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14/12/2021 | FRANCE | N°21BX00236

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 14 décembre 2021, 21BX00236


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 18 novembre 2020 par lequel la préfète de la Gironde a décidé de son transfert aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2002371 du 16 décembre 2020, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 janvier 2021, M. C..., représenté par Me Sanchez Rodriguez, demande à la cour :>
1°) de surseoir à statuer et de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 18 novembre 2020 par lequel la préfète de la Gironde a décidé de son transfert aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2002371 du 16 décembre 2020, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 janvier 2021, M. C..., représenté par Me Sanchez Rodriguez, demande à la cour :

1°) de surseoir à statuer et de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : le droit de l'Union européenne, et plus particulièrement les articles 3 § 2 et 17 § 1 du règlement (UE) n° 604/2013 lus en combinaison avec les articles 18, 19-2 et 35 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne s'opposent-ils pas à une pratique nationale consistant à décider du transfert d'un demandeur de protection internationale sans que la situation liée à la covid-19, y compris celle résultant de la forte pression exercée sur le système de santé dans l'État membre responsable soient prises en compte dans la décision portant transfert de la personne vers cet État '

2°) de suspendre son transfert jusqu'à ce que la présente formation de jugement rende sa décision ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de l'admettre provisoirement au séjour pour les besoins de la procédure devant la Cour de justice de l'Union européenne et jusqu'au délibéré de la présente formation de jugement ;

4°) à titre subsidiaire, d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 16 décembre 2020 ;

5°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai d'un mois suivant la notification de la décision à intervenir ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 100 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté attaqué est entaché d'insuffisance de motivation en ce qu'il ne mentionne pas les raisons pour lesquelles il n'a pas été fait application des dispositions dérogatoires prévues par les articles 3-2 et 17-1 du règlement (UE) n° 604/2013 compte tenu du contexte sanitaire actuel causé par la covid-19 ;

- il est entaché d'erreur de droit en ce que la préfète de la Gironde s'est à tort estimée liée par la circonstance que sa demande d'asile relevait de la responsabilité des autorités espagnoles ;

- sa situation justifie qu'il soit fait application de la clause dérogatoire prévue par les articles 3-2 et 17-1 du règlement (UE) précité alors que l'Espagne est le troisième pays européen dont les statistiques en matière de contamination et de décès sont exponentielles et rencontre des difficultés dans la gestion sanitaire de la covid-19 où une forte pression est exercée sur le système de santé espagnol.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2021, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la décision de transfert en litige a été exécutée le 18 mars 2021 ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2021/003053 du 4 mars 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., ressortissant ivoirien né le 23 août 1981, s'est présenté aux services de la préfecture de la Gironde le 9 septembre 2020 pour déposer une demande d'asile. A la suite de la consultation du fichier Eurodac, dans le cadre de l'instruction de sa demande d'asile, il est apparu que les empreintes digitales de M. C... étaient identiques à celles relevées par les autorités espagnoles le 5 décembre 2019. Saisies le 12 octobre 2020 d'une demande de reprise en charge de l'intéressé, les autorités espagnoles ont donné leur accord explicite le 20 octobre 2020. Par un arrêté du 18 novembre 2020, la préfète de la Gironde a décidé de son transfert aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile. M. C... relève appel du jugement du 16 décembre 2020 par lequel la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. La décision de transfert en litige ayant été exécutée le 18 mars 2021, sa requête n'a pas perdu son objet.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...). ". En application de l'article L. 742-3 précité, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Est ainsi suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre État membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet État, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert à fin de reprise en charge qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'État en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.

3. L'arrêté contesté vise notamment le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité des autorités espagnoles. Si M. C... soutient que l'arrêté est insuffisamment motivé au regard des articles 3-2 et 17-1 du règlement (UE) du 26 juin 2013 faute d'indiquer qu'il n'existe pas de risque pour l'intéressé d'être vecteur de la covid-19 et que les autorités espagnoles n'ont pas suspendu l'instruction des demandes d'asile à raison du contexte sanitaire, d'une part, l'existence d'un risque de transmission du virus de la covid-19 en cas de transfert effectif de l'intéressé relève de l'exécution de la décision laquelle n'avait donc pas à être motivée sur ce point et, d'autre part, l'arrêté précise, ainsi que l'a relevé le tribunal, que compte tenu des observations formulées par M. C... au cours de l'entretien mené en préfecture le 9 septembre 2020, sa situation ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 et 17-1 du règlement (UE) du 26 juin 2013, en précisant notamment qu'il ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France et qu'il n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités espagnoles. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, il ressort des termes même de l'arrêté attaqué que la préfète a examiné la possibilité de faire application des dispositions des articles 3-2 et 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013. Par suite, le moyen tiré de ce que la préfète aurait commis une erreur de droit en s'estimant à tort liée par la seule circonstance que la demande d'asile de M. C... relevait des autorités espagnoles doit être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...). / 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". En vertu de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".

6. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.

7. M. C... fait valoir que l'Espagne est le troisième pays européen dont les statistiques en matière de contamination et de décès liés à la covid-19 sont exponentielles et que ce pays rencontre des difficultés dans la gestion de la crise sanitaire, une forte pression étant exercée sur le système de santé espagnol. Toutefois, les pièces produites, notamment un article du Forum-Réfugiés de mai 2020 selon lequel la procédure de demande d'asile en Espagne est suspendue depuis l'entrée en vigueur de l'état d'urgence le 15 mars, ne permettent pas d'établir que les autorités espagnoles étaient, à la date de l'arrêté attaqué, dans l'incapacité structurelle d'examiner sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. En outre, le fait que l'Espagne soit, comme la France, affectée par l'épidémie de covid-19, ne fait pas obstacle au transfert de l'intéressé dans ce pays, d'autant qu'il n'a déclaré aucune pathologie qui rendrait son transfert risqué sur le plan médical. Ainsi, en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe en Espagne des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile et alors que l'intéressé n'établit pas qu'il serait soumis en Espagne à des traitements contraires à l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, M. C... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté litigieux aurait méconnu les dispositions des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Laury Michel, première conseillère,

Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 décembre 2021.

La rapporteure,

Laury A...

La présidente,

Elisabeth JayatLa greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N° 21BX00236


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX00236
Date de la décision : 14/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Laury MICHEL
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : SANCHEZ-RODRIGUEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 21/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-14;21bx00236 ?
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