Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier de Haute-Corrèze à lui verser la somme de 31 735 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de la décision du 12 mai 2017 par laquelle le directeur de cet établissement de santé l'a licenciée à compter du même jour.
Par un jugement n° 1701550 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Limoges a condamné le centre hospitalier de Haute-Corrèze à verser à Mme A... une somme de 15 500 euros à titre de dommages et intérêts et rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 septembre 2020 et le 10 novembre 2021, le centre hospitalier de Haute-Corrèze, représenté par Me de Froment, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 juillet 2020 du tribunal administratif de Limoges ;
2°) de rejeter les demandes présentées par Mme A... devant le tribunal administratif ainsi que ses conclusions formulées au titre de l'appel incident ;
3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- contrairement à ce que retient le tribunal, un manquement dans l'exécution des missions ou des obligations professionnelles d'un agent est susceptible de constituer une faute grave et de justifier un licenciement pour motif disciplinaire ; le juge prend la gravité des faits commis, leur caractère répété ainsi que le rang hiérarchique de l'agent pour évaluer le caractère proportionné de la sanction de licenciement ;
- la décision de licenciement pour faute grave du 12 mai 2017 est fondée sur une série de fautes commises par Mme A..., qui ne se limitent pas, contrairement à ce que relève le tribunal, à une méconnaissance de l'obligation de réserve et un non-respect de l'obligation d'obéissance hiérarchique ;
- le centre hospitalier subit encore aujourd'hui les conséquences de ces fautes notamment sur le plan pécuniaire ; ces faits sont constitutifs de fautes graves de nature à justifier une sanction disciplinaire ;
- les autres moyens soulevés en première instance par Mme A... pour contester la régularité et le bien-fondé de la décision de licenciement doivent être écartés ;
- ainsi, l'absence de consultation de la commission administrative paritaire sur le licenciement de Mme A... ne constitue pas un vice de procédure, dès lors que cette consultation était régie par les dispositions du décret du 6 février 1991 qui ne prévoyaient pas cette formalité ;
- la décision de licenciement du 12 mai 2017 est suffisamment motivée ;
- la décision litigieuse n'est pas entachée de détournement de pouvoir ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que Mme A... avait subi un préjudice financier de 9 500 euros et un préjudice moral de 6 000 euros ; dans la mesure où le licenciement pour faute grave de Mme A... est justifié, elle ne peut prétendre à aucune indemnisation ;
- en tout état de cause, le préjudice financier subi par Mme A... n'est pas établi, dès lors qu'elle ne justifie pas, par les pièces produites, de la différence de traitement alléguée entre celui anciennement perçu au centre hospitalier d'Ussel et celui perçu dans son nouvel emploi ;
- le tribunal a fait une évaluation excessive du préjudice moral de Mme A... en l'évaluant à la somme de 6 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 30 mars 2021 et le 11 janvier 2022, Mme A..., représentée par Me Dias, conclut :
1°) au rejet de la requête du centre hospitalier de Haute-Corrèze ;
2°) à la mise à sa charge d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) Par la voie de l'appel incident, elle demande que le jugement attaqué soit réformé en tant qu'il a limité à 15 500 euros la somme allouée en réparation des préjudices subis et de porter cette somme, que le centre hospitalier de Haute-Corrèze sera condamné à lui verser, à 24 684 euros.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le centre hospitalier de Haute-Corrèze ne sont pas fondés ;
- elle est fondée à demander le paiement d'une somme de 14 684 euros en réparation de son préjudice financier dès lors qu'elle justifie avoir perdu cette somme entre le 12 mai 2017 et le 28 février 2021, n'ayant pas été recrutée au centre hospitalier de Mauriac en qualité d'attaché d'administration, comme elle l'était au centre hospitalier de Haute-Corrèze, mais en qualité d'adjoint administratif de catégorie C ;
- elle est fondée à demander le paiement d'une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral dès lors qu'elle a subi une mesure disciplinaire injustifiée, vexatoire et attentatoire à sa réputation qui s'est au surplus déroulée alors qu'elle était en situation de vulnérabilité en raison de sa grossesse, qu'elle a dû quitter une équipe de travail qu'elle affectionnait et que l'emploi qu'elle a retrouvé est éloigné de son domicile et de sa famille.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... D...,
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,
- et les observations de Me Gévaudan pour le centre hospitalier de Haute-Corrèze.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a été recrutée le 19 février 2008 par le centre hospitalier d'Ussel, devenu le centre hospitalier de Haute-Corrèze, par un contrat à durée indéterminée sur un poste d'attaché d'administration hospitalière. Elle y a exercé les fonctions d'adjointe au directeur des ressources humaines. Par une décision du 12 mai 2017, le directeur du centre hospitalier de Haute-Corrèze a licencié Mme A... " pour fautes graves et insuffisances professionnelles ". Mme A... a demandé au tribunal administratif de Limoges la condamnation du centre hospitalier à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de l'illégalité de son licenciement. Par un jugement rendu le 7 juillet 2020, le tribunal a considéré que le licenciement du 12 mai 2017 était illégal et condamné le centre hospitalier de Haute-Corrèze à verser à Mme A... la somme de 15 500 euros à titre de dommages et intérêts. Le centre hospitalier de Haute-Corrèze relève appel de ce jugement du 7 juillet 2020. Par la voie de l'appel incident, Mme A... demande à la cour de porter à 24 684 euros le montant de l'indemnité à laquelle elle estime avoir droit.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Haute-Corrèze :
2. Aux termes de l'article 39 du décret du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de la fonction publique hospitalière : " Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : 1° L'avertissement ; 2° Le blâme ; 3° L'exclusion temporaire des fonctions avec retenue de traitement pour une durée maximale de six mois pour les agents recrutés pour une période déterminée et d'un an pour les agents sous contrat à durée indéterminée. 4° Le licenciement, sans préavis ni indemnité de licenciement. (...) ". Aux termes de l'article 39-2 du même décret : " Tout manquement au respect des obligations auxquelles sont assujettis les agents publics, commis par un agent contractuel dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, est constitutif d'une faute l'exposant à une sanction disciplinaire (...) ".
3. Il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
4. Pour licencier Mme A... sans indemnité ni préavis au terme d'une procédure disciplinaire relevant des dispositions des articles 39, 39-2 et 40 du décret du 6 février 1991, le directeur du centre hospitalier de Haute-Corrèze s'est fondé sur une série de faits qu'il a regardés, dans les motifs de sa décision, comme constituant " des fautes graves et des insuffisances professionnelles ".
5. Il résulte de l'instruction que Mme A... a tenu un propos désobligeant pour décrire l'état du bureau du nouveau directeur des ressources humaines, qui a pris ses fonctions au centre hospitalier en février 2016, adopté un ton vif à l'encontre de l'une de ses collègues au cours d'une réunion de travail, n'a pas respecté la demande de son supérieur hiérarchique de le mettre en copie systématique de ses échanges par courriels, et déclaré à tort, lors d'un entretien d'audit des services, que son emploi n'était pas accompagné d'une fiche de poste. Ce faisant, Mme A... a manqué à l'obligation de réserve et d'obéissance qui incombent à tout agent public.
6. Il résulte également de l'instruction que Mme A... a mis près de deux ans à traiter des anomalies liées à l'affiliation de deux employés du centre hospitalier au régime de cotisations retraite et manqué à son obligation d'informer sa hiérarchie de l'avancée de ces dossiers. Ces manquements, qui ne sont d'ailleurs pas contestés par Mme A..., ont conduit le centre hospitalier de Haute-Corrèze à verser en une seule fois la somme de 13 094 euros à titre de régularisation des cotisations. Par ailleurs, Mme A... a fait preuve d'un manque de rigueur en procédant au recrutement de deux personnels médicaux de nationalité étrangère qui étaient dépourvus d'autorisation de travail. Le manque de rigueur de Mme A... apparait également dans sa gestion du recrutement de praticiens hospitaliers, en lien avec un cabinet missionné à cet effet, au cours de laquelle des erreurs de remontées d'informations, imputables à l'intéressée, ont conduit le centre hospitalier à exposer des frais en pure perte, les praticiens pressentis n'ayant finalement pas été recrutés.
7. Il ressort encore des éléments de l'instruction que Mme A... a commis des erreurs de calcul dans la gestion des compte-épargne-temps de deux agents et d'un manque de maîtrise d'un logiciel informatique lors de la mise en œuvre d'une " convention radioprotection ".
8. Par ailleurs, il a été reproché à Mme A... de ne pas avoir respecté le calendrier de la prime " multi-établissement " en procédant à la mise en paiement de cette prime pour cinq praticiens sans l'accord de l'agence régionale de santé. Toutefois, ces faits, qui sont contestés par Mme A..., ne ressortent pas suffisamment des éléments de l'instruction.
9. Pour autant, les faits décrits aux points 5 à 7 ci-dessus révèlent, de la part de Mme A..., des négligences répétées dans l'exécution de ses tâches et des manquements à l'obligation d'informer la hiérarchie de l'avancement de dossiers placés sous sa responsabilité. Alors même que certains d'entre eux ont pu être qualifiés d'insuffisances professionnelles dans la décision de licenciement, ces faits révèlent, en réalité, une faute de nature à justifier l'application d'une sanction disciplinaire contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Limoges.
10. Toutefois, il résulte de l'instruction que Mme A... a exercé ses fonctions d'adjointe au directeur des ressources humaines du centre hospitalier depuis 2008 et qu'aucun reproche particulier ne lui a été adressé jusqu'en janvier 2016. Si certaines de ces erreurs ont conduit le centre hospitalier à exposer des sommes d'argents, celles-ci, qui se rapportaient à des cotisations de retraite ou à la rémunération d'un prestataire extérieur, étaient dues en tout état de cause. Les propos et attitudes reprochés à Mme A..., décrits au point 5 ci-dessus, ont été ponctuels et non réitérés. Dans les circonstances propres au cas d'espèce, en prenant à l'encontre de Mme A... la sanction de licenciement, soit la plus lourde de toutes celles énumérées à l'article 39 du décret du 6 février 1991, le directeur du centre hospitalier de Haute-Corrèze a pris une décision disproportionnée.
11. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Haute-Corrèze n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a estimé que sa responsabilité était engagée envers Mme A... en raison de l'illégalité fautive de la décision de licenciement du 12 mai 2017.
Sur les préjudices :
12. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.
13. Il résulte de l'instruction, et notamment des pièces produites en appel, que les sommes que Mme A... a perçues dans son nouvel emploi depuis son licenciement sont supérieures à la rémunération dont elle a été privée depuis son éviction illégale. Dans ces conditions, le centre hospitalier de Haute-Corrèze est fondé à demander la réformation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné à verser à Mme A... la somme de 15 500 euros au titre du préjudice financier.
14. En second lieu et compte tenu de la nature de l'illégalité commise, qui touche au caractère disproportionné de la sanction prononcée, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que Mme A... avait subi un préjudice moral et condamné le centre hospitalier à le réparer. Il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges ont fait évaluation excessive de ce préjudice en le fixant à la somme de 6 000 euros.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier de Haute-Corrèze est seulement fondé à demander la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a mis à sa charge la somme de 15 500 euros et que les conclusions d'appel incident de Mme A..., tendant à ce que son préjudice soit réévalué à la somme totale de 24 684 euros, doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur ce fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 15 500 euros que le tribunal administratif de Limoges a mise à la charge du centre hospitalier de Haute-Corrèze au profit de Mme A..., dans le jugement n° n° 1701550 du 7 juillet 2020, est ramenée à 6 000 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1701550 du tribunal administratif de Limoges du 7 juillet 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions du centre hospitalier de Haute-Corrèze est rejeté.
Article 4 : L'appel incident de Mme A... et ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Haute-Corrèze et à Mme C... A....
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
M. Frédéric Faïck, président,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 janvier 2023.
La rapporteure,
Florence D...
Le président,
Frédéric Faïck
La greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au ministre de la transformation et de la fonction publiques en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20BX03003