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10/07/2020 | FRANCE | N°18BX02698

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 10 juillet 2020, 18BX02698


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner

le centre hospitalier Samuel Pozzi de Bergerac à lui verser la somme d'un million d'euros

en réparation des préjudices résultant de l'intervention chirurgicale du 26 juin 2006.

Par un jugement n° 1504055 du 4 mai 2018, le tribunal administratif de Bordeaux

a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 juillet 2018, Mme B..., représentée par

M

e I..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 mai 2018 ;

2°) de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner

le centre hospitalier Samuel Pozzi de Bergerac à lui verser la somme d'un million d'euros

en réparation des préjudices résultant de l'intervention chirurgicale du 26 juin 2006.

Par un jugement n° 1504055 du 4 mai 2018, le tribunal administratif de Bordeaux

a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 juillet 2018, Mme B..., représentée par

Me I..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 mai 2018 ;

2°) de condamner le centre hospitalier Samuel Pozzi de Bergerac à lui verser

une indemnité d'un million d'euros à parfaire, assortie des intérêts moratoires à compter

de l'enregistrement de sa requête de première instance et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier le paiement de la somme de 10 000 euros au bénéfice de son avocat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ainsi que la somme de 1 000 euros au titre des frais de déplacement de première instance et d'appel, et les entiers dépens.

Elle soutient que :

- elle n'a été informée ni d'une ablation partielle, ni d'une ablation totale de l'ovaire droit lors de l'intervention réalisée le 26 juin 2006 ; le formulaire de consentement, qu'elle

n'a d'ailleurs pas signé, ne mentionne pas le risque de perte de l'ovaire ;

- ce défaut d'information l'a privée de la possibilité de faire un choix et d'envisager d'autres alternatives chirurgicales et a porté atteinte à son intégrité physique ;

- ce défaut d'information n'a pas été réparé en 2011 lorsque l'établissement s'est

aperçu de la disparition de l'ovaire, dont il ne l'a pas davantage informée ;

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la faute éventuelle n'avait

pas entraîné de perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; elle a en effet été privée de la possibilité de prendre d'autres dispositions ;

- l'opération de kystectomie réalisée en 2006 ne nécessitait pas l'ablation de l'ovaire,

de sorte qu'il y a une faute médicale de l'établissement ;

- c'est à tort que le tribunal n'a pas reconnu le caractère fautif de l'acte médical,

à l'origine de la perte de l'ovaire, en s'appuyant sur les affirmations non étayées du rapport d'expertise qui évoque une nécrose ;

- en tout état de cause, quand bien même il s'agirait d'un aléa, elle n'a pas été

informée du risque de nécrose, ce qui constitue une faute de l'établissement ;

- elle est, dès lors, fondée à solliciter une indemnité de 700 000 euros au titre de

la perte de l'ovaire et de 300 000 euros au titre du préjudice moral.

Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés

le 19 novembre 2018 et le 25 mars 2019, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté

par Me E..., conclut à sa mise hors de cause.

Il fait valoir que :

- les préjudices subis par Mme B... ne sont pas la conséquence directe d'un acte de soins et ne constituent pas un aléa thérapeutique ou un accident médical non fautif, l'expert excluant tout lien de causalité entre les préjudices et l'intervention ; les dommages sont en lien avec l'état initial de l'intéressée ;

- en toute hypothèse, les conditions d'intervention de la solidarité nationale ne sont pas réunies dès lors que le dommage n'est pas anormal au regard de l'état de santé de Mme B... comme de l'évolution prévisible de celui-ci, et que le risque de présenter une nécrose de l'ovaire ne pouvait être considéré comme faible ;

- enfin, les préjudices allégués ne remplissent pas les conditions de gravité justifiant l'intervention de l'Office.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 mars 2019, le centre hospitalier Samuel Pozzi de Bergerac, représenté par Me J..., conclut au rejet de la requête

de Mme B... et à ce que soit mis à la charge de la requérante le paiement de la somme

de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- aucun défaut d'information ne peut lui être reproché ;

- aucune faute médicale n'a davantage été commise lors de la prise en charge

de Mme B..., le geste médical réalisé conformément aux règles de l'art étant, de surcroît, nécessaire.

Par une décision n° 2018/014597 du 18 octobre 2018 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux, Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Par une décision du 16 octobre 2019, la clôture d'instruction a été fixée

au 29 novembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. G... D...,

- les conclusions de Mme Aurélie Chauvin, rapporteur public ;

- et les observations de Me I... pour Mme B... et de Me H...

pour l'ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., alors âgée de 21 ans, s'est présentée aux urgences du centre hospitalier de Bergerac, le 23 juin 2006, en raison de métrorragies irrégulières faisant suite à l'arrêt de sa contraception hormonale et de douleurs hypogastriques aléatoires. Une échographie abdominale a mis en évidence un volumineux kyste situé sur l'ovaire droit, nécessitant une intervention chirurgicale. Le 26 juin 2006, Mme B... a été opérée au centre hospitalier de Bergerac pour une kystectomie et une ovariectomie partielle droite sous coelioscopie. Le 11 août 2011,

elle a consulté au centre hospitalier de Bergerac pour des douleurs abdomino-pelviennes. L'échographie ainsi que l'examen d'imagerie par résonnance magnétique réalisés ayant révélé un kyste ovarien gauche, Mme B... a été hospitalisée dans le même établissement du 19

au 22 août 2011 pour une coelioscopie exploratrice à visée diagnostique et une exérèse du kyste gauche avec préservation de l'ovaire gauche, compte tenu de la suspicion clinique d'une endométriose. Selon le compte rendu de cette intervention, la patiente était atteinte d'un kyste endométriosique ovarien gauche et ne présentait plus d'ovaire droit, analyse confirmée par les comptes rendus des examens d'imageries par résonnance magnétique réalisés les 9 mai 2012

et 14 octobre 2014. Imputant au centre hospitalier de Bergerac un manquement à son obligation d'information ainsi qu'une faute liée à la perte de l'ovaire droit lors de l'intervention réalisée le 26 juin 2006, Mme B..., après le rejet de sa réclamation préalable, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'établissement de santé à lui verser la somme

d'un million d'euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des manquements commis par l'hôpital lors de cette intervention du 26 juin 2006. Elle relève appel du jugement du 4 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux, après avoir décidé la réalisation d'une expertise avant dire droit, a rejeté sa demande.

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne l'existence d'une faute médicale :

2. L'article L. 1142-1 du code de la santé publique dispose que : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

3. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise déposé le 12 octobre 2017 au greffe du tribunal, que l'intervention chirurgicale du 26 juin 2006, consistant en une kystectomie sous coelioscopie et une ovariectomie partielle droite avec conservation ovarienne, a été réalisée conformément aux règles de l'art médical. L'expert souligne que la perte de l'ovaire droit de Mme B... est due à une nécrose survenue postérieurement à l'intervention, et s'explique par le caractère volumineux du kyste, lequel a distendu et donc fragilisé les vaisseaux, et par le geste chirurgical qui a nécessité la coagulation de certains vaisseaux pour préserver l'ovaire tout en évitant une hémorragie. Il ajoute que la perte de l'ovaire constitue un aléa thérapeutique non fautif. Si Mme B... persiste à contester les conclusions de l'expert en soutenant que, contrairement à ce qui résulte du compte rendu opératoire, le chirurgien aurait procédé à une ovariectomie totale lors de l'intervention chirurgicale du 26 juin 2006,

elle n'apporte toutefois en appel, à l'appui de cette allégation, aucun élément de nature à remettre en cause les observations de l'expert, lequel a pris connaissance de son entier dossier médical.

Il ressort d'ailleurs de ce dernier, notamment de l'examen d'anatomo-pathologie pratiqué

le 30 juin 2006 et confirmé en janvier 2015 par le médecin spécialiste libéral l'ayant réalisé, après relecture des lames du kyste ovarien, que la pièce retirée lors de l'intervention correspond à une kystectomie sans ovariectomie totale et sans présence de trompe. L'expert souligne, à cet égard, sans être utilement contredit, qu'une ovariectomie totale aurait conduit à l'ablation de la trompe et que, par ailleurs, il aurait été noté la présence d'un drain de redon. Dans ces conditions, c'est par une exacte appréciation des faits de l'espèce que les premiers juges ont considéré que la perte de l'ovaire droit résultait d'une nécrose survenue postérieurement à l'intervention, sans lien direct avec celle-ci, et constituait un accident médical non fautif, de sorte qu'aucune faute médicale ne peut être imputée au centre hospitalier de Bergerac.

En ce qui concerne le défaut d'information :

4. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel (...) ".

5. Lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation. Un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée. C'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que l'existence d'une perte de chance peut être écartée. Si, à la suite d'un défaut d'information, le juge peut ainsi nier l'existence d'une perte de chance de se soustraire au risque lié à l'intervention au motif que celle-ci était impérieusement requise, il lui appartient, pour se prononcer en ce sens, de rechercher dans quel délai une évolution vers des conséquences graves était susceptible de se produire si le patient refusait de subir dans l'immédiat l'intervention.

6. En l'espèce, Mme B... a soutenu ne pas avoir été informée du risque de perte de son ovaire droit et ne pas avoir donné un consentement éclairé avant de subir l'intervention chirurgicale du 26 juin 2006. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise et de la littérature médicale produite par l'ONIAM, que compte tenu de la large déformation de l'ovaire due au volumineux kyste, le risque de torsion d'annexe était réel. Cette pathologie, dont les kystes ovariens constituent la principale étiologie, constitue une urgence médicale. Elle se caractérise par une torsion sur l'axe défini par le ligament lombo-ovarien et le ligament tubo-ovarien, ce qui provoque une ischémie pouvant évoluer, à brève échéance, vers la nécrose et vers une perte de l'ovaire. La seule chance de conserver l'ovaire était ainsi de réaliser la kystectomie telle qu'elle a été pratiquée, l'indication opératoire étant " formelle ", sans alternative possible. Dans ces conditions, dès lors que l'intervention pratiquée était impérieusement requise eu égard aux risques d'évolution rapide de la pathologie vers des conséquences graves et irréversibles, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que Mme B... ne disposait pas d'une possibilité raisonnable de refuser l'intervention en cause. Dès lors, le défaut d'information imputable au centre hospitalier de Bergerac n'a pas entraîné, dans les circonstances de l'espèce, de perte de chance pour l'intéressée de se soustraire au risque qui s'est réalisé. Il suit de là que la responsabilité du centre hospitalier ne peut davantage être engagée au titre d'un défaut d'information au sens des dispositions précitées de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique.

7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Bergerac. Par ailleurs, et compte tenu du fait que l'accident médical non fautif dont l'intéressée a été victime n'est à l'origine que d'un déficit fonctionnel permanent pouvant être évalué, à la suite de l'expert, à 3 %, l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause, les seuils requis pour son intervention au titre de la solidarité nationale n'étant pas atteints.

Sur les frais relatifs au litige :

8. Mme B..., qui est la partie perdante, n'est fondée à demander qu'une somme soit mise à la charge du centre hospitalier de Bergerac ni au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ni, en toute hypothèse, au titre de " frais de déplacement de première instance et en appel ".

Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de la requérante au titre des frais exposés par l'établissement hospitalier à l'occasion du présent litige.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.

Article 2 : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Bergerac sur le fondement

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... B..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Dordogne, au centre hospitalier Samuel Pozzi de Bergerac et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 7 juillet 2020 à laquelle siégeaient :

Mme A... C..., présidente,

M. G... D..., premier conseiller,

Mme K..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2020.

La présidente,

Anne C...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 18BX02698


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