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21/12/2021 | FRANCE | N°21BX00757

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 21 décembre 2021, 21BX00757


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 19 mai 2020 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2002273 du 14 octobre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a ann

ulé l'arrêté du 19 mai 2020 de la préfète de la Gironde en tant qu'il interdit à Mme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 19 mai 2020 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2002273 du 14 octobre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 19 mai 2020 de la préfète de la Gironde en tant qu'il interdit à Mme B... le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 février 2021 et 26 novembre 2021, Mme B..., représentée par Me Lagarde, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 14 octobre 2020 ;

2) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Gironde du 19 mai 2020 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer, à titre principal, une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", à défaut, une carte d'admission exceptionnelle au séjour, le tout, dans le délai de huit jours suivant la notification de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- le tribunal aurait dû faire droit à ses conclusions sur le fondement de l'illégalité externe dont est entachée la décision litigieuse ;

- le tribunal a commis une erreur de droit en considérant que sa demande de titre de séjour n'était pas un renouvellement mais une première demande de titre de séjour et que de ce fait l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne pouvait s'appliquer ;

- en confirmant l'obligation de quitter le territoire français, le tribunal n'a pas pris en compte les délais d'attente du consulat de France qui sont actuellement de 6 mois minimum et si elle devait repartir, elle ne pourrait pas revenir à temps pour le procès d'assises ;

- la confirmation de l'obligation de quitter le territoire français avec un retour au Maroc est contraire aux articles 8 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :

- elle est entachée d'une insuffisance de motivation au regard des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration qui révèle un défaut d'examen de sa situation ; aucun motif exposé ne permet d'expliquer pour quelles raisons les articles L. 313-11-4° et L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été écartés de l'étude de son dossier alors qu'elle en remplit les conditions ;

- elle est entachée d'un vice de procédure en raison du défaut de consultation de la commission du titre de séjour ;

- elle est entachée d'une erreur de droit en ce que la préfète n'a pas statué sur sa demande initiale ; elle sollicitait une carte de séjour " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a fourni des justificatifs à la préfecture démontrant tous les aspects de sa vie actuelle d'un point de vue personnel et professionnel ; la préfète a statué en priorité sur une demande de titre " salarié " alors qu'elle n'en a pas fait la demande ;

- elle est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ; elle a été victime de violences après son arrivée en France ; la préfecture admet son statut de victime mais n'a pas pris en compte sa situation pour édicter sa décision alors qu'elle en avait parfaitement connaissance et a produit devant le tribunal des documents de la procédure pénale l'opposant à son ex-époux.

En ce qui concerne la décision d'obligation de quitter le territoire français :

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; contrairement à ce que soutient la préfète, elle n'est pas démunie de toutes attaches en France puisque s'y trouvent une partie de sa famille, ses amies et les professionnels qui l'entourent ; la décision litigieuse la privant du droit de travailler, son employeur n'a pas eu d'autre choix que de la licencier alors qu'elle avait été nommée meilleure employée pour l'année 2019 ; elle est intégrée professionnellement et socialement en France et est soutenue par de nombreuses personnes qui attestent de ses qualités ; cette décision porte atteinte à l'équilibre qu'elle avait réussi à construire malgré les atrocités dont elle a été victime et elle ne tient pas compte des conséquences extrêmement graves qu'elle emporte sur sa situation.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales A... lors qu'au regard des faits subis et de la plainte qu'elle a déposée contre son mari, les risques qu'elle encourt si elle retourne au Maroc sont très graves puisque ses parents se considèrent désormais comme déshonorés ; elle risque de subir de nouvelles violences morales et psychologiques et encourt un remariage forcé en cas de retour au Maroc.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 juin 2021, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n°2020/019269 du 28 janvier 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Michel, rapporteure,

- et les observations de Me Lagarde, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... B..., ressortissante marocaine née le 16 mars 1997, est entrée en France le 16 février 2016 munie d'un visa de long séjour, valant titre de séjour, valable du 12 février 2016 au 12 février 2017 qui lui a été délivré en sa qualité de conjointe d'un ressortissant français. Elle a ensuite bénéficié d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " étudiant ", valable du 28 novembre 2017 au 27 novembre 2019. Le 27 septembre 2019, elle a sollicité la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 19 mai 2020, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Mme B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 14 octobre 2020 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions refusant la délivrance d'un titre de séjour, portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination contenues dans l'arrêté du 19 mai 2020.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., qui s'est mariée le 30 septembre 2015 au Maroc avec un ressortissant français, est entrée en France avec son époux le 16 février 2016 à l'âge de 19 ans puis a déposé plainte contre son époux A... le 15 mars 2016 pour des faits de violences conjugales et de viol. Ce dernier a été placé sous contrôle judiciaire le 18 mars 2016 avec interdiction d'entrer en relation avec Mme B..., laquelle s'est constituée partie civile dans le cadre de la procédure pénale concernant son époux. Ainsi, eu égard à ces éléments, la communauté de vie avec son conjoint de nationalité française a été rompue en raison des violences conjugales que Mme B... a subies de la part de ce dernier, la réalité de ces violences n'étant d'ailleurs pas contestée par la préfète en défense. Après avoir quitté le domicile conjugal, Mme B... a été prise en charge par le département de la Gironde, avec lequel elle a conclu un contrat jeune majeur du 22 novembre 2016 au 30 novembre 2017, qui lui a permis de bénéficier notamment d'un suivi psychologique et d'un accompagnement dans la recherche d'un emploi. Elle a suivi, du 13 septembre 2017 au 31 août 2019, une formation au certificat d'aptitude professionnelle " commercialisation et services en hôtel-café-restaurant ", qui lui a permis d'obtenir la délivrance d'un titre étudiant valable du 28 novembre 2017 au 27 novembre 2019, puis a conclu le 27 novembre 2019 un contrat à durée indéterminée à temps partiel en tant qu'employé de restaurant à La Teste-de-Buch et justifie, notamment par la production de bulletins de salaire, qu'elle exerçait cette activité professionnelle à la date de l'arrêté attaqué. A cet égard, il ressort des pièces produites par la requérante, notamment des attestations de ses collègues, qu'elle fait preuve de sérieux et de professionnalisme dans son travail. En outre, elle justifie être titulaire d'un bail de location d'un appartement à La Teste-de-Buch à compter du 15 juillet 2019. Si la préfète fait valoir en défense que l'intéressée serait défavorablement connue des services de police pour des faits de vol en réunion commis le 9 mai 2019, il n'est pas contesté que ces faits ont fait l'objet d'un classement sans suite. Dans ces conditions, eu égard à son jeune âge lors de son entrée en France, aux violences qu'elle a subies, à la perspective du procès pénal dans lequel elle s'est constituée partie civile et aux efforts fournis pour s'insérer dans la société française notamment par le travail, et alors même qu'elle ne serait pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, la préfète de la Gironde a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences d'un refus de séjour sur la situation personnelle de l'intéressée. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que la décision de refus de séjour est entachée d'illégalité.

3. L'annulation de la décision portant refus de titre de séjour entraîne, par voie de conséquence, l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination prises à l'encontre de Mme B....

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement ainsi que les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté le surplus de sa demande tendant à l'annulation des décisions lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination contenues dans l'arrêté préfectoral du 19 mai 2020.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

5. Les motifs de la présente décision impliquent qu'il soit enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer à Mme B... une carte de séjour de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'ordonner cette mesure dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

6. Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Son avocate peut donc se prévaloir des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Lagarde de la somme de 1 200 euros.

DECIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement du 14 octobre 2020 du tribunal administratif de Bordeaux et l'arrêté de la préfète de la Gironde du 19 mai 2020 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer à Mme B... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Lagarde une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., à Me Lagarde et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 30 novembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Laury Michel, première conseillère,

Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2021.

La rapporteure,

Laury Michel

La présidente,

Elisabeth JayatLa greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX00757


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX00757
Date de la décision : 21/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Laury MICHEL
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : LAGARDE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-21;21bx00757 ?
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