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29/06/2023 | FRANCE | N°23BX00633

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 29 juin 2023, 23BX00633


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 29 novembre 2022 par laquelle la préfète de la Gironde lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2206613 du 16 février 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision préfectorale du 29 novembre 2022.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 mars 2023, le préfe

t de la Gironde demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Borde...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 29 novembre 2022 par laquelle la préfète de la Gironde lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2206613 du 16 février 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision préfectorale du 29 novembre 2022.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 mars 2023, le préfet de la Gironde demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 16 février 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée en première instance par M. A....

Il soutient que :

- M. A... s'est maintenu sur le territoire français au-delà du délai de départ volontaire qui lui avait été accordé par décision du 16 juin 2022, notifiée le 20 juin suivant ; l'attestation de demandeur d'asile, délivrée le 27 septembre 2022, n'a eu pour effet que de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à ce que l'Office statue sur la demande de réexamen, conformément à l'article L. 541-3 du code d'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le droit de M. A... de se maintenir provisoirement sur le territoire a cessé à la date de notification de cette décision, sa demande de réexamen ayant été déclarée irrecevable par l'Office, statuant en procédure accélérée en application des dispositions du 2° de l'article L. 531-24 du code précité ;

- l'interdiction de retour est justifiée par le fait qu'il appartenait toujours à M. A... d'exécuter la mesure d'éloignement du 16 juin 2022, redevenue exécutoire le 28 octobre 2022 ; la durée de deux ans de cette interdiction est justifiée par la mesure d'éloignement dont l'intéressé a fait l'objet, par sa durée de présence sur le territoire français qui ne s'explique que par les délais d'instruction de sa demande d'asile, et par l'absence de liens particuliers en France.

Par un mémoire enregistré le 3 mai 2023, M. A..., représenté par Me Aymard, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de réexaminer sa situation en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, et à ce que soit mise à la charge de l'Etat au bénéfice de son avocat une somme de 1 200 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que c'est à bon droit que la première juge a annulé la décision, et qu'au demeurant, l'interdiction de retour est disproportionnée au regard des risques qu'il encourt en cas de retour en Turquie, dont l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a fait une analyse superficielle.

Par une décision du 11 mai 2023, M. A... a obtenu le maintien de l'aide juridictionnelle totale qui lui avait été accordée par décision du 24 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., de nationalité turque, né le 7 juin 1979 à Mus (Turquie), est entré sur le territoire français le 10 mai 2021 afin de solliciter l'asile. Par une décision du 30 septembre 2021, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande. Par une décision du 1er juin 2022, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a rejeté le recours formé par M. A.... Par un arrêté du 16 juin 2022, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de renvoi. Le 27 septembre 2022, M. A... a sollicité le réexamen de sa demande d'asile auprès de l'OFPRA, lequel a conclu à l'irrecevabilité de sa demande le 27 octobre 2022. Par une décision du 29 novembre 2022, la préfète de la Gironde a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Saisie par M. A..., la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux, a, par un jugement du 16 février 2023, dont le préfet de la Gironde relève appel, annulé la décision du 29 novembre 2022.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le premier juge :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 612-7 du code d'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 521-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile (...) ". Aux termes de l'article L. 541-2 de ce code : " L'attestation délivrée en application de l'article L. 521-7, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la Cour nationale du droit d'asile statuent. ". Aux termes de l'article L. 541-3 du même code : " Sans préjudice des dispositions des articles L. 753-1 à L. 753-4 et L. 754-1 à L. 754-8, lorsque l'étranger sollicitant l'enregistrement d'une demande d'asile a fait l'objet, préalablement à la présentation de sa demande, d'une décision d'éloignement prise en application du livre VI, cette dernière ne peut être mise à exécution tant que l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français, dans les conditions prévues aux articles L. 542-1 et L. 542-2. ". Aux termes de l'article L. 542-2 du même code : " (...) le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : / 1° Dès que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris les décisions suivantes : (...) b) une décision d'irrecevabilité en application du 3° de l'article L. 531-32 (...) ". Aux termes de l'article L. 531-32 de ce code : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides peut prendre une décision d'irrecevabilité écrite et motivée, sans vérifier si les conditions d'octroi de l'asile sont réunies, dans les cas suivants : (...) 3° En cas de demande de réexamen lorsque, à l'issue d'un examen préliminaire effectué selon la procédure définie à l'article L. 531-42, il apparaît que cette demande ne répond pas aux conditions prévues au même article ". Aux termes de l'article L. 531-42 : " A l'appui de sa demande de réexamen, le demandeur indique par écrit les faits et produit tout élément susceptible de justifier un nouvel examen de sa demande d'asile. / L'Office français de protection des réfugiés et apatrides procède à un examen préliminaire des faits ou des éléments nouveaux présentés par le demandeur, intervenus après la décision définitive prise sur une demande antérieure ou dont il est avéré qu'il n'a pu en avoir connaissance qu'après cette décision. / Lors de l'examen préliminaire, l'office peut ne pas procéder à un entretien. / Lorsque, à la suite de cet examen préliminaire, l'office conclut que ces faits ou éléments nouveaux n'augmentent pas de manière significative la probabilité que le demandeur justifie des conditions requises pour prétendre à une protection, il peut prendre une décision d'irrecevabilité. "

4. Pour annuler la décision d'interdiction de retour sur le territoire français, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a relevé que, si M. A... a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le 16 juin 2022, il a été ensuite mis en possession d'une attestation de demandeur d'asile en raison du dépôt, le 27 septembre 2022, d'une demande de réexamen de sa demande d'asile, que ce document valait autorisation provisoire de séjour et que la préfète de la Gironde ne pouvait se fonder, pour ce motif, sur la circonstance que M. A... n'avait pas exécuté l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre.

5. Toutefois, l'attestation de demandeur d'asile qui a été délivrée à M. A... n'a pas pour effet d'abroger la décision portant obligation de quitter le territoire français prise auparavant, mais fait seulement obstacle, en application des dispositions précitées de l'article L. 541-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'exécution de l'éloignement. Il ressort des pièces du dossier que le droit de M. A... de se maintenir sur le territoire français, qui résulte de l'attestation de demandeur d'asile qui lui a été délivrée le 27 septembre 2022, a pris fin, en application de l'article L. 542-2 du même code, le 27 octobre 2022, date à laquelle l'OFPRA a rendu une décision d'irrecevabilité sur sa demande tendant au réexamen de sa demande d'asile.

6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Gironde est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision d'interdiction de retour sur le territoire français du 29 novembre 2022 au motif qu'il ne pouvait être reproché à M. A... de ne pas avoir exécuté l'obligation de quitter le territoire français du 16 juin 2022.

7. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés en première instance par M. A... à l'encontre de la décision du 29 novembre 2022 de la préfète de la Gironde.

8. En premier lieu, la décision en litige est signée par Mme D... E..., cheffe du bureau de l'asile et du guichet unique de la préfecture, qui a reçu délégation à cet effet par arrêté préfectoral du 5 octobre 2022, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Gironde consultable sur le site Internet de la préfecture. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision litigieuse doit être écarté.

9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision faisant obligation à M. A... de quitter le territoire français, édictée le 16 juin 2022, a été régulièrement notifiée à l'adresse communiquée par l'intéressé à la préfecture, et a été retournée à l'expéditeur, le 18 juillet 2022, avec la mention " pli avisé et non réclamé ". Elle est donc réputée régulièrement notifiée. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que, la décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois ne lui étant pas opposable faute de lui avoir été notifiée, le préfet ne pouvait édicter à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français doit être écarté.

10. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 5, la délivrance d'une attestation de demandeur d'asile n'a pas pour effet d'abroger la décision portant obligation de quitter le territoire français prise auparavant. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-7 du code d'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. (...) / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

12. Il ressort de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elle énumère, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.

13. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., présent sur le territoire français depuis le 10 mai 2021 afin de solliciter l'asile, ne justifie pas de liens particuliers, anciens et stables sur le territoire français. Il a par ailleurs fait l'objet d'une mesure d'éloignement le 16 juin 2022 qu'il n'a pas exécutée. La circonstance qu'il aurait fait l'objet, en tant que ressortissant turc d'origine kurde, de condamnations à des peines d'emprisonnement pour avoir usé de sa liberté d'expression, à la supposer établie, n'est pas de nature à démontrer que l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans qui a été prise à son encontre et qui est seule en litige, serait disproportionnée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 612-7 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

14. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Gironde est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 16 février 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision du 29 novembre 2022.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'avocat de M. A... demande sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 16 février 2023 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Bordeaux et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. C... A... et à Me Aymard. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 juin 2023.

Le rapporteur,

Olivier B... La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00633
Date de la décision : 29/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : AYMARD

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-06-29;23bx00633 ?
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