Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
L'association France nature environnement Midi-Pyrénées, l'association France nature environnement Hautes-Pyrénées, l'association Les amis de la Terre - Groupe du Gers et l'association SEPANSO Landes ont demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté interpréfectoral du 25 août 2017 par lequel les préfets des Landes, des Hautes-Pyrénées, du Gers et des Pyrénées-Atlantiques ont délivré au syndicat mixte Irrigadour en tant qu'organisme unique de gestion collective, une autorisation unique pluriannuelle de prélèvement d'eau à usage agricole sur le périmètre du bassin de l'Adour, jusqu'au 31 mai 2022, ainsi que la décision de rejet de leur recours gracieux.
Par un jugement n° 1800788 du 3 février 2021, le tribunal administratif de Pau a annulé l'arrêté du 25 août 2017 et la décision de rejet du recours gracieux, à compter du 31 mai 2022, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date du jugement à l'encontre des actes pris sur le fondement de l'arrêté, et a décidé que, jusqu'à cette date, les prélèvements autorisés seront plafonnés à hauteur de la moyenne des prélèvements annuels constatés lors des dix campagnes antérieures à la date du jugement sur les points de prélèvements existants ou, en l'absence d'antériorité de dix ans, depuis la mise en service régulière du point de prélèvement concerné.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 6 avril 2021, sous le n° 21BX01461, la ministre de la transition écologique demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement en tant qu'il plafonne les prélèvements autorisés jusqu'au 31 mai 2022.
Elle soutient que :
- sa demande est fondée sur l'article R. 811-17 du code de justice administrative ;
- le jugement est entaché d'irrégularité ; en effet, le rapporteur public n'a pas donné avant l'audience le sens de ses conclusions quant à la modulation dans le temps de l'annulation ; en méconnaissance du principe du contradictoire, les avis des parties recueillis sur la modulation de l'annulation n'ont pas été communiqués aux parties adverses ; le jugement n'est pas suffisamment motivé ;
- le jugement est entaché d'erreur de droit dès lors que le tribunal a recherché une adéquation de l'autorisation avec chacun des objectifs du SDAGE sans procéder à une analyse globale de compatibilité ; le jugement confond état écologique des masses d'eau et état d'équilibre quantitatif de ces masses ; la circonstance que des prélèvements ont été autorisés à un niveau supérieur au volume réellement prélevé au cours des dernières années n'implique pas la possibilité pour les irrigants de prélever des volumes de nature à porter atteinte à l'équilibre quantitatif des masses d'eau ; sur ce point, le tribunal a dénaturé les écritures en défense et omis de statuer sur les moyens présentés en défense par le syndicat Irrigadour ;
- à supposer que la cour admette d'illégalité retenue par le tribunal, elle ne peut être retenue que pour les quatre périmètres de prélèvement qui sont en situation de déséquilibre quantitatif ; l'arrêté est divisible ;
- le plafonnement quantitatif transitoire ne pouvait, de même, être décidé que pour ces périmètres en déséquilibre quantitatif ;
- l'exécution du jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables ; en effet, les mesures de plafonnement transitoires décidées modifient sensiblement les conditions dans lesquelles la campagne culturale a été engagée et compromettent cette campagne ; la réduction des volumes autorisés en cours de campagne d'irrigation va hypothéquer les perspectives s'agissant des cultures déjà en place, nécessitant l'apport d'eau à terme avec des rendements satisfaisants ; l'exécution du jugement est de nature à mettre les exploitations concernées en grande difficulté économique et à compromettre l'emploi dans la filière agroalimentaire ; la mise en place d'un nouveau plan de répartition ne pourra pas être achevée avant le début de la période d'étiage ce qui est incompatible avec les impératifs à court terme des agriculteurs ; d'ailleurs, les agriculteurs ont manifesté le 30 mars dernier à l'appel de la chambre d'agriculture contre ces modalités qui impliquent une baisse des autorisations de 30 à 50 % pour l'été prochain.
Par un mémoire enregistré le 13 mai 2021, l'association France nature environnement Midi-Pyrénées, l'association France nature environnement Hautes-Pyrénées, l'association Les amis de la Terre - Groupe du Gers et l'association SEPANSO Landes, représentées par Me F..., concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat et du syndicat mixte Irrigadour le versement d'une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les parties ont été interrogées six jours avant l'audience au tribunal sur une éventuelle modulation des effets de l'annulation de l'acte et elles étaient toutes représentées à l'audience, de sorte qu'elles ont pu débattre de ce point ; l'absence d'indication à ce sujet dans la transmission du sens des conclusions du rapporteur public est donc sans incidence sur la régularité du jugement ;
- même si les observations des parties sur la modulation n'ont pas été communiquées aux autres parties, le principe du contradictoire n'a pas été méconnu, les parties ayant pu exprimer leurs observations en temps utile ;
- le jugement attaqué est suffisamment motivé ;
- plusieurs des masses d'eau concernées sont en déséquilibre voire en grave déséquilibre et les retenues au vu desquelles les prélèvements ont été autorisés n'ont pas été construites ; le débit d'objectif d'étiage est méconnu depuis plusieurs années sur tous les périmètres élémentaires concernés ; les masses d'eau souterraines sont en mauvais état quantitatif ; le tribunal a donc pu constater que l'autorisation n'était pas compatible avec le SDAGE Adour-Garonne ; les variations du débit d'une rivière conditionnent son état pour les communautés biologiques ; le maintien d'un déséquilibre quantitatif aura pour conséquence de ne pas atteindre le bon état des eaux et de détériorer l'état des masses d'eau, ce qui va à l'encontre des objectifs fixés par la directive européenne cadre sur l'eau, et repris par le SDAGE ;
- le tribunal a également retenu à bon droit la méconnaissance de l'article L. 211-1 du code de l'environnement ; si, comme le soutiennent les requérants, les quantités autorisées ne sont jamais effectivement prélevées, on peut s'interroger sur l'opportunité d'autoriser les irrigants à prélever à hauteur de la moyenne des 10 dernières années ; même si les volumes autorisés ne sont pas toujours utilisés, ils doivent être fixés de manière à assurer le respect du SDAGE et de l'article L. 211-1 du code de l'environnement en ce qui concerne la gestion économe de la ressource en eau et à ne pas aggraver les déséquilibres quantitatifs existants ; en l'espèce, les volumes autorisés excèdent de 34 % les volumes globaux prélevés les 10 années précédant l'arrêté ;
- les mesures qui peuvent être prises par les préfets en situation de sécheresse sont sans effet réel et concret sur la dégradation de l'état des eaux, comme l'a relevé la mission d'inspection du Conseil général de l'environnement et du développement durable en ce qui concerne la gestion de la sécheresse de 2019 ;
- les arguments des requérants sur la remise en cause d'engagements de la profession agricole sont inopérants ;
- la gestion équilibrée de la ressource en eau n'est pas assurée du fait que la durée de l'autorisation est limitée à cinq ans, d'autant que le syndicat n'entend pas accepter une baisse des prélèvements à compter de 2022 ;
- les requérants ne peuvent critiquer l'annulation totale de l'autorisation en se référant aux périmètres élémentaires, les seules unités de référence pertinentes étant les masses d'eau pour mesurer le respect des objectifs environnementaux ; au surplus, les requérants n'apportent pas d'élément permettant de mieux proportionner les effets de l'annulation ;
- elles se réfèrent à leurs écritures de première instance quant aux moyens qu'elles avaient invoqués devant le tribunal et qui n'ont pas été retenus, concernant l'insuffisance du dossier de demande, l'irrégularité de l'enquête publique et l'erreur de droit :
- la condition tenant à des conséquences difficilement réparables de l'exécution du jugement n'est pas remplie ; en effet, les premiers juges ont pris soin de moduler les effets de l'annulation ; les risques économiques dont les requérants font état reposent sur de simples hypothèses non étayées ; le bilan hydrologique du bassin Adour-Garonne ne laisse pas présager un fort besoin en eau durant l'étiage ; la demande de renouvellement de l'autorisation devait initialement être adressée au préfet au plus tard le 31 mai 2020 ; l'administration et l'organisme unique de gestion auraient dû tirer les conséquences du jugement depuis le 3 février 2021 ; le tribunal a laissé un délai de plus de 16 mois pour que soit adopté une nouvelle autorisation ; ce délai est suffisant et proportionné ; l'annulation de l'arrêté n'a eu aucune conséquence sur l'instruction du plan annuel de répartition puisque pour la saison 2021-2022, les services de l'Etat ont déjà reçu le plan qu'ils peuvent instruire ; rien ne démontre qu'il ne serait pas possible de plafonner chaque demande à hauteur des prélèvements moyens des dix dernières années ou, à défaut, depuis la mise en service ; les prélèvements doivent s'effectuer au moyen de compteurs volumétriques dont les données sont transmises à l'agence de l'eau car elles constituent l'assiette fiscale de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau en application de l'article L. 213-10-9 du code de l'environnement ; les services de l'Etat instruisaient avant la saison d'irrigation 2017 les demandes d'autorisation temporaires présentées en application de l'article R. 214-24 du code de l'environnement ; ils disposent donc des autorisations délivrées chaque année ; depuis la délivrance de l'autorisation, le syndicat doit, conformément à l'article R. 211-112 du code de l'environnement, adresser chaque année au préfet un rapport incluant les données de prélèvement pour chaque irrigant ; le syndicat ne peut se prévaloir d'éventuelles défaillances de sa part dans le suivi qui lui incombe ; les soi-disant atteintes à la sécurité publique résultant de manifestations agricoles ne peuvent caractériser des conséquences difficilement réparables au sens de l'article R. 811-17 du code de justice administrative.
II. Par une requête enregistrée le 15 avril 2021, sous le n° 21BX01631, et un mémoire enregistré le 4 mai 2021, le syndicat mixte ouvert Irrigadour, représenté par Me D..., demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution de l'article 1er du jugement du 3 février 2021.
Il soutient que :
- sa requête est fondée sur l'article R. 811-17 du code de justice administrative ;
- pour retenir le moyen tiré de l'incompatibilité de l'autorisation avec les deux premiers objectifs du SDAGE, le tribunal s'est fondé sur le mauvais état de certaines des masses d'eau concernées par l'autorisation alors que les prélèvements existaient déjà bien avant l'autorisation qui ne crée aucune aggravation ; au contraire, les nouvelles modalités de gestion des prélèvements visent à améliorer la situation ; le tribunal ne fait pas non plus de distinction entre les ressources superficielles qui peuvent être en déséquilibre à l'étiage et les nappes profondes déconnectées du milieu ; au titre de la directive européenne cadre sur l'eau du 23 octobre 2000, l'état quantitatif ne concerne que les nappes d'eaux souterraines et non les eaux superficielles pour lesquelles les prélèvements sont une pression et non un critère d'appréciation de l'état écologique ;
- le tribunal n'a pas non plus pris en compte les mesures de compensation et les démarches initiées ; l'étude prévoyait pour les périmètres particuliers une clause de revoyure en 2022 et une révision locale des termes de l'autorisation pour la période de 2022 à 2031 ; il est prévu que l'optimisation de la gestion renforce les effets synergiques entre les sous-bassins réalimentés ; il est également proposé dans l'étude d'impact des efforts dans le sens d'une réduction de l'impact hydrologique et donc écologique de l'irrigation ; les enjeux quantitatifs interférant avec l'eau potable ont été analysés après enquête auprès des gestionnaires des prélèvements d'eau potable ; les clés de hiérarchisation ont été établies pour toutes les masses d'eau ; tous les sites Natura 2000 ont été recensés et pris en compte ;
- la réalisation des retenues d'eau n'était pas possible entre la prise de l'arrêté et la date de l'audience au tribunal ; ces retenues sont en effet à l'état de projet ; la demande initiale, qui portait sur une période de 15 ans, tenait compte de la démarche de l'autorisation unique qui se déploie dans le temps ;
- les démarches engagées et notamment les projets de territoire de gestion de l'eau, vont être remises en cause par l'exécution du jugement ; ces projets visent le retour à l'équilibre quantitatif dès 2027 et la conservation de cet équilibre jusqu'en 2050 malgré les évolutions climatiques ; or, les engagements pris par la profession agricole dans ce cadre reposaient sur un équilibre global intégrant les volumes autorisés par la décision de 2017 ; la remise en cause de cette autorisation rend impossible l'acceptation par les irrigants des concessions qu'ils avaient faites et fragilise leur adhésion au processus de gestion collective ;
- le tribunal n'avait pas à rechercher l'adéquation de l'autorisation au regard de chaque disposition du SDAGE ;
- le périmètre de l'autorisation est très vaste et des opérateurs industriels subordonnent l'établissement des contrats de production à la garantie de l'eau ; dans le département des Pyrénées-Atlantiques, toutes les autorisations de prélèvements sont adossées à du stockage hivernal ; dans le Gers, 69 % des volumes sont issus du stockage hivernal ; dans les Hautes-Pyrénées, ce pourcentage est de seulement 35 % et le positionnement en tête de bassin fait que l'essentiel des prélèvements est effectués sur la nappe d'accompagnement mais un soutien d'étiage est apporté par des centrales hydro-électriques ; dans les Landes, seulement 28 % des volumes sont issus du stockage hivernal mais la nappe des sables des Landes est une ressource importante qui se reconstitue en hiver ; dans plus de la moitié des périmètres concernés le stockage hivernal est prédominant ; un plafonnement arbitraire de l'usage de l'eau stockée n'entrainerait aucune amélioration sur les milieux naturels et les niveaux d'étiage ; la décision du tribunal est donc disproportionnée ;
- le tribunal ne pouvait, pour les mêmes raisons, retenir la méconnaissance de l'article L. 211-1 du code de l'environnement ; sur ce point, l'autorisation, accordée pour une courte durée, permet d'assurer une gestion équilibrée de la ressource en eau ;
- le tribunal n'a pas tenu compte des contraintes liées à l'établissement d'un nouvel arrêté d'autorisation en fixant la date d'effet de l'annulation au 31 mai 2022 ; environ deux ans sont nécessaires, de sorte qu'aucune autorisation ne sera possible d'ici à l'été 2022 ; le tribunal n'a pas tenu compte d'une demande de prorogation de l'autorisation jusqu'au 31 mai 2023 qui était en cours d'instruction ; l'organisme ne peut pas prendre le risque de s'appuyer sur les éléments de l'étude d'impact précédemment réalisée qui a donné lieu à d'abondantes critiques de la part des associations ;
- le plafonnement calculé par rapport à une moyenne, décidé par le tribunal, est matériellement impossible à mettre en oeuvre sur 11 500 points de prélèvement ; ni l'organisme unique ni les services de l'Etat ni l'Agence de l'eau n'ont la connaissance détaillée des niveaux de prélèvement sur tous ces points ; se pose également un problème d'acceptabilité sociale de ces mesures transitoires qui reviennent à plafonner des prélèvements dans des périmètres où 90 à 100 % des volumes sont issus de stockages hivernaux et donc sans impact sur les niveaux d'étiage ;
- l'organisme unique a pour mission de définir un volume global et pas de partir des volumes de répartition pour parvenir à un volume global ;
- le tribunal, qui n'était pas saisi d'un contentieux sur le plan annuel de répartition, n'était pas compétent pour énoncer des règles applicables aux points de prélèvement individuels, qui relèvent du plan annuel de répartition ; les règles décidées par le tribunal vont à l'encontre de l'objectif même du législateur qui est la gestion collective et pénalise les comportements économes en eau en favorisant les autres ; la prise en compte de moyennes n'a pas de sens au regard de la variabilité interannuelle des besoins en eau ;
- le jugement est susceptible de porter atteinte à la viabilité économique des exploitations des irrigants ; en retenant une irrigation qui ne pourrait accompagner le processus de culture, on constaterait au minimum une perte totale de 44,2 millions d'euros, sans compter l'impact sur les filières amont et aval ; le plafonnement décidé par le tribunal ne peut pas être appliqué aux cultures contractuelles dont le prélèvement est souvent proche du plafond autorisé et conditionne la réalisation des contrats, avec un risque de délocalisation des productions ; en supposant une suppression de 40 % des cultures contractuelles, les pertes d'emplois s'élèveraient à 1 600 voire 3 000 en cas de délocalisation et fermetures d'usines ;
- les irrigants se sont massivement mobilisés après le jugement du tribunal et ont annoncé d'autres actions à venir ; il convient de prendre en compte le risque de trouble à l'ordre public qui peut en résulter ;
- l'impossibilité pratique d'appliquer les mesures prévues par le tribunal conduira soit à des calculs approximatifs soit à des prélèvements sauvages, ce qui n'est pas acceptable et risque d'entrainer des conséquences difficilement réparables ; de plus, ce jugement remet en cause un long travail de concertation accompli par les différents acteurs ;
- si les mesures décidées par le tribunal ne sont pas suspendues, le plan annuel de répartition ne pourra pas être appliqué et les irrigants n'auront pas la possibilité d'irriguer leurs cultures qui seront perdues.
Par un mémoire enregistré le 4 mai 2021, l'association foncière de Vielle-Tursan et 1775 autres irrigants, représentés par Me D..., déclarent intervenir au soutien de la requête du syndicat mixte ouvert Irrigadour.
Ils soutiennent que :
- leur intervention est recevable ; ils relèvent du périmètre du plan annuel de répartition élaboré dans le cadre de l'autorisation ; ils ont un intérêt à intervenir compte tenu de l'impact direct sur leur activité des mesures transitoires décidées par le tribunal, d'autant que l'impossibilité d'appliquer ces mesures empêchera l'irrigation ;
- les mesures transitoires décidées par le tribunal auront des conséquences difficilement réparables dès lors que l'impossibilité de les mettre en oeuvre conduira à la perte totale de leurs productions ;
- la viabilité économique de leurs exploitations est en cause ; si la filière agricole du bassin de l'Adour disparaît, des milliers d'emplois sont menacés ; 3 000 emplois risquent de disparaître dès 2022 ; cette décision menace également de favoriser la délocalisation des activités agro-industrielles à l'étranger, entrainant une augmentation des importations et des transports.
Par un mémoire enregistré le 13 mai 2021, l'association France nature environnement Midi-Pyrénées, l'association France nature environnement Hautes-Pyrénées, l'association Les amis de la Terre - Groupe du Gers et l'association SEPANSO Landes, représentées par Me F..., concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat et du syndicat mixte Irrigadour le versement d'une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent les mêmes moyens que ceux exposés dans leur mémoire enregistré le même jour dans l'instance 21BX01461 susvisée.
Par un mémoire enregistré le 18 mai 2021, le syndicat mixte ouvert Irrigadour, représenté par Me D..., a produit une pièce.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- les requêtes d'appel au fond enregistrées sous le n° 21BX01326 et n° 21BX01415.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G... A...,
- et les observations de :
* M. C..., représentant la ministre de la transition écologique, qui reprend l'argumentation développée dans les écritures ; il confirme que la requête tend au sursis à exécution du jugement en tant qu'il décide de mesures transitoires de plafonnement des prélèvements jusqu'au 31 mai 2022 ; il expose qu'en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, le juge a la possibilité de prononcer des annulations partielles, ce qui aurait pu être fait en l'espèce dès lors que tous les périmètres élémentaires ne sont pas en grave déséquilibre ; il indique, en réponse à une question du juge, que les données permettant de calculer les plafonnements décidés par le tribunal sont éparses et difficiles à réunir ;
* Me D..., représentant le syndicat mixte ouvert Irrigadour et les intervenants, qui reprend les moyens développés dans ses écritures ; il insiste sur l'impossibilité de renouveler l'autorisation d'ici au 31 mai 2022, la crise sanitaire ayant empêché de poursuivre les démarches en vue de l'établissement des documents nécessaires et notamment l'étude d'impact et le préfet coordonnateur de bassin ayant pour ce motif donné son accord, par courrier du 31 juillet 2020, à une prorogation de l'autorisation et à un dépôt de la demande au mois de mai 2021 ; il insiste également sur l'impossibilité d'exécuter le jugement dès lors que les mesures transitoires sont définies par référence à des moyennes pour chaque point de prélèvement alors que les données pour chaque point n'existent pas ; il expose que l'Agence de l'eau ne demande pas les volumes lorsqu'ils sont inférieurs au seuil d'application de la redevance, que les volumes sont arrêtés en référence au siège social des exploitations et pas aux points de prélèvement, qu'à supposer que les données existent, il n'est pas sûr qu'elles aient été conservées et qu'elles soient communicables, et que le préfet dispose des volumes qu'il a autorisés mais pas des volumes qui ont été effectivement prélevés ; il indique qu'au stade du sursis à exécution, le jugement ne peut pas être modifié quant aux mesures impossibles à appliquer ; il ajoute que le plan annuel de répartition est déposé et qu'il est impossible d'en élaborer un nouveau ; il expose que le jugement conduit ainsi à une interdiction de tout prélèvement alors que la ressource en eau existe, notamment dans les réserves de substitution déconnectées ;
* Me F..., représentant l'association France nature environnement Midi-Pyrénées, l'association France nature environnement Hautes-Pyrénées, l'association Les amis de la Terre - Groupe du Gers et l'association SEPANSO Landes, qui développe également les moyens exposés dans ses écritures ; elle indique qu'à supposer que les données permettant d'appliquer les plafonnements transitoires définis par le tribunal ne soient pas disponibles, il est toujours possible de définir une moyenne non pas sur 10 ans, mais sur les trois dernières années, à partir de la période à laquelle l'organisme unique a commencé son activité ; elle ajoute que les projets de territoires pour la gestion de l'eau ne sont pas établis et qu'en tout état de cause, le jugement du tribunal n'empêche pas le processus de leur élaboration ; elle souligne que dès son adoption, l'autorisation en litige était fragile, ayant donné lieu à de nombreuses réserves ou avis défavorables et qu'ainsi, l'administration et le syndicat Irrigadour auraient dû se préoccuper plus tôt des démarches en vue d'une autorisation permettant d'améliorer l'équilibre des masses d'eau ; elle fait observer que le ministre n'a pas, dans ses écritures, demandé le sursis partiel en ce qui concerne certains des périmètres concernés ; elle indique qu'il convient de ne pas relativiser la pression des prélèvements agricoles dans une région classée en zone de répartition des eaux ;
* M. E..., directeur de l'Institution Adour, qui précise que sur les quatre PTGE prévus dans les périmètres en déficit, un est achevé et génère des économies de 10 millions de m3, permettant d'envisager un retour à l'équilibre par le stockage d'eau et l'amélioration des pratiques culturales ; il ajoute que le deuxième est en cours et que le processus est lancé s'agissant du troisième ; il fait observer que définir des prélèvements au regard de moyennes n'est pas pertinent compte tenu des facteurs climatiques auxquels sont soumis les besoins en eau et compte tenu du caractère totalement atypique de certaines années ;
* M. B..., responsable de gestion de l'eau auprès du syndicat Irrigadour, qui indique que l'élaboration de la nouvelle étude d'impact est à l'arrêt, même si le cahier des charges a été défini dès lors qu'il sera nécessaire, notamment, d'intégrer les éléments du nouveau SDAGE applicable à compter de 2022 ; il explique que l'élaboration d'un plan annuel de répartition commence au mois de septembre avec la collecte des besoins de chaque irrigant qui les communique dans les deux mois, que le syndicat effectue ensuite un travail de saisie et de consolidation par périmètre et par type de ressources, que ces résultats sont confrontés aux volumes autorisés et qu'enfin des arbitrages interviennent si besoin en fonction des priorités définies ; il indique que le plan pour la prochaine campagne a été déposé en préfecture le 30 janvier, quelques jours avant le jugement ;
* M. Capes, président du syndicat Irrigadour, qui corrobore le caractère inapplicable des mesures transitoires prévues par le tribunal dès lors, notamment, que les références des points de prélèvement changent, ce qui rend difficile le recensement de données anciennes ; il appelle l'attention sur l'importance assez relative des prélèvements agricoles, qui ne représentent que 1,5 % de la pluviométrie et sur les progrès qui ont été faits depuis les années 50 durant lesquels les assecs étaient fréquents.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article R. 811-17 du code de justice administrative sur lequel sont fondées les requêtes : " Dans les autres cas, le sursis peut être ordonné à la demande du requérant si l'exécution de la décision de première instance attaquée risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l'état de l'instruction ".
2. Par arrêté du 25 août 2017, les préfets des Landes, des Hautes-Pyrénées, du Gers et des Pyrénées-Atlantiques ont délivré au syndicat mixte Irrigadour, désigné en qualité d'organisme unique de gestion collective de l'eau, une autorisation unique pluriannuelle de prélèvement d'eau à usage agricole durant cinq ans, jusqu'au 31 mai 2022, sur le périmètre du bassin de l'Adour. Saisi par l'association France nature environnement Midi-Pyrénées, l'association France nature environnement Hautes-Pyrénées, l'association Les amis de la Terre - Groupe du Gers et l'association SEPANSO Landes, le tribunal administratif de Pau, par jugement du 3 février 2021, a prononcé l'annulation de cet arrêté et de la décision de rejet du recours gracieux des associations, à compter du 31 mai 2022, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date du jugement à l'encontre des actes pris sur le fondement de l'arrêté, et a décidé que, jusqu'à cette date, les prélèvements autorisés seront plafonnés à hauteur de la moyenne des prélèvements annuels constatés lors des dix campagnes antérieures à la date du jugement sur les points de prélèvement existants ou, en l'absence d'antériorité de dix ans, depuis la mise en service régulière du point de prélèvement concerné. La ministre de la transition écologique, qui a fait appel de ce jugement, demande qu'il soit sursis à son exécution seulement en tant qu'il plafonne les prélèvements autorisés jusqu'au 31 mai 2022 et le syndicat mixte Irrigadour, qui a également fait appel de ce jugement, demande qu'il soit sursis à l'exécution de son article 1er qui prononce l'annulation de l'autorisation en litige avec effet au 31 mai 2022 et plafonne les prélèvements jusqu'à cette date. Le syndicat conteste tant l'annulation que la date d'effet de cette annulation et les mesures transitoires de plafonnement.
3. Les requêtes de la ministre et du syndicat Irrigadour tendent au sursis à l'exécution d'une partie du même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
Sur les interventions :
4. L'association foncière de Vielle-Tursan et les 1775 autres irrigants situés dans le périmètre de compétence du syndicat Irrigadour justifient, en cette qualité, d'un intérêt suffisant pour l'intervenir à l'appui de la requête n° 21BX01631 présenté par le syndicat Irrigadour. Ainsi, leur intervention doit être admise.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :
5. S'agissant de la date d'effet de l'annulation prononcée par le jugement du 3 février 2021, les premiers juges, pour fixer cette date au 31 mai 2022, ont retenu que l'instruction du dossier de l'autorisation annulée s'était déroulée entre le 26 février 2016 et le 25 août 2017, soit 18 mois. Eu égard aux études déjà réalisées et aux données déjà réunies pour l'adoption de l'autorisation annulée, et en admettant même que certaines études doivent être complétées ou actualisées, notamment pour permettre la prise en compte du nouveau schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux qui sera applicable à compter de 2022, il ne résulte pas de l'instruction que le délai fixé par le tribunal serait incompatible avec les contraintes liées à l'établissement d'un nouvel arrêté d'autorisation. Il ne résulte notamment pas de l'instruction que les contraintes dues à la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19 aurait fait obstacle à tout avancement des études. Au demeurant, en admettant même qu'une nouvelle autorisation unique pluriannuelle ne puisse intervenir à cette date, l'annulation prononcée par le jugement ne ferait pas obstacle à ce que l'administration, dans le respect de la chose jugée par le tribunal et, le cas échéant, par la cour, édicte les mesures provisoires de nature à satisfaire aux exigences de l'activité agricole, qui sont visées à l'article L. 211-1 du code de l'environnement. Par suite, et alors même qu'une demande de prorogation de l'autorisation jusqu'au 31 mai 2023 était en cours d'instruction à la date du jugement, et que le préfet avait, dans cette perspective, donné son accord, par courrier du 31 juillet 2020, à un dépôt de la demande au mois de mai 2021, aucune conséquence difficilement réparable ne résulte de la fixation de la date du 31 mai 2022, qui était le terme initialement prévu de l'autorisation annulée.
6. S'agissant des modalités de différé des effets de l'annulation prévues par le tribunal, le syndicat Irrigadour soutient que le plafonnement décidé par le tribunal est matériellement impossible à mettre en oeuvre sur 11 500 points de prélèvement, ni l'organisme unique, ni les services de l'Etat, ni l'Agence de l'eau n'ayant la connaissance détaillée des niveaux de prélèvement sur tous ces points, et que l'impossibilité pratique d'appliquer les mesures prévues par le tribunal conduira soit à une absence d'irrigation, soit à des calculs approximatifs, soit encore à des prélèvements sauvages, alors que le plan annuel de répartition de la campagne en cours a été élaboré et déposé en préfecture au moins de janvier 2021.
7. Il résulte de l'instruction que les données chiffrées permettant de mettre en oeuvre les modalités de plafonnement prévues par le tribunal pour chacun des points de prélèvement ne sont pas disponibles ou, à tout le moins, éparses et très difficiles à réunir et à traiter, l'Agence de l'eau Adour-Garonne n'exigeant pas de recevoir communication des volumes lorsqu'ils n'atteignent pas le seuil au-delà duquel les prélèvements donnent lieu à redevance et les préfets ne disposant que des quantités autorisées individuellement avant la mise en place de l'organisme unique et non des quantités réellement prélevées. Dans ces conditions, comme le soutient le syndicat Irrigadour, le respect du jugement se heurte à une impossibilité quant au plafonnement des prélèvements jusqu'au 31 mai 2022, ce qui risque de priver d'effet le différé de l'annulation prononcée par le tribunal. Compte tenu des graves inconvénients qu'une impossibilité de mise en oeuvre de ces modalités transitoires d'autorisation de prélèvement est susceptible de générer, le plafonnement des prélèvements décidé par le tribunal jusqu'au 31 mai 2022, date d'effet de l'annulation de l'autorisation, risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables. Par ailleurs, le moyen tiré de ce que le tribunal a assorti l'annulation différée de modalités de calcul des prélèvements provisoirement autorisés qui ne peuvent être mises en oeuvre, paraît sérieux. Dès lors, il y a lieu de surseoir à l'exécution du jugement en tant qu'il plafonne les prélèvements autorisés jusqu'au 31 mai 2022.
8. Si les requérants font état d'une réduction de l'ordre de 30 à 50 % des autorisations de prélèvements qui résulterait de l'application des mesures transitoires prévues par le jugement, dès lors qu'il est sursis à l'exécution de ces mesures transitoires, le moyen ne peut être retenu.
9. Par ailleurs, le syndicat mixte Irrigadour soutient que les démarches engagées, et notamment les projets de territoire de gestion de l'eau, qui visent le retour à l'équilibre quantitatif dès 2027 et la conservation de cet équilibre jusqu'en 2050, vont être remises en cause par l'exécution du jugement et que l'annulation de l'autorisation rend impossible l'acceptation par les irrigants des concessions qu'ils avaient faites en vue de leur adhésion au processus de gestion collective. Il n'est toutefois pas donné d'éléments permettant d'apprécier en quoi l'annulation prononcée par le tribunal, compte tenu du sursis à l'exécution des mesures transitoires résultant du point 7 ci-dessus, serait de nature à remettre en cause les projets de territoire de gestion de l'eau ainsi que le processus de concertation antérieurement engagé.
10. Enfin, les actions envisagées par des irrigants en vue de manifester leur désaccord avec le sens du jugement du tribunal, dont se prévaut le syndicat Irrigadour, ne peuvent être regardées comme des conséquences difficilement réparables de l'exécution du jugement au sens de l'article R. 811-17 précité du code de justice administrative.
11. En tenant compte du sursis à exécution partiel résultant du point 7 ci-dessus, l'exécution du jugement contesté, permet d'opérer, jusqu'au 31 mai 2022, des prélèvements déterminés dans le cadre de l'autorisation unique du 25 août 2017 et sur la base du plan de répartition annuel déposé au mois de janvier 2021, sous réserve de son homologation par le préfet. Dans cette mesure, l'exécution de ce jugement ne peut être regardée comme de nature à entraîner des conséquences difficilement réparables au regard des besoins en eau des irrigants. La condition du sursis à exécution prévue à l'article R. 811-17 du code de justice administrative tenant au risque de conséquences difficilement réparables n'étant pas remplie, hormis pour ce qui concerne le plafonnement transitoire des prélèvements, le syndicat Irrigadour n'est pas fondé à demander le sursis à exécution des autres dispositions du jugement contesté, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le caractère sérieux des moyens invoqués à l'encontre des dispositions du jugement autres que celles relatives au plafonnement transitoire des prélèvements.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre de la transition écologique et le syndicat mixte Irrigadour sont fondés à demander qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 3 février 2021 en tant qu'il prononce un plafonnement des volumes autorisés jusqu'au 31 mai 2022, avec les conséquences décrites au point 11 ci-dessus, et que le syndicat Irrigadour n'est, en revanche, pas fondé à demander qu'il soit sursis à l'exécution des autres dispositions contestées du jugement.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat et du syndicat mixte Irrigadour la somme demandée par les associations intimées au titre des frais exposés à l'occasion de l'instance.
DECIDE :
Article 1er : L'intervention de l'association foncière de Vielle-Tursan et des 1775 autres irrigants situés dans le périmètre du syndicat Irrigadour à l'appui de la requête n° 21BX01631 est admise.
Article 2 : Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'appel de la ministre de la transition écologique et sur celui du syndicat mixte Irrigadour contre le jugement du tribunal administratif de Pau du 3 février 2021, il est sursis à l'exécution de ce jugement en tant qu'il définit un plafonnement des volumes autorisés jusqu'au 31 mai 2022 avec les conséquences décrites au point 11 du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du syndicat mixte Irrigadour est rejeté.
Article 4 : Les conclusions des associations France nature environnement Midi-Pyrénées, France nature environnement Hautes-Pyrénées, Les amis de la Terre - Groupe du Gers et SEPANSO Landes tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la ministre de la transition écologique, au syndicat mixte Irrigadour, à l'association France nature environnement Midi-Pyrénées, à l'association France nature environnement Hautes-Pyrénées, à l'association Les amis de la Terre - Groupe du Gers, à l'association SEPANSO Landes et à l'association foncière de Vielle-Tursan en tant que représentant unique des intervenants.
Une copie en sera adressée pour information à la préfète des Landes, au préfet des Hautes-Pyrénées, au préfet du Gers et au préfet des Pyrénées-Atlantiques.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mai 2021.
La présidente de chambre,
Elisabeth A...
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
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No 21BX01461, 21BX01631