Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai le
16 juillet 2004, présentée pour la société anonyme BC CONSEIL, dont le siège social est sis
9 avenue Pierre et Marie Curie à Lezennes (59260), représentée par son représentant légal, par
Me Despieghelaere ; la société BC CONSEIL demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 00-5587 du 6 mai 2004 par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'état exécutoire en date du 14 septembre 2000 par lequel l'Office des migrations internationales a mis à sa charge une somme de 46 150 francs (7 035,52 euros) en raison de l'emploi de cinq travailleurs étrangers dépourvus d'autorisations de travail ;
2°) d'annuler ledit état exécutoire ;
3°) de condamner l'Office des migrations internationales à lui verser la somme de
1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La société BC CONSEIL soutient :
- qu'alors qu'en application des dispositions de la loi du 12 avril 2000, l'auteur d'un acte doit être identifié et que la lettre du 30 mai 2000 constitue bien une décision faisant grief, cette lettre est signée par le directeur adjoint du travail sans que celui-ci soit nommément identifié ; que, dès lors, les observations de l'exposante ont été recueillies dans des conditions irrégulières ; qu'il n'était, en outre, fait état d'aucune délégation de pouvoir ou de signature ;
- qu'il ne ressort pas des pièces versées au dossier, alors que les articles R. 341-33 et
R. 341-35 du code du travail prévoient que le directeur départemental du travail et de l'emploi ou, par délégation, un fonctionnaire placé sous son autorité, doit adresser un dossier au directeur de l'Office des migrations internationales comprenant son avis et sa proposition, que le fonctionnaire chargé de l'instruction du dossier bénéficiait d'une telle délégation de signature ;
- que le procès-verbal, dont les constatations proviennent uniquement de la lecture du registre du personnel, était entaché d'imprécisions ; qu'ainsi, s'agissant de Mlle X, les contrôleurs ont relevé que sa carte de séjour temporaire était expirée depuis le 12 décembre 1999 alors que cette carte était périmée depuis le 12 août 1998 ; que s'agissant de Mlle Y, ils ont relevé qu'elle était titulaire d'un récépissé de renouvellement de carte de séjour étudiant valable du 1er février 2000 au 30 avril 2000 alors que la copie de son passeport faisait apparaître qu'elle disposait d'un titre de séjour valable du 16 octobre 1998 au 15 octobre 1999 ; que s'agissant de M. Z, elle était en droit de supposer qu'il était titulaire d'une autorisation provisoire de travail ; que s'agissant de
M. A, il n'était pas possible compte tenu de la date du contrôle de vérifier s'il bénéficiait ou non du renouvellement de l'autorisation provisoire précédemment délivrée ; qu'il en va de même, enfin, s'agissant de Mlle B, les faits reprochés étant d'une ancienneté telle qu'il n'a pas été possible à l'exposante de fournir des explications ; qu'ainsi, les incohérences entre les dates de titres de séjour relevées par les agents et celles dont la requérante a eu copie laissent planer le doute quant à la réalité des infractions ; que l'exposante est fondée à émettre des réserves quant à son contenu ;
- que les étudiants étrangers jouissent en tout état de cause d'un statut particulier ; que le décret du 23 septembre 1998 prévoit qu'ils sont dotés d'une carte de séjour temporaire valable un an ; qu'il est acquis que ce titre permet d'obtenir une autorisation de travail si la demande en est faite à la direction départementale du travail et de l'emploi ; que d'après la circulaire du 9 juillet 1998, les étudiants ont la possibilité d'accéder à une activité professionnelle de manière aisée ; que compte tenu du caractère particulièrement ponctuel des missions confiées aux cinq employés objet du procès-verbal, il était légitime que l'exposante ait la certitude qu'ils disposaient d'une autorisation temporaire de travail ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu, enregistré le 5 août 2004, le mémoire présenté pour l'Etat, par le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale ; le ministre fait valoir, à titre principal, qu'il appartient à l'Office des migrations internationales de produire en défense ; à titre subsidiaire, que la requête n'est pas fondée et doit être rejetée ;
Vu, enregistré le 29 septembre 2004, le mémoire en défense, présenté pour l'Office des migrations internationales, dont le siège est sis 44 rue Bargue à Paris cedex 15 (75732), représenté par son directeur, par Me Schegin ; l'Office des migrations internationales demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de condamner la société requérante à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient :
- en premier lieu, que si la loi du 12 avril 2000 prévoit que les décisions administratives doivent comporter les nom, prénom, et qualité de l'agent chargé de la procédure, il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce, d'une part, que la lettre incriminée du 30 mai 2000 mentionne les noms et prénoms des deux agents chargés de suivre la procédure, d'autre part, que cette lettre constitue une simple mesure préparatoire, enfin, qu'aucun préjudice n'en est résulté, la société ayant effectivement fait parvenir ses observations ;
- en deuxième lieu, que la lettre envoyée le 26 juin 2000 au directeur de l'Office des migrations internationales, qui constitue au surplus, une lettre relative à une procédure interne et n'avait pas à être communiquée à une autre personne que son destinataire, a été signée par le directeur départemental du travail et de l'emploi lui-même ;
- en troisième lieu, que les constatations faites par les contrôleurs du travail l'ont été à partir du registre tenu par l'employeur, dont le caractère imprécis incombe à celui-ci ; qu'il n'a jamais été contesté par la requérante que les cinq employés ne disposaient pas d'autorisations de travail à l'époque de leur embauche ; que si elle se prévaut de sa bonne foi, l'article 341-1 du code du travail fait obligation à l'employeur de vérifier avant toute embauche si le candidat au poste est bien titulaire d'une autorisation de travail, dont une copie doit être jointe au registre unique du personnel ; que l'infraction est donc établie ;
- enfin, que si la requérante soutient que les cinq travailleurs étaient étudiants et auraient du avoir une autorisation de travail provisoire sur simple demande, cette allégation démontre que les salariés ne disposent pas d'une telle autorisation au moment de leur embauche ;
Vu, enregistré le 20 juillet 2005, le mémoire présenté pour l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, dont le siège est sis 44 rue Bargue à Paris cedex 15 (75732), représenté par son président, par Me Schegin ; l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations fait valoir qu'elle se substitue à l'Office des migrations internationales dans l'instance en cours, en application de la loi du 18 janvier 2005 et du décret du 20 avril 2005 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;
Vu la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, et notamment son article 145 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 novembre 2005 à laquelle siégeaient Mme Helmholtz, président de chambre, Mme Signerin-Icre, président-assesseur et
M. Bauzerand, premier conseiller :
- le rapport de Mme Signerin-Icre, président-assesseur ;
- et les conclusions de M. Le Goff, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 341-6 du code du travail :
« Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France » ; qu'aux termes de l'article L. 341-7 du même code : « Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être intentées à son encontre, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l'article L. 341-6, premier alinéa, sera tenu d'acquitter une contribution spéciale au bénéfice de l'Office des migrations internationales. Le montant de cette contribution spéciale ne saurait être inférieur à 500 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 141-8 (…). Un décret en Conseil d'Etat fixera les modalités d'application du présent article » ; qu'aux termes de l'article R. 341-33 du même code : « Un exemplaire des procès-verbaux établis par les fonctionnaires chargés du contrôle de l'application du droit du travail (…) et constatant les infractions aux dispositions du premier alinéa de l'article L. 341-6 du présent code est transmis au directeur du travail et de la main-d'oeuvre du département dans lequel l'infraction a été constatée (…). Le directeur du travail et de la main-d'oeuvre ou le fonctionnaire compétent indique à l'employeur, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, que les dispositions de l'article L. 341-7 lui sont applicables et qu'il peut lui présenter ses observations dans un délai de quinze jours (…) Le directeur départemental du travail et de la main-d'oeuvre adresse, avec son avis, au directeur de l'Office national d'immigration, le procès-verbal ainsi que les observations de l'employeur, s'il en a été produit … » ; qu'enfin, aux termes de l'article R. 341-34 : « Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article R. 341-33, le directeur de l'Office des migrations internationales décide de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 341-7 et notifie sa décision à l'employeur ainsi que le titre de recouvrement » ;
Considérant que le directeur de l'Office des migrations internationales (OMI), auquel s'est substituée l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations en application de l'article 145 de la loi susvisée du 18 janvier 2005, a émis sur le fondement des dispositions précitées du code du travail, un état exécutoire à l'encontre de la société BC CONSEIL, en vue d'obtenir le versement d'une somme de 46 150 francs, en raison de l'emploi, par l'intéressée, de cinq ressortissants étrangers démunis de l'autorisation d'exercer une activité salariée en France ;
Sur la légalité externe de la décision attaquée :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du second alinéa de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : « Toute décision prise par l'une des autorités administratives mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et la qualité de
celui-ci » ; que la lettre en date du 30 mai 2000 par laquelle le directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle du Nord-Lille a, en application des dispositions précitées de l'article R. 341-33 du code du travail, indiqué à la société requérante que les dispositions de l'article L. 341-7 lui étaient applicables et qu'elle pouvait présenter ses observations dans un délai de quinze jours, ne constitue pas une décision mais une simple mesure d'information préparatoire à la décision du directeur de l'Office des migrations internationales ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que ladite lettre ne respecte pas les dispositions précitées du second alinéa de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 est inopérant ;
Considérant, en deuxième lieu, que dès lors qu'il ressort des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas contesté, que la société requérante a, par la lettre précitée, été informée que les dispositions de l'article L. 341-7 lui étaient applicables et qu'elle pouvait présenter ses observations dans un délai de quinze jours, et a, ainsi, bénéficié des garanties prévues par les textes, la circonstance, à la supposer établie, que cette lettre aurait été signée par une autorité incompétente, est sans incidence sur la régularité de la procédure ;
Considérant, enfin, qu'il ressort des pièces versées au dossier que la lettre en date du
26 juin 2000, par laquelle le directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle du Nord-Lille a adressé, avec son avis, au directeur de l'Office des migrations internationales, le procès-verbal ainsi que les observations de la société requérante, a été signée par cette autorité ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité signataire de ladite lettre manque en fait ;
Sur la légalité interne de la décision attaquée :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal des contrôleurs du travail clos le 5 mai 2000, que la requérante a employé, au cours des années 1996 à 1999, cinq ressortissants étrangers ne disposant pas de titres les autorisant à exercer un emploi salarié ; que les imprécisions dont serait entaché ce procès-verbal, relatives aux dates de validité des cartes de séjour en qualité d'étudiant de deux des salariés, à les supposer même établies, sont sans effet sur la matérialité des infractions ; que l'employeur étant tenu de vérifier, à l'embauche, la régularité de la situation de ses employés au regard de la réglementation en vigueur et de pouvoir en justifier, la société requérante ne peut utilement faire état de sa bonne foi, ni de ce qu'elle aurait eu des difficultés à fournir des explications compte tenu de l'ancienneté des faits ; qu'enfin, la circonstance que, s'agissant de ressortissants étrangers ayant le statut d'étudiant, les intéressés auraient pu aisément obtenir des autorisations de travail, s'ils en avaient fait la demande, est également inopérante ; que, dès lors, la contribution spéciale susmentionnée a été à bon droit mise à la charge de la requérante ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que l'article L. 761-1 du code de justice administrative dispose que : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. » ;
Considérant que lesdites dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la société BC CONSEIL au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que les conclusions tendant à cette fin doivent, par suite, être rejetées ;
Considérant qu'il y a lieu, en revanche, en application desdites dispositions, de condamner la société BC CONSEIL à payer à l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société anonyme BC CONSEIL est rejetée.
Article 2 : La société anonyme BC CONSEIL versera à l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme BC CONSEIL, à l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations et au ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement.
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N°04DA00596