Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 26 février 2020 par lequel la préfète de la Gironde a décidé de son transfert aux autorités italiennes.
Par un jugement n° 2001080 du 11 juin 2020 le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 octobre 2020, M. F..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de prendre en charge sa demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de transfert méconnaît l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors qu'il n'est pas justifié de la nécessité de recourir à un service d'interprète téléphonique et que son entretien a duré seulement dix-sept minutes ;
- cette décision méconnaît l'article 17 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation en raison de sa situation familiale en France, de l'absence de possibilité de transfert vers l'Italie en raison de l'épidémie de covid-19 et des défaillances systémiques en Italie dans le traitement des demandes d'asile ; cette décision méconnaît les dispositions de l''article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation.
Par un mémoire enregistré le 19 octobre 2020, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête de M. F....
Elle réitère ses observations formulées en première instance fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 20 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du
26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les observations de Me D..., à la décharge de Me A..., pour M. F....
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., ressortissant turc, né le 5 août 1991 à Karliova, a déclaré être entré irrégulièrement en France le 20 juillet 2019 où il a déposé une demande d'asile auprès de la préfecture de la Gironde le 1err août 2019. Par un arrêté du 26 février 2020, la préfète de la Gironde a décidé de son transfert aux autorités italiennes. Il relève appel du jugement en date du 11 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 26 février 2020.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, il ne ressort pas du dossier que la préfète n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation.
3. En deuxième lieu, Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel.
5. L'entretien a lieu dans les conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien (...) ". Aux termes de l'article. L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".
4. Si M. F... se prévaut de ce que les services de l'interprète ont été fournis par téléphone sans que le préfet n'en justifie la nécessité conformément aux dispositions précitées de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ne ressort pas des pièces du dossier que les modalités techniques du déroulement de l'entretien l'auraient privée d'une garantie. Il ressort au contraire des pièces du dossier que préalablement à l'entretien individuel prévu par ces dispositions qui a eu lieu le 1er août 2019, M. F... s'est vu remettre avec l'assistance d'un interprète en langue turque, comprise par l'intéressé l'ensemble des informations prévues par les dispositions précitées. En outre,
M. F... ne fait état d'aucun élément qui laisserait supposer que cet entretien ne s'est pas déroulé dans les conditions de confidentialité prévues par le règlement n° 604-2013. Par ailleurs, la seule circonstance tenant à ce que son entretien individuel a duré dix-sept minutes n'est pas également, en soi, de nature à établir que les conditions dans lesquelles il a été mené auraient méconnu les garanties prévues par l'article 5 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de transfert aurait méconnu l'article 5 du règlement
n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.
5. En troisième lieu, Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...). / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". En vertu de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) / 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...). ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
6. Il résulte de ces dispositions et stipulations que la présomption selon laquelle un État " Dublin " respecte ses obligations découlant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant subi par ces derniers. Les dispositions du 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 prévoient ainsi que chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement. Cette possibilité, également prévue par l'article 17 du même règlement et reprise par l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ce cas, les autorités d'un pays membre peuvent, en vertu du règlement communautaire précité, s'abstenir de transférer le ressortissant étranger vers le pays pourtant responsable de sa demande d'asile si elles considèrent que ce pays ne remplit pas ses obligations au regard de la Convention, notamment compte tenu de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé du demandeur.
7. En application du principe qui vient d'être énoncé, il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date de l'arrêté contesté, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et de la situation particulière de l'intéressé, il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités italiennes, il ne bénéficierait pas d'un examen effectif de sa demande d'asile et risquerait de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales justifiant la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
8. D'une part, l'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à celles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsque qu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
9. M. F... fait valoir qu'il existerait des défaillances systémiques dans le traitement des demandes d'asile et dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie. Toutefois, les pièces produites, notamment les conclusions d'un rapport de l'OSAR et du DRC du 12 décembre 2018 et celles d'un rapport de mission d'observation de l'association luxembourgeoise " Passerell " du mois de janvier 2019, ne permettent pas d'établir que les autorités italiennes étaient, à la date de l'arrêté contesté, dans l'incapacité structurelle d'examiner sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
10. D'autre part, il soutient qu'en raison de l'épidémie de covid-19 les vols à destination de l'Italie ont été suspendu à compter du 24 février 2020, cette circonstance est seulement susceptible de modifier, le cas échéant, les conditions de l'exécution de cet arrêté, mais demeure sans incidence sur sa légalité.
11. Par ailleurs, si M. F..., qui n'établit pas les risques pour sa santé en cas de transfert auprès des autorités italiennes, fait valoir qu'une quarantaine de ses cousins vivent en France, ainsi qu'un frère et une soeur bénéficiant du statut de réfugié, une soeur ayant une carte de résident et un frère demandeur d'asile en attente de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, ces circonstances, à les supposer établies, et alors qu'il ne justifie pas de ses relations entretenues avec ces membres de sa famille, ne peuvent justifier à elles seules de la nécessité d'un examen dérogatoire de sa demande par les autorités françaises. Par suite, la préfète de la Gironde n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire usage de la clause discrétionnaire prévue au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 février 2020 par lequel la préfète de la Gironde a décidé de son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par voie de conséquence il y a lieu de rejeter ses conclusions à fins d'injonction, ainsi que celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du
10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... F... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
M. Dominique B..., président,
Mme E... C..., présidente assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le du 1er mars 2021.
La présidente assesseure,
Karine C...
Le président-rapporteur,
Dominique B...
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX03424