Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme M... B..., M. A... B..., Mmes J..., M... et C... H..., M. G... L... et Mme K... O... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'une part, d'annuler l'arrêté du 29 mai 2017 par lequel le préfet de l'Aveyron a déclaré d'utilité publique l'opération d'expropriation de biens immobiliers exposés à un risque naturel majeur de mouvements de terrain dans le quartier de Bèches situé sur le territoire de la commune de Millau, d'autre part, d'annuler 1'arrêté du 4 octobre 2017 par lequel le préfet de l'Aveyron a déclaré cessibles au profit de la commune de Millau les propriétés désignées sur les états parcellaires joints à l'arrêté qui leur a été notifié le 17 octobre 2017.
Par un jugement n° 1703549-1705808-1705809-1705810 du 10 décembre 2019, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du préfet de l'Aveyron du 4 octobre 2017 et rejeté les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 29 mai 2017.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 février 2020, Mme M... B..., mandataire, et Mmes J..., M... et C... H..., représentées par Me N..., demandent à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 10 décembre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 29 mai 2017 par lequel le préfet de l'Aveyron a déclaré d'utilité publique l'opération d'expropriation de biens immobiliers exposés à un risque naturel majeur de mouvements de terrain dans le quartier de Bèches situé sur le territoire de la commune de Millau ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme B... et autres soutiennent que :
- le jugement est irrégulier, dès lors qu'il est entaché de contradiction de motifs et de dénaturation des pièces du dossier ;
- la procédure méconnait l'article R. 112-23 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et la commune ne pouvait demander un complément de dossier, le caractère complet du dossier s'appréciant à la date de l'enquête publique ;
- le public n'a pas été suffisamment informé, dès lors que le complément de dossier du CEREMA et sa critique faite par le Dr E... n'ont pas été portés à sa connaissance ;
- le risque n'est que pour partie naturel, dès lors qu'il résulte pour une part du défaut d'entretien des réseaux communaux et de la mauvaise réalisation d'un confortement en pied de colline, qui doit être repris ;
- c'est au prix d'une erreur de droit que le préfet a proposé l'expropriation des seules parties bâties ;
- la gestion du risque a été partielle dès lors que la préfecture et la mairie ont autorisé sur le site des courses de VTT ;
- l'existence d'un risque de glissement de terrain affirmée par le rapport du CEREMA est contredite par M. E... et son équipe de niveau supérieur.
Par ordonnance du 25 novembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 22 décembre 2020.
Mme B... et Mmes H... ont présenté une note en délibéré, enregistrée le 12 mars 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme R...,
- les conclusions de Mme D... F...,
- et les observations de Me N..., représentant Mmes B... et H....
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 29 mai 2017, le préfet de l'Aveyron a déclaré d'utilité publique l'opération d'expropriation de biens immobiliers exposés à un risque naturel majeur de mouvements de terrain sur le territoire de la commune de Millau, dans le quartier de Bèches et, par arrêté du 4 octobre 2017, il a déclaré cessibles les parcelles nécessaires à la réalisation de cette opération. Des propriétaires ont saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés et, par le jugement attaqué du 10 décembre 2019, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté de cessibilité du 4 octobre 2017 et rejeté les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 29 mai 2017 portant déclaration d'utilité publique des travaux en cause. Mme B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté leurs conclusions.
Sur la régularité du jugement :
2. À les supposer même établies, la contradiction de motifs et la dénaturation des pièces du dossier ne sont susceptibles d'affecter que le bien fondé du jugement attaqué, et non sa régularité.
Sur l'arrêté du 29 mai 2017 :
En ce qui concerne la légalité externe :
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 111-22 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " Lorsque l'opération projetée doit être réalisée sur le territoire et pour le compte d'une seule commune, le registre d'enquête est clos et signé par le commissaire enquêteur ou le président de la commission d'enquête. / Le commissaire enquêteur ou le président de la commission, dans un délai d'un mois à compter de la date de la clôture de l'enquête, transmet au maire le dossier et le registre accompagnés de ses conclusions motivées ". Aux termes de l'article R. 111-23 du même code : " Dans le cas prévu à l'article R. 112-22, si les conclusions du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête sont défavorables à la déclaration d'utilité publique de l'opération envisagée, le conseil municipal est appelé à émettre son avis par une délibération motivée dont le procès-verbal est joint au dossier transmis au préfet. / Faute de délibération dans un délai de trois mois à compter de la transmission du dossier au maire, le conseil municipal est regardé comme ayant renoncé à l'opération ".
4. Il ressort des pièces du dossier que l'enquête publique s'est déroulée du 20 mai au 16 juin 2016, et que le commissaire enquêteur a transmis ses conclusions au maire de Millau le 13 juillet 2016. Le commissaire enquêteur y assortit l'avis favorable qu'il donne au projet de réserves expresses, en faveur d'une alternative au projet consistant en un " confortement aval (qui) viserait le rétablissement de la butée de pied d'un versant jugé vulnérable " et entraînerait une diminution notable de l'emprise de l'opération d'expropriation. Ces réserves étant une condition préalable subordonnant le caractère d'utilité publique du projet d'expropriation, l'avis du commissaire enquêteur doit être regardé comme défavorable. Par une délibération du 21 septembre 2016, intervenue dans le délai de trois mois prévu par les dispositions rappelées ci-dessus de l'article R. 111-23 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, le conseil municipal a constaté les réserves dont l'avis du commissaire enquêteur était assorti et a décidé, afin de lever ces réserves, de requérir l'exécution d'une étude complémentaire. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les appelants, le conseil municipal, qui pouvait décider de l'accomplissement d'une telle étude dans le but de lever les réserves, a bien délibéré dans le délai imparti. Par délibération du 9 février 2017, au vu de la note technique du Centre d'études sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) du 12 septembre 2016, répondant aux objections du commissaire enquêteur, et d'un courrier du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer du 13 décembre 2016, informant la commune de la nécessité de poursuivre les opérations d'expropriation, la commune a décidé cette poursuite. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-23 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique doit être écarté.
5. En second lieu, les circonstances que, dans la délibération du 21 septembre 2016, le conseil municipal a demandé la réalisation d'une étude complémentaire afin de lever les réserves du commissaire enquêteur et que la note technique du CEREMA du 12 septembre 2016 et les notes de M. E... d'avril et décembre 2017, toutes postérieures à la clôture de l'enquête publique, n'ont pas été portées à la connaissance du public lors de l'enquête publique, ne sont pas de nature à établir une insuffisante information du public pendant cette enquête.
En ce qui concerne la légalité interne :
6. Aux termes de l'article L. 561-1 du code de l'environnement : " Sans préjudice des dispositions prévues au 5° de l'article L. 2212-2 et à l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, lorsqu'un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine menace gravement des vies humaines, l'État peut déclarer d'utilité publique l'expropriation par lui-même, les communes ou leurs groupements, des biens exposés à ce risque, dans les conditions prévues par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s'avèrent plus coûteux que les indemnités d'expropriation.(...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que le versant sud de la commune de Millau, sur lequel se situe le quartier de Bèches, est dominé par une falaise calcarodolomitique du Causse du Larzac et est composé de marnes feuilletées jusqu'à la plaine alluviale du Tarn. Ces marnes s'altèrent très rapidement en présence d'eau et deviennent peu cohésives, ce qui provoque une instabilité et un risque important de glissement de terrain et de coulées de boue. Le quartier de Brèches présente un risque aggravé du fait de l'existence de la faille régionale de la Cavalerie, qui draine le plateau du Larzac et active des mouvements profonds, en particulier lors des épisodes à forte pluviométrie. En 1976, le secteur de Millau a fait l'objet d'une carte ZERMOS (zones exposées à de risques de mouvement du sol et du sous-sol) complétée en 2007 par un plan de prévention des risques de mouvements de terrain. Au cours des années 2008 à 2016, des études relatives à la stabilité des sols et à la sécurité des personnes ont été menées. Une étude réalisée en 2012 fait état de deux zones de risques au sein du quartier de Bèches, une zone dite n° 1 de risque moyen, et une zone n° 2 de risque fort à très élevé, sur laquelle sont situées six maisons, dont cinq à usage d'habitation principale, et qui présentent toutes des désordres importants liés au mouvement des sols (fissures, lézardes, déplacements, basculements, tassements). Deux de ces propriétés ont été acquises à l'amiable, et, par l'arrêté contesté, le préfet de l'Aveyron a déclaré d'utilité publique l'expropriation des quatre autres biens immobiliers.
8. En premier lieu, la circonstance que les risques de glissements de terrains n'auraient pas pour origine que des causes naturelles est sans influence sur la légalité de l'arrêté contesté. Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que les risques seraient pour partie liés à un défaut d'entretien du réseau communal de récupération des eaux pluviales, alors, notamment, que la réponse à la note technique du CEREMA rédigée en août 2018 par M. E..., géotechnicien missionné par M. et Mme B..., précise que l'entretien du réseau a été " réalisé par les habitants du quartier de Bèches, qui surveillent la bonne évacuation des eaux de ruissèlement sur le versant ". Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que serait en cause une mauvaise réalisation d'un confortement en pied de colline, qu'il suffirait de reprendre. À cet égard, la note technique du 12 septembre 2016 du CEREMA affirme, en réponse aux réserves du commissaire enquêteur, que " rétablir ponctuellement une butée de pied ne préviendra pas " la survenance des risques de glissement de terrain.
9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'expropriation porte, s'agissant des parcelles des appelants, sur l'intégralité de la parcelle CZ n° 4, d'une superficie de 2 610 m² comprenant une maison à usage d'habitation d'environ 120 m², appartenant aux consorts H..., et sur l'intégralité de la parcelle DA 24, d'une superficie de 2 964 m² comprenant une maison d'habitation d'environ 128 m² appartenant à Mme B..., et non pas sur les seules parties construites des propriétés en cause.
10. En troisième lieu, à supposer, comme le soutiennent les appelants, que certaines parcelles non bâties appartenant à des tiers, situées dans le périmètre exposé aux risques, ne seraient pas comprises dans l'emprise de la déclaration d'utilité publique, cette circonstance n'est pas, à elle seule, de nature à entacher la légalité de l'arrêté contesté, dès lors qu'il n'est ni établi ni même allégué que des vies humaines y seraient menacées en cas de glissement de terrain, au sens des dispositions de l'article L. 561-1 du code de l'environnement.
11. En quatrième lieu, la circonstance, à la supposer même établie, que " la gestion du risque (aurait) été partielle dès lors que la préfecture et la mairie ont autorisé sur le site des courses de VTT ", est sans influence sur la légalité de la décision contestée.
12. En cinquième et dernier lieu, les appelants contestent l'existence d'un risque de glissement de terrain et se prévalent des rapports établis, à leur demande, par un consultant. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le premier rapport, établi en juin 2016, ne conclut pas à l'absence de risque, mais à la nécessité de " procéder à la mise en place d'un réseau de suivi topométrique de précision qui couvrirait l'ensemble de la zone dite de Bèches. Ce réseau devra être surveillé sur une période d'au moins trois années et maintenir en parallèle la surveillance inclinométrique et piézométrique. Après cette période de trois années, des décisions plus objectives pourraient être prises à charge ou à décharge des décisions prises par l'État ". Si le deuxième rapport affirme " qu'il n'y a aucune évidence ou preuve géotechnique, géomorphologique ou géologique d'un quelconque glissement de terrain actif, coulées de boues ou autres instabilités du sol dans le secteur du quartier de Bèches ", il ressort toutefois des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 7, que le secteur de Millau a fait l'objet dès 1976 d'une carte ZERMOS, complétée en 2007 par un plan de prévention des risques de mouvements de terrain, et que de nombreuses études réalisées au cours des années 2008 à 2016 ont conclu à l'instabilité du secteur, une étude réalisée en 2012 faisant état de deux zones de risques au sein du quartier de Bèches, une zone dite n° 1 de risque moyen, et une zone n° 2 de risque fort à très élevé, sur laquelle sont situées les six maisons en cause, lesquelles présentent toutes, comme le reconnaît d'ailleurs le rapport, des désordres importants liés au mouvement des sols. Par suite, le risque de glissement de terrain doit être regardé comme établi.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Aveyron du 29 mai 2017. Il y a lieu, par suite, de rejeter leurs conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... et autres est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme M... I..., épouse B..., représentant désigné pour l'ensemble des requérants, et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Délibéré après l'audience du 11 mars 2021 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,
Mme K... P..., première conseillère.
Rendu public par dépôt au greffe le 8 avril 2021.
Le président de chambre,
Éric Rey-Bèthbéder
La République mande et ordonne à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX00407