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24/02/2023 | FRANCE | N°23BX00153

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (juge unique), 24 février 2023, 23BX00153


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SELAS Pharmacie MSR Terreville a demandé au tribunal administratif de la Martinique :

- sous le n° 2100594 :

1°) d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2021 par lequel l'Agence Régionale de Santé de la Martinique (ARS) a prolongé d'un an le délai accordé par la licence de transfert

de l'officine de pharmacie de la Selarl Pharmacie B... située à Schœlcher ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de

justice administrative.

- et sous le n° 2100701 :

1°) d'annuler l'arrêté du 18 septembre 2019 par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SELAS Pharmacie MSR Terreville a demandé au tribunal administratif de la Martinique :

- sous le n° 2100594 :

1°) d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2021 par lequel l'Agence Régionale de Santé de la Martinique (ARS) a prolongé d'un an le délai accordé par la licence de transfert

de l'officine de pharmacie de la Selarl Pharmacie B... située à Schœlcher ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

- et sous le n° 2100701 :

1°) d'annuler l'arrêté du 18 septembre 2019 par lequel l'agence régionale de santé de la Martinique a accordé une licence à M. B... pour le transfert de son officine vers

le centre médical Village Santé situé 1, résidence Grand Village - Terreville, à Schœlcher ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2100594 et 2100701 du 22 décembre 2022, le tribunal administratif de la Martinique a joint les requêtes, rejeté la seconde comme tardive, et annulé l'arrêté du 14 septembre 2021 en tant que la prolongation du délai d'exécution du transfert dépasse 6 mois et demi.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 janvier 2023 sous le n° 23BX00153, et un mémoire enregistré le 15 février 2023, la Selarl Pharmacie B..., représentée par la société d'avocats FIDAL, qui a fait appel de ce jugement par une requête enregistrée sous le n° 23BX00142, demande à la cour d'en ordonner le sursis à exécution et de mettre à la charge de la Pharmacie MSR de Terreville une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été autorisée le 18 septembre 2019 à transférer son officine au sein du même quartier de Terreville vers le centre médical Village Santé ; en raison du contexte sanitaire et du retard pris dans les travaux, elle a sollicité en mars 2021 puis en septembre

une prolongation du délai d'installation pour force majeure, qui lui a été accordée pour un an par la décision en litige du 14 septembre 2021; l'officine a ouvert le 17 septembre 2022, dans le délai prolongé ;

- la demande de sursis est justifiée par des moyens sérieux au sens de

l'article R. 811-15 du code de justice administrative ;

- la requérante de première instance n'avait pas intérêt à agir contre la seule prolongation de l'autorisation de transfert ;

- le tribunal n'a pas répondu à sa demande subsidiaire, formulée après prise de connaissance du sens des conclusions du rapporteur public et confirmée dans une note en délibéré, de différer dans le temps les effets d'une éventuelle annulation de la prolongation pendant au moins sept mois, afin de permettre à la population d'être desservie pendant le délai nécessaire à l'instruction d'une nouvelle demande ;

- il a inexactement apprécié les conséquences de la pandémie de Covid-19 en estimant qu'une prorogation pour force majeure du délai de transfert n'était justifiée qu'au prorata des périodes de confinement qu'elle a entraînées, soit six mois et demi, et ainsi méconnu l'article L.5125-19 du code de la santé publique ; aucune disposition ne limite la durée de la prolongation, dont l'ARS peut apprécier souverainement l'opportunité ; les quatre périodes de confinement d'une durée totale de 199 jours pendant lesquelles les déplacements de la population étaient limités ne sont pas seules à devoir être prises en compte, alors que les professionnels pouvaient être atteints par le virus ou faire l'objet de mesures d'isolement, et que les pénuries de matériaux affectaient également les chantiers ; la circonstance qu'elle ait attendu l'expiration des délais de recours contre l'autorisation de transfert ne pouvait lui être reprochée, ni faire obstacle à ce que la force majeure soit retenue ensuite ; il en va de même pour le délai de réalisation de l'étude de sol, laquelle conditionnait la suite du chantier, pour laquelle elle n'a pas tardé à solliciter des devis ;

- l'annulation de la prolongation du délai de mise en œuvre du transfert entraîne des conséquences difficilement réparables au sens de l'article R. 811-17 du code de justice administrative : 2 400 personnes au moins ne seront plus ou moins bien desservies, avec des problèmes d'accessibilité (pas de transports en commun, cheminements piétons entravés par des marches ou le franchissement d'une ravine ou un dénivelé important) ; par ailleurs, ses salariés ne pourront plus travailler, elle devra faire face à des charges fixes importantes, et l'ordre des pharmaciens risque de la radier en l'absence d'autorisation de transfert ;

- sa demande était recevable car la Pharmacie Grand Village est le nom commercial de la SELARL Pharmacie B..., qui seule a la personnalité morale ;

- elle a déposé une nouvelle demande en janvier 2023 mais ne pourra obtenir une décision avant le mois de mai ni ouvrir avant le mois d'août, alors qu'elle supporte des charges importantes ;

-la pharmacie de Terreville a saisi le tribunal d'une nouvelle requête tendant à l'annulation du refus implicite de l'ARS de constater la caducité de l'autorisation de transfert.

Par des mémoires enregistrés les 4 et 20 février 2023, la Pharmacie MSR Terreville, représentée par le cabinet Overeed AARPI, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la Selarl Pharmacie B... d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a formé appel incident contre le rejet de sa demande dirigée contre l'autorisation de transfert et conteste au fond l'admission par le tribunal de la force majeure pour six mois et demi ;

- l'appel et la demande de sursis à exécution sont irrecevables, car l'autorisation de transfert a été délivrée à M. B... et non à une société, et c'est M. B... qui était partie en première instance ;

- elle avait bien intérêt pour agir en première instance contre l'autorisation de transfert et sa prolongation, qui sont interdépendantes et ont les mêmes effets ;

- le tribunal n'était pas tenu de répondre à des conclusions en défense présentées après la clôture de l'instruction ; au demeurant, la modulation dans le temps d'une telle annulation méconnaît le principe de légalité et n'était pas justifiée au regard de la possibilité de desservir la population depuis l'ancien local, d'ailleurs réintégré par M. B... en janvier 2023 ;

- la force majeure n'est pas justifiée alors que l'interdiction d'activité dans le secteur du bâtiment n'a duré que deux mois et que M. B... n'a pas fait diligence ;

- les conditions du sursis prévues à l'article R. 811-17 du code de justice administrative ne sont pas réunies ; ces dispositions ne concernent pas le contentieux

de transfert d'officine qui relève de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.

M. B..., qui avait ouvert son nouveau local avant la fin des travaux, a réintégré son ancien local un mois après le jugement, si bien que la desserte de la population reste assurée ; étant propriétaire du nouveau local via une SCI, il n'encourt aucun risque de la part de son bailleur ; la circonstance qu'il aurait demandé une nouvelle autorisation de transfert est sans incidence sur le présent litige.

La requête a été communiquée à l'ARS de la Martinique, qui n'a pas produit

de mémoire.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 24 février 2023 :

- le rapport de Mme D... A... ;

- les observations de Me Daver, représentant la Selarl Pharmacie B... et de Me Chaudry Shouq, représentant la Selas Pharmacie MSR Terreville, qui reprennent oralement les moyens de leurs mémoires.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., gérant de la Selarl Pharmacie B... située dans le quartier

de Terreville à Schœlcher, a obtenu l'autorisation, par arrêté du directeur de l'ARS de la Martinique du 18 septembre 2019, de transférer son officine à 500 mètres du précédent local vers un centre médical à créer pour lequel il avait obtenu le 14 mai 2019, via une SCI dont il est co-gérant, un permis de construire. Il a sollicité en mars 2021 une prolongation pour force majeure du délai de deux ans qui lui était imparti pour ouvrir le nouveau local, et a confirmé cette demande le 9 septembre 2021 à l'approche de l'échéance. Une prolongation lui a été accordée par l'ARS le 14 septembre 2021 pour un an, en raison des conséquences de la pandémie de Covid-19. La pharmacie a ouvert dans le nouveau local le 17 septembre 2022.

2. La Selas Pharmacie MSR Terreville, seule autre pharmacie à desservir le quartier de Terreville, a contesté la décision de prolongation de délai devant le tribunal administratif de la Martinique, puis a demandé également en novembre 2021 l'annulation de l'autorisation initiale de transfert du 18 septembre 2019. Le tribunal a joint les deux affaires, et par un jugement du 22 décembre 2022, a rejeté comme tardive cette deuxième requête, mais a annulé la prolongation du délai de transfert en tant qu'il dépassait six mois et demi, au motif

que l'ARS avait fait une appréciation excessive de la durée de la période pendant laquelle la force majeure pouvait être invoquée. La Selarl Pharmacie B..., qui a relevé appel de ce jugement en tant qu'il a prononcé cette annulation, demande par la présente requête qu'il soit sursis à son exécution dans cette mesure.

3. Aux termes de l'article R. 811-15 du code de justice administrative : " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ". Selon les termes de l'article R. 811-17 du même code : " Dans les autres cas, le sursis peut être ordonné à la demande du requérant si l'exécution de la décision de première instance attaquée risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l'état de l'instruction ".

Sur la fin de non-recevoir :

4. Aux termes de l'article R.811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. "

5. Il ressort des pièces de première instance et du jugement que la requête

de la société Pharmacie MSR Terreville a été communiquée à la société d'exercice libéral

à responsabilité limitée Pharmacie B..., dont le nom commercial est Pharmacie Grand Village créée par M. B... et son associé M. C..., et que c'est " la pharmacie Grand Village " qui a produit le mémoire en défense pour la pharmacie B..., représentée par M. B..., son gérant. La société Pharmacie B... doit ainsi être regardée comme partie en première instance, alors même que l'arrêté autorisant le transfert et l'arrêté de prolongation du délai ne visent qu'une demande de M. B.... Elle est donc recevable à interjeter appel du jugement et à en solliciter le sursis à exécution. La fin de non-recevoir opposée par la société Pharmacie MSR Terreville ne peut ainsi qu'être rejetée.

Sur les conditions du sursis :

6. Aux termes de l'article L. 5125-14 du code de la santé publique : " Le transfert d'une officine de pharmacie peut s'effectuer, conformément à l'article L. 5125-3, au sein

de la même commune (...). ". Aux termes de l'article L. 5125-19 du code de la santé publique : " L'autorisation de création, transfert ou de regroupement d'officines ne prend effet qu'à l'issue d'un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêté d'autorisation. / A l'issue du délai de trois mois, l'officine dont la création, le transfert ou le regroupement avec une autre officine a été autorisé, doit être effectivement ouverte au public dans les deux ans à compter de la notification de l'arrêté de licence. Cette période

peut être prolongée par le directeur général de l'agence régionale de santé en cas de force majeure constatée ".

7. Pour annuler partiellement l'arrêté litigieux, le tribunal administratif a rappelé l'ensemble des mesures de confinement prises à la suite de l'émergence de l'épidémie de Covid-19 dans le cadre national et dans le cadre de la Martinique, et estimé que " L'impact significatif de ces périodes de confinement dans l'ensemble du secteur de la construction n'a en conséquence pu qu'entraîner des perturbations dans le calendrier de construction du centre médical Village Santé, destiné à accueillir les locaux de l'officine de M. B.... Ces circonstances, qui ont retardé le transfert de la pharmacie de Grand Village, doivent être regardées comme imprévisibles à la date de l'arrêté de transfert du 18 septembre 2019, et irrésistibles et extérieures au projet en cause. Par suite, elles doivent être assimilées à un cas de force majeure de nature à justifier la prolongation du délai de transfert de l'officine. " Il a ensuite relevé que " les confinements mis en place pour lutter contre la pandémie de Covid-19 ne se sont étendus que sur une période totale de 6 mois et demi en Martinique. La société Pharmacie B... ne justifie pas, par ailleurs, par les pièces qu'elle produit, d'une impossibilité matérielle à faire face aux conséquences de la crise sanitaire liée à la Covid-19 au-delà de ces périodes de confinement. "

8. En l'état de l'instruction, le moyen tiré de ce que le tribunal ne pouvait réduire la période pendant laquelle la force majeure était justifiée aux seules périodes de confinement réglementaire de la population, dès lors que l'épidémie de Covid-19 a entraîné des retards de chantier dus tant aux absences de personnels qu'aux pénuries de matériaux, et que par suite l'ARS n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en accordant un délai d'un an pour ouvrir la nouvelle officine, apparaît sérieux.

9. Si la société Pharmacie MSR Terreville, dont l'intérêt pour agir ne pouvait sérieusement être contesté, a également invoqué une méconnaissance de l'obligation de consulter la section E de l'ordre des pharmaciens, cette formalité n'est exigée par l'article R. 5125-2 du code de la santé publique que pour l'autorisation de transfert, et non pour la prolongation du délai d'exécution, et ce moyen est donc inopérant. Par suite, le moyen retenu au point 8 est de nature à justifier, outre l'annulation du jugement, le rejet de la demande.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les conditions prévues par l'article R.811-15 du code de justice administrative étant remplies, la Selarl Pharmacie B... est fondée à demander qu'il soit sursis à l'exécution du tribunal administratif de la Martinique en tant qu'il annule la décision de prolongation du délai de transfert de son officine en tant que ce délai dépasse six mois et demi.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

11. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Selarl Pharmacie B... la somme que demande la Pharmacie MSR Terreville au titre des frais qu'elle a exposés. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de celle-ci une somme de 1 500 euros à verser à la Selarl Pharmacie B....

DECIDE :

Article 1er : Jusqu'à ce que la cour statue sur l'appel formé par la Selarl Pharmacie B... à l'encontre du jugement n° 2100594 et 2100701 du tribunal administratif de la Martinique en tant qu'il annule partiellement l'arrêté du 14 septembre 2021 accordant un délai supplémentaire d'un an pour le transfert de la pharmacie Grand Village vers le centre médical Village Santé, il est sursis à l'exécution de ce jugement dans cette mesure.

Article 2 : La société Pharmacie MSR Terreville versera à la Selarl Pharmacie B... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative

Article 3 : Les conclusions de la société Pharmacie MSR Terreville présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Selarl Pharmacie B..., à

la Selas Pharmacie MSR Terreville, et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à l'Agence régionale de santé de la Martinique.

Mis à disposition le 24 février 2023.La présidente de chambre,

D... A...La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23BX00153 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (juge unique)
Numéro d'arrêt : 23BX00153
Date de la décision : 24/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Avocat(s) : FIDAL - DIRECTION PARIS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-02-24;23bx00153 ?
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