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10/07/2020 | FRANCE | N°18BX02618

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 10 juillet 2020, 18BX02618


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... F... a demandé au tribunal administratif de La Réunion

de condamner le centre hospitalier Gabriel Martin à lui verser la somme de 70 856,20 euros

en réparation des préjudices résultant des fautes commises dans la gestion de sa demande

de validation de ses services d'agent contractuel.

Par un jugement n° 1600060 du 5 avril 2018, le tribunal administratif de La Réunion a condamné le centre hospitalier Gabriel Martin à verser à Mme F... la somme

de 60 000 euro

s.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 6 juillet ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... F... a demandé au tribunal administratif de La Réunion

de condamner le centre hospitalier Gabriel Martin à lui verser la somme de 70 856,20 euros

en réparation des préjudices résultant des fautes commises dans la gestion de sa demande

de validation de ses services d'agent contractuel.

Par un jugement n° 1600060 du 5 avril 2018, le tribunal administratif de La Réunion a condamné le centre hospitalier Gabriel Martin à verser à Mme F... la somme

de 60 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 6 juillet 2018 et

le 15 novembre 2018, le centre hospitalier Gabriel Martin, représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 5 avril 2018 en tant qu'il l'a condamné à verser à Mme F... une somme de 60 000 euros et a mis à sa charge une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande indemnitaire de Mme F... ;

3°) de mettre à la charge de Mme F... le paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'établissement soutient que :

- la créance de Mme F... était prescrite à la date de sa réclamation indemnitaire

du 6 janvier 2014 ; c'est à tort que le tribunal a écarté cette fin de non-recevoir ;

- c'est à tort qu'il s'est fondé sur un texte de 2003 alors que la " faute " commise remonterait à 1992 ;

- c'est également à tort que le tribunal n'a pas retenu de faute de la victime, laquelle ne s'est pas assurée que le formulaire de demande de validation de services avait bien été réceptionné par la caisse de retraite (la CNRACL), alors qu'elle devait accepter la validation de ces services, ce qui impliquait le paiement de cotisations ;

- c'est enfin à tort que le tribunal a retenu une faute de l'établissement sans rechercher si la faute n'aurait pas été commise par la caisse de retraite ;

- le montant différentiel estimé par Mme F... est surévalué dès lors qu'elle ne prend pas en compte le montant de la pension versée, au titre de ses fonctions contractuelles, par le régime général et par l'IRCANTEC ; elle ne produit d'ailleurs pas son titre de pension au titre de la CNRACL ;

- en revanche, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande de rappel de traitements, pour un montant de 7 136 euros, formulée par Mme F....

Par un mémoire en défense et deux mémoires complémentaires, enregistrés

les 1er octobre 2018 et 7 janvier 2019, Mme H... F..., représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête du centre hospitalier Gabriel Martin et à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier le paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- sa demande n'était pas prescrite dès lors qu'elle n'a eu pleinement conscience

de sa créance qu'en fin d'année 2013 ;

- l'établissement a commis une faute en ne transmettant pas à la CNRACL la demande de validation de services contractuels qu'elle avait signée le 15 août 1992 et qui devait

être transmise au plus tard le 31 décembre 2008 ;

- il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir pallié la carence fautive

de l'administration ;

- le centre hospitalier n'établit pas avoir transmis à la CNRACL la demande

de validation de services ;

- le préjudice est établi dans son principe et dans son montant.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 ;

- le décret n° 88-1077 du 30 novembre 1988 ;

- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. G... C...,

- et les conclusions de Mme Aurélie Chauvin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... a été recrutée le 22 août 1983 par le centre hospitalier Gabriel Martin de Saint-Paul (La Réunion) en qualité d'infirmière contractuelle. Elle a été nommée infirmière stagiaire le 1er août 1986, puis titularisée dans le corps des infirmiers diplômés d'Etat avec effet au 1er janvier 1988. Elle a présenté, au mois d'août 1992, une demande de validation de ses services d'agent contractuel en vue de leur prise en compte dans le calcul de ses droits à pension. Ayant été informée, au mois de novembre 2009, que cette demande était demeurée sans suite, elle a sollicité la régularisation de sa situation auprès de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), mais s'est vu opposer un refus le 31 décembre 2010.

Elle a alors sollicité la condamnation du centre hospitalier Gabriel Martin à lui verser la somme totale de 70 856,20 euros en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises dans la gestion de sa demande de validation des services contractuels réalisés entre 1983 et 1986.

Le centre hospitalier Gabriel Martin relève appel du jugement du 5 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de La Réunion l'a condamné à verser à Mme F... une indemnité

de 60 000 euros et a mis à sa charge une somme de 1 500 euros sur le fondement de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public. ". Selon l'article 3 de cette même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". La connaissance par la victime de l'existence d'un dommage ne suffit pas à faire courir le délai de la prescription quadriennale, le point de départ de cette dernière étant la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l'origine de ce dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration. Ainsi, lorsqu'est demandée l'indemnisation du préjudice résultant d'une faute de l'administration, le fait générateur de la créance doit être rattaché non pas à l'exercice au cours duquel la faute a été commise mais à celui au cours duquel elle a été connue de celui qui s'en prévaut.

3. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que Mme F... a été informée au mois de novembre 2009, lors de la réalisation d'une simulation de départ à la retraite par les services du centre hospitalier Gabriel Martin, que sa demande de validation de ses services d'agent contractuel, effectuée en août 1992, n'avait pas été traitée par la CNRACL. Il résulte également de l'instruction que cette demande, validée par les services du centre hospitalier

le 9 décembre 1992, n'a jamais été enregistrée par les services de la CNRACL. A la suite de son recours gracieux du 27 août 2010, Mme F... a été informée, par une lettre du directeur de la CNRACL du 31 décembre 2010, de ce que sa demande ne lui était pas parvenue et des conséquences en termes d'impossibilité de validation de ses services contractuels, l'établissement employeur n'apportant pas la preuve d'une transmission effective de cette demande. Dans ces conditions, Mme F... n'a pu avoir pleinement connaissance de l'origine du dommage ou, à tout le moins, n'a pu disposer d'indications suffisantes selon lesquelles son préjudice était imputable au fait de son administration, qu'à compter de cette dernière date.

Il suit de là qu'à la date d'introduction de sa réclamation le 16 décembre 2013 et, en toute hypothèse, à la date du 6 janvier 2014 à laquelle le centre hospitalier prétend avoir reçu cette demande indemnitaire, la créance dont se prévaut Mme F... n'était pas prescrite. Le centre hospitalier Gabriel Martin n'est, dès lors, pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal a écarté l'exception de prescription quadriennale qu'il avait entendu opposer à la demande

de Mme F....

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier Gabriel Martin :

4. Il résulte des dispositions du I de l'article 50 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la CNRACL, entré en vigueur le 1er janvier 2004, que la validation des services effectués en qualité d'agent non-titulaire doit être demandée dans les deux années qui suivent la date de la notification de la titularisation. Cependant, aux termes de l'article 65 du même décret, dans sa rédaction applicable à la situation de la requérante : " I. - Par dérogation au délai prévu dans la première phrase du premier alinéa du I de l'article 50, la validation de services définie dans cet alinéa, lorsque la titularisation (...) est antérieure au 1er janvier 2004, doit être demandée avant la radiation des cadres et jusqu'au 31 décembre 2008. ". Le décret du 26 décembre 2003 a ainsi abrogé, à compter du 1er janvier 2004, les dispositions du décret n° 65-773 du 9 septembre 1965, et notamment son article 46, en vertu duquel la validation des services effectués en qualité d'agent non-titulaire n'était pas soumise à un délai contraint.

5. Ainsi qu'il a été dit plus haut, Mme F... a déposé auprès du centre hospitalier Gabriel Martin, le 15 août 1992, une demande de validation de ses services d'agent contractuel. La direction de l'établissement a, le 9 décembre 1992, " certifié l'exactitude des renseignements contenus dans le présent document ". Toutefois, comme l'a justement relevé le tribunal, il résulte des échanges de courriers intervenus entre le centre hospitalier, la CNRACL et Mme F... en 2009 et 2010 que cette demande de validation de services n'a jamais été reçue ni enregistrée par la CNRACL. Le centre hospitalier Gabriel Martin n'est pas en mesure de démontrer qu'il aurait effectivement adressé à la CNRACL, en temps utile, la demande qu'il avait reçue et certifiée en 1992, alors qu'à cette date, aucune condition de délai n'était opposable à la demande de l'intéressée. Dans ces conditions, et faute pour le centre hospitalier d'apporter la preuve qui lui incombe de la transmission effective de cette demande à la caisse de retraite avant

le 31 décembre 2008, date à partir de laquelle la validation des services contractuels de l'intéressée n'était plus possible, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que

le centre hospitalier avait commis une faute de nature à engager sa pleine responsabilité à l'égard de Mme F... à raison des préjudices en résultant directement sur le calcul de ses droits à pension. A cet égard, et comme l'a également relevé à juste titre le tribunal, le centre hospitalier Gabriel Martin n'est pas fondé à soutenir que l'intéressée aurait commis une faute de nature à l'exonérer de sa propre responsabilité, en s'abstenant de toute démarche au cours des années ayant suivi le dépôt de sa demande de validation de services dès lors qu'il n'appartenait pas à l'intéressée de s'assurer du respect par l'établissement de ses obligations et qu'avant

le 31 décembre 2010, ainsi qu'il a été dit au point 3, Mme F... ne pouvait avoir pleinement connaissance des conséquences de cette carence fautive.

Sur le préjudice indemnisable :

6. Mme F... a soutenu, en première instance, qu'elle aurait perçu une pension

de retraite augmentée de 177 euros par mois si elle avait pu valider les services d'agent contractuel accomplis entre le 22 août 1983 et le 31 juillet 1986. Toutefois, cette évaluation,

qui ne repose que sur un tableau manuscrit non daté, réalisé " sans engagement " par l'agent chargé du suivi de la carrière de Mme F... au centre hospitalier Gabriel Martin et qui

est sérieusement contestée en défense, ne saurait suffire à établir la réalité et le quantum du préjudice allégué. En particulier, cette estimation ne prend pas en compte, comme le

relève l'établissement, le montant de la pension effectivement perçue par l'intéressée de la part de la CNRACL, non plus que le montant de la pension qui lui est versée par l'IRCANTEC

et le régime général de sécurité sociale au titre de ses services contractuels. Il suit de là que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur cette simple évaluation aux fins d'établir précisément le montant du préjudice subi et indemnisable de Mme F.... Dans ces conditions, il y a lieu, pour la cour, statuant par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner,

dans cette mesure, le droit à indemnité de Mme F... au regard de l'ensemble des conclusions et moyens de première instance et d'appel.

7. En dépit des mesures d'instruction prescrites par la cour et de la démarche initiée par l'intéressée auprès de la CNRACL, notamment par une lettre du 6 avril 2020, l'état du dossier ne permet pas d'évaluer précisément le montant du préjudice lié aux pertes de droit à pension de retraite que Mme F... a subies. Il y a lieu, dès lors, d'ordonner avant dire droit une mesure complémentaire d'instruction aux fins d'obtenir de la part de la CNRACL, dans un délai de trois mois, la copie des bulletins de pension de Mme F... au titre des différents régimes de retraite dont elle est bénéficiaire, ainsi qu'une simulation de ce qu'auraient été ses droits à pensions s'il avait été tenu compte de la validation des seize trimestres d'activité réalisés au titre du régime de l'IRCANTEC.

8. Tous les droits et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué sont réservés jusqu'en fin d'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Il est prescrit avant dire droit à la CNRACL de communiquer à la cour, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, la copie des bulletins de pension

de Mme F... au titre des différents régimes de retraite dont elle est susceptible de bénéficier, ainsi qu'une simulation de ce qu'auraient été les droits à pensions de Mme F... s'il avait été tenu compte de la validation des seize trimestres d'activité réalisés au titre du régime

de l'IRCANTEC.

Article 2 : Tous droits et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier Gabriel Martin de Saint-Paul de La Réunion, à Mme H... F... et à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.

Délibéré après l'audience du 7 juillet 2020 à laquelle siégeaient :

Mme A... B..., présidente,

M. G... C..., premier conseiller,

Mme I..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2020.

La présidente,

Anne B...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX02618


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX02618
Date de la décision : 10/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Cessation de fonctions - Mise à la retraite sur demande.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.

Pensions - Régimes particuliers de retraite - Pensions des agents des collectivités locales.


Composition du Tribunal
Président : Mme MEYER
Rapporteur ?: M. Thierry SORIN
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : ANTOINE

Origine de la décision
Date de l'import : 13/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-07-10;18bx02618 ?
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