Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme Compagnie Allianz IARD a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner la société anonyme Bureau Veritas à lui verser la somme de 46 349,16 euros avec intérêt au taux légal à compter de l'introduction de sa demande.
Par un jugement n° 1501581 du 26 avril 2018, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 juin 2018, la société Compagnie Allianz IARD, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 26 avril 2018 ;
2°) de condamner la société Bureau Veritas à lui verser la somme de 46 349,16 euros avec intérêts au taux légal à compter du dépôt de la présente requête ;
3°) de mettre à la charge de la société Bureau Veritas la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- les premiers juges se sont trompés sur le fondement de sa requête ;
- il ressort du rapport d'expertise que les dommages résultent d'un enchaînement de circonstances qui vont de la conception des ouvrages à leur validation sans réserve par le maître d'oeuvre et le bureau de contrôle Veritas ;
- la société bureau Veritas, contrôleur technique chargé notamment d'une mission relative à la solidité de l'ouvrage, a commis, selon l'expert, de nombreux manquements, notamment l'absence de vérification des brides, des hypothèses de calcul et de la fatigue, l'absence de signalement des mauvais appuis de pylônes, du défaut de plaquage des brides, des nombreux boulons et rondelles manquants et l'absence de certificat matière et de données relatives au serrage des boulons HR ;
- ces défaillances justifient que lui soient imputés 10 % du coût des réparations, conformément aux conclusions de l'expert qui retient 5 % de responsabilité au titre du contrôle de la conception et 5 % au titre du contrôle de la réalisation ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2019, la société Bureau Veritas Construction, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Compagnie Allianz IARD au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la subrogation légale de l'article L. 121-12 du code des assurances suppose que l'assureur ait payé l'indemnité en application du contrat d'assurances, et la société appelante n'établit pas avoir payé une telle indemnité à la société Cegelec ;
- l'expert a confondu la mission du contrôleur technique avec celle d'un maître d'oeuvre d'exécution ;
- s'agissant des notes de calcul établies par la société MAPPP, il n'avait pas à émettre de réserve, dès lors que ces notes ont été établies en cours d'exécution du chantier, du fait de modifications qui ne peuvent lui être imputées, d'autant que la société Cegelec, chargée du suivi de la fabrication et de la réalisation, ne démontre pas avoir sollicité, par le biais du maître d'ouvrage, un avis spécifique du contrôleur technique sur les modifications litigieuses ; en ce qui concerne la vérification de la fatigue, la société MAPP a été chargée de la réalisation de la note de calcul du dimensionnement des ouvrages, et la société Bureau Veritas n'a pas été mandatée par le maître de l'ouvrage afin de vérifier et refaire les calculs réalisés par la société MAPPP, son rôle consistait uniquement à viser la note de calculs et vérifier sa cohérence globale par rapport au référentiel réglementaire ;
- la responsabilité du contrôleur technique ne peut être retenue pour des erreurs d'exécution qui relèvent de la responsabilité du maître d'oeuvre d'exécution ;
- le maître d'ouvrage ne lui a pas confié de mission de contrôle s'agissant de la fabrication des brides.
Par ordonnance du 18 juin 2019, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 18 juillet 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- Le code de la construction et de l'habitation ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de M. A... B...,
Considérant ce qui suit :
1. En 2003, le département de l'Indre, désireux d'étendre la couverture de son territoire par les réseaux de téléphonie mobile, a lancé une consultation pour la fourniture, la livraison et le montage de cinq pylônes permettant de recevoir les antennes des opérateurs, sur les sites d'Ambrault, de Sainte-Sévère, de Lureuil, de Saint-Plantaire et de Bélâbre. Le lot n° 1 du marché de travaux, " charpente métallique " a été attribué à la société Cegelec, laquelle a sous-traité à la société MAPPP les études d'exécution. La société Bureau Veritas s'est vu confier une mission de contrôleur technique. La réception a été prononcée le 18 janvier 2005.
2. En 2006, des désordres sont apparus sur le système de fixation à mi-hauteur du mât des pylônes, au niveau de la bride centrale. La société Cegelec a changé tous les boulons, mais des fissures sont apparues entre la partie supérieure des goussets et la sous-face de la bride, entrainant de nouvelles ruptures de boulons. La société Cegelec a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Limoges qui, par ordonnance du 6 février 2008, a désigné un expert.
3. Une solution de réparation des désordres ayant été trouvée pendant les opérations d'expertise, la société Cegelec a effectué les travaux à ses frais. Son assureur, la société Compagnie Allianz IARD, a alors assigné la société MAPPP et la société Bureau Veritas devant le tribunal de grande instance de Paris en sollicitant leur condamnation à lui verser, respectivement, les sommes de 139 047 euros et de 46 349 euros correspondant selon elle à leur part de responsabilité dans la survenance des désordres. En cours d'instance, un accord amiable est intervenu avec la société MAPPP, et la Compagnie Allianz IARD s'est désistée de ses conclusions dirigées contre cette société. Par jugement du 3 novembre 2015, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris a rejeté la demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
4. La Compagnie Allianz IARD a alors saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui a renvoyé l'affaire au tribunal administratif de Limoges, d'une demande tendant à la condamnation de la société Bureau Veritas à lui verser la somme de 46 349 euros. Elle relève appel du jugement du 26 avril 2018 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Sur la recevabilité de la demande portée devant les premiers juges :
5. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur ".
6. Il appartient à l'assureur qui demande à bénéficier de la subrogation prévue par les dispositions de l'article L. 121-12 du code des assurances de justifier par tout moyen du paiement d'une indemnité à son assuré.
7. La Compagnie Allianz IARD a produit devant les premiers juges une quittance subrogatoire, signée par la société Cegelec le 10 octobre 2012, établissant le versement de la somme totale de 340 722,90 euros à la société Cegelec " pour le règlement total et définitif des dommages portant sur les pylônes de Belâbre, Lureuil, Ambrault, Sainte-Sévère et Saint-Plantaire ". Dès lors, contrairement à ce que soutient la société Bureau Veritas, la société Compagnie Allianz IARD a la qualité de subrogée au sens de l'article L. 121-12 du code des assurances à hauteur de ce montant.
Sur le fondement de la demande de la société Compagnie Allianz IARD :
8. Il résulte de la lecture du mémoire introductif d'instance, enregistré devant les premiers juges le 30 septembre 2015, que, si la société Compagnie Allianz IARD y précisait que les désordres en cause étaient de " gravité décennale ", elle n'a pas entendu fonder sa demande sur la responsabilité décennale, mais bien sur la responsabilité délictuelle, le mémoire citant " les articles 1382 et suivants du code civil ", dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du n° 2016-131 du 10 février 2016.
Sur la demande de condamnation de la société Bureau Veritas :
9. Aux termes de l'article L. 111-23 du code de la construction et de l'habitation : " Le contrôleur technique a pour mission de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d'être rencontrés dans la réalisation des ouvrages. / Il intervient à la demande du maître de l'ouvrage et donne son avis à ce dernier sur les problèmes d'ordre technique. Cet avis porte notamment sur les problèmes qui concernent la solidité de l'ouvrage et la sécurité des personnes ".
10. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Limoges, que les désordres trouvent leur origine dans un défaut de conception et ont été aggravés par la médiocrité de la réalisation des travaux.
Ainsi, alors que le cahier des clauses techniques particulières prévoyait un fût central réalisé d'un seul tenant ou l'assemblage de deux tronçons par emboitement, pendant la phase d'exécution le choix s'est finalement porté sur l'assemblage de trois tronçons grâce à des brides maintenues par des boulons. L'expert relève que la société MAPPP, sous-traitant de la société Cegelec, titulaire du lot n° 1, " charpente métallique ", pour les études d'exécution et notamment la vérification des assemblages, n'a vérifié la tenue des brides qu'une fois le premier pylône monté.
L'expert note également que la société bureau Veritas et le maître d'oeuvre AP consulting ont omis de relever non seulement que les calculs des assemblages n'avaient pas été réalisés mais qu'en plus aucune vérification en fatigue n'avait été faite, alors même que les pylônes, du fait de la compensation de dépointage, sont particulièrement soumis au phénomène de fatigue. L'absence de vérification sérieuse de la tenue de l'ouvrage a conduit à un important sous-dimensionnement de la bride n° 2 et à un léger sous-dimensionnement de la bride n° 1, et ces faiblesses ont été accentuées par des brides non jointives, par l'impossibilité de serrer certains boulons aux couples en raison des limitations d'accès et de mettre en place certains boulons dans des orifices non coaxiaux. S'agissant de la part des désordres imputables au Bureau Veritas, l'expert la fixe à 10 %.
11. La société Bureau Veritas soutient que, compte tenu des limites de la mission de contrôle technique, aucune faute ne peut lui être reprochée, dès lors, d'une part, que des modifications de conception de l'ouvrage sont intervenues lors de la phase d'exécution et d'autre part, qu'il ne lui appartenait pas de refaire les calculs de la société MAPPP. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la société MAPPP n'a pas réalisé les calculs des assemblages ni opéré de vérification en fatigue des pylônes, et que la société Bureau Veritas, dont la mission s'étendait non seulement, au stade de la conception, à l'examen des dispositions techniques du projet, mais également, au moment de la réalisation des travaux, au contrôle du caractère satisfaisant des vérifications techniques, n'a pas relevé ces graves oublis. Par suite et nonobstant la circonstance qu'elle n'était pas tenue d'assister à toutes les réunions de chantier, sa part de responsabilité dans la survenance des désordres doit être évaluée à 10 %.
En ce qui concerne le montant de l'indemnité
12. Il résulte de l'instruction que l'expert a fixé le montant des travaux nécessaires à la reprise des désordres à la somme totale de 403 173 euros, correspondant à des travaux de confortement pour 191 006,24 euros, des frais de contrôle technique pour 5 600 euros, et d'études pour 71 945 euros, des frais nécessaires à la réalisation de l'expertise pour 4 345,72 euros, des travaux d'urgence pour 50 926,82 euros et des travaux complémentaires pour 79 349,06 euros. La somme de 5 600 euros correspondant aux frais de contrôle technique a été prise en charge par le département de l'Indre. S'agissant des frais d'études et de ceux nécessaires à la réalisation de l'expertise, l'appelante demande à ce qu'ils incluent la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 19,6 %. Par suite, la somme que la société Cegelem a déboursé pour remédier aux désordres s'élève à 412 525,82 euros. Il y a lieu, dès lors, de condamner la société Bureau Veritas à payer à la société Compagnie Allianz IARD la somme de 41 253 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 20 juin 2018, jour de l'introduction de la requête de la société Compagnie Allianz IARD, conformément à sa demande.
Sur les frais d'expertise :
13. Les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 50 965,81 euros, sont mis à hauteur de 10 %, soit 5 966 euros, à la charge de la société Bureau Veritas.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Compagnie Allianz IARD est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Bureau Veritas la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et de rejeter ses conclusions présentées sur ce fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges est annulé.
Article 2 : La société Bureau Veritas est condamnée à verser à la société Compagnie Allianz IARD la somme de 41 253 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 20 juin 2018.
Article 3 : La société Bureau Veritas est condamnée à verser à la société Compagnie Allianz IARD la somme de 5 966 euros au titre des frais d'expertise.
Article 4 : La société Bureau Veritas versera à la société Compagnie Allianz IARD la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions de la société Bureau Veritas au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Compagnie Allianz IARD et à la société anonyme Bureau Veritas.
Délibéré après l'audience du 1er juillet 2020 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme E..., présidente-assesseure,
Mme Florence Madelaigue, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 29 juillet 2020.
La rapporteure,
F...Le président
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Camille Péan
La République mande et ordonne au préfet de l'Indre en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°18BX02426 6