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10/11/2020 | FRANCE | N°19DA02168

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3 (quater), 10 novembre 2020, 19DA02168


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... K..., Mme H... K... et M. N... K..., agissant en leurs noms propres et ès qualités de représentants légaux de leurs enfants alors mineurs, B..., F... et Ali K..., ont demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier du Belvédère à les indemniser des préjudices subis consécutifs à la prise en charge de la grossesse de Mme H... K... dans cet établissement à compter du mois de juin 1997, à hauteur de 574 842,85 euros s'agissant du préjudice de Mme D... K..., de 302

297,67 euros s'agissant du préjudice de Mme H... K..., de 35 000 euros s'agis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... K..., Mme H... K... et M. N... K..., agissant en leurs noms propres et ès qualités de représentants légaux de leurs enfants alors mineurs, B..., F... et Ali K..., ont demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier du Belvédère à les indemniser des préjudices subis consécutifs à la prise en charge de la grossesse de Mme H... K... dans cet établissement à compter du mois de juin 1997, à hauteur de 574 842,85 euros s'agissant du préjudice de Mme D... K..., de 302 297,67 euros s'agissant du préjudice de Mme H... K..., de 35 000 euros s'agissant du préjudice de M. N... K..., de 20 000 euros s'agissant du préjudice de Mme C... K..., de 15 000 euros s'agissant du préjudice de B... K..., de 7 500 euros chacun s'agissant des préjudices de F... et Ali K..., ces sommes portant intérêts au taux légal avec capitalisation, outre la somme de 3 000 euros à verser à leur conseil au titre des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991. Appelée en la cause, la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime a demandé la condamnation du centre hospitalier du Belvédère au remboursement des débours exposés en faveur de Mme D... K... à hauteur de 2 348 516,61 euros, avec intérêts et capitalisation, au paiement de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et à lui verser la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1701370 du 18 juillet 2019, le tribunal administratif de Rouen a partiellement fait droit à ces demandes, en condamnant le centre hospitalier du Belvédère à payer, d'une part, à Mme D... K... la somme de 206 628 euros, à M. N... K... et Mme H... K..., en leurs noms personnels, la somme de 15 000 euros chacun, en leurs qualités de représentants légaux de leurs enfants B..., F... et Ali K..., encore mineurs, la somme de 4 000 euros par enfant et à Mme C... K..., seule enfant alors majeure, la somme de 4 000 euros, ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 14 février 2017 avec capitalisation à compter du 14 février 2018, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime la somme de 185 458, 21 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 janvier 2019 et les frais futurs de santé de Mme D... K... sur présentation des justificatifs, au fur et à mesure qu'ils seront exposés, outre l'indemnité forfaitaire de gestion d'un montant de 1 080 euros. Le centre hospitalier du Belvédère a été, en outre, condamné à verser à la SCP Julia-Jegu-G..., avocat des consorts K..., une somme de 1 500 euros au titre du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 septembre 2019, le centre hospitalier du Belvédère, représenté par Me M... L..., demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement et de rejeter les conclusions indemnitaires présentées par les consorts K... et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime ;

2) à titre subsidiaire, d'annuler ce jugement en tant qu'il l'a condamné à indemniser l'intégralité des préjudices subis et notamment de limiter le préjudice indemnisable à 10 % des préjudices subis par les consorts K... et le remboursement des débours de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime dans la même proportion.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Anne Khater, premier conseiller,

- les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public,

- et les observations de Me J... E... pour le centre hospitalier du Belvédère et de Me I... G... pour les consorts K... et la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime.

Considérant ce qui suit :

1. Le 24 octobre 1997, Mme H... K... a donné naissance à sa deuxième fille Zozan K..., au centre hospitalier du Belvédère, à Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime). Le 28 octobre 1997, le nouveau-né, dont l'état de santé a été considéré comme préoccupant, a été transféré en réanimation pédiatrique au centre hospitalier régional universitaire de Rouen où a été diagnostiquée une insuffisance rénale aigüe en rapport avec une prise de Nifluril pendant la grossesse. Depuis, Zozan K... a été astreinte à une surveillance médicale continue et a notamment subi en 2006 une première transplantation rénale. Le greffon montrant des signes de rejet, elle a subi une seconde transplantation rénale en novembre 2019, qui s'est soldée par un échec. Mme D... K... est actuellement astreinte à trois hémodialyses par semaine. Par une ordonnance du 20 septembre 2012, le président du tribunal de grande instance de Rouen a désigné comme expert le docteur Rouveix, qui a établi son rapport le 26 juin 2013. L'expert a conclu à l'imputabilité certaine de l'état de santé de Zozan K... au traitement au Nifluril pris par sa mère pendant le troisième trimestre de sa grossesse et que la responsabilité devait être partagée entre toutes les équipes médicales alors intervenues. Par un jugement du 18 juillet 2019, le tribunal administratif de Rouen a condamné le centre hospitalier du Belvédère à payer à Mme D... K..., devenue majeure le 24 octobre 2015, la somme de 206 628 euros, à M. N... K... et Mme H... K..., en leurs noms personnels, la somme de 15 000 euros chacun, en leurs qualités de représentants légaux de leurs enfants B..., F... et Ali K..., encore mineurs, la somme de 4 000 euros par enfant et à Mme C... K..., soeur aînée de Zozan, la somme de 4 000 euros, ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 14 février 2017 avec capitalisation à compter du 14 février 2018. Ce même jugement a condamné le centre hospitalier du Belvédère à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime la somme de 185 458,21 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 janvier 2019 et les frais futurs de santé exposés en faveur de Mme D... K... découlant de la faute commise, sur présentation des justificatifs de la caisse, au fur et à mesure qu'ils seront exposés, outre l'indemnité forfaitaire de gestion d'un montant de 1 080 euros. Le centre hospitalier du Belvédère relève appel de ce jugement en faisant valoir, à titre principal, que sa responsabilité ne doit pas être engagée. Par la voie de l'appel incident, la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime, d'une part, et les consorts K..., d'autre part, contestent le montant des indemnisations qui leur ont été allouées.

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne les fautes médicales :

2. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du docteur Rouveix qu'à compter de la vingt-sixième semaine d'aménorrhée, l'équipe médicale du centre hospitalier du Belvédère, qui suivait la fin de grossesse de Mme H... K... en parallèle de son médecin-traitant, le docteur Vérilhac, a prescrit à Mme H... K... à trois reprises des anti-inflammatoires non stéroïdiens et, en particulier, le 23 août 1997, du Nifluril sous forme de pommade, le 30 septembre 1997 du Nifluril sans que soit précisée la forme d'administration et, le 8 octobre 1997, du Nifluril sous forme de pommade. Pourtant, à l'époque considérée, les praticiens et, plus spécialement, les gynécologues-obstétriciens étaient avertis de la contre-indication des anti-inflammatoires non stéroïdiens, quelle que soit leur forme, pour les femmes enceintes en fin de grossesse et, en particulier, de la toxicité rénale et digestive pour le foetus et le nouveau-né en période périnatale. Ainsi, il résulte de la littérature médicale produite par les consorts K... que la revue Prescrire en juillet-août 1991 indiquait : " L'administration en fin de grossesse des anti-inflammatoires non stéroïdiens peut entraîner des complications foetales mortelles. Il faut le savoir et mettre en garde tous les prescripteurs et tous les pharmaciens. Il convient également d'examiner dans quels (rares) cas le bénéfice thérapeutique attendu est susceptible de justifier l'exposition à ce risque. " La même revue, en septembre 1991, précisait : " tous les anti-inflammatoires non stéroïdiens, y compris l'aspirine peuvent exposer le nouveau-né (...) à une insuffisance rénale. (...) Les anti-inflammatoires non stéroïdiens peuvent être remplacés par d'autres traitements ayant un meilleur rapport bénéfices/risques dans la plupart des indications, notamment rhumatologiques. L'utilisation des AINS en obstétrique n'est envisageable qu'en milieu spécialisé (...). " Un article publié en 1992 par les Archives françaises de pédiatrie intitulé " Toxicité foetale des anti-inflammatoires non stéroïdiens " indiquait aussi : " les anti-inflammatoires non stéroïdiens exposent à un risque foetal dont il est difficile d'apprécier l'incidence. (...) Une information est indispensable auprès des femmes enceintes pour prévenir l'automédication des médicaments de cette classe surtout au 3ème trimestre. En obstétrique l'indication des anti-inflammatoires non stéroïdiens doit être discutée au cas par cas et la surveillance doit être intensive. " En outre, les effets toxiques du Nifluril sous forme de gélule sur le foetus à partir du troisième mois de grossesse étaient reconnus et expressément mentionnés au Vidal à la date des faits litigieux. Il résulte des conclusions du docteur Rouveix, qui ne sont sérieusement contredites par aucune pièce médicale au dossier, que l'insuffisance rénale de Zozan K... et la transplantation de 2006 qui a suivi sont directement en lien avec le traitement au Nifluril pris par la mère pendant le troisième trimestre de grossesse, l'expert ayant pris soin d'ailleurs de préciser, en réponse à un dire, que cette imputabilité est " de niveau 5/5 c'est-à-dire certaine ". C'est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré que la prescription, sans surveillance particulière, de Nifluril à ce stade de la grossesse de Mme H... K... était constitutive d'un manquement aux règles de l'art au regard des données acquises de la science à l'époque considérée. Il suit de là que cette faute médicale est de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier du Belvédère, sans qu'il y ait lieu de considérer qu'elle n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter le dommage.

3. Le centre hospitalier du Belvédère soutient qu'il y a lieu d'opérer un partage de responsabilité du fait de la faute commise par Mme H... K... dès lors qu'il ressort du rapport d'expertise que celle-ci a eu recours à une automédication au cours du troisième trimestre de sa grossesse. Dans le rapport d'expertise, le docteur Rouveix fait état d'une publication dans le journal des archives pédiatriques de 1999 se référant au cas clinique de Zozan et mentionnant la prise de Nifluril, sous forme de gélules, par sa mère pendant trente jours entre la vingt-septième et la trente-troisième semaine d'aménorrhée et, dans le même sens, un dire annexé au rapport d'expertise évoque un courrier du dossier médical de Mme H... K... dont il ressort que la patiente s'est procurée deux boîtes de Nifluril correspondant à trente jours de traitement per os. Toutefois, alors même que l'automédication de Mme H... K... serait établie, il est constant que cette automédication a eu lieu postérieurement à la première prescription de Nifluril par le centre hospitalier du Belvédère, le 23 août 1997. Or, comme il a été dit au point précédent, la prescription de Nifluril par le centre hospitalier du Belvédère dès le 23 août 1997, même sous forme de pommade, et ensuite à plusieurs reprises jusqu'au 8 octobre 1997, portait en elle-même la réalisation du dommage, l'expert ayant précisé que la toxicité rénale des anti-inflammatoires non stéroïdiens était acquise quelle que soit la posologie et la forme d'administration. Ainsi, dès lors que l'état de santé de Zozan K... trouve sa cause déterminante dans la faute médicale commise par le centre hospitalier du Belvédère, il n'y a pas lieu d'opérer un partage de responsabilité du fait des agissements de Mme H... K..., le lien de causalité entre la faute médicale commise par le centre hospitalier du Belvédère et le dommage étant direct et certain.

En ce qui concerne le défaut d'information :

4. Lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation.

5. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 du présent arrêt que l'administration en fin de grossesse d'anti-inflammatoires non stéroïdiens peut entraîner des complications foetales mortelles et, en tout cas, expose le nouveau-né à un risque d'insuffisance rénale. Or, l'équipe médicale du centre hospitalier du Belvédère n'a pas informé Mme H... K... de ce risque qui était connu. Ce faisant, le centre hospitalier du Belvédère a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de Mme H... K... en raison du préjudice d'impréparation qui en est résulté.

Sur la réparation des préjudices subis par Mme D... K... :

6. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du docteur Rouveix que la consolidation de l'état de santé de Zozan K... doit être fixée au 15 janvier 2013, l'intéressée étant alors âgée de quinze ans.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant des dépenses de santé :

7. Il résulte des écritures de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime, du relevé de ses débours arrêté au 25 septembre 2020 et de l'attestation

d'imputabilité établie par le médecin conseil de l'assurance maladie, que celle-ci justifie avoir exposé des dépenses de santé imputables exclusivement à la faute du centre hospitalier du Belvédère et liées à l'insuffisance rénale dont est atteinte Mme D... K... depuis sa naissance pour un montant total de 122 100,38 euros jusqu'au 12 décembre 2012 et pour un montant total de 171 420,05 euros jusqu'au 24 septembre 2020. Il y a lieu, dès lors, de condamner le centre hospitalier du Belvédère à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime la somme de 293 520,43 euros au titre des dépenses de santé actuelles.

8. La caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime demande, au titre de ses débours à exposer à l'avenir, un capital représentatif de 956 813,37 euros, selon son relevé arrêté au 25 septembre 2020, correspondant à des dépenses qui devront être exposées sur sept périodes allant jusqu'au 25 novembre 2090 et comprenant tous les frais de prise en charge de l'insuffisance rénale de Mme D... K... en termes d'hospitalisations, d'actes de biologie, d'interventions de transplantation, de surveillance et de traitements pharmaceutiques. Toutefois, eu égard aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale qui limitent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale à l'encontre du responsable d'un accident corporel aux préjudices qu'elles ont pris en charge, le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente et ne peut être mis à la charge du responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec son accord. Dans ces conditions, en l'absence d'accord du centre hospitalier du Belvédère pour un remboursement du capital représentatif des frais futurs de la caisse primaire d'assurance maladie, la demande de versement d'un capital représentatif de 956 813,37 euros ne peut être accueillie. Ainsi que l'ont décidé les premiers juges, il y a donc lieu de condamner le centre hospitalier du Belvédère à rembourser ces frais sur présentation de justificatifs au fur et à mesure qu'ils seront exposés.

S'agissant de l'assistance par une tierce personne :

9. Il résulte de l'instruction et, en particulier, du rapport d'expertise du docteur Rouveix qu'avant consolidation, l'état de santé de Zozan K..., imputable aux fautes du centre hospitalier du Belvédère, nécessitait l'aide d'un tiers " pour le suivi des soins qui sont permanents ". C'est par une juste appréciation que les premiers juges ont évalué ce besoin à une heure par jour jusqu'à la date de consolidation et, en se fondant sur un taux horaire de 13 euros correspondant au coût de l'aide non spécialisée, l'ont indemnisée à hauteur de 72 254 euros. C'est aussi à juste titre que les premiers juges ont évalué le besoin de Zozan en aide spécialisée jusqu'à sa majorité à une demi-heure par jour et l'ont évalué, en se fondant sur le même taux horaire de 13 euros correspondant au coût de l'aide non spécialisée, à 6 578 euros. Il ne résulte d'aucun élément de l'instruction que ce besoin d'une aide spécialisée devrait être maintenu depuis la majorité de Zozan. Dès lors, il y a lieu de confirmer la somme de 78 832 euros allouée par les premiers juges au titre de l'assistance par une tierce personne, sous réserve d'une aggravation de ce poste de préjudice dont Mme H... K... pourrait être amenée à se prévaloir devant le centre hospitalier du Belvédère.

S'agissant des frais de logement adapté :

10. Si Mme D... K... soutient qu'elle a besoin, pour sa famille qui l'héberge, d'un logement adapté de type F5, avec chambre seule en ce qui la concerne, il ne résulte d'aucun élément de l'instruction et notamment pas des conclusions de l'expert que ce besoin serait en lien avec les fautes du centre hospitalier du Belvédère. C'est donc à juste titre que les premiers juges en ont refusé l'indemnisation.

S'agissant de l'incidence scolaire et universitaire :

11. Il résulte de l'instruction que Mme D... K... a connu un absentéisme scolaire important au cours des cycles primaire et secondaire et a au moins redoublé une classe, en cours élémentaire de deuxième année. S'il ne peut être admis avec certitude que son orientation après le cycle secondaire a été limitée à raison de son état de santé, Mme D... K... établit avoir subi des perturbations tout au long de sa vie scolaire et pendant ses études alors qu'elle a récemment renoncé à achever sa formation de monitrice-éducatrice en raison de l'impossibilité de concilier les stages obligatoires avec la surveillance médicale à laquelle elle est astreinte et, notamment, les trois séances hebdomadaires d'hémodialyse. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à ce titre la somme de 4 000 euros.

S'agissant de la perte de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle :

12. Si Mme D... K... soutient qu'en raison de son état de santé, elle a été limitée dans le choix de son orientation professionnelle contrainte par des études supérieures nécessairement courtes, il ne résulte d'aucun élément de l'instruction et, en particulier, de l'expertise du docteur Rouveix, qu'elle serait inapte à l'exercice de toute activité professionnelle rémunérée. Mme D... K... n'étant pas encore, à la date du présent arrêt, entrée sur le marché du travail, elle ne peut se prévaloir d'une perte de gains professionnels futurs. En revanche, la fatigue induite par son suivi médical, et notamment le rythme des hémodialyses, entraîne nécessairement une pénibilité accrue du travail et aura des répercussions sur l'insertion professionnelle de l'intéressée qui s'est d'ailleurs vu reconnaître le statut de travailleur handicapé, Mme D... K... restant atteinte d'un taux d'invalidité permanente de 30 %. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'incidence professionnelle en allouant à Mme D... K... la somme de 10 000 euros.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

13. Il résulte de l'instruction et, en particulier, du rapport d'expertise que Mme D... K... a subi, jusqu'à la date de consolidation, un déficit fonctionnel temporaire qui a été total pendant cent-vingt-huit jours, partiel à hauteur de 40 % pendant trois-mille-deux-cent-trois jours et à hauteur de 10 % pendant mille-cent-quarante-huit jours. L'indemnité allouée à ce titre devant être calculée, en l'absence de circonstances particulières justifiant un montant supérieur, sur la base de 13 euros par jour pour un déficit fonctionnel temporaire total, Mme D... K... n'est pas fondée à se plaindre de ce que les premiers juges lui ont alloué à ce titre la somme de 28 296 euros.

14. Il résulte de l'instruction et, en particulier, du rapport d'expertise que Mme D... K... reste atteinte d'un déficit fonctionnel permanent évalué à 30 %, caractérisé par l'étroite surveillance clinique et biologique à laquelle elle est astreinte. A la date de consolidation, Mme D... K... était âgée de quinze ans. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant la somme qu'elle réclame à ce titre, soit 70 000 euros.

15. Il résulte de l'instruction que Mme D... K... a enduré des souffrances qui ont été évaluées à 4 sur une échelle de 7 par l'expert désigné par le juge des référés du tribunal de grande instance de Rouen. Les premiers juges ont, par une juste appréciation, alloué à ce titre à Mme D... K... une indemnisation de 8 000 euros qui n'est pas contestée par les parties et qu'il y a donc lieu de confirmer.

16. Il résulte de l'instruction que Mme D... K... a subi un préjudice esthétique temporaire qui a été évalué à 3 sur une échelle de 7 par l'expert désigné par le juge des référés du tribunal de grande instance de Rouen et qui est lié aux perturbations physiques consécutives à la transplantation. Les premiers juges ont, par une juste appréciation, alloué à ce titre à Mme D... K... une indemnisation de 3 500 euros qu'il y a lieu de confirmer. Le préjudice esthétique permanent, correspondant à la cicatrice opératoire, a été évalué par l'expert à 1 sur une échelle de 7. Les premiers juges ont, par une juste appréciation, alloué à ce titre à Mme D... K... une indemnisation de 1 000 euros qu'il y a lieu de confirmer.

17. Mme D... K... demande l'indemnisation du préjudice sexuel et d'établissement qu'elle subit en faisant valoir que la littérature médicale fait état de troubles de la libido chez les femmes transplantées. Si l'expert ne s'est pas prononcé sur ce préjudice, Zozan étant âgée de seulement quinze ans à la date des opérations d'expertise, ce préjudice doit être tenu pour établi dans son principe dès lors que la lourdeur des soins auxquelles elle est astreinte, depuis notamment l'échec de sa transplantation, a nécessairement un retentissement sur sa vie sexuelle. Il y a donc lieu, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, d'allouer à Mme D... K... au titre de son préjudice sexuel la somme de 2 000 euros. Par ailleurs, l'intéressée n'ayant pas chiffré son préjudice d'établissement, il lui appartiendra de saisir à nouveau le juge, si elle s'y croit fondée, en vue de l'indemnisation de ce préjudice.

18. Mme D... K... demande l'indemnisation d'un préjudice d'agrément. Cependant, l'expert désigné par le juge des référés du président du tribunal de grande instance de Rouen n'en a pas retenu l'existence et a précisé que l'intéressée était apte à pratiquer des activités d'agrément. C'est donc à juste titre que les premiers juges ont écarté l'indemnisation de ce poste de préjudice.

19. Mme D... K... soutient qu'elle subit un préjudice exceptionnel permanent dû à l'angoisse qu'elle va subir tout au long de sa vie d'être confrontée à une nouvelle transplantation, un risque d'infection, de cancer ou d'atteinte du greffon et sollicite, à ce titre, une indemnisation de 50 000 euros. Toutefois, s'il résulte effectivement de l'instruction que Mme D... K..., dont l'état de santé est consolidé, a déjà subi deux échecs de transplantation l'obligeant à trois séances d'hémodialyse hebdomadaires, elle a déjà été indemnisée, au point 14 du présent arrêt, pour le suivi clinique et biologique auquel elle est astreinte à vie au titre du déficit fonctionnel permanent évalué à 30 % alors que le préjudice exceptionnel permanent a pour seul objet d'indemniser l'angoisse liée au risque d'apparition ou de développement d'une pathologie par un agent exogène, mettant en jeu le pronostic vital. Il n'y a donc pas lieu d'accorder à Mme D... K... une indemnisation au titre de ce préjudice dont le principe n'est pas établi.

Sur la réparation des préjudices subis par M. N... K... et Mme H... K... :

20. M. et Mme K... soutiennent qu'en raison de l'état de santé de leur deuxième fille, Mme H... K... a dû mettre un terme à son activité professionnelle qu'elle exerçait avant sa naissance, en tant que repasseuse. Toutefois, il ne résulte d'aucun élément de l'instruction que, du fait de l'état de santé de sa fille, Mme H... K... serait dans l'incapacité de reprendre une activité professionnelle rémunérée alors qu'au demeurant, elle ne justifie d'aucun contrat de travail depuis le 31 décembre 2016. C'est donc à juste titre que les premiers juges ont écarté l'indemnisation de ce poste de préjudice dont le principe n'est pas établi.

21. M. et Mme K... doivent être regardés comme invoquant un préjudice d'affection en faisant valoir qu'ils ont subi un préjudice moral dû aux angoisses éprouvées lors du transfert en réanimation pédiatrique de leur enfant immédiatement après la naissance puis en médecine néo-natale, au suivi médical contraignant qui a suivi et à toutes les peurs dues à la possible aggravation de l'état de santé de leur enfant. C'est par une juste appréciation que les premiers juges ont évalué à 10 000 euros chacun l'indemnisation due au titre de ce préjudice d'affection.

22. Mme H... K... demande, en outre, l'indemnisation du préjudice d'impréparation dû au manquement du centre hospitalier du Belvédère à son obligation d'information. La souffrance morale qu'elle a endurée lorsqu'elle a découvert, sans y avoir été préparée, les conséquences de l'administration d'anti-inflammatoires non stéroïdiens en cours de grossesse, doit être admise. C'est donc à tort que les premiers juges n'ont pas alloué d'indemnisation spécifique à Mme H... K... au titre du préjudice d'impréparation. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à ce titre à Mme H... K... la somme de 2 000 euros.

23. En dernier lieu, en demandant l'indemnisation d'un " préjudice d'accompagnement ", M. et Mme K... doivent être regardés comme demandant l'indemnisation des troubles dans leurs conditions d'existence qu'ils subissent en raison du suivi médical de leur fille, qui a eu de lourdes conséquences sur leur mode de vie au quotidien. Il y a lieu de confirmer les premiers juges qui ont alloué à M. et Mme K... la somme de 5 000 euros chacun.

Sur la réparation des préjudices subis par Mmes C..., B..., F... K... et M. A... K... :

24. Mme C... K..., soeur aînée de Mme D... K..., soutient qu'elle a subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence dus aux retentissements sur la sphère familiale de l'état de santé de sa cadette. C'est par une juste appréciation que les premiers juges ont évalué ce poste de préjudice en lui allouant une somme de 4 000 euros à ce titre.

25. Mmes B... et F... K... et M. A... K... sont les soeurs et frère cadets de Mme D... K.... Ils ont donc été conçus et sont nés après le fait générateur engageant la responsabilité du centre hospitalier du Belvédère ayant consisté en la prescription d'anti-inflammatoires non stéroïdiens entre les mois d'août et octobre 1997. Mme B... K..., en son nom propre, M. et Mme K..., ès qualités de représentants légaux de leurs enfants mineurs, F... et Ali K..., ne sont donc pas fondés à se plaindre de ce que les premiers juges leur ont alloué, au titre des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral subi, chacun la somme de 4 000 euros.

Sur les sommes dues par le centre hospitalier du Belvédère :

26. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sur l'aggravation de l'état de santé d'ailleurs postérieure au jugement demandée par la victime, que le centre hospitalier du Belvédère doit être condamné à verser à Mme D... K... la somme totale de 205 628 euros. Le centre hospitalier du Belvédère est condamné à verser à Mme H... K... la somme de 17 000 euros et à M. N... K..., la somme de 15 000 euros. Le centre hospitalier du Belvédère est condamné à leur verser, en leurs qualités de représentants légaux de F... et Ali K..., 4 000 euros chacun, et à Mme B... K... et Mme C... K... les sommes de 4 000 euros chacune. La caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime est fondée à demander à ce que la condamnation du centre hospitalier du Belvédère à lui verser la somme totale de 185 458,21 euros soit portée à la somme de 293 520,43 euros, outre les frais futurs de santé sur présentation de justificatifs exposés en faveur de Mme D... K....

Sur les intérêts et la capitalisation de ces intérêts :

27. Les consorts K... ont droit aux intérêts au taux légal sur les sommes mentionnées au point 26 du présent arrêt à compter du 14 février 2017, date de réception de leur réclamation préalable. La capitalisation des intérêts a été demandée le 25 avril 2017. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 14 février 2018, date à laquelle était due, pour la première fois, une année entière d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

28. La caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime a droit aux intérêts au taux légal à compter du 8 janvier 2019, date d'enregistrement de sa première demande devant les premiers juges. Conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts échus à la date du 8 janvier 2020, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

29. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour 2020 : " Les montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 108 € et à 1 091 € au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2020 ".

30. En application des dispositions précitées et compte tenu de la majoration du montant des sommes dont l'appelante a obtenu le remboursement, il y a lieu de porter à 1 091 euros le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion qui a été allouée à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime et à laquelle elle a droit.

Sur les frais liés à l'instance :

31. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier du Belvédère le versement, à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime, d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que le centre hospitalier du Belvédère a été condamné à verser à Mme D... K... est ramenée à 205 628 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 14 février 2017 et les intérêts échus à la date du 14 février 2018, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : La somme que le centre hospitalier du Belvédère a été condamné à verser à Mme H... K... est portée à 17 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 14 février 2017 et les intérêts échus à la date du 14 février 2018, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : La somme que le centre hospitalier du Belvédère a été condamné à verser à M. N... K... est portée à 15 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 14 février 2017 et les intérêts échus à la date du 14 février 2018, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : La somme que le centre hospitalier du Belvédère a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime est portée à 293 520,43 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 8 janvier 2019 et les intérêts échus à la date du 8 janvier 2020, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 5 : Le centre hospitalier du Belvédère est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime les frais futurs de santé exposés en faveur de Mme D... K... découlant de la faute qu'il a commise, sur présentation des justificatifs, au fur et à mesure de l'engagement des dépenses.

Article 6 : La somme de 1 080 euros que le centre hospitalier du Belvédère a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion est portée à 1 091 euros.

Article 7 : Le jugement n° 1701370 du 18 juillet 2019 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 8 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 9 : Le centre hospitalier du Belvédère versera à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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N°19DA02168


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