Vu la requête, enregistrée le 24 septembre 2003 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, présentée pour la société civile d'exploitation agricole (S.C.E.A.) de Loisy, dont le siège est situé Ferme de Loisy à Besny-Loisy (02870), représentée par son gérant en exercice, par Me Jean-François Y..., avocat ; la S.C.E.A. de Loisy demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0000822 du 29 juillet 2003 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société nationale des chemins de fer français (S.N.C.F.) à lui verser une somme de 63 021,85 francs (9 607,62 euros), assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 octobre 1998, en réparation des dommages causés à ses cultures par des lapins provenant d'installations ferroviaires et à prendre à sa charge les entiers dépens comprenant les frais de l'expertise et d'huissier, a mis à sa charge les frais de l'expertise et l'a condamnée à verser à la S.N.C.F. une somme de 600 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance ;
Code C Classement CNIJ : 67-02-02-03
67-02-03-01
67-02-04-01-01
Elle soutient qu'elle vient aux droits de l'établissement agricole à responsabilité limitée
(E.A.R.L.) de Loisy ; que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, elle ne saurait être regardée comme s'étant exposée sciemment au risque de destruction de ses récoltes ; qu'il est, en revanche, constant que les lapins pullulent sur les terrains de la S.N.C.F. qui n'a pas pris les mesures adéquates pour en limiter la population ; qu'il est donc, à cet égard, pour le moins curieux que le tribunal administratif ait renversé la responsabilité à son encontre ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2003, présenté pour la S.N.C.F., établissement public industriel et commercial dont le siège social est situé ... (14ème), représentée par ses dirigeants en exercice, par
Me Robert Z..., avocat ; elle conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement attaqué, ainsi qu'à la condamnation de la S.C.E.A. de Loisy à lui verser une somme de 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que la requête est irrecevable, la S.C.E.A. de Loisy ne justifiant ni de sa qualité pour agir, ni de son intérêt à agir ; que, sur le fond, le lien de causalité entre les terrains appartenant à Réseau ferré de France et les dommages subis n'est pas établi, l'expert n'ayant pu déterminer de façon précise la provenance des lapins qui seraient à l'origine desdits dommages ; que, de plus, certains dégâts observés ne sont pas le fait des lapins ; qu'en outre, les modalités d'entretien de l'ouvrage public, qui seules incombent à la S.N.C.F., ne sont pas à l'origine du prétendu préjudice, alors qu'il appartient pourtant à la requérante de démontrer que les dommages pourraient trouver leur origine dans l'inadaptation de celles-ci ; que le tribunal a, d'ailleurs, justement estimé que l'édification d'une clôture et la délivrance d'autorisations de furetage constituaient des modalités d'entretien adéquates ; qu'enfin, la S.C.E.A. de Loisy, en sa qualité de professionnel du monde agricole, ne pouvait ignorer les risques qu'engendre la plantation des parcelles à l'origine du litige et s'y est exposée en toute connaissance de cause ; qu'elle ne cesse d'ailleurs de se plaindre du caractère giboyeux des terres environnantes depuis 1990 ; que la requérante ne justifie pas, en outre, avoir pris des mesures spécifiques pour lutter contre les agressions des prédateurs en quête de subsistance, mais laisse plutôt supporter cette mission par la S.N.C.F. ; que l'entretien des parcelles en cause est d'ailleurs lacunaire ; que le préjudice allégué ne peut, en conséquence, être qualifié ni d'anormal, ni de spécial ; qu'à titre subsidiaire, le manque à gagner lié aux ruptures de contrat ou primes d'Etat, qui constitue un préjudice indirect, ne saurait être intégré dans le calcul de l'indemnité destinée à réparer les pertes de récoltes ; qu'il y a lieu de déduire, en outre, les charges économisées en raison de ce que le colza a été laissé sur place ;
Vu le mémoire, enregistré le 15 janvier 2004, présenté par le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer ; il fait connaître à la Cour qu'il fait siennes les observations et conclusions présentées par la S.N.C.F. ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 23 janvier 2004, présenté pour la S.C.E.A. de Loisy ; elle conclut aux mêmes fins que précédemment et, en outre, à la condamnation de la S.N.C.F. à lui verser une somme de 762,25 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, par les mêmes moyens ; elle soutient, en outre, qu'elle justifie de ce qu'elle est pleinement recevable à interjeter appel du jugement rendu à l'encontre de l'E.A.R.L. de Loisy ; que, contrairement à ce qui est soutenu, les conclusions de l'expert sont parfaitement claires et univoques ; qu'il est constant que la S.N.C.F. n'entretient pas la clôture ; qu'il est, en outre, établi que les lapins proviennent bien des terrains dont la gestion incombe à la S.N.C.F. pour Réseau ferré de France et que ceux-ci y prolifèrent à loisir malgré les mesures prises qui s'avèrent donc inefficaces ; que, pour preuve, les talus de la voie ferrée sont couverts d'un taillis impénétrable et de ronces extrêmement favorables à la prolifération des lapins et qui rendent le furetage très difficile ; que le lien de causalité est donc parfaitement établi, de même que l'insuffisance des modalités d'entretien du domaine ferroviaire ; qu'en ce qui concerne sa prétendue faute, elle a elle-même pris l'initiative de poser une clôture en accord avec la S.N.C.F. ; qu'elle a, en outre, mis en place un assolement sexennal, soit une culture d'hiver sur six de printemps, ce qui est une rotation exceptionnelle au plan agronomique et ce, dans le seul but de limiter les dégâts des lapins ; que les dégâts antérieurs se sont produits sur une parcelle totalement distincte de celle en cause dans le cadre du présent litige ; qu'enfin, le poste de préjudice contesté découle directement de la destruction des récoltes par les rongeurs ;
Vu le mémoire, enregistré le 8 juin 2004, présenté pour la S.N.C.F. ; elle conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu la loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l'établissement public Réseau ferré de France ;
Vu le décret n° 97-444 du 5 mai 1997 relatif aux missions et aux statuts de Réseau ferré de France ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 juin 2004 où siégeaient
M. Daël, président de la Cour, M. Gipoulon, président de chambre, Mme Brin,
président-assesseur, M. Quinette, premier conseiller et Mme Eliot, conseiller :
- le rapport de Mme Brin, président-assesseur,
- les observations de Me Moulin, avocat, pour la S.N.C.F.,
- et les conclusions de M. Paganel, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la S.C.E.A. de Loisy fait appel du jugement en date du 29 juillet 2003 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société nationale des chemins de fer français (S.N.C.F.) à réparer les dommages causés à ses cultures par des lapins provenant d'installations ferroviaires, a mis à sa charge les frais de l'expertise et l'a condamnée à verser à la S.N.C.F. une somme de 600 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par la S.N.C.F. :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des éléments produits par la société requérante que l'E.A.R.L. de Loisy, exploitante de la parcelle endommagée, a été dissoute le 8 juillet 2002 et que la S.C.E.A. de Loisy lui a succédé dans ses droits et obligations à compter de cette même date ; que, par suite, la S.N.C.F. n'est pas fondée à soutenir que la
S.C.E.A. de Loisy n'aurait pas qualité ni intérêt pour interjeter appel du jugement du tribunal administratif d'Amiens en date du 29 juillet 2003, rendu à l'égard de l'E.A.R.L. de Loisy ; que, dès lors, la fin de non-recevoir ainsi opposée par la S.N.C.F. ne peut qu'être rejetée ;
Sur la responsabilité de la S.N.C.F. :
Considérant, en premier lieu, que la S.C.E.A. de Loisy exploite à des fins agricoles une parcelle située pour partie sur le territoire de la commune de Laon (Aisne), au lieudit
Le Dépôt , cadastrée ZB n° 6 et 7 et, pour l'autre partie, sur le territoire de la commune de Besny-Loisy, cadastrée B n° 395, 290, 291 et 292 ; que cette parcelle jouxte un terrain appartenant à Réseau ferré de France comportant un ancien dépôt de locomotives ainsi que l'emprise des lignes ferroviaires Laon-Le Catteau et Laon-Amiens ; que la S.C.E.A. de Loisy ayant la qualité de tiers par rapport aux-dits ouvrages publics, la responsabilité de la S.N.C.F., chargée par la loi du 13 février 1997 et le décret du 5 mai 1997 susvisés d'assurer l'entretien du domaine ferroviaire pour le compte de l'établissement public Réseau ferré de France, maître d'ouvrage, est susceptible d'être engagée, même en l'absence de faute, dans la mesure où les dommages allégués seraient directement imputables aux modalités d'entretien desdits ouvrages ; qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise décidée par le juge judiciaire que les dégâts observés sur les plants de colza semés sur la parcelle en cause par l'E.A.R.L. de Loisy ont été occasionnés par des lapins ; que ces animaux proviennent essentiellement des talus des deux voies ferrées susmentionnées et du terrain entourant l'ancien dépôt de matériel, proches de la parcelle concernée et où ils ont élu domicile en nombre important ; qu'il est constant que lesdites emprises sont envahies par la végétation, laquelle est propice au développement des lapins et rend plus difficile les actions de régulation, notamment par furetage, entreprises à l'initiative de la S.N.C.F. et qui se sont d'ailleurs révélées inefficaces ; qu'ainsi, le lien de causalité entre les dommages allégués et les ouvrages publics en cause doit être tenu pour établi, lesdits dommages étant, en outre, directement imputables aux modalités d'entretien desdits ouvrages publics et, par suite, de nature à engager la responsabilité de la S.N.C.F ;
Considérant, en second lieu, que si l'E.A.R.L. de Loisy pouvait avoir conscience, compte tenu des dégâts antérieurement occasionnés à ses cultures sur d'autres parcelles, du risque auquel elle s'exposait lorsqu'elle a ensemencé des plants de colza, particulièrement apprécié des lapins, sur la parcelle endommagée, il est constant qu'elle avait tenté de s'en prémunir en adaptant ses méthodes culturales à la présence de ces rongeurs sur les terrains environnants afin d'en limiter les conséquences sur ses récoltes et en prenant l'initiative de clôturer ladite parcelle, la S.N.C.F. ayant acquis ensuite pour partie cette clôture ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que la mise en oeuvre d'une autre culture aurait permis de limiter de manière significative les dommages subis ; qu'ainsi, l'E.A.R.L. de Loisy ne saurait être regardée comme ayant accepté en toute connaissance de cause les risques auxquels elle s'exposait ; que, par suite, la S.C.E.A. de Loisy est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande ;
Sur le préjudice :
Considérant que, compte tenu de ce qui précède, il est établi que la S.C.E.A. de Loisy a subi, en conséquence des dégâts occasionnés ainsi qu'il a été dit à ses récoltes, un préjudice anormal et spécial ; qu'en s'appuyant sur le rapport de l'expertise décidée par le juge judiciaire, la S.C.E.A. de Loisy demande que ce préjudice soit fixé à la somme de 9 607,62 euros ; qu'il y a toutefois lieu, ainsi que le demande à juste titre la S.N.C.F., de déduire de ce montant une somme de 4 545,34 euros correspondant au manque à gagner lié à la non-obtention des aides compensatoires de l'Etat, lequel ne constitue pas un préjudice direct et certain ; qu'en revanche, il ne résulte pas de l'instruction que la somme de 5 062,28 euros correspondant au préjudice subi résultant de cette déduction serait excessive et que la requérante en retirerait une quelconque plus-value ; que, compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de condamner la S.N.C.F. à verser ladite somme à la S.C.E.A. de Loisy ;
Sur les intérêts :
Considérant que la S.C.E.A. de Loisy a droit, ainsi qu'elle le demande, aux intérêts sur la somme de 5 062,28 euros, à compter du 15 octobre 1998, date d'enregistrement de sa première demande en justice ; qu'il y a lieu, par suite, de faire droit à cette demande ;
Sur les dépens :
Considérant que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, l'instance devant le tribunal administratif n'a donné lieu à aucun dépens au sens de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ; que, par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a condamné l'E.A.R.L. de Loisy à prendre à sa charge, à ce titre, les frais de l'expertise décidée par le juge judiciaire ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que l'article L. 761-1 du code de justice administrative dispose que : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ;
Considérant que les dispositions précitées s'opposent à ce que la S.C.E.A. de Loisy qui n'est pas, en la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à verser à la S.N.C.F. la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner, sur ce même fondement, la S.N.C.F. à verser à la S.C.E.A. de Loisy la somme de 1 506,22 euros qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, laquelle comprend celles de 571,53 euros et 172,44 euros correspondant respectivement aux frais de l'expertise décidée par le juge judiciaire et aux frais de constat d'huissier exposés par la société requérante ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0000822 du tribunal administratif d'Amiens en date du
29 juillet 2003 est annulé.
Article 2 : La société nationale des chemins de fer français est condamnée à verser à
la S.C.E.A. de Loisy une somme de 5 062,28 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 15 octobre 1998.
Article 3 : La société nationale des chemins de fer français est condamnée à verser à la S.C.E.A. de Loisy une somme de 1 506,22 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la société nationale des chemins de fer français tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la S.C.E.A. de Loisy, à la société nationale des chemins de fer français, ainsi qu'au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.
Copie sera transmise au préfet de l'Aisne.
Délibéré à l'issue de l'audience publique du 15 juin 2004 dans la même composition que celle visée ci-dessus.
Prononcé en audience publique le 29 juin 2004.
Le rapporteur
Signé : D. Brin
Le président de la Cour
Signé : S. X...
Le greffier
Signé : G. A...
La République mande et ordonne au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier
Guillaume A...
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N°03DA01072