Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une somme totale de 198 700 euros en réparation des conséquences dommageables de l'accident médical dont elle a été victime dans les suites d'une intervention chirurgicale réalisée le 11 avril 2006 au centre hospitalier de Dax.
Par un jugement n° 1600601 du 15 mars 2018, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 mai 2018, Mme D..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 15 mars 2018 ;
2°) de mettre à la charge de l'ONIAM le paiement de la somme totale de 198 700 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM le paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a été victime d'un accident médical non fautif lors de son hospitalisation au centre hospitalier de Dax en avril 2006 qui est, pour moitié, à l'origine des préjudices subis, le reste étant dû à son état antérieur ;
- les experts ont retenu une atteinte à l'intégrité physique et psychique de 60%, de sorte qu'au regard de la part imputable à l'accident médical non fautif, le seuil d'engagement de la solidarité nationale est atteint ;
- c'est à tort que le tribunal a écarté l'anormalité du préjudice, la complication rencontrée n'étant pas inévitable ;
- au titre de ses préjudices, elle est fondée à demander :
- la somme de 93 200 euros au titre de l'assistance par une tierce personne à hauteur d'une heure quotidienne et sur la base d'un taux horaire de 15 euros ;
- la somme de 600 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total du 17 avril au 16 juin 2006 et la somme de 4 800 euros au titre du déficit fonctionnel partiel de classe 4 du 16 juin 2006 au 13 mars 2008 ;
- la somme de 6 000 euros au titre des souffrances endurées, évaluées à 4 sur 7 ;
- la somme de 87 600 euros au titre de la moitié du déficit fonctionnel permanent de 60% ;
- la somme de 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément dès lors qu'elle est privée de ses activités de jardinage ou de vélo et que ses autres activités de loisir sont rendues plus difficiles ;
- la somme de 1 500 euros au titre du préjudice esthétique de 2,5 sur 7 ; elle est notamment obligée de se déplacer avec une canne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juillet 2018, l'ONIAM, représenté par Me C..., conclut :
1°) au rejet de la requête de Mme D... ;
2°) à la mise à la charge de Mme D... du paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que le dommage présenté par Mme D... ne présente pas les conditions d'anormalité requises pour une indemnisation au titre de la solidarité nationale.
Par une ordonnance du 19 août 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 7 octobre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B... ;
- les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public ;
- et les observations de Me Nicolas, avocat, représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., alors âgée de 52 ans, présentant des douleurs thoraciques atypiques accompagnées d'un ictère, a subi, le 11 avril 2006 au centre hospitalier de Dax, une anastomose hépatico-jéjunale consistant en une dérivation biliodigestive au cours de laquelle de nombreuses adhérences et des calculs au niveau du cholédoque ont été constatés. Le 17 avril 2006, elle a développé, dans les suites post opératoires, un syndrome infectieux avec un état septique et a été transférée en service de réanimation. Le 18 avril 2006, une reprise chirurgicale a été effectuée et l'anastomose ayant lâché a été réalisée à nouveau. En raison de l'aggravation du tableau clinique de la patiente en lien avec la présence d'un agent infectieux dans les urines et les sécrétions trachéales, elle a été maintenue jusqu'au 5 juin 2006 en service de réanimation avant d'être transférée dans un service de chirurgie jusqu'au 6 juin suivant. La commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) de la région Aquitaine, saisie par Mme D... le 17 décembre 2013, a diligenté une expertise, dont le rapport a été déposé le 15 avril 2014. Dans un avis rendu le 19 novembre 2014, la CRCI a estimé que les dommages résultaient d'un accident médical non fautif et a rejeté la demande de la requérante compte tenu de ses antécédents médicaux et chirurgicaux. Après l'échec de la procédure de conciliation devant la CRCI, Mme D... a demandé au tribunal administratif de Pau de mettre à la charge de l'ONIAM, au titre de la solidarité nationale, le paiement d'une somme totale de 198 700 € en réparation de ses préjudices. Mme D... relève appel du jugement du 15 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
Sur les conditions d'engagement de la solidarité nationale :
2. Il résulte des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins n'engageant pas la responsabilité d'un établissement de santé à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du même code. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.
3. Il résulte de l'instruction, notamment, du rapport de l'expertise ordonnée par la CRCI, que Mme D... présentait, avant sa prise en charge, des antécédents médicaux notamment une pancréatite chronique, un éthylisme chronique sevré, une lithiase vésiculaire chronique et un ulcère pylorique avec sténose. Elle avait subi une cholécysto-jéjunostomie et une gastro-jéjunostomie en 2001 au centre hospitalier de Dax. En mars 2006, elle souffrait d'une sténose biliaire et le chirurgien du centre hospitalier a décidé de réaliser, le 11 avril 2006, une nouvelle dérivation bilio-digestive accompagnée d'un drainage du cholédoque et de deux anastomoses. Le 17 avril 2006, l'intéressée a présenté un syndrome abdominal aigu. Le lendemain, elle a subi une reprise chirurgicale en raison du lâchage de l'anastomose entre le cholédoque et le jéjunum et en raison d'un ictère rétentionnel. Cette intervention a été suivie d'un choc septique par péritonite, compliqué d'un syndrome de détresse respiratoire aigüe, qui a rendu indispensable une sédation prolongée pendant quatorze jours en service de réanimation et une hospitalisation en service de chirurgie du 5 au 16 juin 2006.
4. Les analyses réalisées ont permis de mettre en évidence les adhérences consécutives à l'intervention chirurgicale de 2001, l'anomalie des voies biliaires de Mme D... - qui a provoqué la péritonite vésiculaire et le choc septique subi par la patiente - et le fait que le lâchage partiel de l'anastomose bilio-digestive est un accident médical qui s'explique par les caractéristiques physiologiques présentées par l'intéressée, compte tenu notamment de ses antécédents médicaux. Les experts soulignent que les soins prodigués à Mme D... ont été conformes aux règles de l'art et aux données acquises de la science au regard de ce contexte, de sorte qu'aucune faute médicale ne peut être retenue.
5. De plus, le rapport d'expertise souligne que les affections présentées par la requérante et constituant des séquelles de l'intervention sont dues aux adhérences et aux complications anatomiques, en particulier au niveau du cholédoque, causées par l'état de santé de la patiente au plan abdominal et qu'elles ne peuvent être regardées comme des conséquences anormales au regard de cet état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci. La gravité de cet état a donc conduit à pratiquer un acte dont l'absence de réalisation aurait pu conduire au décès de Mme D..., l'expert évoquant la " survie compromise " au regard des lésions pré-interventionnelles constatées. La réalisation de cet acte comportait, de surcroît, des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage. Il résulte ainsi de l'expertise que, du fait de la nature même des interventions réalisées et de l'état antérieur de la patiente, notamment au regard de ses antécédents médicaux rappelés précédemment et de phénomènes adhérentiels rendant les conditions locales d'intervention " très difficiles ", la survenance du lâchage des sutures ne présentait pas une probabilité faible.
6. Compte tenu de ces constatations précises, d'une part, quant aux pathologies présentées par Mme D... et eu égard aux risques, notamment de décès, auxquels l'intéressée était exposée en l'absence de traitement, d'autre part quant au risque élevé que représentait l'intervention pratiquée, s'agissant en particulier de l'éventualité du lâchage des sutures, c'est à bon droit que les premiers juges ont pu estimer que le dommage présenté par Mme D... ne présentait pas le caractère d'anormalité requis au sens du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique pour ouvrir droit à l'indemnisation par l'ONIAM sur le fondement de la solidarité nationale. Il suit de là que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "
8. Ces dispositions font obstacle à ce que l'ONIAM, qui n'est pas partie perdante, verse à Mme D... une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs et dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur ce même fondement par l'ONIAM.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'ONIAM présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au centre hospitalier de Dax - Côte d'argent et à la caisse primaire d'assurance maladie de Lot-et-Garonne.
Délibéré après l'audience du 26 mai 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Thierry B..., premier conseiller,
Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 juin 2020.
Le président de la 2ème chambre,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 18BX01975