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26/05/2023 | FRANCE | N°22BX02194

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (juge unique), 26 mai 2023, 22BX02194


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée le 10 mai 2019, le centre hospitalier universitaire de Limoges (CHU) a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner in solidum la société à responsabilité limitée Pastorino transitique prise en la personne de son liquidateur, la société Malmezat-Prat-Lucas-Dabadie, et la société Rohrposttecknick, Fernmel-de-und Uhrenanlagen Bruno Hörtig à lui verser la somme de 555 061,52 euros TTC au titre d'un contrat de réalisation d'un réseau de transport pneumatique, ain

si que les sommes de 27 101,40 euros

et 10 000 euros sur le fondement des ar...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée le 10 mai 2019, le centre hospitalier universitaire de Limoges (CHU) a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner in solidum la société à responsabilité limitée Pastorino transitique prise en la personne de son liquidateur, la société Malmezat-Prat-Lucas-Dabadie, et la société Rohrposttecknick, Fernmel-de-und Uhrenanlagen Bruno Hörtig à lui verser la somme de 555 061,52 euros TTC au titre d'un contrat de réalisation d'un réseau de transport pneumatique, ainsi que les sommes de 27 101,40 euros

et 10 000 euros sur le fondement des articles R. 761-1 et L761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1900814 du 20 janvier 2022, le tribunal a condamné solidairement la société à responsabilité limitée Pastorino transitique prise en la personne de son liquidateur la société Malmezat-Prat-Lucas-Dabadie, et la société Rohrposttecknick, Fernmel-de-und Uhrenanlagen Bruno Hörtig à verser au CHU de Limoges les sommes de 555 061,52 euros, 6 966,60 euros et 1 500 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 août 2022 sous le n° 22BX02194, et des mémoires enregistrés le 21 avril, 11 mai et 16 mai 2023, la société Rohrposttecknick, Fernmel-de-und Uhrenanlagen Bruno Hörtig, représentée par la SELARL Strat avocats (Me Gaël), qui a relevé appel de ce jugement par une requête enregistrée le 18 mars 2022 sous le n° 22BX00923, demande à la cour d'en ordonner le sursis à exécution, et de mettre à la charge du CHU de Limoges une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code

de justice administrative.

Elle soutient que :

- ses conclusions d'appel sont recevables, quand bien même elle n'avait pas défendu en première instance ;

- ses moyens sont sérieux et de nature à justifier le sursis sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative ;

- les conséquences difficilement réparables résultent de l'ampleur de la condamnation, qui représente 22,4 % de son chiffre d'affaires global et 173 % de son chiffre d'affaires en France ; la cessation de l'activité de la société Hörtig en France aurait pour conséquences l'arrêt des livraisons de pièces détachées pour plus de cent cinquante clients, représentant environ mille cinq cent installations et comprenant quarante-deux centres hospitaliers, qui seront contraints de remplacer leurs installations dans un délai allant de un à trois ans ; le système de santé français subirait dès lors un préjudice estimé à six millions d'euros, entraînant de surcroît une désorganisation complète de la logistique des prélèvements des sites hospitaliers clients ; elle doit rembourser un prêt en lien avec la pandémie de Covid à hauteur de 55 555,55 euros chaque année ; elle doit faire face à divers impayés, dont 39 000 euros par le CHU de Limoges ; elle a enregistré un déficit global en 2020 et le bénéfice limité de l'année 2021 ne permet pas de régler le montant de la condamnation ; en l'absence de sursis à exécution, elle pourrait être amenée à cesser définitivement son activité ; la société Pastorino a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 16 décembre 2015, si bien que l'intégralité de la condamnation solidaire restera à sa charge ; le CHU pourrait bénéficier à la fois de la condamnation de l'assureur de la société Pastorino, par jugement du tribunal judiciaire de Limoges pour 148 888,48 euros, et du jugement contesté, ce qui constituerait un enrichissement sans cause ; à supposer même qu'il ne se voie réclamer que le solde, les conséquences n'en sont pas moins difficilement réparables ;

- ses moyens sont sérieux ;

- le jugement est irrégulier car rendu sur le fondement d'une expertise irrégulière, l'expert s'étant prononcé sur la question de droit de sa responsabilité dans les désordres allégués ; en outre, le tribunal a considéré, sans aucune motivation, que la société Hörtig devait être considérée comme constructeur du fait de sa prétendue qualité de concepteur, fabricant et fournisseur du réseau pneumatique et du logiciel ; il a omis d'examiner son moyen tiré de ce que la notification de la requête du CHU était irrégulière, qu'il n'a au demeurant pas visé ; il n'a pas davantage visé son mémoire enregistré le 5 janvier 2022 qui présentait également ce moyen ; une notification par voie postale et non accompagnée d'une traduction en allemand est contraire à la Convention européenne du Conseil de l'Europe du 24 novembre 1977, entrée en vigueur le 1er novembre 1982 et ratifiée par la France et l'Allemagne, qui prévoit les modalités de notification à l'étranger des documents en matière administrative ;

- la responsabilité décennale de la société Hörtig ne saurait être engagée en ce qu'elle n'a pas la qualité de constructeur, en l'absence de contrat de louage d'ouvrage au sens de

l'article 1792-1-1° du code civil, de vente après achèvement d'un ouvrage au sens de

l'article 1792-2-2° du même code, de mandat avec le propriétaire de l'ouvrage au sens du 3° du même article, et de reconnaissance de la qualité de fabricant, de concepteur ou de fournisseur au sens de l'article 1792-4 du code civil ;

- en outre, les éléments de matériel fournis ne sauraient être qualifiés d'ouvrage, de partie d'ouvrage ou d'élément d'équipement ; elle a vendu à la société Pastorino une partie seulement du matériel nécessaire à l'installation du réseau pneumatique (neuf sur quatorze produits), ainsi que le logiciel d'exploitation ;

- les modalités de réception de l'installation conduisent également à écarter sa responsabilité décennale, car la réserve émise le 20 mai 2015 quant à la mise en compatibilité avec la norme IEEE.802.3 concerne le logiciel informatique et n'a pas été levée le 17 août 2015 ; s'il était estimé que cette réserve ne concerne pas les dysfonctionnements liés à la nécessité d'évolution du logiciel informatique, les désordres, notamment les malfaçons de la société Pastorino, étaient apparents lors de la réception ;

- avant la nouvelle commande du CHU pour mise en compatibilité avec la norme précitée, laquelle n'était pas prévue au cahier des charges, le logiciel fonctionnait ; la société Pastorino n'a pas respecté ses préconisations d'installation ; ainsi les désordres ne lui sont pas imputables ;

- le tribunal a inexactement apprécié le préjudice subi, alors que si certaines factures acquittées ont été produites, le complément de coût des travaux demandés par le CHU ne résulte que de devis, et il en va de même pour les travaux restant à effectuer ; au demeurant les travaux engagés visent à rendre le logiciel conforme à la norme, ce qui ajoute un élément qui n'était pas prévu à la commande ; seuls 36 163,42 euros pouvaient être demandés pour la remise en état ; les sommes réclamées au titre des charges salariales pour substituer le dysfonctionnement du système de collecte des prélèvements ont varié et ne sont justifiées que pour 2016, et non

pour 2017, et il n'est pas certain que l'intégralité des activités des agents concernés doive être imputée au désordre en cause ; le CHU de Limoges ne saurait faire peser sur l'appelante les conséquences du délai d'acheminement des prélèvements et de la dégradation de la qualité de service, alors que ce délai n'a pas augmenté suite au dysfonctionnement du réseau et que le CHU justifie lui-même avoir mandaté un certain nombre d'agents pour assurer la gestion des prélèvements ; le calcul du montant du préjudice lié à la perte de qualité de service proposé par le CHU (0.15 ‰ ) du budget annuel) est injustifié, ce préjudice est inexistant ; enfin, le CHU de Limoges ne démontre pas qu'il n'a pas récupéré la taxe sur la valeur ajoutée s'agissant des factures produites ;

- la solidarité n'est pas justifiée et il y a lieu de procéder à une répartition des responsabilités.

Des mémoires ont été présentés pour le CHU de Limoges les 22 mars et 12 mai 2023, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la société requérante au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens présentés sur le fondement de l'article R.811-17 du code de justice administrative doivent être rejetés comme inopérants, alors que pour un jugement de condamnation pécuniaire la situation relevait de l'article R.811-16 ;

- la société ne justifie pas de conséquences difficilement réparables au regard de son chiffre d'affaires global, seul à prendre en compte, et ne précise pas ses résultats ; il n'est pas établi qu'elle devrait cesser son activité en France, ou que les clients qu'elle y aurait devraient subir des préjudices en conséquence du paiement des sommes dues à la suite des erreurs commises au CHU de Limoges par la société ; les pièces en langue allemande doivent être écartées des débats ;

- au demeurant le CHU a assigné l'assureur de la société Pastorino devant la juridiction judiciaire pour obtenir une partie des sommes dues ; la liquidation judiciaire de

la société Pastorino n'est pas encore prononcée, et la créance pourra être ajoutée au passif de la société ;

- les conclusions de la société Hörtig tendant à voir écarter sa responsabilité décennale, rejeter la demande de condamnation et la solidarité, et fixer le quantum des responsabilités sont irrecevables comme présentées pour la première fois en appel ;

- les moyens ne sont pas sérieux : [0]la convention du Conseil de l'Europe invoquée n'est pas applicable, et le moyen tiré de sa méconnaissance est donc inopérant, le tribunal administratif n'avait pas à répondre à des lettres de constitution, l'irrégularité de l'expertise ne peut être invoquée pour la première fois en appel, la société est bien concepteur d'une partie d'ouvrage et fabricant, ses équipements sont indispensables, le dessin d'assemblage a été fait par la société Hörtig sur la base des documents du marché, le CCTP précisait les exigences pour chaque élément, le fait que la société Pastorino ait violé les préconisations de son fournisseur est sans incidence, le CHU n'avait pas connaissance des désordres lors de la réception, les réserves ne concernaient pas la version du logiciel installé, les désordres liés à une version non aboutie du logiciel et à des cartes électroniques hors service sont bien du fait de la société Hörtig, les préjudices dont l'indemnisation est demandée sont conformes aux évaluations de l'expert et justifiés, les travaux de mise en conformité à la norme IEE ont été rendus nécessaires en raison d'une carence initiale de la société Hörtig, la remise en état a été payée pour 86 868,48 euros,

les 4 coursiers ont été engagés pour suppléer la défaillance des envois par pneumatique et l'ingénieur était nécessaire pour le suivi de la remise en état, les charges salariales sont justifiées sans qu'il soit utile de communiquer les contrats de travail, les dépenses effectivement exposées pour pérenniser le réseau ont été légèrement inférieures aux estimations de l'expert et devront être ramenées de 69 644,78 euros à 44 090,59 euros TTC, le préjudice lié au retard de deux ans et demi dans la mise en service, entraînant des retards d'acheminement et une perte de qualité de service, est réel et son évaluation à 0,5 millièmes du budget annuel, soit 75 000 euros, est raisonnable, le préjudice devait bien être calculé TVA incluse s'agissant de travaux qui ne sont pas exonérés de cette taxe, la solidarité est justifiée, et subsidiairement le quantum de 50 % de responsabilité également ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité quasi-délictuelle de la société Hörtig pourrait être engagée dès lors que le vice de conception de la version du logiciel initialement installée

a nécessairement méconnu les règles de l'art ;

- il est en droit de solliciter l'actualisation de son préjudice à 529 674,63 euros et des intérêts au taux légal majoré à compter du jugement.

La clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 17 mai 2023 par une ordonnance du 12 mai 2023.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 25 mai 2023 :

- le rapport de Mme B... A... ;

- et les observations de Me Dupont, représentant la société Hörtig et de Me Gévaudan, représentant le CHU de Limoges, qui reprennent oralement les moyens de leurs mémoires.

Considérant ce qui suit :

1. Le CHU de Limoges a commandé en mai 2014 à la société Pastorino Transitique (ci-après " Pastorino ") un réseau de transport pneumatique permettant de transférer des prélèvements réalisés par les services de soins dans quatre zones A, B, C et D de l'hôpital Dupuytren et dans l'hôpital mère-enfant (HME) vers le laboratoire situé dans un autre bâtiment dénommé Biologie santé (BBS). Le lot unique de ce marché, dont le CHU a assuré la maîtrise d'œuvre, portait sur la création et l'installation du réseau, la fourniture et le paramétrage d'un logiciel d'exploitation, et la maintenance. La société Pastorino s'est procuré le logiciel ainsi que la plupart des matériels auprès de la société allemande Rohrposttecknick, Fernmel-de-und Uhrenanlagen Bruno Hörtig (ci-après Hörtig), dont le siège est à Bayreuth. L'installation a été réceptionnée le 20 mai 2015, avec des réserves qui ont été levées le 17 août 2015, sauf en ce qui concerne la mise en conformité avec la norme européenne pour les réseaux Ethernet IEEE 802.3 utilisée pour le réseau local du CHU, laquelle devait être effectuée avant le 31 décembre 2015. Des dysfonctionnements ont été signalés le 5 octobre 2015, qui n'ont pu être résolus malgré l'intervention par téléassistance et téléphone de la société Hörtig, et l'installation a dû être mise à l'arrêt à la demande du maître de l'ouvrage le 20 novembre 2015, pour éviter tout risque sanitaire. En décembre 2015, la société Pastorino a été placée en liquidation judiciaire.

2. Le CHU a sollicité une expertise, dont les opérations ont été étendues à la société Hörtig, à la demande de l'assureur de la société Pastorino, le 3 août 2016. Au vu du rapport déposé le 30 avril 2018, le CHU de Limoges a saisi le tribunal administratif au fond d'une demande de condamnation solidaire des sociétés Pastorino et Hörtig, au titre de la responsabilité décennale, à l'indemniser des préjudices causés par les désordres à hauteur de 555 061,52 euros. La société Hörtig, qui n'avait pas produit de défense devant le tribunal, a relevé appel sous le n°22BX00923 du jugement la condamnant, solidairement avec la société Pastorino, à verser cette somme au CHU, et demande par la présente requête, présentée après réception de relances du comptable du CHU, qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur la recevabilité des conclusions de la société requérante :

3. L'article R. 811-1 du code de justice administrative dispose que : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. " Il résulte de ces dispositions que la société requérante, qui avait la qualité de défendeur en première instance, est recevable à interjeter appel du jugement quand bien même elle n'avait pas produit devant le tribunal. Le CHU n'est ainsi pas fondé à soutenir qu'elle ne pourrait présenter en appel tout moyen nouveau. Par suite, la société requérante est recevable à invoquer aussi tout moyen à l'appui de ses conclusions tendant au sursis à l'exécution du jugement.

Sur les conditions du sursis :

4. Aux termes de l'article R. 811-14 du code de justice administrative : " Sauf dispositions particulières, le recours en appel n'a pas d'effet suspensif... ". Aux termes de l'article R. 811-15 du même code: " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ". L'article R.811-16 prévoit que : " Lorsqu'il est fait appel par une personne autre que le demandeur en première instance, la juridiction peut, à la demande de l'appelant, ordonner sous réserve des dispositions des articles R. 533-2 et R. 541-6 qu'il soit sursis à l'exécution du jugement déféré si cette exécution risque d'exposer l'appelant à la perte définitive d'une somme qui ne devrait pas rester à sa charge dans le cas où ses conclusions d'appel seraient accueillies. " L'article R. 811-17 du même code dispose : " Dans les autres cas, le sursis peut être ordonné à la demande du requérant si l'exécution de la décision de première instance attaquée risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l'état de l'instruction ". Enfin, aux termes de l'article R. 222-25 du même code : " Les affaires sont jugées soit par une chambre siégeant en formation de jugement, soit par une formation de chambres réunies, soit par la cour administrative d'appel en formation plénière, qui délibèrent en nombre impair. / Par dérogation à l'alinéa précédent, le président de la cour ou le président de chambre statue en audience publique et sans conclusions du rapporteur public sur les demandes de sursis à exécution mentionnées aux articles R. 811-15 à R. 811-17. ".

En ce qui concerne le fondement de la demande :

5. Lorsqu'une société, défenderesse en première instance, a été condamnée par un tribunal à payer une somme à une collectivité publique, elle peut demander qu'il soit sursis

à l'exécution du jugement de condamnation tant sur le fondement de l'article R.811-16 précité du code de justice administrative, si les conditions en sont remplies, que sur celui de

l'article R. 811-17. Par suite, le CHU n'est pas fondé à soutenir que les moyens présentés

sur le fondement exclusif de l'article R.811-17 seraient inopérants.

En ce qui concerne les conséquences difficilement réparables :

6. La société Hörtig fait valoir que la condamnation solidaire prononcée par le tribunal au bénéfice du CHU de Limoges pour la somme totale de 563 528,12 euros risque de demeurer entièrement à sa charge du fait de la mise en liquidation judiciaire de la société Pastorino transitique. Quand bien même le CHU de Limoges a obtenu en cours d'instance la condamnation par la juridiction judiciaire de l'assureur de cette dernière à verser la somme de 148 888,48 euros, par un jugement du 6 avril 2023 qui retient le plafond du contrat d'assurance en matière de préjudices immatériels, le solde susceptible d'être réclamé à la société Hörtig reste très important au regard des résultats dégagés par cette société en 2020 et 2021, ce qui est manifestement de nature à occasionner a minima de très sévères difficultés de trésorerie. Dans ces conditions, et alors même que les conséquences indirectes sur le suivi des marchés avec d'autres hôpitaux en France ou sur la cessation d'activité complète de la société requérante ne sont pas établies, celle-ci doit être regardée comme justifiant de conséquences difficilement réparables au sens de l'article R.811-17 précité du code de justice administrative.

En ce qui concerne les moyens sérieux :

7. Aux termes de l'article 1792-4 du code civil : " Le fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en œuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou élément d'équipement considéré./Sont assimilés à des fabricants pour l'application du présent article : Celui qui a importé un ouvrage, une partie d'ouvrage ou un élément d'équipement fabriqué à l'étranger ; Celui qui l'a présenté comme son œuvre en faisant figurer sur lui son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif.

8. Le tribunal a estimé, en se fondant sur les conclusions de l'expertise ordonnée en référé, que la société Hörtig avait été à la fois la conceptrice, la fabricante et le fournisseur de tout le matériel constituant le réseau pneumatique et notamment du logiciel indispensable au fonctionnement du réseau pneumatique. Alors même qu'elle n'aurait fourni en réalité qu'une partie du matériel, sa qualité de concepteur du logiciel, qui doit être regardé comme un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, la rend potentiellement solidairement responsable du locateur d'ouvrage en vertu des dispositions précitées.

9. En revanche, la portée de la réserve formulée lors des opérations de réception quant à la compatibilité du logiciel du système pneumatique avec la norme Ethernet 802.3, à lever avant le 31 décembre 2015, n'est pas claire et la nécessité de cette compatibilité est à l'origine d'une proposition de changement de version du logiciel qui apparait avoir contribué aux dysfonctionnements constatés. Dans ces conditions, et alors que l'absence de précision sur ce point dans le CCTP n'exonérerait pas le concepteur de s'assurer de façon générale du respect des règles de l'art, le moyen tiré de ce que la responsabilité décennale ne pouvait être engagée en l'absence de levée de la réserve paraît, en l'état, sérieux.

10. En outre, le tribunal administratif, qui n'a pas admis l'intervention de l'assureur de la société Pastorino en l'absence de défense de cette dernière, a fait droit aux demandes du CHU en estimant les montants des préjudices non contestés. Il résulte toutefois de l'instruction que le CHU admet une surestimation par l'expert des travaux restant à réaliser pour assurer le fonctionnement du réseau à la date du dépôt du rapport, et reconnait au vu des factures que le montant correspondant doit être diminué d'environ 25 000 euros. En outre, le tribunal a fait droit aux demandes concernant les salaires des personnes dédiées au transport des prélèvements médicaux entre les bâtiments pendant la période d'indisponibilité du réseau pneumatique et de l'ingénieur chargé du suivi de l'opération pour un total de 323 715,56 euros, sur la base de documents dont la société Hörtig est fondée à soutenir, en l'état, qu'ils ne suffisent pas à établir le quantum de leur activité en lien avec les désordres litigieux. Enfin, il a indemnisé un préjudice de 75 000 euros correspondant au " coût des charges liées au délai d'achèvement plus long du marché ", évalué forfaitairement à 0,15 millièmes du budget annuel de l'hôpital, dont la société requérante parait fondée à soutenir que la réalité n'est pas établie en l'absence de démonstration d'une quelconque " perte de qualité de service ". En l'état, le moyen tiré d'une surestimation des montants des préjudices du CHU doit donc également être retenu comme sérieux.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et alors que le moyen tiré en défense de ce qu'à défaut de responsabilité décennale, la responsabilité quasi-délictuelle de la société Hörtig pourrait être engagée n'est pas assorti d'une démonstration étayée, que les conditions posées par l'article R.811-17 du code de justice administrative étant réunies, la société Hörtig est fondée à demander qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 20 janvier 2022, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête n° 22BX00923, il est sursis à l'exécution du jugement n° 1900814 du tribunal administratif de Limoges du 20 janvier 2022.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Rohrposttecknick, Fernmel-de-und Uhrenanlagen Bruno Hörtig, à la SELARL Malmezat-Prat, Lucas, Dabadie, mandataire liquidateur de la société Pastorino, et au centre hospitalier universitaire de Limoges.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mai 2023.

La présidente de chambre,

B... A... La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX02194


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (juge unique)
Numéro d'arrêt : 22BX02194
Date de la décision : 26/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Avocat(s) : GAËL

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-05-26;22bx02194 ?
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