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16/06/2016 | FRANCE | N°16DA00332

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3, 16 juin 2016, 16DA00332


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les décisions du 13 octobre 2015 par lesquelles la préfète du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français sans délai à destination du Soudan du Nord, exclusivement vers l'Etat de Khartoum, ou de tout autre pays où il établirait être légalement admissible, a ordonné son placement en rétention et lui a interdit de revenir sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an.

Par un jugement n° 15083

94 du 25 janvier 2016, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision fixant ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les décisions du 13 octobre 2015 par lesquelles la préfète du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français sans délai à destination du Soudan du Nord, exclusivement vers l'Etat de Khartoum, ou de tout autre pays où il établirait être légalement admissible, a ordonné son placement en rétention et lui a interdit de revenir sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an.

Par un jugement n° 1508394 du 25 janvier 2016, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision fixant le pays de destination et celle interdisant le retour sur le territoire français pendant un délai d'un an, mis à la charge de l'Etat une somme de 500 euros au profit de l'avocat de M. A...et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 février 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement ;

2°) de rejeter la demande de première instance tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination.

Elle soutient que :

- M. A...ne démontre pas être originaire de la région du Darfour ;

- il ne démontre pas être exposé à un risque réel et personnel de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour au Soudan ;

- la décision interdisant son retour sur le territoire français pouvait être fondée sur certains seulement des critères énoncés au III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle n'est pas entachée d'erreur d'appréciation.

La requête a été communiquée à M. A...qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

1. Considérant qu'à la suite de son interpellation, le 12 octobre 2015, dans l'enceinte clôturée de la gare ferroviaire du lien fixe transmanche, M.A..., se disant ressortissant soudanais né au Darfour le 15 janvier 1985, a fait l'objet d'un arrêté de la préfète du Pas-de-Calais du 13 octobre 2015 lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français à destination du Soudan du Nord, exclusivement vers l'Etat de Khartoum, ou de tout autre pays où il établirait être légalement admissible, ordonnant son placement en rétention administrative et lui interdisant de revenir sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an ; que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 25 janvier 2016 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le Soudan comme pays de destination et interdit le retour de M. A...sur le territoire français pendant un an ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. C. France, n° 18039/11) ;

3. Considérant que M. A...s'est présenté, lors de son audition par les services de police et dans sa requête introductive d'instance, comme originaire du Darfour, au Soudan ; qu'il a précisé dans sa demande de première instance être originaire du village de Tama, près de Nyala, au Darfour du Sud ; qu'il résulte de la fiche de saisine de l'unité centrale d'identification de la direction centrale de la police aux frontières par la préfecture du Pas-de-Calais, produite à la présente instance, qu'une carte d'identité " République du Soudan - Province du Darfour " y était jointe ; que, dès lors, contrairement à qui est soutenu par la préfète du Pas-de-Calais, M. A...n'est pas démuni de tout document permettant de justifier de sa nationalité et de son identité ; que les mentions portées sur ce document ne sont pas contestées ; que, dès lors, l'intéressé a suffisamment établi être originaire du Darfour, au Soudan ;

4. Considérant que, eu égard à la détérioration de la situation au Soudan, telle qu'elle est décrite dans le rapport du Secrétaire général du conseil de sécurité des Nations unies sur l'opération hybride Union africaine - Nations unies au Darfour du 22 mars 2016, les régions du Darfour-Septentrional, correspondant à l'Etat du Darfour-Nord, et du Darfour-Méridional, correspondant aux Etats du Darfour-Central, du Darfour-Sud et du Darfour-Est, sont affectées par un degré de violence résultant d'un conflit armé interne d'un niveau si élevé qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'un civil renvoyé dans ces régions ou, comme c'est le cas des Soudanais originaires du Darfour-Occidental, ou Etat du Darfour-Ouest, contraint de les traverser pour rejoindre sa région d'origine courrait, du seul fait de sa présence sur ce territoire, un risque réel de subir une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison de la violence qui prévaut dans cette région, sans considération de la situation personnelle des personnes qui y résident ou qui la traversent ; que, dans ces conditions, M.A..., civil soudanais originaire du Darfour est, quelle que soit son ethnie d'origine, fondé à soutenir qu'il y est exposé à des traitements inhumains ou dégradants ; que, dès lors, la décision fixant le Soudan comme pays de destination de la mesure d'éloignement de M. A... méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il annule sa décision fixant le pays de destinations de l'éloignement de M.A... ;

Sur la décision interdisant le retour sur le territoire :

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " III. L'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. (...) / L'interdiction de retour et sa durée sont décidées par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français " ; qu'il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères que ces dispositions énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux ;

7. Considérant que, pour interdire à M. A...de revenir sur le territoire français pendant un an, la préfète du Pas-de-Calais a relevé qu'il se trouvait en France depuis quatre jours environ et qu'il n'avait aucun liens privés ou familiaux sur le territoire ; qu'elle a également considéré que sa présence sur le territoire constituait une menace pour l'ordre public en raison de son intrusion dans l'enceinte d'une zone ferroviaire interdite au public ; qu'une telle motivation n'atteste pas de la prise en compte par la préfète du Pas-de-Calais, au vu de la situation du requérant, de l'ensemble des critères prévus par la loi, et notamment du fait qu'il n'avait pas fait précédemment l'objet d'une mesure d'éloignement ; que, par suite, M. A... est fondé à demander l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il annule sa décision interdisant à M. A... de revenir sur le territoire français pendant un an ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a, par l'article 1er du jugement attaqué, prononcé l'annulation de son arrêté du 13 octobre 2015 en tant qu'il désigne le Soudan comme pays de destination de l'éloignement de M. A...et lui interdit de revenir sur le territoire pendant un an ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la préfète du Pas-de-Calais est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B...A....

Copie en sera transmise pour information à la préfète du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 2 juin 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Christian Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Hadi Habchi, premier conseiller,

- Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller.

Lu en audience publique le 16 juin 2016.

Le rapporteur,

Signé : A. FORT-BESNARDLe président-assesseur,

Signé : C. BERNIER

Le greffier,

Signé : S. DUPUIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Sylviane Dupuis

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N°16DA00332 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16DA00332
Date de la décision : 16/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière. Règles de procédure contentieuse spéciales.


Composition du Tribunal
Président : M. Bernier
Rapporteur ?: Mme Amélie Fort-Besnard
Rapporteur public ?: M. Riou

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-06-16;16da00332 ?
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