Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Gritche a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 21 juin 2019 par laquelle la directrice générale déléguée de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) lui a refusé le renouvellement du permis de commerce parallèle du produit phytopharmaceutique Flupen, autorisé en Allemagne sous l'appellation Malibu, ensemble le rejet implicite de son recours gracieux formé le 31 juillet 2019 et de condamner l'ANSES à lui verser la somme de 234 460 euros en réparation des préjudices causés par les rejets successifs de ses demandes.
Par un jugement n° 1905884 du 15 décembre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire et un mémoire ampliatif, enregistrés les 15 février et 1er avril 2021, la société Gritche, représentée par la SCP Célice Texidor Périer, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1905884 du tribunal administratif de Bordeaux du 15 décembre 2020 ;
2°) d'annuler la décision du 21 juin 2019 de la directrice générale déléguée de l'ANSES, ensemble le rejet implicite de son recours gracieux formé le 31 juillet 2019 ;
3°) de condamner l'ANSES à lui verser la somme de 234 460 euros en réparation des préjudices causés par les rejets successifs de ses demandes ;
4°) de mettre à la charge de l'ANSES la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête de première instance était recevable ;
- dès lors que, comme en l'espèce, le pétitionnaire a fourni l'ensemble des informations requises par le paragraphe 4 de l'article 52 du règlement (CE) n° 1107/2009, l'absence d'informations suffisantes pour apprécier l'identité des matériaux composant les produits n'est pas un motif valable de rejet d'une demande ; en ne sollicitant pas de l'Etat membre d'origine les informations finalement considérées comme manquantes pour procéder à l'évaluation de sa demande, l'ANSES a méconnu l'article 52 du règlement de 2009 ; de même, ces stipulations ont été méconnues dès lors que l'ANSES aurait dû solliciter des échantillons physiques des emballages ;
- elle a elle-même fourni l'ensemble des informations sur la nature des emballages, conformément au formulaire Cerfa en vigueur le 28 janvier 2019, en indiquant qu'il s'agissait de bidons de 10 litres constitués du matériau PE-HD PE-PA (polyéthylène haute densité / polyamide) et en produisant des photographies des produits allemand et français ; ainsi, les décisions contestées sont entachées d'erreur d'appréciation ;
- elle subit une différence de traitement caractérisant une violation des principes d'égalité et de non-discrimination dès lors que la société Soralys a obtenu un permis de commerce parallèle pour le produit Basagran en se bornant à fournir des photographies alors qu'en 2013, la société PSI obtenait un tel permis pour le produit Malibu importé d'Allemagne ;
- les décisions méconnaissent les stipulations de l'article 51 du règlement n° 1272/2008 du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges, qui a remplacé la directive n° 1999/45/CE du 31 mai 1999 mentionnée par le paragraphe 3 de l'article 64 du règlement de 2009 ;
- le principe d'effectivité du droit de l'Union européenne a été méconnu ;
- l'illégalité de la décision du 21 juin 2019 ainsi que le comportement de l'ANSES, qui l'a conduit à renoncer à demander le renouvellement de son permis de commerce parallèle pour y substituer une demande d'extension de ce permis pour la provenance Allemagne constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de l'agence ; les préjudices matériel, moral et commercial résultant de ces fautes s'élèvent à 234 460 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 novembre 2022, l'ANSES, représentée par Me K'jan, demande à la cour de rejeter la requête de la société Grinche et de mettre à sa charge la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête de première instance de la société Gritche était irrecevable ;
- la requête d'appel est irrecevable dès lors qu'elle se borne à reprendre les moyens développés en première instance ;
- les moyens soulevés par la société ne sont pas fondés ;
- les préjudices invoqués ne sont pas établis.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 12 avril 2017 fixant le barème de la taxe fiscale affectée perçue par l'ANSES relative à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants, des matières fertilisantes et de leurs adjuvants et des supports de culture ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michaël Kauffmann,
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique,
- et les observations de Me Amedro, représentant la société Gritche, et de Me Rameau, représentant l'ANSES.
Une note en délibéré présentée pour l'ANSES a été enregistrée le 13 juin 2023.
Une note en délibéré présentée pour la société Gritche a été enregistrée le 14 juin 2023.
Considérant ce qui suit :
1. La société Gritche, spécialisée dans le commerce de gros de produits chimiques, est titulaire depuis le 23 janvier 2014 d'un permis de commerce parallèle l'autorisant à importer depuis l'Allemagne un herbicide pour le blé et l'orge dénommé Malibu et commercialisé en France sous l'appellation Flupen, valide jusqu'au 31 juillet 2017. Le 29 juin 2017, elle a déposé auprès de l'ANSES une demande de renouvellement du permis de commerce parallèle de ce produit, en estimant que les caractéristiques du produit Malibu autorisé en Allemagne étaient identiques à celles du produit de référence Trooper autorisé en France. Par une première décision du 30 juillet 2018, la directrice générale déléguée de l'ANSES a refusé d'accorder à la société le renouvellement du permis de commerce parallèle en l'absence de possibilité d'établir une correspondance entre les emballages autorisés pour le produit Trooper en France et les emballages autorisés pour le produit Malibu en Allemagne. Le 28 janvier 2019, la société Gritche a déposé une nouvelle demande de permis de commerce parallèle. Par une décision du 21 juin 2019, la directrice générale déléguée de l'ANSES a de nouveau refusé de faire droit à sa demande. Le 31 juillet 2019, la société a formé un recours gracieux contre cette décision qui, en l'absence de réponse de l'ANSES, a implicitement été rejeté. La société Gritche relève appel du jugement du 15 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 juin 2019, ensemble le rejet de son recours gracieux, et à la condamnation de l'ANSES à lui verser la somme de 234 460 euros en réparation des préjudices causés par les rejets successifs de ses demandes.
Sur la recevabilité de la requête de première instance :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ".
3. En premier lieu, il est constant que la décision du 21 juin 2019 ne mentionne pas les voies et délais de recours à son encontre. Dès lors, en application des dispositions précitées de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, le délai de recours contre cette décision n'était pas opposable à la société Gritche à la date à laquelle elle a introduit sa requête de première instance, soit le 2 décembre 2019, sans que n'ait d'incidence, à cet égard, la circonstance relevée par l'ANSES, tirée de ce que le recours gracieux introduit le 31 juillet 2019 par l'association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne (AUDACE), dépourvu de mandat exprès, n'aurait pas valablement interrompu le délai de recours contentieux. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté des conclusions à fin d'annulation de première instance au motif que le défaut de recours gracieux valablement formé n'a pu prolonger le délai de recours contentieux doit être écartée.
4. En second lieu, si le silence gardé par l'administration sur une demande indemnitaire qui lui a été présentée par une personne dépourvue de mandat exprès de la personne ayant subi un préjudice ne lie pas le contentieux, rien ne s'oppose, en principe, sauf texte spécial en disposant autrement, à ce qu'un tel mandat ne soit pas écrit. Dans le cas où le mandat serait seulement verbal, si son existence ne peut être présumée à raison des seuls termes de la demande préalable, il appartient au juge administratif d'apprécier, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, si cette demande peut être regardée comme ayant été présentée par une personne qui avait qualité pour ce faire au nom du demandeur.
5. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la demande préalable indemnitaire du 21 octobre 2019 a été présentée par l'association AUDACE, au nom de la société Gritche, qui soutient l'avoir verbalement mandatée pour ce faire. Il en ressort également que l'association AUDACE, dont la société requérante est membre, a notamment pour objet de représenter et de défendre les intérêts personnels et collectifs de ses membres, utilisateurs, producteurs agricoles et distributeurs dans le domaine des divers approvisionnements agricoles, phytosanitaire, semences et engrais. Cette association est intervenue à de nombreuses reprises auprès de l'ANSES dans l'instruction des dossiers de demandes de renouvellement et de délivrance de permis de commerce parallèle présentées par la société Gritche pour le produit Flupen au cours des années 2018 et 2019 et en a été l'interlocutrice principale pour contester les décisions de refus opposées à cette société. Enfin, par un courrier du 16 novembre 2020, le président de la société Gritche a confirmé avoir mandaté l'association AUDACE, notamment, pour former les demandes indemnitaires préalables qui s'imposeraient dans le cadre de ses demandes. Dans ces conditions, contrairement à ce que fait valoir l'ANSES, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, la demande préalable indemnitaire présentée le 21 octobre 2019 doit être regardée comme ayant été présentée par une personne qui avait qualité pour ce faire au nom de la société Gritche et a valablement lié le contentieux.
Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel :
6. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".
7. La requête d'appel, enregistrée le 15 février 2021, réitère les moyens soulevés en première instance, mais pour plusieurs d'entre eux sous une autre forme. Elle comporte une critique précise du raisonnement suivi par les premiers juges sur plusieurs points. Dans ces conditions, la requête d'appel de la société Gritche ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement les écritures de première instance ni à se référer purement et simplement à elles. Il s'ensuit qu'elle satisfait aux exigences de motivation prévues par l'article R. 411-1 du code de justice administrative. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'ANSES doit être écartée.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
8. Aux termes de l'article 28 du règlement du 21 octobre 2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques : " 1. Un produit phytopharmaceutique ne peut être mis sur le marché ou utilisé que s'il a été autorisé dans l'État membre concerné conformément au présent règlement. / 2. Par dérogation au paragraphe 1, aucune autorisation n'est requise dans les cas suivants: (...) / e) mise sur le marché et utilisation de produits phytopharmaceutiques pour lesquels un permis de commerce parallèle a été accordé en application de l'article 52. ". Aux termes de l'article 52 du même règlement : " 1. Un produit phytopharmaceutique qui est autorisé dans un État membre (État membre d'origine) peut, sous réserve de l'octroi d'un permis de commerce parallèle, être introduit, mis sur le marché ou utilisé dans un autre État membre (État membre d'introduction) si ce dernier établit que la composition du produit phytopharmaceutique est identique à celle d'un produit phytopharmaceutique déjà autorisé sur son territoire (produit de référence). / (...) /. 2. (...) Sur demande, les États membres se communiquent les informations nécessaires à l'évaluation du caractère identique du produit dans un délai de dix jours ouvrables à compter de la réception de la demande. / (...) / 3. Les produits phytopharmaceutiques sont réputés identiques aux produits de référence : a) s'ils ont été fabriqués par la même société ou par une société associée ou sont fabriqués sous licence selon le même procédé de fabrication ; / b) s'ils sont identiques pour ce qui est de la spécification, de la teneur et du type de formulation aux substances actives, phytoprotecteurs et synergistes et du type de formulation ; / c) s'ils sont identiques ou équivalents en ce qui concerne les coformulants présents et la dimension, le matériau ou la forme de l'emballage, pour ce qui est de l'impact négatif potentiel sur la sécurité du produit en ce qui concerne la santé humaine ou animale ou l'environnement. / 4. La demande de permis de commerce parallèle comprend les informations suivantes : / a) le nom et le numéro d'enregistrement du produit phytopharmaceutique dans l'État membre d'origine ; / b) l'État membre d'origine ; / c) le nom et l'adresse du titulaire de l'autorisation dans l'État membre d'origine ; / d) l'étiquette et les consignes d'utilisation d'origine qui accompagnent le produit phytopharmaceutique à introduire lors de sa distribution dans l'État membre d'origine, si l'autorité compétente de l'État membre d'introduction estime ces consignes nécessaires aux fins d'examen. L'autorité compétente peut demander une traduction des passages importants des consignes d'utilisation ; / e) le nom et l'adresse du demandeur ; / f) le nom à donner au produit phytopharmaceutique qui doit être distribué dans l'État membre d'introduction ; / g) un projet d'étiquetage du produit destiné à être mis sur le marché ; / h) un échantillon du produit destiné à être introduit, si l'autorité compétente de l'État membre d'introduction le juge nécessaire ; / i) le nom et le numéro d'enregistrement du produit de référence. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 253-23 du code rural et de la pêche maritime : " Le directeur général de l'Agence statue sur les demandes de permis de commerce parallèle ainsi que sur les demandes de modification, de renouvellement ou de retrait de ces permis. Pour établir l'identité des produits par un examen réalisé conformément au paragraphe 3 de l'article 52 du règlement (CE) n° 1107/2009, l'Agence peut utiliser les informations contenues dans le dossier du produit de référence ou celles mises à sa disposition par l'Etat membre d'origine. / (...) / A la demande du titulaire, le permis de commerce parallèle peut être renouvelé si les conditions requises pour son obtention sont toujours remplies. (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que, dans ses conclusions de l'évaluation des produits réalisée par l'ANSES le 2 juillet 2018 lors de la demande de renouvellement de permis de commerce parallèle déposée par la société Gritche, l'agence a estimé que les compositions intégrales du produit Malibu autorisé en Allemagne étaient identiques à celles du produit de référence Trooper autorisé en France. En revanche, compte tenu de l'absence d'informations détenues par les autorités allemandes, consultées sur ce point le 13 octobre 2017, concernant le matériau de l'emballage autorisé dans ce pays pour le produit Malibu, il n'était pas possible d'établir une correspondance entre les emballages autorisés pour le produit Trooper et les emballages autorisés pour le produit Malibu. Dans ses conclusions réalisées le 7 juin 2019, relatives à la seconde demande de la société, l'ANSES a réitéré cette analyse, qui a conduit à la décision de refus contestée du 21 juin 2019.
10. Il résulte toutefois de l'analyse des photographies des bidons de dix litres des produits Malibu et Trooper versées au dossier que ces contenants, dont l'appelante affirme sans être sérieusement contredite qu'ils sont composés de polyéthylène haute densité / polyamide (PEHD/PA), sont strictement identiques en ce qu'ils comportent le nom de la firme BASF, fabricant des produits allemands et français, et présentent la même forme, le même bouchon, la même poignée, la même couleur et, contrairement à ce que relève l'ANSES, sont tous les deux incrustés des mentions " BASF UN Agrochemicals Fitosanitario 3H1/Y1,3/100/17 D/BAM 14573-RPC-G ". Il ressort des pièces du dossier que cette mention correspond à la certification D/BAM 14573/3H1, approuvée par l'Institut fédéral allemand pour la recherche et l'essai des matériaux - Sécurité technique (BAM-TES), qui impose aux fabricants de jerricanes en plastique à tête amovible utilisés lors d'un transport de marchandises dangereuses, lorsqu'ils les commercialisent avec ladite mention, de respecter les spécifications techniques, et notamment de matériau, précisément identifiées dans le certificat d'enregistrement de cet emballage. Par ailleurs, ainsi que le soutient la société Gritche, l'ANSES a émis un avis favorable, le 9 octobre 2013, à la demande de permis de commerce parallèle présentée par une autre société relative au produit Malibu, pour être commercialisé dans un contenant identique, sans que l'agence ne fournisse la moindre explication quant à la position inverse prise à l'endroit de la société Gritche et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est pas même allégué que les caractéristiques de ce contenant auraient évolué entre les années 2013 et 2019. Dans ces conditions, la société Gritche est fondée à soutenir qu'en rejetant sa demande de permis de commerce parallèle au motif qu'il n'était pas possible d'établir une correspondance entre les emballages autorisés pour les produits Trooper et Malibu, l'ANSES a entaché sa décision du 21 juin 2019 d'erreur d'appréciation et, en conséquence, à en demander l'annulation, ensemble le rejet implicite de son recours gracieux formé le 31 juillet 2019.
11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société Gritche est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions à fin d'annulation.
Sur le bien-fondé des conclusions indemnitaires :
12. Toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain. Ainsi qu'il a été exposé au point 10, la décision du 21 juin 2019 par laquelle la directrice générale déléguée de l'ANSES a refusé de délivrer à la société Gritche un permis de commerce parallèle du produit Flupen, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux formé le 31 juillet 2019, sont entachées d'illégalité. Pour ces mêmes motifs, la société est fondée à soutenir que la première décision de l'ANSES du 30 juillet 2018 ayant refusé le renouvellement de son permis de commerce parallèle du produit Flupen est également révélatrice d'un comportement fautif de l'administration.
13. En premier lieu, la société Gritche indique qu'au printemps 2018, elle a acquis 25 040 litres du produit Malibu auprès de deux fournisseurs allemands, la société Versis et la société Hün Agro, avant d'adresser à ces fournisseurs une offre d'achat de 35 000 litres, à laquelle la société Hün Agro a répondu favorablement le 4 avril 2019 pour un volume de 30 000 litres au prix de 11,20 euros le litre. La société soutient qu'à défaut de délivrance de son permis de commerce parallèle, elle a dû décliner cette offre et se retourner vers le fabricant BASF qui lui a livré, entre le 14 juin et le 14 octobre 2019, 27 360 litres du produit autorisé Aranda au prix de 15,30 euros le litre pour 18 720 litres livrés en juin et 14,60 euros le litre pour 8 640 litres livrés en septembre et octobre, soit un prix moyen de 15,08 euros le litre. Toutefois, il ne ressort pas des termes du document du 4 avril 2019, rédigé en langue allemande, qui porte le libellé " facture " (rechnung) et qui mentionne une date de livraison (lieferdatum) au 4 avril 2019 que la société Hün Agro aurait simplement formulé une offre à la société Gritche pour un volume de 30 000 litres du produit Malibu au prix de 11,20 euros et que, contrairement à ce que laissent présumer ces indications, le produit ne lui aurait pas effectivement été cédé et livré. Dès lors, l'appelante n'établit pas que la décision de s'approvisionner auprès de BASF pour le produit autorisé Aranda résulterait directement de la décision de refus qui lui a été opposée par l'administration. Il en est de même du document émis le 23 avril 2020 par la société Hün Agro libellé " facture pro forma " (Proforma invoice), portant sur l'acquisition de 28 080 litres du produit Malibu au prix de 11,30 euros le litre, à laquelle la société Gritche n'établit pas qu'elle aurait finalement renoncé. En tout état de cause, la société n'indique pas le prix de vente à ses propres clients du produit Aranda, dont la comparaison avec le prix de vente à ses clients du produit Flupen serait seule de nature à quantifier son éventuel préjudice de manière certaine. Il en résulte que ce chef de préjudice doit être écarté.
14. En deuxième lieu, la société soutient qu'elle a subi un préjudice moral et commercial lié à l'impact négatif de l'annulation de son offre d'achat sur les relations commerciales établies de longue date avec son fournisseur allemand et sollicite à ce titre une somme de 10 000 euros. Toutefois, ainsi qu'il a été exposé au point précédent, elle n'établit pas que ces relations commerciales auraient cessé alors que, postérieurement au 30 juillet 2018, la société Hün Agro a continué à lui adresser une facture le 4 avril 2019 et une facture pro forma le 23 avril 2020 pour la vente de près de 60 000 litres du produit Malibu. Elle ne produit pas plus d'élément de nature à justifier de ce que les relations commerciales avec sa propre clientèle se seraient dégradées.
15. En dernier lieu, aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 12 avril 2017 fixant le barème de la taxe fiscale affectée perçue par l'ANSES relative à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants, des matières fertilisantes et de leurs adjuvants et des supports de culture : " Les montants perçus par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail lors de la réception d'une demande d'autorisation de mise sur le marché d'un produit phytopharmaceutique ou d'un adjuvant et lors de la réception de demandes de renouvellement, de réexamen et de modification de ces autorisations sont fixés comme suit : / (...) / VI. - Pour une demande de permis de commerce parallèle d'un produit phytopharmaceutique visé à l'article 52 du règlement (CE) n° 1107/2009 susvisé : 1 500 euros par produit et par Etat de provenance partie à l'accord sur l'Espace économique européen. (...) ".
16. La société Gritche est fondée à soutenir que le refus initial de l'ANSES du 30 juillet 2018 de lui renouveler son permis de commerce parallèle pour l'importation depuis l'Allemagne du produit Malibu en raison du même motif que celui qui lui a été opposé dans la décision contestée du 21 juin 2019, qui, ainsi qu'il a été exposé au point 10, est entaché d'erreur d'appréciation, l'a conduite à exposer inutilement la somme de 1 500 euros fixée au VI de l'article 2 de l'arrêté du 12 avril 2017 pour le dépôt d'une nouvelle demande. Dès lors, il y a lieu de fixer à 1 500 euros la somme due par l'ANSES au titre de ce chef de préjudice.
17. Il résulte de ce qui précède que la société Gritche est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions indemnitaires et à demander la condamnation de l'ANSES à lui verser une somme de 1 500 euros.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Gritche, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par l'ANSES, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'ANSES une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Gritche et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1905884 du 15 décembre 2020 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : La décision du 21 juin 2019 de la directrice générale déléguée de l'ANSES et la décision implicite rejetant le recours gracieux formé le 31 juillet 2019 par la société Gritche sont annulées.
Article 3 : L'ANSES est condamnée à verser à la société Gritche une somme de 1 500 euros.
Article 4 : L'ANSES versera à la société Gritche une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Gritche et à l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2023.
Le rapporteur,
Michaël Kauffmann La présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi qu'au ministre du travail, du plein emploi et de la réinsertion, chacun en ce qui les concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX00572
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