Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 2 août 2018 par lequel le préfet du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an et l'a placé en rétention administrative.
Par un jugement n° 1807072 du 8 août 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a partiellement fait droit à sa demande en annulant, par son article premier, l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais en tant qu'il fixe le pays de destination et en rejetant, par son article 2, le surplus des conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 septembre 2018, le préfet du Pas-de-Calais, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 8 août 2018 en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de M. A...;
2°) de rejeter les conclusions de la demande de M. A...dirigées contre la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rodolphe Féral, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., se présentant comme ressortissant syrien, a fait l'objet par arrêté du 2 août 2018 du préfet du Pas-de-Calais d'une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire. Par cet arrêté, le préfet a également fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an et l'a placé en rétention administrative. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 8 août 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le pays de destination.
Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :
2. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué que le préfet du Pas-de-Calais, dans les motifs de cet arrêté, après avoir mentionné que M. A...se disait ressortissant syrien, a indiqué d'une part qu'" il est constant que ce dernier a été confondu par le système VISABIO comme étant titulaire d'un passeport ordinaire turc sous couvert duquel il a sollicité un visa auprès des autorités finlandaises, son identité est donc avérée " et, d'autre part, que " conformément à l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'intéressé sera reconduit à destination du pays dont il a la nationalité ou tout autre pays dont il serait légalement admissible ". Le préfet a également mentionné que l'intéressé n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Enfin, à l'article 1er du dispositif, il a fait " obligation à M. B...A...alias C...A...de quitter sans délai le territoire français à destination du pays dont il revendique la nationalité, ou tout autre pays où il établirait être légalement admissible ". Ainsi, la décision fixant le pays de destination comporte les considérations de droit et de fait qui en constitue le fondement. En outre, le préfet en indiquant dans le dispositif de l'arrêté que l'intéressé sera éloigné à destination du pays dont il revendique la nationalité, ou de tout autre pays dans lequel il serait légalement admissible, ce qui inclut la Turquie puisqu'il en est ressortissant ainsi qu'exposé dans les motifs de l'arrêté, permettait à M. A... de connaitre les pays à destination desquels il était susceptible d'être éloigné et, par suite, de présenter utilement sa contestation sur ce point devant le juge et à ce dernier de se prononcer sur la légalité de cette mesure. En conséquence, contrairement à ce qu'a retenu le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, la décision attaquée était suffisamment motivée. Par suite, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a estimé que la décision fixant le pays de destination était insuffisamment motivée.
3. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...contre la décision fixant le pays de renvoi devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille.
4. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
5. La Cour européenne des droits de l'homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (23 août 2016, J.K et autres c/ Suède, n° 59166/1228). Selon cette même cour, l'appréciation d'un risque réel de traitement contraire à l'article 3 précité doit se concentrer sur les conséquences prévisibles de l'éloignement du requérant vers le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres à l'intéressé (30 octobre 1991, Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, paragraphe 108, série A n° 215). A cet égard, et s'il y a lieu, il faut rechercher s'il existe une situation générale de violence dans le pays de destination ou dans certaines régions de ce pays si l'intéressé en est originaire ou s'il doit être éloigné spécifiquement à destination de l'une d'entre elles. Cependant, toute situation générale de violence n'engendre pas un risque réel de traitement contraire à l'article 3, la Cour européenne des droits de l'homme ayant précisé qu'une situation générale de violence serait d'une intensité suffisante pour créer un tel risque uniquement " dans les cas les plus extrêmes " où l'intéressé encourt un risque réel de mauvais traitements du seul fait qu'un éventuel retour l'exposerait à une telle violence.
6. Si M. A...se prévaut des risques qu'il encourt en cas de retour en Syrie, compte tenu de l'état de guerre civile dans lequel le pays se trouve et du contexte d'insécurité qui en résulte, il n'apporte cependant aucun élément de nature à établir qu'il serait ressortissant syrien. Au contraire, le préfet établit que l'intéressé a été identifié dans le fichier Visabio comme titulaire d'un passeport ordinaire turc sous couvert duquel il a sollicité la délivrance d'un visa auprès des autorités finlandaises. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, en dépit de la gravité de la situation générale en Syrie, il régnait dans cet Etat une situation de violence généralisée telle qu'un civil de nationalité syrienne devait de ce seul fait être regardé comme personnellement soumis à des risques de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et M. A...n'allègue ni n'établit être exposé à des risques personnels et actuels en cas de retour dans ce pays. Enfin, M. A...n'établit ni même n'allègue qu'il serait exposé en Turquie à des traitements ou des peines contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 8 août 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 2 août 2018 désignant le pays de renvoi en cas d'exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. A....
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement du 8 août 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation de la décision du préfet du Pas-de-Calais du 2 août 2018 désignant le pays de renvoi en cas d'exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C...A....
Copie en sera transmise pour information au préfet du Pas-de-Calais.
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N°18DA01925