Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 18 juin 2020 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de son transfert aux autorités portugaises responsables de l'examen de sa demande d'asile ainsi que l'arrêté du même jour portant assignation à résidence.
Par un jugement n° 2002660 du 22 juin 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 septembre 2020, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 22 juin 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 18 juin 2020 du préfet de la Haute-Garonne ;
3°) d'enjoindre au préfet d'enregistrer sa demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision portant transfert vers le Portugal :
- l'arrêté de transfert est entaché d'un défaut de motivation ;
- le préfet n'a pas pris en compte sa situation personnelle ;
- le préfet n'a pas respecté les délais de saisine des autorités portugaises ; il a présenté sa demande d'asile le 9 octobre 2019 en se présentant à la plateforme d'accueil des demandeurs d'asile ; le délai de deux mois pour saisir les autorités portugaises n'a pas été respecté ; de plus, l'État requis n'a donné aucun accord pour le transfert ;
- il encourt un risque de traitement contraire à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales car les autorités portugaises vont le renvoyer en Angola ; il établit encourir des risques au Portugal car des proches l'ont menacé ;
- pour des raisons humanitaires et de dignité humaine sa demande d'asile doit être traitée en France ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :
- elle porte atteinte à sa liberté d'aller et venir dès lors qu'il ne représente pas un trouble à l'ordre public et qu'il s'est toujours rendu aux convocations de la préfecture, ne présentant ainsi pas de risque de fuite ;
- il se trouve dans une situation de particulière vulnérabilité, de sorte que le préfet a méconnu l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prononçant une assignation à résidence ;
- le préfet a commis une erreur d'appréciation.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales,
- décision n° 2017-674 QPC du 1er décembre 2017 du Conseil constitutionnel,
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- le code des relations entre le public et l'administration,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique,
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant angolais, né le 14 avril 1999, est entré en France le 18 août 2019, selon ses déclarations. Titulaire d'une convocation délivrée le 9 octobre 2019 par le prestataire en charge de l'accueil des demandeurs d'asile, il s'est présenté, le 21 octobre 2019, à la préfecture de la Haute-Garonne pour y formuler une demande d'asile. Lors de l'enregistrement de son dossier complet, également le 21 octobre 2019, la consultation du fichier Visabio a révélé qu'il avait obtenu un visa Schengen par les autorités portugaises valable du 28 juin 2019 au 11 août 2019. Les autorités portugaises saisies, le 16 décembre 2019, d'une demande de prise en charge, sur le fondement de l'article 12-4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ont fait connaître leur accord le 4 février 2020. Par deux arrêtés du 18 juin 2020, le préfet de la Haute-Garonne a décidé le transfert de M. B... aux autorités portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assigné à résidence. M. B... relève appel du jugement du 22 juin 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur la légalité de l'arrêté de transfert :
2. En premier lieu, et aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ".
3. En application de ces dispositions, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Est ainsi suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
4. En l'espèce, l'arrêté de transfert mentionne que la prise des empreintes décadactylaires de M. B... le 21 octobre 2019 a révélé qu'un visa lui avait été délivré par les autorités portugaises le 13 août 2019, valable du 28 juin 2019 au 11 août 2019 et également que, saisies le 16 décembre 2019 d'une demande de prise en charge sur le fondement de l'article 12.4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, les autorités portugaises ont donné leur accord le 4 février 2020 sur la base de ce même article. Dès lors, la décision attaquée permet au requérant d'identifier le critère ayant justifié la désignation du Portugal comme État responsable de l'examen de sa demande d'asile. Enfin, cet arrêté fait état de ce que, d'une part, la situation de l'intéressé ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et de ce que, d'autre part, la décision de son transfert au Portugal ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale au sens des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, l'arrêté portant transfert de l'intéressé aux autorités portugaises, qui comporte l'énoncé de l'ensemble des considérations de droit et de fait qui le fondent, est suffisamment motivé au regard des dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de la motivation de l'arrêté contesté, telle qu'elle vient d'être exposée au point précédent, que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. B..., qu'il a examinée en tenant compte des observations formulées par l'intéressé ainsi que de la possibilité de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 avant d'ordonner son transfert aux autorités portugaises. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle doit être écarté.
6. En troisième lieu, l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 relatif à la présentation d'une requête aux fins de prise en charge dispose : " L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement. / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'État membre auprès duquel la demande a été introduite. ". Par ailleurs, aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...) 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".
7. Ainsi qu'il a été dit précédemment, M. B..., titulaire d'une convocation délivrée le 9 octobre 2019 par le prestataire en charge de l'accueil des demandeurs d'asile, s'est présenté le 21 octobre 2019 à la préfecture de la Haute-Garonne pour y formuler une demande d'asile, date à laquelle la consultation du fichier Visabio a révélé qu'il avait obtenu un visa Schengen par les autorités portugaises. Il ressort également des pièces du dossier et notamment de l'accusé de réception émis par le point d'accès national Dublinet ainsi que de la décision d'accord explicite des autorités portugaises en date du 4 février 2020, que l'autorité administrative a effectivement saisi ces autorités d'une demande de prise en charge de M. B... le 16 décembre 2019 sur le fondement de l'article 12.4 du règlement 604/2013. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les autorités portugaises n'auraient pas été saisies dans les délais prévus par les dispositions précitées manque en fait et doit être écarté.
8. En quatrième lieu et aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Il résulte de ces stipulations que la faculté laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Cette possibilité doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. En se bornant à soutenir, sans l'établir, que les personnes qui l'ont persécuté en Angola du fait de son orientation sexuelle se trouvent au Portugal, M. B... n'établit pas que le préfet aurait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en décidant de son transfert vers le Portugal.
10. S'il soutient qu'il encourt un risque d'être soumis à un traitement contraire à la dignité humaine au motif que les autorités portugaises risquent " de le transférer en Angola ", M. B... n'établit ni même n'allègue que les autorités portugaises auraient définitivement rejeté sa demande d'asile ni qu'elles auraient pris une mesure d'éloignement à destination de l'Angola. Dans ces conditions, le risque allégué ne peut, à le supposer même établi, être regardé comme étant actuel et réel à la date de l'arrêté contesté. Par suite, le préfet de la Haute-Garonne a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, décider de ne pas faire application du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013.
Sur la légalité de l'assignation à résidence :
11. Aux termes du I de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ; (...) ".
12. En premier lieu, M. B... soutient que la mesure d'assignation à résidence n'est pas fondée dès lors qu'elle ne se justifiait pas par une nécessité impérieuse relevant d'un trouble à l'ordre public, qu'il ne présentait pas de risque de fuite et que cette décision porte atteinte à sa liberté d'aller et venir. D'une part, il résulte des dispositions précitées qu'il peut faire l'objet d'une mesure d'assignation à résidence alors même que sa présence ne constitue pas une menace à l'ordre public et qu'il ne présente pas de risque de fuite. D'autre part, en ne précisant pas en quoi l'assignation à résidence en litige, qui selon la décision n° 2017-674 QPC du 1er décembre 2017 du Conseil constitutionnel ne peut être regardée comme une mesure privative de liberté, porterait une atteinte disproportionnée à sa liberté d'aller et venir alors que cette mesure est limitée dans le temps à une durée de quarante-cinq jours, M. B... n'assortit pas son moyen de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.
13. En deuxième lieu, l'appelant n'assortit pas le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.
14. En dernier lieu, M. B... ne peut utilement se prévaloir de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lequel concerne le placement en rétention.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B..., qui s'est soustrait à l'exécution de son transfert et a été déclaré en fuite le 18 juin 2020, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme F..., présidente-assesseure,
Mme C... D..., premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 décembre 2020.
Le président de chambre,
Éric Rey-Bèthbéder
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX03008