et que la propriété de M. B... en serait éloignée, alors qu'elle en est mitoyenne.
9. Il résulte cependant de l'instruction, d'une part, que M. B... ne produit aucun document postérieur au 1er avril 2016 de nature à établir la persistance des nuisances sonores et olfactives dont il se plaint, hormis un courriel du 27 octobre 2019 adressé à la communauté d'agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane et, d'autre part, que la cour ne dispose d'aucun élément de nature à apprécier la possibilité d'atténuer ou de supprimer les nuisances invoquées, notamment par la réalisation de travaux.
10. Il résulte de ce qui précède que la cour n'est pas suffisamment informée sur la persistance des nuisances invoquées, sur leur nature, leur intensité, les préjudices dont elles sont à l'origine et sur les interventions ou travaux qui seraient de nature à les atténuer ou à les supprimer. Il convient, dès lors, d'ordonner une expertise aux fins pour la cour de se prononcer sur ces questions.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 2 000 euros que le tribunal administratif de Lille a condamné la communauté d'agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane à verser à M. B... en indemnisation des préjudices résultant des travaux de démantèlement de l'ancienne station d'épuration, de construction de la nouvelle station et de la réfection de la ruelle des Harnequets, est portée à 5 000 euros.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la requête de M. B... tendant à l'indemnisation des préjudices résultant du fonctionnement de la nouvelle station d'épuration, procédé avant dire droit à une expertise en vue d'apprécier la réalité, la nature et l'étendue des nuisances de toute nature causées à M. B... par le fonctionnement de la station d'épuration située à proximité de sa propriété. A cette fin, l'expert dira, notamment :
- si, depuis 2016, les nuisances de toute nature générées par le fonctionnement de la station d'épuration ont perduré et, le cas échéant, comment celles-ci ont évolué ;
- quelles en ont été et quelles en sont, aujourd'hui, la nature, l'étendue et l'intensité exactes ;
- quels seraient, le cas échéant, les interventions ou travaux qui seraient de nature à les atténuer ou à les supprimer.
Article 3 : Pour l'accomplissement de sa mission l'expert se rendra sur place, prendra connaissance de tous documents concernant la construction et le fonctionnement de la station d'épuration qu'il estimera nécessaires à l'accomplissement de sa mission et pourra entendre tous sachants.
Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2, R. 621-9 et R. 621-14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé en deux exemplaires dans le délai fixé par le président de la cour en application de l'article R. 621-2 de ce code. L'expert en notifiera des copies aux parties intéressées.
Article 5 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statués en fin d'instance.
Article 6 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 7 : Le présent jugement sera notifié à M. A... B... et à la communauté d'agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane.
N°20DA00220 2