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11/06/2024 | FRANCE | N°24BX00336

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 11 juin 2024, 24BX00336


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. et Mme B... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, de désigner un expert aux fins de se faire communiquer la description des travaux publics réalisés place Julie Saint Avit à Vic Fezensac, rechercher l'origine des désordres affectant la maison dont ils sont propriétaires située au 22 de cette place, et décrire les travaux nécessaires pour y mettre fin et

en chiffrer le coût.



Par une ordonnance n° 2300045 du 26 janvier 2024, la pr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, de désigner un expert aux fins de se faire communiquer la description des travaux publics réalisés place Julie Saint Avit à Vic Fezensac, rechercher l'origine des désordres affectant la maison dont ils sont propriétaires située au 22 de cette place, et décrire les travaux nécessaires pour y mettre fin et en chiffrer le coût.

Par une ordonnance n° 2300045 du 26 janvier 2024, la présidente du tribunal administratif de Pau, juge des référés, a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 février 2024, M. et Mme B..., représentés par

Me Danezan, demandent au juge des référés de la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2300045 du 26 janvier 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Pau ;

2°) de faire droit à leur demande d'expertise.

Ils soutiennent que :

- la commune a fait réaliser des travaux sur la place en 2018, à la suite desquels leur immeuble a été affecté de fissures déclarées à leur assureur, qui a souhaité faire installer des jauges ; une aggravation des désordres a été constatée en février 2021, mais en dépit des inquiétudes de leur locataire exprimées entre-temps, qui l'ont conduite à donner congé pour instabilité de l'immeuble, la commune n'a pas diligenté une surveillance de l'immeuble ;

- c'est à tort que la première juge leur a reproché de ne pas établir un lien de causalité entre les désordres et les travaux engagés par la commune, alors que l'expertise a pour objet de rechercher un tel lien et que l'expertise amiable réalisée en 2018 au contradictoire de la commune concluait à la certitude de ce lien ; la tranchée creusée le 16 mars 2018 a provoqué un mouvement du pilier de l'immeuble, puis un élément de corniche de leur immeuble est tombé

le 26 février 2021 ; ils demandaient que la commune produise le constat d'huissier qu'elle avait fait établir avant travaux, afin de pouvoir comparer l'état de l'immeuble ; l'utilité de l'expertise est ainsi démontrée.

Un mémoire en défense a été présenté le 28 février 2024 pour la commune

de Vic Fezensac, représentée par Me Lachaume (SELARL Ten France), qui conclut au rejet de la requête, subsidiairement à ce que l'expertise soit étendue à M. A..., architecte mandataire du groupement auquel a été confié l'aménagement du cœur de ville, à la société Eurovia Midi Pyrénées et à la SNAA Acchini, titulaires du lot n° 9 " voirie réseaux divers-démolition des sanitaires publics " et à ce que soit mise à la charge solidaire des requérants une somme

de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la mesure d'expertise ne présente pas de caractère d'utilité alors que les désordres n'ont pas évolué depuis la pose de jauges en 2019, et que le lien entre les travaux publics et la chute d'un élément de corniche en 2021 n'est pas établi ;

- elle produit le constat établi en 2017 qui montre un immeuble nécessitant des travaux d'entretien, voire de reprise ;

- la commune a été reconnue en état de catastrophe naturelle en 2019 et en 2022 pour des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, et le taux de sinistralité du Gers dans ce domaine est le plus important de France ; ces éléments peuvent être à l'origine des désordres dont se plaignent les requérants ;

- aucun élément interruptif de la déchéance quadriennale n'est intervenu entre

le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2022, de sorte que la demande n'est pas susceptible de se rattacher à un litige dont la juridiction administrative du fond pourrait être utilement saisie ;

- subsidiairement il convient de mettre en cause les participants à l'opération de travaux publics et de compléter la mission d'expertise proposée, pour apprécier l'imputabilité des désordres.

Un mémoire en défense a été présenté le 25 avril 2024 pour la société Eurovia

Midi-Pyrénées, venant aux droits de la société STPAG, représentée par la Selarl Cabinet

JM Serdan, qui conclut au rejet de la requête, et à la condamnation de tout succombant à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; subsidiairement, elle demande que la mission d'expertise soit étendue à l'examen du lien entre les désordres et un phénomène de sécheresse, à la détermination de l'état de vétusté de l'immeuble, à la recherche d'éléments de conception des travaux pouvant préserver l'immeuble de désordres, et à l'imputabilité des désordres au sein du groupement d'entreprises.

Elle soutient que :

- le courrier de la compagnie d'assurance des requérants du 30 avril 2018 faisait état de la nécessité d'investigations complémentaires, et n'a été suivi six ans après d'aucun élément nouveau ; une mesure d'expertise chronophage et coûteuse ne peut être ordonnée sur des éléments aussi incertains ;

- les travaux d'injection de résine dont le devis est produit sont connus comme adaptés à la reprise des immeubles ayant été affectés par des phénomènes de sécheresse.

Des mémoires ont été présentés le 30 avril et le 6 mai 2024 pour M. A..., représenté par Me Massol, qui conclut au rejet de la requête, subsidiairement à ce que l'expertise soit réalisée au contradictoire des assureurs du groupement, Covéa Risks, Mutuelles du Mans Assurances et SMA, et à la condamnation des époux B... à lui verser la somme

de 1 800 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'exception de prescription opposée par la commune est fondée ;

- les époux B... ne versent au débat aucun élément pouvant établir que les désordres invoqués résulteraient des travaux effectués en 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de justice administrative.

Le président de la cour a désigné Mme D... C... pour statuer en application

du livre V du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B... sont propriétaires d'une maison sur arcades située 22 place Julie Saint Avit, au centre de la bastide de Vic Fezensac. Des travaux d'aménagement du cœur de ville ont été confiés en 2018 à un groupement dont M. A..., architecte, était le mandataire, et le lot n°9 concernant la voirie et réseaux divers a été attribué aux sociétés Eurovia Midi Pyrénées et SNAA Acchini. Le 16 mars 2018, cette dernière a ouvert une tranchée au pied de l'immeuble de M. et Mme B..., ainsi qu'une tranchée perpendiculaire pour le passage d'une canalisation. M. et Mme B... ont déclaré à leur assureur des fissures sur les murs de leur maison. Leur mutuelle d'assurances MAPA a organisé une réunion sur place au contradictoire de la commune, et a indiqué le 30 avril 2018 à ses assurés que " d'après les constatations faites sur place, il apparaît que les fissures visibles en façade sont très certainement consécutives aux travaux de voirie et notamment lors de l'ouverture de la tranchée par la société Acchini ". Elle concluait à la nécessité de mettre le bâtiment en observation par la mise en place de jauges. Des témoins ont donc été posés, la commune ayant même réclamé un témoin supplémentaire au titre des réserves émises lors de la réception des travaux le 22 juin 2018, l'ensemble des réserves ayant ultérieurement été levées le 17 mai 2019. En 2021, un élément d'acrotère est tombé du toit et M. et Mme B..., inquiets de la stabilité de l'immeuble dont leur locataire signalait des mouvements rendant difficiles l'ouverture des portes puis des fenêtres, ont sollicité un devis de stabilisation en sous-sol, qui leur a été adressé le 28 octobre 2021, portant sur des injections d'une résine expansive permettant d'améliorer la portance du sol d'assise pour un montant de 19 740 euros. Le 5 janvier 2023, ils ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Pau d'une demande d'expertise, et relèvent appel de l'ordonnance du 26 janvier 2024 qui a rejeté leur demande.

Sur l'utilité de l'expertise :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction ". L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de ces dispositions doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce titre, le juge des référés ne peut faire droit à une demande d'expertise formée à l'appui de prétentions dont il est établi qu'elles sont prescrites. De même, il ne peut faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste de lien de causalité entre le préjudice à évaluer et la faute alléguée de cette personne.

3. Il ressort du compte-rendu de la réunion de chantier du 16 mars 2018, produit par la commune, que les propriétaires signalaient qu'un bloc de béton d'un m3, qui soutenait le pilier de leur maison, avait été déblayé par l'entreprise Acchini lors du creusement de la tranchée, ce que celle-ci contestait, et que d'autre part des fissures étaient présentes depuis trois semaines sur la façade, sinistre déclaré à son assureur par l'architecte, qui devait rechercher une solution. Les époux B... étaient ainsi en mesure de connaître la possibilité d'une imputation de ces fissures aux travaux en cause dès leur constat. S'ils envisagent un caractère évolutif du dommage, ils n'établissent ni même n'allèguent que les témoins installés à l'époque auraient bougé, ne produisent aucune photographie faisant apparaître les fissures en cause et souhaitent donner pour mission à l'expert de " dire si l'immeuble est affecté de désordres ". Dans ces conditions, la seule circonstance que la locataire s'est plainte de ne pouvoir ouvrir facilement certaines portes et fenêtres n'est pas de nature à permettre de suspecter des désordres évolutifs. Par ailleurs, les requérants n'apportent aucune précision sur les circonstances dans lesquelles un élément d'acrotère, dont l'importance n'est pas documentée, aurait chuté sur la voie publique, ni aucune photographie permettant d'apprécier l'état de l'immeuble avant et après cette chute. En se bornant à souligner que le professionnel du bâtiment auquel ils ont fait appel pour traiter ce désordre aurait estimé qu'il pouvait être en lien avec les travaux exécutés à proximité trois ans auparavant, ils n'apportent pas en l'état suffisamment d'éléments pour justifier l'utilité d'une expertise, que le tribunal pourra le cas échéant ordonner s'il est saisi au fond.

4. Dans ces conditions, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'exception de prescription invoquée en défense, M.et Mme B... ne sont pas fondés à se plaindre que la première juge ait rejeté leur demande d'expertise.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

5. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée par la commune de Vic Fezensac, la société Eurovia Midi Pyrénées et M. A... sur ce fondement.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Vic-Fezensac, de la société Eurovia Midi Pyrénées et de M. A... au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. et Mme B..., à la commune

de Vic Fezensac, à M. E... A..., et aux sociétés Eurovia Midi Pyrénées,

SNAA Acchini., SASU Prima Groupe et SAS David Sist.

Fait à Bordeaux, le 11 juin 2024.

La juge d'appel des référés,

D... C...

La République mande et ordonne au préfet du Gers, en ce qui le concerne, et à tous huissiers

de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

2

No 24BX00336


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Numéro d'arrêt : 24BX00336
Date de la décision : 11/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SELARL J. FAGGIANELLI - D. CELIER - V. DANEZAN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-11;24bx00336 ?
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