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23/03/2021 | FRANCE | N°20DA00897

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3 (quater), 23 mars 2021, 20DA00897


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 7 janvier 2019 par lequel le préfet du Nord lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination, d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, de lui délivrer dans un délai de huit jours à compter du jugement à intervenir, un titre de séjour d'une durée d'un an ou, à titre subsidiaire,

de réexaminer sa situation dans le même délai en lui délivrant une autorisation p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 7 janvier 2019 par lequel le préfet du Nord lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination, d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, de lui délivrer dans un délai de huit jours à compter du jugement à intervenir, un titre de séjour d'une durée d'un an ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le même délai en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de ce réexamen et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1905855 du 23 décembre 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 juin 2020, Mme D... épouse E..., représentée par Me B... C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 7 janvier 2019 par lequel le préfet du Nord lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, de lui délivrer dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le même délai et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de ce réexamen ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n°91647 du 10 juillet 1991.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Anne Khater, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., ressortissante géorgienne née le 4 novembre 1977, est entrée irrégulièrement en France le 14 novembre 2014. Sa demande d'asile a été rejetée en dernier lieu par la cour nationale du droit d'asile, le 1er février 2016. Le 22 août 2016, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'accompagnante de son époux malade, M. E..., qui avait obtenu un titre de séjour en raison de son état de santé, valable du 6 juin 2016 au 5 juin 2017, renouvelé pour une durée de six mois, du 3 novembre 2017 au 2 mai 2018. Par un arrêté du 7 janvier 2019, le préfet du Nord lui a refusé la délivrance de ce titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de la Géorgie, après un avis rendu par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le 26 novembre 2018 sur l'état de santé de son époux. Par un jugement n° 1905855 du 23 décembre 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de Mme E... tendant à l'annulation de cet arrêté. Mme E... relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si les demandes et les mémoires présentés devant le juge administratif doivent être rédigés en langue française, les parties peuvent joindre à ces écritures des pièces annexes rédigées dans une autre langue. Si le juge a alors la faculté d'exiger la traduction de ces pièces lorsque cela lui est nécessaire pour procéder à un examen éclairé des conclusions de la demande et des mémoires, il n'en a pas l'obligation, sous réserve toutefois que les parties soient à même d'en comprendre le contenu et, ainsi, de le discuter utilement dans le respect du principe du contradictoire.

3. En l'espèce, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les premiers juges se sont notamment fondés sur une fiche du 5 avril 2018 issue du projet de recherche MedCOI (Medical Country of Origin Information) financé par l'Union européenne sur l'accessibilité et la disponibilité des traitements et des soins médicaux dans les pays d'origine, dont ils ont déduit que l'Interféron pégylé alfa-2a était disponible en Géorgie. Il résulte des principes énoncés au point précédent que le tribunal n'était tenu d'exiger la traduction de cette pièce, rédigée en langue anglaise, que si les parties n'étaient pas à même d'en comprendre le contenu et ainsi de la discuter utilement. Toutefois, Mme E... n'a pas fait état devant le tribunal de l'impossibilité pour elle, à défaut de traduction en langue française, de discuter utilement cette pièce alors que cette pièce a été produite par le préfet du Nord le 1er août 2019 et que l'affaire a été appelée à l'audience du 16 décembre suivant. Dans ces conditions, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué a été pris en méconnaissance du principe du contradictoire. Ce moyen d'irrégularité doit donc être écarté.

4. Mme E... n'est pas davantage fondée à soutenir que le tribunal aurait omis de statuer sur le moyen tiré de ce que les pièces médicales produites par le préfet étaient rédigées en langue anglaise, ce qui au demeurant ne relève pas de la régularité du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :

5. Aux termes, d'une part, de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit (...) : 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Chaque année, un rapport présente au Parlement l'activité réalisée au titre du présent 11° par le service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre. "

6. Aux termes, d'autre part, de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". L'article 8 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " L'avis du collège est transmis, sans délai, au préfet, sous couvert du directeur général de l'office. "

7. En premier lieu, il ne résulte d'aucune disposition légale ou règlementaire et notamment pas de l'article 8 de l'arrêté du 27 décembre 2016 précité que l'autorité préfectorale serait tenue de se prononcer sur une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans délai après la transmission de l'avis émis par le collège de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Ce moyen doit donc être écarté.

8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un avis du 26 novembre 2018, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que l'état de santé de l'époux de Mme E..., qui souffre d'une hépatite B chronique, d'une hépatite D associée et d'une dépendance aux opiacés, nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'il existait un traitement approprié dans son pays d'origine et que son état de santé lui permettait de voyager sans risque vers cette destination. Il ressort des pièces médicales produites par Mme E... que son époux bénéficie d'un traitement médical par Interféron pégylé alfa-2a pour l'hépatite et par méthadone pour sa dépendance aux opiacés. Les certificats médicaux qu'elle a produits devant les premiers juges indiquent, de manière peu circonstanciée, que ces traitements ne sont pas disponibles en Géorgie. Si le certificat médical le plus récent, produit pour la première fois en appel par Mme E..., établi par le professeur Berkhout, précise que l'état de santé de son époux nécessite désormais une greffe hépatique, ce certificat, daté du 30 avril 2019, ne permet pas de remettre en cause l'appréciation portée par le préfet du Nord à la date de la décision attaquée alors qu'à cette date, ce traitement n'était pas envisagé. En revanche, le préfet du Nord produit une fiche du 5 avril 2018 issue du projet de recherche MedCOI financé par l'Union européenne sur l'accessibilité et la disponibilité des traitements et des soins médicaux dans les pays d'origine, qu'il n'y a pas lieu d'écarter des débats pour les raisons exposées au point 3 du présent arrêt, et dont il ressort que l'Interféron pégylé alfa-2a est disponible en Géorgie. Le courriel émanant d'un laboratoire pharmaceutique produit par Mme E... et indiquant que le traitement par " Pégasys 90 " ne serait pas disponible en Géorgie, est également postérieur à la décision attaquée et ne permet en tout état de cause pas de remettre en cause l'appréciation portée par le préfet du Nord sur l'accessibilité et la disponibilité en Georgie d'un traitement approprié à la prise en charge des pathologies hépatiques dont est atteint son époux. De même, le préfet du Nord établit, sans être sérieusement contredit par Mme E..., que des programmes de méthadone, dont les coûts sont pris en charge par l'Etat, existent en Géorgie. Dans ces conditions, en refusant de délivrer une carte de séjour temporaire à Mme E... en qualité d'accompagnant de son époux malade, le préfet du Nord n'a pas méconnu les dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. En dernier lieu, les circonstances que Mme E... réside avec son époux depuis plus de quatre ans sur le territoire français où réside également sa fille et qu'elle justifie de ses démarches d'insertion en termes d'apprentissage de la langue française au sein de l'association Emmaüs, ne suffisent pas à regarder Mme E... comme ayant transféré le centre de ses intérêts familiaux et personnels en France alors qu'elle n'y dispose d'aucune autre attache familiale, que son époux fait également l'objet d'une mesure d'éloignement et qu'elle a vécu en Géorgie jusqu'à l'âge de trente-sept ans. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de l'intéressée doivent être écartés.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

10. En premier lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision de refus de séjour prise à l'encontre de Mme E... doit être écarté.

11. En second lieu, pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 8 et 9, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

12. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision de refus de séjour prise à l'encontre de Mme E... doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent donc être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... épouse E..., au ministre de l'intérieur et à Me B... C....

Copie sera adressée au préfet du Nord.

2

N°20DA00897


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3 (quater)
Numéro d'arrêt : 20DA00897
Date de la décision : 23/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Anne Khater
Rapporteur public ?: M. Baillard
Avocat(s) : FERRAND

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-03-23;20da00897 ?
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