Vu la requête, enregistrée le 12 mars 2004 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour la SARL X ET FILS, dont le siège est sis ..., par Me Le Cam ; la SARL X ET FILS demande à la Cour :
11) d'annuler le jugement n° 02-3246 du Tribunal administratif de Lille en date du 18 décembre 2003 en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités y afférentes, qui lui ont été réclamés pour les périodes de 1997 et 1998, par avis de mise en recouvrement du 6 novembre 2001 ;
2°) de la décharger du paiement desdits droits et pénalités ;
Elle soutient :
- qu'elle maintient l'argumentation qu'elle a présentée devant le tribunal administratif ; qu'ainsi, elle conteste la méthode de reconstitution retenue par le service ; que selon les témoignages des membres du personnel, seuls 30 000 francs par mois pour l'ensemble des établissements du groupe auraient été prélevés, soit 360 000 francs par an pour l'ensemble des établissements ; que le montant des rehaussements imputables à l'exposante ne peut donc être évalué à 622 245 francs ; qu'en outre, les chefs de redressement invoqués par l'administration ne reposent que sur des dépositions faites aux services de police oeuvrant dans le cadre d'une procédure pénale ouverte contre M. Jean-Claude Y mais pour laquelle aucun jugement n'est intervenu ; que M. Y est présumé innocent ; que les documents issus de cette instruction ne permettent d'établir la matérialité des faits reprochés ;
- qu'elle est fondée à se prévaloir de la situation de la société MJM, appartenant au même groupe de sociétés que l'exposante, qui a obtenu le dégrèvement des redressements et rappels qui lui avaient été notifiés pour les mêmes motifs que ceux qui font l'objet du présent litige alors que cette société avait développé à l'appui de ses réclamations les mêmes arguments que l'exposante ;
- enfin, que c'est à tort que l'administration lui a infligé des pénalités pour manoeuvres frauduleuses ; qu'elle s'est fondée sur la découverte et la saisie par les services du SRPJ d'une caisse enregistreuse qui aurait permis l'occultation de recettes et sur des pièces qui constitueraient une comptabilité occulte ; que toutefois cette analyse des pièces saisies et celle des procès-verbaux d'audition cités par l'administration confèrent une portée injustifiée à des éléments réunis dans les premiers jours de l'instruction et uniquement à charge ; que ces éléments sont par nature sujets à être remis en cause et doivent être maniés avec précaution ; qu'ils ne peuvent, par suite, servir de base à l'application de pénalités pour manoeuvres frauduleuses dès lors que l'élément matériel ne présente aucune certitude ; que par ailleurs, l'élément intentionnel n'est pas démontré par le service qui considère que la matérialité des faits établit l'accomplissement conscient et volontaire des infractions ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2004, présenté pour l'Etat, par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, représenté par le directeur départemental des impôts ; le ministre demande à la Cour de rejeter la requête ;
Le ministre soutient :
- en premier lieu, que la requête est tardive dès lors que le jugement a été notifié le 14 janvier 2004 et la requête transmise par télécopie datée du 12 mars 2004 mais enregistrée au greffe de la Cour le 16 mars 2004 ; qu'en outre, ladite requête est en partie irrecevable pour ne pas contenir de moyens d'appel, la requérante ne pouvant se borner à se référer ou à reprendre les moyens de sa demande de première instance, dont elle n'a, au surplus, pas produit copie ;
- en deuxième lieu, que les impositions sont bien fondées ; que, d'une part en effet, compte tenu de l'absence de valeur probante de la comptabilité, la requérante supporte la charge de la preuve de l'exagération des impositions en ce qu'elles résultent de redressements approuvés par la commission des impôts ; que, dès lors, le moyen selon lequel l'administration n'établit pas les recettes non déclarées doit être écarté ; que, d'autre part, la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires consistant à extrapoler les pourcentages de dissimulation de recettes révélé par une comptabilité occulte à des périodes non visées par celle-ci n'est pas excessivement sommaire ni radicalement viciée ; que le chiffre d'affaires occulté a été reconstitué à partir des éléments communiqués par l'autorité judiciaire, à savoir le cahier sur lequel était mentionné au jour le jour le montant des recettes dissimulées au sein de l'établissement, pour la période du 1er novembre 1997 au 30 septembre 1998 ; qu'il résulte en outre des éléments recueillis dans le cadre de la procédure pénale que le cahier en cause ne représentait qu'une partie de la comptabilité occulte ; qu'au regard des déclarations d'un employé, le montant global des recettes reconstituées n'apparaît pas irréaliste ; qu'il convient de retenir également l'incidence de la période du carnaval ; qu'en toute hypothèse, la requérante n'apporte aucun élément de nature à établir que la reconstitution est sommaire ou radicalement viciée ; qu'enfin, la requérante ne peut utilement se prévaloir de la circonstance que la société MJM, qui fait partie du même groupe, a bénéficié d'une décision de dégrèvement dès lors que cette décision concerne un autre contribuable ; que la réclamation de la société MJM n'a fait l'objet que d'une admission partielle, certains chefs de redressement ayant été confirmés ; que la décision de dégrèvement n'est pas motivée ;
- que les pénalités pour manoeuvres frauduleuses sont bien fondées ; que le fait pour un contribuable de tenir une comptabilité occulte dans le but de diminuer ses recettes déclarées est constitutif de manoeuvres frauduleuses ; que le service a eu connaissance des divers éléments matériels par l'enquête pénale ; que les faits constatés n'ont pas été contestés par la requérante ; que le fait que la procédure pénale ne soit pas achevée ne remet pas en cause l'existence des éléments relevés ; qu'enfin, ces constatations démontrent une volonté de minorer sciemment les recettes et d'éluder l'impôt tout en restreignant le pouvoir de vérification de l'administration ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 janvier 2006 à laquelle siégeaient Mme Helmholtz, président de chambre, Mme Signerin-Icre, président-assesseur et M. Bauzerand, premier conseiller :
- le rapport de Mme Signerin-Icre, président-assesseur ;
- et les conclusions de M. Le Goff, commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées par l'administration fiscale :
Considérant que la SARL X ET FILS, qui exploite un fonds de commerce de café brasserie hôtel sous l'enseigne « Z» à Dunkerque, a fait l'objet d'un contrôle sur pièces portant sur l'exercice clos en 1997 et d'une vérification de comptabilité portant sur l'exercice clos en 1998, à l'issue desquels l'administration fiscale, après avoir, d'une part, rejeté la comptabilité comme dépourvue de valeur probante et reconstitué les chiffres d'affaires non déclarés en extrapolant les données résultant d'un cahier, saisi par le services de police judiciaire, retraçant une comptabilité occulte, d'autre part, réintégré des recettes non comptabilisées et relatives à des repas fournis aux animateurs d'une station de radio, enfin, écarté partiellement des charges de personnel, facturées par la SA Holding X, comme non engagées dans l'intérêt de l'entreprise, lui a notifié des redressements d'impôt sur les sociétés, de contribution de 10 % sur cet impôt, d'imposition forfaitaire annuelle et de taxe sur la valeur ajoutée, assortis de pénalités de mauvaise foi et de pénalités pour manoeuvres frauduleuses ; que la société X ET FILS, qui a bénéficié d'un dégrèvement des pénalités de mauvaise foi et a obtenu devant les premiers juges la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution de 10 %, d'imposition forfaitaire annuelle et des pénalités afférentes à ces impositions, fait appel du jugement du Tribunal administratif de Lille en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant à la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités dont ils ont été assortis ;
Sur les droits :
Considérant, en premier lieu, que l'administration fiscale était en droit d'utiliser les éléments communiqués par l'autorité judiciaire en application de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'aucun jugement pénal n'était intervenu ;
Considérant, en deuxième lieu, que si la SARL X ET FILS, qui supporte la charge de la preuve en application du deuxième alinéa de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales compte tenu des graves irrégularités, qu'elle ne conteste pas, entachant sa comptabilité, et de ce que l'imposition litigieuse a été établie conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, soutient que les éléments issus de l'instruction pénale ne permettent pas de fonder la reconstitution de son chiffre d'affaires opérée par l'administration, elle n'apporte toutefois aucune justification de nature à remettre en cause le chiffre d'affaires non déclaré, arrêté à 515 958 francs pour chacune des deux années, résultant de l'utilisation par l'administration desdits éléments ; que, notamment, la seule allégation, non assortie de justification, relative aux déclarations de certains membres du personnel, selon lesquelles les recettes occultes seraient de l'ordre de 360 000 francs par an pour l'ensemble des établissements détenus par la holding, qui sont contredites par les extraits des procès verbaux d'audition relatés dans les notifications de redressement, n'est pas de nature à établir le caractère exagéré des bases d'imposition assignées à la requérante ; qu'ainsi, celle-ci n'apporte pas la preuve de l'exagération des impositions mises à sa charge ;
Considérant, en troisième lieu, qu'à supposer que la société requérante ait entendu se prévaloir du dégrèvement accordé par l'administration fiscale par décision du 6 août 2002 à la société MJM, qui fait partie du même groupe, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, cette décision, non motivée, ne constitue pas, en tout état de cause, une interprétation de la loi fiscale dont l'intéressée puisse se prévaloir sur le fondement dudit article ;
Considérant, enfin, que si la société requérante indique dans sa requête maintenir les moyens qu'elle a présentés devant le tribunal administratif, il y a lieu pour la Cour de rejeter lesdits moyens par adoption des motifs retenus par les premiers juges ;
Sur les pénalités :
Considérant qu'aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : « 1. Lorsque la déclaration ou l'acte mentionnés à l'article 1728 font apparaître une base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 40% si la mauvaise foi de l'intéressé est établie ou de 80% s'il s'est rendu coupable de manoeuvres frauduleuses ou d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales (…) » ; que l'administration a assorti le rappel de TVA fondé sur l'existence de recettes occultes d'une majoration de 80 % et ceux résultant de recettes de brasserie non comptabilisées et de charges non engagées dans l'intérêt de l'entreprise, d'une majoration de 40 % ; que la société requérante soutient que c'est à tort que la majoration de 80 % lui a été appliquée aux motifs, d'une part, que l'élément matériel de la manoeuvre frauduleuse n'est pas établi et, d'autre part, que la preuve de l'élément intentionnel n'a pas été rapportée par l'administration ;
Considérant, en premier lieu, que pour appliquer la majoration de 80 %, l'administration s'est fondée sur des éléments matériels, qu'elle a considérés comme établissant par eux-mêmes le caractère intentionnel des infractions, et consistant dans l'existence d'une caisse enregistreuse, saisie par les services de police judiciaire, dont l'une des fonctionnalités avait été détournée de son objet aux fins d'occulter des recettes, et du cahier, dont il a été fait état, caractérisant une comptabilité occulte ; que si la société requérante fait à nouveau valoir que des éléments réunis dans les premiers jours d'une instruction pénale sont peu probants, elle ne conteste pas la matérialité de ces deux éléments ; que la dissimulation systématique de toute une part de son activité et la tenue d'une comptabilité occulte constituent une manoeuvre frauduleuse au sens des dispositions susmentionnées ; que, par suite, c'est à bon droit que l'administration a mis à sa charge les pénalités litigieuses ;
Considérant, en second lieu, que si la SARL X ET FILS demande la décharge de la majoration de 40 % dont a été assortie une partie des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée, elle ne présente aucun moyen à l'appui de ces conclusions, qui ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL X ET FILS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a rejeté le surplus de sa demande ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL X ET FILS est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL X ET FILS et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie sera transmise au directeur de contrôle fiscal Nord.
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N°04DA00223