Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 23 juillet 2020 par laquelle la préfète de la Gironde a refusé de reconnaître son entretien du 5 avril 2018 comme un accident imputable au service.
Par un jugement n° 2004856 du 22 décembre 2021, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 23 février 2022, M. B... A..., représenté par Me Debelle-Chastaing, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2004856 du 22 décembre 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté en litige du 23 juillet 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
- le tribunal a fondé sa solution de rejet sur un moyen et des éléments qui n'avaient pas été invoqués par l'administration dans ses écritures en défense et qui n'avaient pas fait l'objet d'un débat contradictoire ; le jugement doit, dès lors, être annulé pour irrégularité.
En ce qui concerne le fond du litige :
- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé en droit comme en fait ;
- les circonstances dans lesquelles s'est déroulé l'entretien du 5 avril 2018 révèlent un accident de service au sens de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, issu de l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017, applicable au cas d'espèce ; c'est en commettant une erreur de droit et une erreur d'appréciation que l'administration a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de son état de santé résultant des conditions violentes dans lesquelles a eu lieu l'entretien auquel il a assisté le 5 avril 2018 ; à la suite de celui-ci, il a présenté un état anxio-dépressif qui a conduit à son placement en arrêt de travail ; les témoignages des agents ont confirmé la violence des propos tenus au cours de l'entretien par l'enquêteur ; les conditions dans lesquelles l'entretien a eu lieu révèlent un accident de service dont il a été la victime ;
- l'arrêté en litige est entaché de détournement de pouvoir dès lors que l'administration a cherché, par principe, à éviter d'assumer les conséquences qu'aurait eues pour elle l'octroi du CITIS (congé pour invalidité temporaire imputable au service) demandé.
Par ordonnance du 18 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 5 septembre 2023 à 14h00.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-61 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 2019-122 du 21 février 2019 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,
- et les observations de Me Debelle-Chastaing pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., membre du corps des techniciens supérieurs du développement durable, exerce, depuis 2012, les fonctions de chef du pôle des cultures marines et environnement au service maritime et littoral de la direction départementale des territoires et de la mer de la Gironde (DDTM 33). Il est par ailleurs titulaire d'un mandat syndical. Au cours de l'été 2017, les services de la DDTM 33 ont fait l'objet d'une visite de contrôle de l'inspecteur de santé et sécurité au travail dont le rapport, remis en novembre 2017, a conclu à l'existence de dysfonctionnements à l'origine de souffrances au travail, notamment au sein du pôle des cultures marines et environnement. En mars 2018, le ministère a lancé une enquête administrative, confiée à l'inspection générale des services, au cours de laquelle M. A... a été entendu individuellement le 13 mars 2018, puis avec deux autres représentants syndicaux le 5 avril 2018. A la suite de ce dernier entretien, M. A... a présenté un syndrome anxio-dépressif ayant conduit à son placement en congé pour maladie. Le 16 mars 2019, il a demandé le bénéfice d'un congé pour invalidité temporaire imputable au service en application des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Bien que la commission de réforme ait émis, le 2 juillet 2020, un avis favorable à la demande de M. A..., la préfète de la Gironde a, par arrêté du 23 juillet 2020, refusé de reconnaître l'évènement du 5 avril 2018 comme un accident imputable au service. M. A... a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 juillet 2020. Il relève appel du jugement rendu le 22 décembre 2021 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des motifs de la décision du 23 juillet 2020 en litige que, pour rejeter la demande de M. A... tendant à ce que ses problèmes de santé soient reconnus imputables au service, l'administration a retenu que l'entretien du 5 avril 2018 " qualifié de fait générateur par M. A... visait à lui présenter ses responsabilités dans le dysfonctionnement du service, que ces responsabilités ont été qualifiées de faute ayant généré une sanction ", et que l'intéressé " auditionné en amont dans le cadre de l'enquête administrative à l'origine de la rencontre du 5 avril 2018 était, de fait, informé de cette démarche de l'administration, et ne peut donc arguer de la soudaineté de l'évènement ", et enfin que les conclusions de l'expertise médicale à laquelle M. A... a été soumis " ne font pas état d'un lien direct et exclusif avec l'évènement du 5 avril 2018 ".
3. Pour rejeter la demande dont il était saisi, le tribunal administratif de Bordeaux a rappelé que le rapport de l'inspecteur de santé et sécurité au travail, produit au dossier, avait mis en évidence des insuffisances de management et des situations d'agents en souffrance au sein du pôle des cultures marines et environnement dirigé par M. A..., puis qu'au cours de l'enquête administrative diligentée par l'inspection générale du ministère, ce dernier avait été reçu par les inspecteurs le 5 avril 2018 pour un entretien. Il ressort des pièces du dossier de première instance que les responsabilités de M. A... dans les dysfonctionnements du service ont été évoquées au cours l'entretien en cause. En jugeant qu'il ne ressortait pas des éléments du dossier que les inspecteurs auraient, au cours de l'entretien, tenu des propos ou auraient adopté des comportements qui excéderaient l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ou de contrôle dévolus à l'administration, les premiers juges ont apprécié le bien-fondé du motif retenu dans la décision du 23 juillet 2020, et n'ont dès lors pas fondé leur solution sur un élément qui ne figurait pas dans les pièces du dossier, Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué, pour méconnaissance du principe du contradictoire, doit être écarté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, applicable aux fonctionnaires de l'Etat en vertu de l'article L. 211-1 du même code : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...) ".
5. L'arrêté du 23 juillet 2020 en litige vise les dispositions législatives et règlementaires régissant la demande de M. A... et comporte, ainsi qu'il a été rappelé au point 2 ci-dessus, un énoncé suffisant des considérations de fait qui en constituent le fondement. La circonstance que cet arrêté n'indique pas les raisons pour lesquelles il ne suit pas l'avis, consultatif, de la commission de réforme, favorable à la demande de M. A..., ne révèle pas, en elle-même, une insuffisance de motivation.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d'activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique et en vigueur depuis le 24 février 2019 : " " I. Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. (...) II. Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service. (...) ".
7. Constitue un accident de service un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire l'autorité administrative à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien entre un agent et l'autorité administrative dont il relève, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. A... avait connaissance du rapport rédigé par l'inspecteur de santé et sécurité dont les conclusions ont conduit le ministère à organiser une enquête administrative sur les conditions de travail au sein du pôle des cultures marines et environnement. Les inspecteurs chargés de l'enquête ont entendu individuellement M. A... une première fois le 13 mars 2018 pour évoquer avec lui les situations d'agents en souffrance observées dans son service. Puis ils ont à nouveau reçu M. A... le 5 avril 2018 pour lui restituer les premières conclusions que l'enquête en cours avait permis de rassembler. Le procès-verbal de ce dernier entretien montre que les enquêteurs ont fait savoir à M. A... que plusieurs témoignages avaient mis en cause son management, regardé comme rude et autoritaire. Si M. A... produit le témoignage d'un autre agent entendu avec lui le 5 avril 2018, ni cette pièce ni les autres éléments du dossier, et notamment le procès-verbal de l'entretien, ne permettent d'estimer qu'il aurait été la victime, à cette occasion, de propos ou de comportements excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, quand bien même des reproches sur son management lui ont été adressés par les enquêteurs. Ainsi, les conditions dans lesquelles s'est déroulé l'entretien du 5 avril 2018 ne peuvent être qualifiées d'évènement soudain et violent, caractéristique d'un accident de service.
9. En outre, la circonstance que M. A... ait ressenti un choc à l'écoute des propos qui ont été tenus durant l'entretien, et qu'il ait souffert par la suite d'un syndrome anxio-dépressif selon le rapport médical du 8 avril 2020, ne suffit pas, par elle-même, à révéler l'existence d'un accident de service. Il en va ainsi alors même que M. A... n'aurait jamais été sujet à des problèmes anxio-dépressifs avant l'entretien en cause. Enfin, le rapport médical précité ne comporte aucun élément permettant de retenir que l'état médical de M. A... résulterait bien de l'accident de service allégué.
10. Dans ces circonstances, l'entrevue du 5 avril 2018 ne peut être qualifié d'accident de service comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Bordeaux, alors même que la demande de M. A... avait fait l'objet d'un avis favorable de la commission de réforme, lequel est simplement consultatif. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 doit ainsi être écarté.
11. En troisième lieu, il résulte de ce qui précède que la décision du 23 juillet 2020 en litige, qui fait une exacte application de la législation en vigueur, ne constitue pas un refus de principe de l'administration d'accorder à ses agents un congé pour invalidité temporaire imputable au service. Le moyen tiré du détournement de pouvoir doit ainsi être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les frais d'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par M. A... tendant à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l'audience du 23 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
M. Julien Dufour, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2023.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
La présidente,
Ghislaine Markarian
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 22BX00640 2