Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui rembourser la somme de 5 458 euros correspondant à des prélèvements indus effectués par le comptable du Trésor sur son compte bancaire pour régler la dette fiscale d'un contribuable dont il n'était pas solidaire.
Par un jugement n° 1203589 du 11 juin 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 15DA01415 du 1er septembre 2015, le président de la cour administrative d'appel de Douai a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 21 août 2015 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, présentée par M.B....
Par une décision n° 393219 du 20 février 2018, le Conseil d'Etat a attribué le jugement de la requête de M. B...à la cour administrative d'appel de Douai.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 21 août 2015, 2 août et 26 octobre 2018, M.B..., représenté par la SCP Garreau Bauer-Violas Feschotte-Desbois, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 11 juin 2015 du tribunal administratif de Lille ;
2°) de condamner l'Etat à lui restituer la somme de 5 458 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2011 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 35 euros au titre des dépens ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rodolphe Féral, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'administration fiscale a prélevé sur un compte bancaire de M. A...B..., au moyen de titres interbancaires de paiement comportant les références du compte établis au nom de son frère et signés par ce dernier, quatre sommes correspondant aux cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles ce dernier a été assujetti au titre des années 2006, 2007, 2008 et 2009 dans les rôles de la commune de Lille (Nord), pour un montant total de 5 458 euros. M. B...a saisi en vain l'administration de deux réclamations, les 25 août et 29 décembre 2010, tendant à la restitution des sommes prélevées sur son compte puis a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser une indemnité en réparation de faute commise dans le traitement des coordonnées bancaires d'un montant correspondant en principal à la somme des prélèvements litigieux. Par jugement du 11 juin 2015, le tribunal administratif de Lille a jugé sa demande irrecevable et l'a rejetée pour ce motif. Par une ordonnance du 1er septembre 2015, le président de la cour a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 21 août 2015 au greffe de la cour, présentée par M. B...contre le jugement du tribunal administratif de Lille du 11 juin 2015. Par une décision n° 393219 du 20 février 2018, le Conseil d'Etat a attribué le jugement de la requête à la cour administrative d'appel de Douai.
Sur la fin de non-recevoir retenue par le tribunal :
2. L'administration est, en principe, tenue de restituer des impositions indûment perçues. Il en est notamment ainsi lorsque des fonds ont été illégalement prélevés sur un compte détenu par une personne qui n'en était pas débitrice en règlement de la dette fiscale d'un contribuable dont elle n'était pas solidairement responsable. Si cette personne dispose de la faculté d'exercer un recours de plein contentieux en restitution des fonds ainsi prélevés, l'existence de cette voie de droit, qui, exercée par un tiers n'ayant pas la qualité de contribuable ne se rattache ni au contentieux de l'assiette de l'impôt ni à celui de son recouvrement et à laquelle ne sont pas applicables les procédures fiscales, ne fait pas obstacle à ce qu'elle soit recevable à saisir le juge administratif d'un recours indemnitaire tendant à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée du fait de la perception indue des sommes en cause et à ce qu'il soit condamné à réparer le préjudice distinct de celui correspondant au paiement à tort de ces sommes. Lorsqu'un tribunal administratif est saisi de conclusions se présentant comme un recours en responsabilité mais ne tendant, en réalité, qu'à la restitution de la créance d'impôt indument perçue, il lui appartient de requalifier ces conclusions et de les traiter comme un recours en restitution.
3. Il ressort des écritures de M. B...devant le tribunal administratif de Lille que les conclusions de sa demande, même si elles se présentaient comme un recours en responsabilité, tendaient, en réalité, à la restitution de la créance d'impôt que selon lui l'administration fiscale avait indument perçue sur son compte et constituaient donc un recours en restitution de ces sommes. Ainsi, le tribunal aurait dû requalifier ces conclusions et les traiter comme un recours en restitution. En conséquence, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a retenu que l'existence d'un recours parallèle en restitution des sommes versées, permettant d'aboutir à un résultat identique à l'action indemnitaire engagée devant lui, s'opposait à la recevabilité de cette dernière et a rejeté la demande du requérant pour ce motif. Par suite, le jugement du tribunal doit être annulé et il y a lieu de statuer sur la demande en restitution de M. B... par la voie de l'évocation.
Sur les autres fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'action et des comptes publics :
4. En premier lieu, l'administration soutenait en première instance que M.B..., en méconnaissance des dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans leur rédaction applicable au litige, n'avait pas présenté de demande préalable indemnitaire, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le recours présenté par le requérant devant le tribunal doit être qualifié de recours en restitution. Ainsi, l'intéressé n'a pas à justifier avoir présenté une demande indemnitaire préalable. En outre, il est constant que M. B... a saisi l'administration de deux réclamations, les 25 août et 29 décembre 2010, tendant à la restitution des sommes prélevées sur son compte et que le silence gardé par l'administration sur ces réclamations a fait naitre des décisions implicites de rejet avant l'introduction de sa requête devant le tribunal administratif de Lille. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'action et des comptes publics doit être écartée.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 421-2 du code de justice administrative dans sa rédaction applicable au litige : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet. / Les intéressés disposent, pour se pourvoir contre cette décision implicite, d'un délai de deux mois à compter du jour de l'expiration de la période mentionnée au premier alinéa... " ". Aux termes de l'article 421-3 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " Toutefois, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : / 1° En matière de plein contentieux ... ".
6. L'action en restitution formée par M. B...a le caractère d'un litige de plein contentieux auquel sont applicable les dispositions de l'article R. 421-3 du code de justice administrative. Il est constant que M. B...a saisi l'administration de deux réclamations, les 25 août et 29 décembre 2010, tendant à la restitution des sommes prélevées sur son compte et que l'administration n'a pas répondu à ces réclamations. Par suite, en l'absence de décision expresse de rejet de ces réclamations, la fin de non-recevoir tirée de ce que le requérant n'aurait pas saisi, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 421-2 du code de justice administrative, le tribunal dans un délai de deux mois à compter de du jour de la naissance d'une décision implicite de rejet ne peut qu'être écartée.
7. Enfin, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci en a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
8. Les règles énoncées au point précédent, relatives au délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel, qui ne peut en règle générale excéder un an sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, sont également applicables à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision. La preuve d'une telle connaissance ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation de la demande. Elle peut en revanche résulter de ce qu'il est établi, soit que l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'une décision implicite lors de la présentation de sa demande, soit que la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration, notamment à l'occasion d'un recours gracieux dirigé contre cette décision. Le demandeur, s'il n'a pas été informé des voies et délais de recours dans les conditions prévues par les articles 19 et 21 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations et de l'article 1er du décret du 6 juin 2001 pris pour l'application du chapitre II du titre II de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, dans leurs rédactions applicables au litige, dispose alors, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de la décision.
9. Il n'est pas contesté par l'administration que lors de la présentation de ses réclamations M. B...ne s'est pas vu remettre un accusé de réception et qu'il n'a pas été informé des conditions de naissance d'une décision implicite. En outre, il ne résulte pas de l'instruction et n'est pas allégué par l'administration que l'intéressé aurait mentionné cette décision au cours d'échange avec elle. Ainsi, alors que l'administration se borne à alléguer que le tribunal a été saisi plus d'un an et demi après l'avoir saisi, il n'est pas établi que M. B...ait eu connaissance des décisions implicites de rejet de ses réclamations. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'administration fiscale tenant à la tardiveté de sa requête devant le tribunal ne peut qu'être écartée.
Sur le bien-fondé de la demande en restitution :
10. Ainsi qu'il a été dit au point 2, l'administration est, en principe, tenue de restituer des impositions indûment perçues. Il en est notamment ainsi lorsque des fonds ont été illégalement prélevés sur un compte détenu par une personne qui n'en était pas débitrice en règlement de la dette fiscale d'un contribuable dont elle n'était pas solidairement responsable. Toutefois, même dans cette hypothèse, l'administration n'est pas tenue de restituer les impositions indûment perçues si le paiement n'a pas été fait par erreur mais dans l'intention délibérée de régler la dette d'un autre contribuable ou de faire une libéralité à ce dernier. En revanche, dès lors que l'action en restitution n'est pas prescrite à la date de la demande, l'administration fiscale ne saurait utilement soutenir pour refuser la restitution des fonds que l'intéressé a été négligent en ne présentant pas dans les meilleurs délais une réclamation.
11. Il résulte de l'instruction que les impositions foncières établies pour les années 2006, 2007, 2008 et 2009 au titre de l'immeuble situé à Lille l'ont été au nom du frère de M. B... qui en est seul propriétaire et était seul personnellement débiteur de ces impositions. Il résulte également de l'instruction que le paiement de ces impositions a été effectué sans aucune intervention du requérant, mais uniquement en raison du fait que son numéro de compte bancaire avait été porté par erreur sur les titres interbancaires de paiement adressés à son frère pour avoir paiement des impositions dues par ce dernier. Si l'administration fait valoir que M. B...ne s'est rapproché de ses services qu'en 2010, cette absence de réaction immédiate aux paiements intervenus entre 2006 et 2009 ne saurait à elle seule suffire à démontrer que le requérant a eu l'intention délibérée de régler les dettes fiscales de son frère ou de faire une libéralité à ce dernier. Par suite, alors que l'action en restitution n'était pas prescrite lorsque M. B...a présenté sa demande, l'administration fiscale est tenue de lui restituer la somme de 5 458 euros.
12. Il résulte de tout de ce qui précède que à M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à ce que l'administration lui restitue la somme de 5 458 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2011.
Sur les frais liés aux instances devant le tribunal et la cour :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 535 euros à verser à M. B...pour les frais de timbre qu'il a acquittés lors de l'introduction de sa demande devant le tribunal administratif de Lille, et pour les autres frais liés aux deux instances.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1203589 du 11 juin 2015 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : L'Etat est tenu de restituer à M. B...la somme de 5 458 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2011.
Article 3 : L'Etat versera à M. B...la somme de 1 535 euros au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera transmise à la direction régionale des finances publiques des Hauts de France.
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N°18DA00379