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01/07/2022 | FRANCE | N°22BX01365

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre (juge unique), 01 juillet 2022, 22BX01365


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fédération départementale de la libre pensée de Charente-Maritime a demandé au tribunal administratif de Potiers d'annuler la décision implicite du 29 mars 2021 par laquelle le maire de La Flotte a refusé de déplacer une statue de la Vierge Marie située sur le domaine public communal et d'enjoindre au maire de déplacer ce monument hors du domaine public communal.

Par un jugement n°2100952 du 3 mars 2022, le tribunal administratif de Poitiers a annulé cette décision implicite et a enjoint au

maire de La Flotte de procéder à l'enlèvement du domaine public communal de la s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fédération départementale de la libre pensée de Charente-Maritime a demandé au tribunal administratif de Potiers d'annuler la décision implicite du 29 mars 2021 par laquelle le maire de La Flotte a refusé de déplacer une statue de la Vierge Marie située sur le domaine public communal et d'enjoindre au maire de déplacer ce monument hors du domaine public communal.

Par un jugement n°2100952 du 3 mars 2022, le tribunal administratif de Poitiers a annulé cette décision implicite et a enjoint au maire de La Flotte de procéder à l'enlèvement du domaine public communal de la statue de la Vierge Marie située avenue du 8 mai 1945, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 mai 2022 et 23 juin 2022, la commune de La Flotte, représentée par Me Brossier, demande à la cour de surseoir à l'exécution de ce jugement et de mettre à la charge de la Fédération départementale de la libre pensée de Charente-Maritime une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'il existe des moyens sérieux de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ; en effet, la demande de la fédération doit être considérée, implicitement mais nécessairement, comme tendant à l'abrogation de la délibération du 19 novembre 1986, devenue définitive, par laquelle le conseil municipal avait décidé d'implanter la statue à son emplacement actuel ; or, en l'absence de changement dans les circonstances de droit ou de fait, l'autorité administrative n'était pas tenue de faire droit à une telle demande ; par ailleurs les conditions nécessaires à la méconnaissance de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 ne sont pas réunies.

Par un mémoire enregistré le 1er juin 2022, la Fédération départementale de la libre pensée de Charente-Maritime, représentée par Me Ferry, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de La Flotte la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de retrait de la statue ne peut en aucun cas s'analyser comme une demande d'abrogation de la délibération du 19 novembre 1986 ;

- en tout état de cause des changements dans les circonstances de droit ou de fait sont intervenus postérieurement à cette délibération ;

- la statue présente le caractère d'un emblème religieux et les dispositions de l'article 28 de la loi de 1905 ont vocation à s'appliquer.

Vu :

- la requête enregistrée sous le n°22BX01113 par laquelle la commune de La Flotte demande à la cour d'annuler le jugement du 3 mars 2022 du tribunal administratif de Poitiers ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les observations de Me Brossier, représentant la commune de La Flotte qui maintient ses conclusions et moyens qu'elle précise ;

- et les observations de Me Ferry, représentant la Fédération départementale de la libre pensée de Charente-Maritime qui maintient ses conclusions et moyens.

La clôture de l'instruction a été fixée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 28 janvier 2021, la Fédération départementale de la libre pensée de Charente-Maritime a demandé au maire de La Flotte de déplacer hors du domaine public une statue religieuse implantée au croisement des rues Gustave Deschezeaux et Grand'Maison. En l'absence de réponse, elle a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire de La Flotte sur sa demande et à ce qu'il lui soit enjoint de faire déplacer ce monument hors du domaine public. La commune de La Flotte demande à la cour de surseoir, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'appel qu'elle a formé, à l'exécution du jugement du 3 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision implicite du maire de La Flotte et lui a enjoint, dans un délai de six mois, " de procéder à l'enlèvement du domaine public communal de la statue de la Vierge Marie située avenue du 8 mai 1945 ".

2. Aux termes de l'article R.811-15 du code de justice administrative : " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ".

3. En application de ces dispositions, lorsque le juge d'appel est saisi d'une demande de sursis à exécution d'un jugement prononçant l'annulation d'une décision administrative, il lui incombe de statuer au vu de l'argumentation développée devant lui par l'appelant et le défendeur et en tenant compte, le cas échéant, des moyens qu'il est tenu de soulever d'office. Après avoir analysé dans les visas ou les motifs de sa décision les moyens des parties, il peut se borner à relever qu'aucun de ces moyens n'est de nature, en l'état de l'instruction, à justifier l'annulation ou la réformation du jugement attaqué et rejeter, pour ce motif, la demande de sursis. Si un moyen lui paraît, en l'état de l'instruction, de nature à justifier l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, il lui appartient de vérifier si un des moyens soulevés devant lui ou un moyen relevé d'office est de nature, en l'état de l'instruction, à infirmer ou confirmer l'annulation de la décision administrative en litige, avant, selon le cas, de faire droit à la demande de sursis ou de la rejeter.

4. Pour annuler la décision implicite du maire de La Flotte, le tribunal administratif de Poitiers a estimé que la statue de la Vierge Marie constituait un symbole principalement religieux et que son édification sur un emplacement autre que ceux prévus par l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 méconnaissait ces dispositions.

5. Aux termes de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 : " Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ". Ces dispositions s'opposent à toute installation par une personne publique, dans un emplacement public, d'un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d'un culte ou marquant une préférence religieuse.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la statue de la Vierge Marie et son promontoire, sur lequel figure la mention " vœux de guerre ", ont été édifiés au lendemain de la seconde guerre mondiale sur un terrain privé, situé sur le territoire de la commune de La Flotte, par une famille souhaitant matérialiser ses vœux de revoir sains et saufs un père et son fils. Par la suite, cette statue a fait l'objet d'une donation à la commune qui l'a alors implantée route de la Noue. Toutefois, pour permettre la réalisation d'une déviation, le conseil municipal de La Flotte a, par une délibération du 19 novembre 1986, décidé de l'implanter " au croisement des rues Gustave Deschezeaux et Grand'Maison " sur une parcelle appartenant en indivision à deux personnes privées. Par un acte du 2 novembre 2006, les trois personnes privées devenues propriétaires, chacune pour un tiers indivis, de cette parcelle l'ont cédée à la commune de La Flotte, ladite parcelle étant désignée dans cet acte de cession comme étant " à usage de voirie ". La statue ayant été endommagée, le 17 mai 2020, lors d'un accident de la circulation, la commune en a fait réaliser une copie qui a été de nouveau installée sur son promontoire le 22 décembre 2020, au même emplacement. Dans ces conditions, compte tenu de l'histoire de cette statue, érigée à l'origine par des personnes privées sur un terrain privé, et des circonstances particulières dans lesquelles elle a été léguée à la commune puis s'est trouvée implantée sur un emplacement public, et eu égard à l'inscription portée sur le promontoire qui fait référence à l'implication de deux habitants de la commune dans la seconde guerre mondiale, le maintien de la statue de la Vierge Marie dont il s'agit à l'emplacement choisi en 1986 ne peut être regardé comme manifestant de la part de la commune une intention de reconnaître un culte ou de marquer une préférence religieuse. Dès lors, le moyen tiré de ce que le tribunal, qui n'a d'ailleurs pas examiné les conditions dans lesquelles la statue avait été implantée sur la parcelle, s'est fondé à tort sur la méconnaissance de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 pour annuler la décision implicite du maire de La Flotte paraît, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation et à fin d'injonction accueillies par ce jugement.

7. Par ailleurs aucun des autres moyens soulevés devant la cour par la Fédération départementale de la libre pensée de Charente-Maritime n'est, en l'état de l'instruction, de nature à confirmer l'annulation de la décision implicite du maire de La Flotte.

8. Dans ces conditions, il y a lieu d'ordonner le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 3 mars 2022.

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la requête formée par la commune de La Flotte contre le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 3 mars 2022 il sera sursis à l'exécution de ce jugement.

Article 2 : Les conclusions de la commune de La Flotte et de la Fédération départementale de la libre pensée de Charente-Maritime tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de La Flotte et à la Fédération départementale de la libre pensée de Charente-Maritime.

Fait à Bordeaux, le 1er juillet 2022.

La présidente de chambre,

Marianne A...

La République mande et ordonne au préfet de la Charente-Maritime en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22BX01365 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre (juge unique)
Numéro d'arrêt : 22BX01365
Date de la décision : 01/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marianne HARDY
Avocat(s) : CABINET OPTIMA ROCHEFORT

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-07-01;22bx01365 ?
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