Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... H... et Mme M... G... épouse H... ont demandé au tribunal administratif de Limoges d'une part, d'enjoindre à la commune du
Châtenet-en-Dognon de procéder à l'enlèvement du caveau funéraire de la concession n° 369 du cimetière communal et, d'autre part, de condamner cette commune à leur verser une indemnité de 30 000 euros.
Par un jugement n° 1601381 du 31 octobre 2018, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'indemnisation des conséquences d'une emprise irrégulière, comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, et a condamné la commune à verser aux demandeurs la somme de 500 euros au titre de leur préjudice moral.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 28 décembre 2018 et 4 et
15 juillet 2019, la commune du Châtenet-en-Dognon, représentée par Me P..., demande à la cour :
1°) de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé à 500 euros le montant de la réparation du préjudice moral subi par M. et Mme H... mais de dire que les fautes commises par les époux H... l'exonère pour moitié de sa responsabilité ;
2°) de dire qu'il n'y a pas emprise irrégulière et de déclarer la juridiction administrative compétente ;
3°) de mettre les dépens, y compris ceux de la consultation de M. L... F..., pour une somme de 2 301,92 euros, à la charge de M. et Mme H... ;
4°) de mettre à la charge de M. et Mme H... la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune du Châtenet-en-Dognon soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il y avait emprise irrégulière, en l'absence de concession matérialisée, et alors que la commune n'a jamais reconnu avoir vendu la même concession aux époux H... et J... ; de plus, l'emprise n'a pas entraîné d'extinction du droit de propriété ;
- la responsabilité de la commune doit être partagée avec celle des époux H..., qui ont très directement concouru au préjudice dont ils se prévalent d'une part en s'abstenant de tout acte de possession et d'appropriation sur la parcelle du 31 octobre 2003 à août 2014, et, alors que le monument J... était seulement en cours en juin 2014, en s'abstenant de toute réaction avant son achèvement ;
- s'agissant de l'injonction, l'emplacement litigieux n'emporte aucun avantage par rapport aux emplacements libres proposés aux époux H..., ce qu'a constaté l'expert ;
- la concession funéraire procède d'un contrat d'occupation du domaine public, qui interdit de considérer que le concessionnaire jouit d'un véritable droit de propriété ; les époux J... en édifiant le monument funéraire sur l'emplacement litigieux dès 2014 apparaissent comme acquéreurs et possesseurs de bonne foi ;
- à titre subsidiaire, les époux H... doivent être condamnés à prendre en charge une partie des frais de démolition du caveau J... ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2019, M. D... H... et
Mme M... H..., représentés par Me A..., demandent à la cour :
- de condamner la commune du Châtenet-sur-Dognon à procéder à l'enlèvement du caveau funéraire de la concession n° 369 ;
- de condamner la commune du Châtenet-en-Dognon à leur verser une indemnité de 30 000 euros ;
- de mettre à la charge de la commune du Châtenet-sur-Dognon la somme de
2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré qu'ils étaient dépossédés de leur droit immobilier, dès lors que les travaux d'enlèvement du caveau sont réalisables et qu'il ne peut y avoir dépossession définitive du droit réel immobilier quand une remise en état des lieux est possible ;
- leur préjudice doit être évalué à 30 000 euros.
Par un mémoire, enregistré le 8 octobre 2020, M. et Mme E... J..., représentés par Me B..., demandent à la cour, au cas où elle retiendrait sa compétence pour ordonner l'enlèvement du caveau funéraire, de condamner la commune de
Châtenet-en-Dognon à leur verser les sommes de 20 610 euros, 5 000 euros à titre de dommages et intérêts et 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Q...,
- les conclusions de Mme Aurélie Chauvin, rapporteur public,
- et les observations de Me N..., représentant la commune du Châtenet-en-Dognon, et Me C..., représentant M. et Mme H....
Considérant ce qui suit :
1. En 2003, le maire de Châtenet-en-Dognon (Haute-Vienne) a accordé à M. et
Mme H... une concession funéraire perpétuelle à compter du 31 octobre 2003 dans le cimetière de la commune. Le 22 novembre 2012, une concession perpétuelle a également été attribuée à M. et Mme J... et ces derniers y ont édifié un monument funéraire. Constatant que ce monument avait été édifié sur leur concession, M. et Mme H... ont adressé au maire une demande préalable tendant au versement de la somme de 30 000 euros en réparation de leur préjudice moral et lui demandant de " " faire cesser l'emprise irrégulière en procédant à l'enlèvement du caveau funéraire de la concession n°369 ". Face au rejet de cette demande, les intéressés ont saisi le tribunal administratif de Limoges, qui, dans un jugement du 31 octobre 2018, a rejeté les conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'indemnisation des conséquences d'une emprise irrégulière comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaitre et a condamné la commune à verser aux demandeurs la somme de 500 euros au titre de leur préjudice moral, à raison de la faute commise par le maire dans le cadre de ses pouvoirs de police des cimetières.
Sur l'emprise :
2. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété.
3. La commune de Châtenet-en-Dognon persiste en appel à soutenir qu'il n'est pas établi que la concession perpétuelle accordée à M. et Mme H... sous le n° 369 par un arrêté du 31 octobre 2003 serait la même que celle accordée à M. et Mme J... sous le n° 375 par un arrêté du 22 novembre 2012. Cependant, il est constant, qu'aucun plan communal du cimetière n'a été transmis à l'expert désigné par ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Limoges du 22 avril 2015, la commune n'en ayant pas dans ses archives, alors que, comme l'ont relevé les premiers juges, la commune est responsable de la gestion de son cimetière et de la conservation des archives. Par ailleurs, la commune de Châtenet-en-Dognon a reconnu très rapidement, en réponse aux demandes de M. et Mme H..., qu'elle avait commis une erreur en attribuant deux fois la même concession, comme en attestent le compte-rendu de réunion du 18 août 2014 établi par le maire de Châtenet-en-Dognon, le courrier adressé à la commune par son assureur en date du 19 septembre 2014, le courrier adressé le 17 octobre 2014 par l'assureur de M. et Mme J... à la commune, ainsi que le " rapport d'expertise responsabilité civile définitif " établi pour le compte de l'assureur de la commune par Polyexpert le 13 février 2015. De même, dans son courrier du 11 décembre 2014 adressé aux époux J..., le maire a expressément reconnu que " la vente sur un même emplacement des deux concessions n° 369 à M. et Mme H... et à vous-même relève (...) de la responsabilité de la commune ". Dès lors, la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle avait attribué le même emplacement à deux familles différentes.
4. Il résulte de ce qui précède qu'en attribuant par erreur leur concession à des tiers, qui y ont édifié un monument funéraire, le maire de Châtenet-en-Dognon a dépossédé M. et Mme H... du droit réel immobilier dont ils étaient titulaires sur ladite concession. Par suite, les parties ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les conclusions tendant à l'indemnisation des conséquences dommageables de cette emprise et à l'enlèvement du caveau érigé par M. et Mme J....
Sur la responsabilité de la commune à raison de ses pouvoirs de police de cimetière :
5. Aux termes de l'article L. 2213-8 du code général des collectivités territoriales : " Le maire assure la police des cimetières ". Aux termes des dispositions de l'article L. 2213-13 du même code : " Lorsque l'étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture ... ". Le maire qui, du fait de l'absence de plan de gestion du cimetière et d'identification précise des parcelles concédées, attribue successivement la même parcelle à deux concessionnaires différents commet une faute dans l'exercice de ses pouvoirs de gestion et de police des cimetières de nature à engager la responsabilité de la commune.
6. Les premiers juges, aux visas de ces dispositions, ont estimé que le maire de Châtenet-en-Dognon avait commis une faute engageant la responsabilité de la commune et ont mis à la charge de cette dernière la somme de 500 euros.
7. En premier lieu, dès lors que M. et Mme H... n'avaient pas réalisé de caveau ni enterré un défunt sur la concession en cause, le tribunal administratif de Limoges a fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'ils ont subis en leur accordant une indemnité de 500 euros à la charge de la commune de
Châtenet-en-Dognon. Les conclusions d'appel incident de M. et Mme H..., tendant à ce que l'indemnité accordée par le tribunal administratif de Limoges soit portée de 500 euros à 30 000 euros doivent être rejetées.
8. En second lieu, M. et Mme H..., qui avaient acquis leur concession en 2003, n'étaient nullement tenus d'y édifier un monument funéraire dans un quelconque délai. Il résulte, en outre, de l'instruction qu'ils se sont aperçus de la construction d'un monument sur leur concession le 23 juin 2014, lors du dépôt des cendres du père de Mme H... au columbarium du cimetière et que, dès le 18 août 2014, à leur demande, le maire de Châtenet-en-Dognon a organisé une réunion au cimetière entre les intéressés. Par suite, la commune n'est pas fondée à soutenir qu'en s'abstenant de tout acte de possession sur la concession et en tardant à réagir après avoir constaté l'existence du monument J... sur leur concession, M. et Mme H... auraient commis une faute de nature à l'exonérer partiellement de sa responsabilité.
Sur les conclusions relatives aux dépens et aux frais liés à l'instance :
9. En premier lieu, aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. ".
10 En se bornant à demander le paiement de la somme de 2 301,92 euros dont elle soutient qu'elle correspond aux frais de consultation de M. L... F..., la commune de Châtenet-en-Dognon n'établit pas qu'il s'agirait de dépens de la présente instance. Les conclusions de la commune tendant à ce que cette somme soit mise à la charge de M. et Mme H... sur le fondement des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
11. En second lieu, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Châtenet-en-Dognon, au profit de M. et Mme J..., la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de rejeter les conclusions présentées sur ce fondement par la commune et M. et Mme H....
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Châtenet-en-Dognon est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident de M. et Mme H..., ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La commune de Châtenet-en-Dognon versera à M. et Mme J... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Châtenet-en-Dognon et à M. D... H... et Mme M... G... épouse H... et à M. et Mme E... J....
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme I... K..., présidente,
Mme O..., présidente-assesseure,
Mme Florence Madelaigue, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 19 novembre 2020
La rapporteure,
Q... La présidente
Brigitte K...
La greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Vienne en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 18BX04466 4