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17/12/2019 | FRANCE | N°18DA01494

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 17 décembre 2019, 18DA01494


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune du Havre a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la société anonyme (SA) Electricité Réseau Distribution France (ERDF) à lui verser une provision de 102 829,13 euros en réparation des préjudices résultant de l'incendie survenu dans un logement situé dans le groupe scolaire Flavigny.

Par une ordonnance n° 1703635 du 3 juillet 2018, le juge des référés du tribunal admini

stratif de Rouen a condamné la SA Enedis, venant aux droits d'ERDF, à verser à la com...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune du Havre a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la société anonyme (SA) Electricité Réseau Distribution France (ERDF) à lui verser une provision de 102 829,13 euros en réparation des préjudices résultant de l'incendie survenu dans un logement situé dans le groupe scolaire Flavigny.

Par une ordonnance n° 1703635 du 3 juillet 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a condamné la SA Enedis, venant aux droits d'ERDF, à verser à la commune du Havre, à titre de provision, la somme de 60 286,20 euros, à la SA Gan Assurances la somme de 12 261,19 euros et a mis à la charge de la SA Enedis les frais et honoraires de l'expert, taxés et liquidés à la somme de 13 339,36 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 juillet 2018, 15 octobre 2018 et 15 novembre 2018, la SA Enedis et la société Axa Corporate Solutions Assurance, représentées par Me B..., demandent à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 3 juillet 2018 ;

2°) de rejeter les demandes de la commune du Havre et de la société Gan Assurances ;

3°) de mettre à la charge de la commune du Havre et de la société Gan Assurances la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de condamner la commune du Havre et la société Gan Assurances aux entiers dépens.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Un incendie s'est déclaré le 29 juillet 2011 dans un logement de fonction d'un immeuble, situé dans le groupe scolaire Flavigny et appartenant à la commune du Havre. Le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a, sur demande de la commune, ordonné une expertise portant sur l'origine de cet incendie et l'évaluation du coût des travaux de remise en état. S'appuyant sur les conclusions du rapport d'expertise déposé au greffe du tribunal administratif de Rouen le 10 mars 2017, la commune du Havre a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen de condamner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, la société ERDF, aux droits desquels intervient désormais la société Enedis, à lui verser une provision de 102 829,13 euros en réparation des préjudices résultant de l'incendie survenu dans ce logement. La société Enedis et son assureur relèvent appel de l'ordonnance du 3 juillet 2018 par laquelle le juge des référés a condamné la société Enedis à verser à la commune du Havre une provision de 60 286,20 euros, et à son assureur, la SA Gan Assurances, une provision de 12 261,19 euros, et a mis à la charge de la société Enedis les frais et honoraires de l'expert. Par la voie de l'appel incident, la commune du Havre demande la réformation de cette ordonnance en tant que le juge des référés du tribunal administratif de Rouen n'a pas fait droit à sa demande de provision au titre de la perte des loyers.

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

3. Si les collectivités publiques, leurs concessionnaires ou leurs entrepreneurs doivent, quelle que soit la nature du service public qu'ils assurent, réparer les dommages causés aux tiers par les ouvrages dont ils ont la charge ou les travaux qu'ils entreprennent et si la responsabilité qu'ils encourent ainsi, même en l'absence de toute faute relevée à leur encontre, ne peut être appréciée que par la juridiction administrative sur le fondement de la responsabilité pour dommages de travaux publics, il n'appartient pas, en revanche, à la juridiction administrative de connaître des dommages imputables aux ouvrages ou travaux dont il s'agit et d'apprécier la responsabilité encourue à raison de vices dans leur conception, leur exécution ou leur entretien lorsque ces dommages ont été causés à l'usager d'un service industriel et commercial par une personne ayant collaboré à l'exécution de ce service et à l'occasion de la fourniture de la prestation due par le service à cet usager. En raison des liens de droit privé existant entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers, les tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour connaître de l'action formée par l'usager contre les personnes participant à l'exécution du service.

4. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que dans les jours précédant l'incendie survenu le 29 juillet 2011 dans le logement de fonction occupé par Mme A..., les services d'ERDF sont intervenus dans le groupe scolaire Flavigny. Cette intervention technique décrite dans le rapport comme portant sur " des gros câbles d'alimentation et sur le bloc de colonne montante avec recherche des circulations et d'installation de câbles distributeurs " a conduit les techniciens d'ERDF à interrompre la distribution du courant alimentant le logement de Mme A.... De tels travaux portant sur le réseau de distribution électrique réalisés dans un but d'intérêt général présentent le caractère de travaux publics. Mme A... a reçu, peu avant le sinistre, l'autorisation d'un technicien d'ERDF de remettre en service son compteur électrique individuel. Si celle-ci, titulaire d'un contrat d'abonnement pour ce logement et chargée de faire son affaire personnelle de ses dépenses de fluide en application de l'article 8 de la convention d'occupation temporaire du domaine public qu'elle a conclue avec la commune, peut être regardée comme ayant la qualité d'usager du service public industriel et commercial, la commune du Havre ne saurait, contrairement à ce que soutient la société Enedis, avoir cette même qualité dès lors que le départ de feu est sans lien avec le contrat d'abonnement dont elle est titulaire pour l'alimentation des parties communes de l'immeuble. Dans ces conditions, la commune du Havre, en tant que propriétaire du bien sinistré, a la qualité de tiers aux travaux. Par suite, la juridiction administrative est compétente pour connaître du présent litige. Le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a pu, sans entacher d'irrégularité son ordonnance, écarter l'exception d'incompétence de la juridiction administrative soulevée devant lui.

5. En première instance, la commune du Havre a demandé la condamnation de la société Enedis à lui verser une provision en faisant valoir que sa responsabilité était engagée dès lors que le rapport d'expertise avait permis de conclure que l'incendie à l'origine des dommages avait été causé par le fonctionnement défectueux des installations de ladite société. La société Gan Assurances a pour sa part indiqué dans son mémoire que la responsabilité d'ERDF était engagée en se référant aux conclusions de l'expert selon lequel la cause de l'incendie est due à un défaut important sur la distribution d'énergie électrique depuis le réseau du distributeur. Si la nature du dommage de travaux publics n'était pas explicitement indiquée dans la demande présentée par la commune du Havre et la société Gan Assurances devant le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, ce terrain de responsabilité devait se déduire de l'ensemble de leurs écritures. Par suite, la demande satisfaisant aux exigences de motivation de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, la société Enedis n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés a admis sa recevabilité.

Sur la provision :

6. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert, que si l'incendie du logement appartenant à la commune du Havre provient immédiatement de la défaillance d'un chargeur d'ordinateur portable situé dans le séjour, cette défaillance a été causée par des incidents de surtension et de défauts de neutre, lesquels sont apparus à l'occasion de l'intervention de techniciens d'ERDF sur le réseau électrique d'alimentation et de distribution en amont du branchement particulier du logement. Si la société Enedis fait valoir que le dysfonctionnement du chargeur est exclusivement la cause de l'incendie, l'expertise a révélé que des dommages électriques ont été également constatés dans les logements avoisinants. Le lien de causalité entre les travaux menés par ERDF et le dommage causé au logement doit être, en l'état de l'instruction, regardé comme établi. La société Enedis ne peut utilement se prévaloir de la supposée non-conformité du chargeur de l'ordinateur appartenant à la locataire, pour s'exonérer de sa responsabilité à l'égard de la commune, qui a la qualité de tiers aux travaux. La société requérante n'établit pas non plus que le dommage serait imputable à une faute de la commune ou à un cas de force majeure. Par suite, la société Enedis et son assureur ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le juge des référés a estimé que la société Enedis était entièrement responsable des dommages survenus à ce logement.

7. Il résulte du rapport de l'expert, et ainsi que l'a retenu à juste titre le juge des référés, que le coût de la remise en état du logement s'élève à la somme de 72 547, 39 euros, à laquelle il convient de retrancher la somme de 12 261,19 euros déjà perçue par la commune du Havre de la part de son assureur. Par ailleurs, la société Gan Assurances, subrogée dans les droits de la commune, justifie d'une créance de 12 261,19 euros à l'encontre de la société Enedis. Contrairement à ce que soutient cette dernière, les dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative n'interdisent pas au juge des référés de considérer qu'une obligation n'est pas sérieusement contestable dans une hypothèse où l'assureur est subrogé dans les droits de son assuré et de condamner la personne morale responsable à lui verser une provision. La société Enedis n'apporte, enfin, en cause d'appel, aucun élément de nature à remettre en cause le montant de la provision qu'elle a été condamnée à verser, d'une part, à la commune du Havre et, d'autre part, à la société Gan Assurances.

8. La commune du Havre soutient avoir subi depuis cet incendie des pertes de loyer qu'elle évalue au total à la somme de 34 800 euros. Elle fait valoir être dans l'incapacité de relouer ce logement en raison de l'absence d'indemnisation pour procéder aux travaux de remise en état et de l'attente quant aux conclusions de l'expertise. Toutefois, il ressort de la convention d'occupation du domaine public, en cours à la date de l'incendie, que ce logement était occupé par Mme A... à titre gratuit. Si la commune verse en appel une délibération du 9 mai 2016 du conseil municipal du Havre, rendue exécutoire le 17 mai, fixant les redevances d'occupation par type de logement et en fonction de certaines zones, elle ne permet pas à elle seule d'établir qu'elle a effectivement subi des pertes de loyer de manière suffisamment certaine pour ce logement à compter de 2016 alors d'ailleurs qu'elle n'établit pas ne pas pouvoir remettre en état le bien du fait du non-paiement des indemnités d'assurance. Cette créance invoquée par la commune présente un caractère sérieusement contestable. Par suite, la commune du Havre n'est pas fondée, par la voie de l'appel incident, à soutenir que c'est tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande de provision sur ce point.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Enedis et son assureur ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a condamné la société Enedis à verser à la commune du Havre, à titre de provision, la somme de 60 286,20 euros et à la SA Gan Assurances la somme de 12 261,19 euros. Les conclusions présentées au titre des dépens ne peuvent qu'être rejetées. Les conclusions d'appel incident présentées par la commune du Havre sont également rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la société Enedis une somme de 1 500 euros à verser à la commune du Havre. Il y a lieu également au titre des mêmes dispositions de mettre à la charge solidaire des sociétés Enedis et Axa Corporate Solutions Assurance, une somme de 1 500 euros à verser à la commune du Havre. En revanche, les conclusions présentées par la société Enedis au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ne peuvent qu'être rejetées.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la sociéte Enedis et de la société Axa Corporate Solutions Assurance est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune du Havre présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.

Article 3 : La société Enedis versera à la commune du Havre une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La société Enedis et la société la société Axa Corporate Solutions Assurance verseront solidairement à la société Gan Assurances une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Enedis, à la société Axa Corporate Solutions Assurance, à la commune du Havre et à la société Gan Assurances.

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N°18DA01494


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Numéro d'arrêt : 18DA01494
Date de la décision : 17/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-03-015 Procédure. Procédures de référé autres que celles instituées par la loi du 30 juin 2000. Référé-provision.


Composition du Tribunal
Avocat(s) : CABINET BRIGITTE BEAUMONT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-12-17;18da01494 ?
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