Vu la requête, enregistrée le 7 juin 2004 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour la compagnie GROUPAMA NORMANDIE, dont le siège est situé Chemin de la Bretèque, Cité de l'agriculture, à Bois-Guillaume (76230), et pour M. François X, demeurant au ..., par la SCP Denesle, Badina, Absire, Lefez ; M. X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 99-1574 du 26 décembre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à la condamnation solidaire des sociétés Scetauroute et Y à verser, à M. X, une somme de 225 705,93 francs en réparation des divers préjudices subis par lui dans l'exploitation de son élevage bovin à la suite des travaux de réalisation de l'autoroute A29 à proximité de ses cultures, à la compagnie GROUPAMA NORMANDIE, une somme de 48 447,26 francs en remboursement des frais et honoraires de l'expert qu'elle a missionné dans l'intérêt de M. X, son assuré, à l'un et l'autre, les sommes respectives de 15 000 francs et 5 000 francs au titre des frais exposés par chacun d'eux et non compris dans les dépens ;
2°) de condamner solidairement les sociétés Scetauroute et Y à verser, à
M. X, une somme de 34 408,65 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 août 1999, en réparation de ses préjudices et, à la compagnie GROUPAMA NORMANDIE, une somme de 7 385,74 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la même date, en remboursement des frais et honoraires de l'expert qu'elle a missionné dans l'intérêt de
M. X ;
3°) de condamner solidairement les sociétés Scetauroute et Y à verser, à
M. X, une somme de 2 300 euros et, à la compagnie GROUPAMA NORMANDIE, une somme de 1 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que la responsabilité des sociétés Scetauroute et Y se trouve engagée, dès lors qu'il est démontré que, contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal administratif de Rouen, il existe un lien de causalité entre les travaux publics réalisés par elles pour l'implantation de l'autoroute A29 et les dommages subis par M. X dans l'exploitation de son élevage bovin ; que l'expert missionné par la compagnie GROUPAMA NORMANDIE dans l'intérêt de
M. X a, en effet, mis en évidence que les troubles graves observés sur les animaux de l'exploitation de ce dernier, qui se traduisent par des amaigrissements brutaux, des troubles de la fécondité, des troubles digestifs et métaboliques divers et une augmentation sensible de la mortalité, ont pour cause une carence en divers oligo-éléments, laquelle a une origine alimentaire ; que les analyses de sol réalisées sur l'exploitation par ce même expert ont révélé un excès de calcium et une insuffisance en oligo-éléments par rapport aux normes en vigueur ; que l'expert a relevé que l'excès de calcium dans le sol est susceptible, par interaction avec les oligo-éléments, de limiter la
bio-disponibilité de ces derniers ; que l'expert est ainsi parvenu à la conclusion que la carence développée par les animaux pouvait donc être rapprochée de la pollution des pâtures et labours de
M. X par les poussières de chaux répandues autour de la station de chaulage et de compactage utilisée à proximité lors de la réalisation des travaux publics d'implantation de l'autoroute A29 ; qu'une administration thérapeutique d'oligo-éléments, réalisée par voie orale et parentale en juillet et en août 1998, a d'ailleurs permis d'améliorer l'état clinique présenté par le cheptel ; que les délais biologiques correspondant à l'installation de l'état carentiel présenté par le bétail et les difficultés de diagnostic expliquent le délai écoulé entre la constatation de la pollution des terres et la présentation de la demande devant les premiers juges ; que, par ailleurs, le préjudice subi par M. X est établi et présente un caractère anormal ; que ce préjudice est lié à la perte ou la mise en réforme anticipée des animaux, à la baisse de la production laitière et à l'amoindrissement de sa qualité, à la baisse de la fécondité des vaches et aux charges diverses supportées par M. X pour remédier à la situation et faire valoir ses droits ; que les frais d'expertise exposés par la compagnie GROUPAMA NORMANDIE dans l'intérêt de ce dernier doivent également être mis à la charge des sociétés Scetauroute et Y ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 août 2004, présenté pour la société anonyme Scetauroute, dont le siège est situé 41 avenue Bosquet à Paris (75007), par Me Trillat ; elle conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à sa mise hors de cause et à la réduction à de plus justes proportions de l'indemnisation demandée par M. X ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, à la condamnation de la société Y à la garantir de toutes les condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre ;
4°) en tout état de cause, à la condamnation de la partie succombante à lui verser 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que le rapport d'expertise sur lequel les appelants appuient leur requête a été établi de façon non contradictoire et ne lui est nullement opposable ; qu'en tout état de cause, l'expert, d'une part, n'a communiqué aucune donnée sur l'état des sols de l'exploitation avant le commencement des travaux de construction de l'autoroute, d'autre part, n'a fourni aucun élément de preuve permettant d'établir un lien de causalité entre lesdits travaux et la prétendue pollution des sols ; que, si, par extraordinaire, la Cour devait reconnaître l'existence d'un tel lien, elle ne pourrait entrer en voie de condamnation à son encontre puisque seule la société Y est susceptible de voir sa responsabilité engagée du fait de dommages subis par les tiers dans le cadre de la réalisation des travaux de construction de l'autoroute A29 ; qu'en effet, il ressort clairement des termes du marché relatif à la construction dudit ouvrage public routier qu'il appartenait à la société Y, titulaire du lot terrassements - ouvrages d'art - assainissement - rétablissement des communications, non seulement de réaliser les travaux de chaulage, mais aussi de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de l'environnement, sans qu'elle puisse tenter d'échapper à sa responsabilité en se retranchant derrière le fait que plusieurs entreprises, dont elle était au demeurant le mandataire, sont intervenues sur le chantier ; que cette obligation découle aussi tant du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux que du cahier des clauses administratives particulières applicable au marché conclu en l'espèce par la société de l'autoroute Paris-Normandie ; qu'il ne saurait, par conséquent, être reproché à l'exposante de n'avoir pas fait connaître à la société Y les risques existants, les différentes stipulations contractuelles et clauses applicables étant particulièrement claires à cet égard ; que, si, par extraordinaire, la Cour devait néanmoins entrer en voie de condamnation à son encontre, elle ne pourrait que ramener les prétentions indemnitaires de M. X à de plus justes proportions ; qu'en particulier, l'indemnisation demandée au titre de la perte de production laitière tient compte, à tort, du coût de production, celle demandée au titre de la mortalité des veaux s'avère également surévaluée, tandis que celle demandée au titre des troubles de fécondité n'est pas justifiée en l'état et ne saurait être accueillie ; que, par ailleurs, les prétentions indemnitaires de la compagnie GROUPAMA NORMANDIE ne pourraient qu'être écartées, puisqu'elles consistent en la prise en charge d'une expertise privée à laquelle la concluante n'a pas participé ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 29 décembre 2004, présenté pour la société anonyme par actions simplifiées Y, dont le siège est situé ..., par Me Quignon ; elle conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à sa mise hors de cause ;
3°) à titre très subsidiaire, à la réduction d'une éventuelle condamnation prononcée à son encontre à concurrence de la responsabilité de la société Scetauroute ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, à la condamnation de la société Scetauroute à la garantir de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre ;
5°) à la condamnation de tout succombant à lui verser 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Elle soutient que le rapport d'expertise sur lequel les requérants fondent l'intégralité de leur argumentation lui est radicalement inopposable, de même que l'expertise agricole qui l'a précédée et à laquelle ledit rapport fait référence, l'exposante n'ayant pas été convoquée aux différentes opérations d'expertise, ni même informée de leur tenue ; que le cabinet d'expertise privé, missionné par la compagnie GROUPAMA NORMANDIE, ne présente, en outre, pas la garantie d'impartialité d'un expert judiciaire ; que la concluante n'a, par ailleurs, jamais été informée par
M. X de la survenance d'un quelconque sinistre avant que ne soit engagée la présente action juridictionnelle ; que l'intéressé a d'ailleurs attendu plus de deux ans après la fin des travaux pour signaler ce sinistre ; que, même si la Cour devait prendre en considération le rapport d'expertise susmentionné, elle ne pourrait que constater qu'il n'a pas été procédé à une étude permettant de déterminer la provenance de la chaux répandue et d'établir un lien de causalité entre son absorption par les bovins et les dommages observés ; qu'en outre, ce document, dont les conclusions sont entachées d'aléa, est insuffisant à démontrer l'existence d'un lien de causalité entre les travaux exécutés sur le chantier de l'autoroute A29 et les troubles observés sur le troupeau de
M. X ; qu'à titre subsidiaire, l'exposante entend faire observer qu'elle est intervenue dans la réalisation desdits travaux, d'une part, dans le cadre d'un groupement momentané d'entreprises conjointes, d'autre part, dans le cadre d'une société en participation ; que l'ensemble des entreprises composant ces deux entités juridiques ont utilisé la chaulière ; qu'en l'absence d'expertise diligentée sur ce point à l'époque des travaux, il n'est pas démontré que le dommage allégué trouve son origine dans sa propre intervention ; que si, par impossible, une quelconque condamnation devait être prononcée à l'encontre de la concluante, celle-ci ne pourrait l'être qu'après déduction des conséquences de la responsabilité de la société Scetauroute et cette dernière société devrait être condamnée à la garantir en principal, intérêt et frais ; qu'en effet, en sa qualité de maître d'oeuvre, il appartenait à la société Scetauroute, contrairement à ce qu'elle soutient et sans qu'y puissent faire obstacle les clauses invoquées, au demeurant non communiquées, de prendre en considération les risques encourus du fait des travaux par les riverains et de les faire connaître à l'exposante ;
Vu le mémoire, enregistré le 22 mars 2005, présenté pour M. X et la compagnie GROUPAMA NORMANDIE ; ils concluent aux mêmes fins que leur requête, par les mêmes moyens ;
Ils soutiennent, en outre, que le rapport d'expertise critiqué a été versé aux débats dès la première instance et pouvait, dès lors, faire l'objet d'une discussion technique, ce que ne manque pas de faire, en particulier, la société Y ; qu'il appartenait à la société Scetauroute, qui a été conviée aux opérations d'expertise, d'appeler en cause, en tant que de besoin, les intervenants à l'acte de construction ; que l'impartialité de l'expert, docteur vétérinaire assermenté, ne saurait être mise en cause ; que le juge a, en tout état de cause, la possibilité de tenir compte, à titre d'information, d'une expertise dépourvue de caractère contradictoire ; que, par ailleurs, au fond, l'existence d'un lien de causalité entre les travaux de l'autoroute et les dommages invoqués n'a pas été contestée par la société Scetauroute et par son expert lors des opérations d'expertise ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 janvier 2006 à laquelle siégeaient Mme Helmholtz, président de chambre, M. Mesmin d'Estienne et M. Bauzerand, premiers conseillers :
- le rapport de Mme Helmholtz, président de chambre ;
- les observations de Me Absire, pour M. X et la compagnie GROUPAMA NORMANDIE, et de Me Magerand, pour la société Scetauroute ;
- et les conclusions de M. Le Goff, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. X et la compagnie GROUPAMA NORMANDIE forment appel du jugement en date du 26 décembre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à la condamnation solidaire des sociétés Scetauroute et Y, respectivement maître d'oeuvre des travaux de réalisation de l'autoroute A29 et entreprise titulaire du lot terrassements - ouvrages d'art - assainissement - rétablissement des communications, à réparer les préjudices que M. X, qui exploite un élevage bovin sur la commune d'Etaimpuis (Seine-Maritime), estime avoir subi du fait de la détérioration de l'état de santé de son cheptel, au cours de l'hiver 1997-1998, dont il impute l'origine à l'épandage de chaux et de terre, au cours de l'été 1996, dans le cadre de la réalisation desdits travaux publics, sur une partie des parcelles, plantées en maïs à des fins d'ensilage, qu'il met en valeur, et à prendre en charge les frais et honoraires de l'expert missionné par la compagnie GROUPAMA NORMANDIE dans l'intérêt de son assuré, M. X ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert agricole, M. Z, missionné par la compagnie GROUPAMA NORMANDIE et qui s'est rendu dans l'exploitation agricole de M. X le 19 septembre 1996, que si, à cette date, une quantité importante de chaux et de terre était présente, sur une surface de cinq hectares, sur les feuilles du maïs planté sur deux parcelles de l'exploitation situées en bordure du chantier de l'autoroute, les résultats des analyses conduites après ensilage sur les végétaux les plus atteints n'ont révélé aucune anomalie ;
Considérant, en deuxième lieu, que si d'autres analyses, effectuées en août 1998 à la demande du cabinet d'expertise vétérinaire et agroalimentaire A, B, également missionné par la compagnie GROUPAMA NORMANDIE, ont révélé que le sol de plusieurs parcelles de l'exploitation présentait une forte présence de calcium ainsi qu'une faible teneur en oligo-éléments, aucun élément de l'instruction ne permet, d'une part, de situer lesdites parcelles par rapport à l'autoroute, ni même d'établir que figuraient parmi celles-ci les deux parcelles concernées par l'épandage de terre et de chaux survenu durant l'été 1996, d'autre part, faute de disposer d'analyses effectuées antérieurement, de déterminer les caractéristiques des sols de ces parcelles avant l'incident de 1996 ;
Considérant, en troisième lieu, qu'à supposer même que le rapport établi par ce même cabinet d'expertise en novembre 1998 puisse être regardé comme permettant de tenir pour établi que les troubles survenus sur les animaux de l'élevage exploité par M. X au cours de l'hiver 1997-1998, soit plus d'une année après l'épandage, ont pour cause une carence alimentaire liée à la teneur insuffisante en oligo-éléments des rations servies aux animaux, aucun élément de l'instruction ne justifie l'affirmation de l'expert vétérinaire sollicité par la compagnie d'assurance requérante sur les délais biologiques correspondant à l'installation de l'état carentiel du bétail et il résulte des documents annexés à ce rapport que ces rations n'étaient pas exclusivement composées, durant les hivers 1996, 1997, 1998, du maïs produit sur l'exploitation et ensilé, mais étaient complétées par d'autres éléments, comportant notamment des pulpes de betteraves, de la luzerne et des tourteaux de soja, lesquels n'ont fait l'objet d'aucune analyse ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants n'établissent pas, comme il leur incombe de le faire, l'existence d'un lien de causalité entre l'épandage de chaux survenu durant l'été 1996 à l'occasion des travaux de réalisation de l'autoroute A29 et les troubles affectant les animaux de l'élevage de M. X ; que, par suite, la compagnie GROUPAMA NORMANDIE et M. X ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à la condamnation solidaire des sociétés Scetauroute et Y à réparer les préjudices qu'ils ont respectivement subis ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que l'article L. 761-1 du code de justice administrative dispose que : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. » ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge des sociétés Scetauroute et Y, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, les sommes que la compagnie GROUPAMA NORMANDIE et M. X demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
Considérant qu'il y a lieu, par application de ces mêmes dispositions et dans les circonstances de l'espèce, de condamner la compagnie GROUPAMA NORMANDIE et M. X à verser à la société Scetauroute et à la société Y, chacune, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la compagnie GROUPAMA NORMANDIE et de M. François X est rejetée.
Article 2 : La compagnie GROUPAMA NORMANDIE et M. François X verseront à la société Scetauroute et à la société Y, chacune, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la compagnie GROUPAMA NORMANDIE, à
M. François X, à la société Scetauroute, à la société Y et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.
Copie sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.
N°04DA00479 2