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11/01/2021 | FRANCE | N°20BX01090

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 11 janvier 2021, 20BX01090


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2020 par lequel la préfète de la Gironde a prononcé son transfert auprès des autorités allemandes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2000199 du 24 février 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 mars 2020, M. D... représenté par Me A...

demande à la présente cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté par lequel la p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2020 par lequel la préfète de la Gironde a prononcé son transfert auprès des autorités allemandes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2000199 du 24 février 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 mars 2020, M. D... représenté par Me A... demande à la présente cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté par lequel la préfète de la Gironde a décidé son transfert aux autorités allemandes ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde d'autoriser Jafar D... à enregistrer sa demande d'asile en France et de lui délivrer dans cette attente un dossier de demande d'asile à transmettre à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) ainsi qu'une autorisation provisoire de séjour dans le délai de soixante-douze heures, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 1500 euros à verser à son avocat sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté est entaché d'un défaut de motivation ;

- la motivation de la décision de transfert contestée révèle un défaut d'examen sérieux de sa demande d'asile notamment au regard des risques de renvoi en Afghanistan ;

- la décision de transfert contestée est entachée d'erreur d'appréciation de sa situation au regard des dispositions de l'article 3§2 et de celles de l'article 17§1 du Règlement n°604/2013, dès lors que les autorités allemandes ont pris à son encontre une mesure définitive d'expulsion vers l'Afghanistan, décision dont le préfet ne pouvait ignorer l'existence dans le cadre de la coopération en matière de partage d'informations prévue à l'article 34 du Règlement n°604/2013, alors que l'Afghanistan connaît une situation de violence accrue.

La préfète de la gironde a produit un mémoire en production de pièces enregistré le 14 septembre 2020.

Par une décision du 29 avril 2020, le bureau d'aide juridictionnelle a admis M. D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du

26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison d'empreintes digitales aux fins de l'application effective du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre l'administration et le public ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 pris pour son application ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. G... C....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... D..., ressortissant afghan né le 13 octobre 1992, a sollicité son admission au titre du droit d'asile en France le 10 octobre 2019. Lors de l'instruction de cette demande, la consultation des données du système Eurodac a révélé que ses empreintes digitales ont été relevées auprès des autorités allemandes le 24 novembre 2015 et le

5 octobre 2016 et auprès des autorités suédoises le 29 novembre 2015. Les autorités allemandes et suédoises ont été saisies le 14 octobre 2019, par le préfet de Paris pour des demandes de reprise en charge en application du 1. de l'article 23 du règlement (UE)

n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Si les autorités suédoises ont refusé de reprendre en charge M. D... par décision du 16 octobre 2019, les autorités allemandes, par un accord explicite du 22 octobre 2019, ont accepté leur responsabilité dans l'examen de la demande d'asile de M. D... en application du d) du 1. de l'article 18 du règlement n° 604/2013. Par un arrêté du 27 janvier 2020, la préfète de la Gironde a prononcé le transfert de M. D... auprès des autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile. M. D... relève appel du jugement du 24 février 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce dernier arrêté.

2. En premier lieu, en vertu des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. Ainsi, doit notamment être regardée comme suffisamment motivée, s'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre Etat membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet Etat, la décision de transfert à fin de reprise en charge qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'Etat en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.

3. L'arrêté litigieux portant transfert aux autorités allemandes de M. D... vise les textes sur lesquels il se fonde, notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il mentionne, rappel fait de son identité et de ses conditions d'entrée en France, que M. D... a sollicité l'asile le 11 octobre 2019 auprès des services de la préfecture et que, dès lors qu'il ressortait du relevé de ses empreintes décadactylaires qu'il avait déposé une demande d'asile en Allemagne, les autorités allemandes ont été saisies, le 14 octobre 2019, d'une demande de reprise en charge sur le fondement du règlement (UE) n° 604/2012 du 26 juin 2013, à laquelle elles ont donné leur accord explicite le 29 octobre 2019 confirmant ainsi que la demande d'asile de M. D... avait été rejetée. Ce même arrêté indique que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de l'intéressé ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) 604/2013, l'Allemagne ne constituant pas un Etat où des défaillances systémiques sont établies. Il précise qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale que M. D... tient de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale dès lors que, célibataire sans enfant, ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France et n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Allemagne. Enfin, il indique que M. D... n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsables de sa demande d'asile. Dès lors, l'arrêté portant transfert de l'intéressé aux autorités allemandes, qui comporte l'énoncé de l'ensemble des considérations de droit et de fait qui le fondent, est suffisamment motivé au regard des dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de la motivation de l'arrêté en litige, telle qu'elle vient d'être exposée au point précédent que la préfète de la Gironde a procédé à un examen particulier et attentif de la situation personnelle de M. D..., et notamment qu'il a examiné l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de l'intéressé ainsi que la possibilité de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 avant d'ordonner son transfert aux autorités allemandes. Dès lors, le moyen tiré de ce que ledit arrêté serait entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle doit être écarté.

5. En troisième lieu, d'une part, aux termes des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". Aux termes des dispositions de l'article

L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ". La mise en oeuvre par les autorités françaises de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " Les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

6. D'autre part, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants ".

7. Le requérant, ressortissant afghan, fait état dans ses écritures d'un danger pour lui en cas de transfert vers l'Allemagne dès lors que sa demande d'asile a été rejetée par cet Etat, alors qu'il se réclame originaire de la province de Ghazni, qui selon rapport de l'Assemblée Nationale du Conseil de Sécurité du 10 décembre 2019 sur l'Afghanistan est une des deux provinces touchées à 40% par les frappes. Par ailleurs, M. D... est membre de la communauté hazara qui subit " un nombre croissant d'attaques de la part des talibans, notamment dans la région de Ghazni " selon les rapports 2018 et 2019 de la CNDA. Toutefois, l'arrêté en litige n'a ni pour objet ni pour effet de renvoyer l'intéressé dans son pays d'origine mais seulement en Allemagne. Or, l'Allemagne étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, s'il est constant que la demande d'asile de M. D... a été rejetée par les autorités allemandes, l'intéressé n'établit pas ni même n'allègue qu'il aurait fait l'objet, de la part de ces autorités, d'une décision d'éloignement vers son pays d'origine dont l'exécution serait inévitable. Il ressort par ailleurs de pièces du dossier que M. D... a bénéficié d'une suspension de la mesure d'éloignement prise à son encontre jusqu'au 6 octobre 2019 afin de lui permettre d'occuper un emploi en Allemagne, à Leipzig. En outre, M. D... n'établit pas avoir épuisé l'intégralité des voies de recours en Allemagne et ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Allemagne dans la procédure d'asile. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que les autorités allemandes, alors même que la demande d'asile du requérant a été rejetée, n'évalueront pas, avant de procéder éventuellement à son éloignement, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour en Afghanistan. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de la méconnaissance, par ricochet, de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2020 à laquelle siégeaient :

M. G... C..., président,

Mme F... E..., présidente-assesseure,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 janvier 2021.

.

La présidente-assesseure,

Karine E...Le président-rapporteur

Dominique C...

La greffière,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20BX01090 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01090
Date de la décision : 11/01/2021
Type d'affaire : Administrative

Analyses

095-01


Composition du Tribunal
Président : M. NAVES
Rapporteur ?: M. Dominique NAVES
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : HAAS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-01-11;20bx01090 ?
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