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11/01/2024 | FRANCE | N°23BX02491

France | France, Cour administrative d'appel, 11 janvier 2024, 23BX02491


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

La société GTM Guadeloupe a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe à lui verser une provision d'un montant de 84 740,21 euros en principal augmentée d'un montant de 19 882,05 euros au titre des intérêts moratoires.

Par une ordonnance n° 2300750 du 18 septembre 2023, le juge

des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a fait partiellement droit à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société GTM Guadeloupe a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe à lui verser une provision d'un montant de 84 740,21 euros en principal augmentée d'un montant de 19 882,05 euros au titre des intérêts moratoires.

Par une ordonnance n° 2300750 du 18 septembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a fait partiellement droit à sa demande en condamnant le CHU de la Guadeloupe à lui verser une indemnité provisionnelle de 84 740,21 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 septembre 2023, complétée d'un mémoire enregistré le 3 janvier 2024, la société GTM Guadeloupe, représentée par Me Cabanes, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 22 septembre 2023 en tant qu'elle n'a pas fait droit à sa demande formulée au titre des intérêts moratoire ;

2°) de condamner le CHU de la Guadeloupe à lui verser une indemnité provisionnelle complémentaire d'un montant de 20 776,15 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête n'a pas été exhaustivement analysée par le premier juge ; il était justifié de l'ensemble des mises en demeure adressées au CHU ; l'ordonnance est à cet égard irrégulière ;

- le CHU ne conteste plus le caractère non sérieusement contestable des sommes dues en principal ;

- s'agissant du versement des intérêts moratoires, le dépassement du délai de paiement ouvre droit sans autre formalité au bénéfice des intérêts ;

- l'article 6-2 du contrat prévoyait lui-même le versement de ces intérêts ; les dates des mises en demeure et des factures ont été établies avec certitude ; à la date du 22 septembre 2023, le montant actualisé de ces intérêts s'élevait à 15 118 euros au titre des factures et à 5 658,15 euros au titre des situations 1 et 2 ;

- les bases de calcul étaient suffisamment justifiées par les mises en demeure, les factures correspondantes étant jointes ;

- s'agissant du courrier du 29 septembre 2022, l'accusé de réception est produit ; le CHU a d'ailleurs payé une facture jointe au même courrier ;

- s'agissant du courrier du 12 janvier 2023, le site officiel de La Poste confirme la distribution le 19 janvier suivant ;

- s'agissant du courrier du 19 avril 2023, l'accusé de réception est également produit ;

- le CHU s'abstient de produire les preuves de dépôt des factures, du décompte général définitif et des situations sur la plateforme Chorus, qui attesteraient de la réception de l'ensemble des courriers qui lui ont été adressés ; or le point de départ du délai global de paiement correspond à la date de notification de la mise à disposition des factures sur Chorus ; en l'espèce, la situation de travaux n° 1 a été déposée le 1er décembre 2020, la situation n° 2 le 22 janvier 2021 et la situation n° 3 le 19 décembre 2022 ; ce sont ces dates qui doivent être retenues comme points de départ à partir desquels les retards de paiement donnent droit au versement des intérêts moratoires, quelle que soit la date à laquelle ont été reçus les courriers de relance.

Par un mémoire enregistré le 1er décembre 2023, le CHU de la Guadeloupe, ayant pour avocat Me Cariou, conclut à l'annulation de l'ordonnance du 22 septembre 2023 en tant qu'elle a fait droit à la demande de la société GTM Guadeloupe relative aux sommes dues en principal et au rejet de cette demande, subsidiairement au rejet de la requête d'appel de cette société et à ce que soit mise à sa charge la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- seul peut être qualifié de mémoire en réclamation au sens de l'article 50.1.1 du cahier des clauses administratives générales des marchés de travaux publics les courriers exposant les motifs du différend, le montant des sommes réclamées et leur justification ; or les mises en demeure successives adressées par la société GTM Guadeloupe ne précisent pas de manière exhaustive les bases de calcul ; elles ne constituent donc pas des mémoires en réclamation ; en outre la mise en demeure du 19 avril 2023 n'excluait pas une négociation ;

- plusieurs accusés de réception ne font pas mention de la date de délivrance ; c'est le cas pour les courriers du 29 septembre 2022, du 12 janvier 2023 et du 19 avril 2023 ;

- la demande par laquelle la société GTM Guadeloupe a saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe était donc irrecevable ;

- subsidiairement, les intérêts moratoires ne sont pas dus puisque pour certaines des mises en demeure, le point de départ de ces intérêts est impossible à déterminer, les accusés de réception faisant défaut ; les seules copies de captures d'écran produites sont à cet égard insuffisantes pour établir ce point de départ.

Le président de la cour a désigné M. B... A... comme juge des référés en application des dispositions du livre V du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. La société GTM Guadeloupe, attributaire le 4 septembre 2020 du lot n° 2 " Démolitions, revêtements de sol, faux plafonds " du marché public à bons de commande relatif à la rénovation du service de néphrologie du centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe, a adressé à cet établissement plusieurs factures de travaux qui n'ont pas été réglées, pour un montant total de 84 740,21 euros. Elle a saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, d'une demande de condamnation du CHU à lui verser une provision d'un montant équivalent aux sommes dues en principal, augmentées de 19 882,05 euros au titre des intérêts moratoires. Elle relève désormais appel de l'ordonnance du juge des référés du 22 septembre 2023 en tant que celle-ci a rejeté sa demande portant sur les intérêts moratoires. Par la voie de l'appel incident, le CHU de la Guadeloupe demande l'annulation cette ordonnance en tant qu'elle le condamne à verser à la société GTM Guadeloupe la somme de 84 740,21 euros.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Aux termes de l'article 50 du même cahier des clauses administratives générales des marchés de travaux, relatif au règlement des différends et des litiges : " 50.1. Mémoire en réclamation : / 50.1.1. Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants (...) Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'œuvre. / (...) 50.1.2. Après avis du maître d'œuvre, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire sa décision motivée dans un délai de trente jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation. / 50.1.3. L'absence de notification d'une décision dans ce délai équivaut à un rejet de la demande du titulaire. / 50.2. Lorsque le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas donné suite ou n'a pas donné une suite favorable à une demande du titulaire, le règlement définitif du différend relève des procédures fixées aux articles 50.3 à 50.6. / 50.3. Procédure contentieuse : / 50.3.1. A l'issue de la procédure décrite à l'article 50.1, si le titulaire saisit le tribunal administratif compétent, il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs énoncés dans les mémoires en réclamation. (...) ".

3. Ces stipulations prévoient la mise en œuvre d'une procédure de recours préalable avant la saisine du juge administratif. L'existence même de ce recours prévu au contrat fait obstacle à ce qu'une des parties saisisse directement le juge du contrat, y compris le juge statuant en référé. Il résulte également de ces stipulations que tout mémoire qui est remis par l'entreprise au représentant du pouvoir adjudicateur à la suite d'un différend entre ceux-ci et qui indique les montants des sommes dont l'entreprise demande le paiement et expose les motifs de cette demande présente le caractère d'un mémoire de réclamation. Un mémoire du titulaire d'un marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens des dispositions de l'article 50.1.1 du CCAG-Travaux que s'il comporte l'énoncé d'un différend et expose de façon précise et détaillée les chefs de la contestation en indiquant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées.

4. Il résulte de l'instruction que la société GTM Guadeloupe a adressé les 29 octobre 2021, 21 janvier 2022, 15 juin 2022, 29 septembre 2022, 22 novembre 2022, 12 janvier 2023 et 19 avril 2023 au CHU de la Guadeloupe, plus précisément à la direction des services techniques et de la sécurité chargée de la maitrise d'œuvre, diverses mises en demeure de payer les factures de travaux non acquittées à l'échéance des délais de paiement. Ces courriers réitérés, reprenant chacun le détail des factures restant impayées et qui étaient accompagnés desdites factures, ont ainsi d'une part manifesté l'existence d'un différend relatif à leur paiement, né à l'expiration du délai de règlement fixé dans chaque cas, et d'autre part constitué en l'espèce des réclamations préalables à la saisine du juge comportant le motif du différend, le montant des sommes dues et leur justification. Il est par ailleurs justifié par la société GTM Guadeloupe que lesdits courriers ont bien été réceptionnés par le CHU de la Guadeloupe, et qu'en particulier ceux datés des 29 septembre 2022, 12 janvier 2023 et 19 avril 2023, dont les accusés de réception sont produits, ont été reçus respectivement les 6 octobre 2022, 17 janvier 2023 et 24 avril 2023. La fin de non-recevoir opposée à ce titre par le CHU de la Guadeloupe à la demande de première instance doit par suite être écartée.

5. Il résulte de ce qui précède que le CHU de la Guadeloupe, qui ne conteste pas sérieusement devoir s'acquitter des factures litigieuses, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le premier juge l'a condamné à verser la somme de 84 740,21 euros à la société GTM Guadeloupe.

Sur les intérêts moratoires :

6. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. "

7. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés, dans le cadre de cette procédure qu'elles instituent, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi.

8. Aux termes de l'article 6-2 du cahier des clauses administratives particulières du marché : " Le défaut de paiement dans les délais prévus par le code des marchés fait courir de plein droit, et sans autres formalités, des intérêts moratoires au bénéfice du titulaire. Le taux des intérêts moratoires est le taux en vigueur à la date de laquelle les intérêts moratoires ont commencé à courir, augmenté de deux points ". Et en application des dispositions combinées des articles L. 2192-10, L. 2192-12, L. 2192-13, R. 2192-10, R. 2192-12, R. 2192-15, R. 2192-31, R. 2192-32, R. 2192-33, R. 2192-34 et R. 2192-36 du code de la commande publique, le délai de paiement des sommes dues en principal par le pouvoir adjudicateur est de trente jours à compter de la réception de la demande de paiement de l'acompte transmise par le titulaire du marché par voie électronique. Les intérêts moratoires appliqués aux acomptes sont calculés sur le montant total de l'acompte toutes taxes comprises, diminué, le cas échéant, de la retenue de garantie, et après application, le cas échéant, des clauses de révision et de pénalisation, et courent à compter du lendemain de l'expiration du délai de paiement jusqu'à la date de mise en paiement du principal incluse.

9. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il est justifié par la société GTM Guadeloupe des dates de réception de l'ensemble des ses demandes de paiement. Elle produit par ailleurs un tableau de décompte des intérêts moratoires calculés en application des principes exposés au point 8, dont les mentions ne sont pas critiquées par le CHU de la Guadeloupe. Elle a ainsi droit, sans contestation sérieuse, aux intérêts moratoires sur la somme de 84 740,21, correspondant à la somme de 20 776,15 euros à la date du 22 septembre 2023.

10. Il résulte de ce qui précède que la société GTM Guadeloupe est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande d'indemnité provisionnelle relative au paiement des intérêts moratoires, et à demander, dans cette mesure, la réformation de son ordonnance.

Sur les frais d'instance :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de la Guadeloupe une somme de 1 500 euros à verser la société GTM Guadeloupe.

ORDONNE :

Article 1er : Le CHU de la Guadeloupe est condamné à verser à la société GTM Guadeloupe une indemnité provisionnelle de 20 776,15 au titre de la créance relative aux intérêts moratoires.

Article 2 : L'ordonnance n° 2300750 du 18 septembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.

Article 3 : Le CHU de la Guadeloupe versera à la société GTM Guadeloupe une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions d'appel du CHU de la Guadeloupe sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société GTM Guadeloupe et au centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe.

Fait à Bordeaux, le 11 janvier 2024.

Le juge d'appel des référés,

B... A...

La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

2

N° 23BX02491


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Numéro d'arrêt : 23BX02491
Date de la décision : 11/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SELARL CABANES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-11;23bx02491 ?
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