Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme Aéroport de Martinique Aimé Césaire (SAMAC) a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 18 décembre 2014 par laquelle le ministre chargé du budget a rejeté sa demande d'agrément pour bénéficier d'une réduction d'impôt à raison d'un investissement productif réalisé outre-mer.
Par une ordonnance du 22 mars 2016 le tribunal administratif de Paris a transmis la requête présentée par la SAMAC au tribunal administratif de la Martinique.
Par un jugement n° 1600163 du 15 février 2018, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 avril et 12 novembre 2018, la société anonyme Aéroport de Martinique Aimé Césaire, représentée par le cabinet Fidal, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique ;
2°) d'annuler la décision du 18 décembre 2014 du ministre chargé du budget ;
3°) de dire et juger recevable la demande d'agrément présentée par la société SAMAC le 5 juin 2014 ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les passerelles télescopiques ne constituent pas des ouvrages publics ; elles se déplacent et font l'objet d'entretien, révision ou réparation ; elles ne peuvent donc qu'être qualifiées de biens meubles et ne peuvent pas être regardées comme des ouvrages publics ou l'accessoire de ceux-ci ;
- si, par extraordinaire, ces investissements sont regardés comme présentant un tel caractère, les passerelles télescopiques sont directement affectées à la réalisation d'un service de transport aérien éligible au dispositif prévu à l'article 217 undecies par application des dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts et non à un service aéroportuaire ; il résulte des conditions générales de transport délivrées par les compagnies aériennes que le service de transport aérien inclut le transport du passager et de ses bagages, depuis les opérations d'embarquement jusqu'aux opérations de débarquement ;
- s'il n'existe aucune définition fiscale de l'activité de transport, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et du Conseil d'État que les services dont la fourniture correspond à l'exécution des obligations découlant d'un contrat de transport aérien de personnes sont l'enregistrement, l'embarquement des passagers et l'accueil de ces derniers à bord de l'avion au lieu de décollage convenu dans le contrat de transport, le départ de l'appareil à l'heure prévue, le transport des passagers et de leurs bagages du lieu de départ au lieu d'arrivée, la prise en charge des passagers pendant le vol, et, enfin, le débarquement de ceux-ci, dans des conditions de sécurité, au lieu d'atterrissage et à l'heure convenus ;
- si la cour devait regarder les opérations d'embarquement et de débarquement comme auxiliaires au service de transport aérien, les investissements entreraient dans le champ du dispositif ; l'administration fiscale avait d'ailleurs elle-même précisé dans ses instructions référencées 4 H-2-07 et 5 B-2-07 du 30 janvier 2007, dont elle entend se prévaloir sur le fondement de 1'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, que les services auxiliaires aux transports (manutention portuaire et aéroportuaire, entreposage notamment) ne relèvent pas du secteur des activités de services fournis aux entreprises, exclu du champ d'application du dispositif ;
- la réalisation du service de transport aérien présente un caractère industriel et commercial qui n'exige la mise en oeuvre directe d'aucune prérogative de puissance publique ; l'objet du service est comparable à celui mené par une entreprise privée soit une activité de production, de distribution ou de prestation de services ; les ressources perçues pour exercer cette activité ont une origine comparable à celles d'une entreprise commerciale, dès lors qu'elles proviennent de redevances perçues sur les usagers en contrepartie de prestations fournies aux compagnies aériennes ; les modalités de fonctionnement de la société sont identiques à celles d'une entreprise commerciale ; à cet égard, l'acquisition des passerelles télescopiques par la société SAMAC, de sa propre initiative et sans aucune contrainte extérieure autre que commerciale, dont l'objet est d'augmenter le trafic passager s'inscrit dans une stratégie commerciale ; l'acquisition et l'exploitation de ces passerelles doivent donc être qualifiées de service public à caractère industriel et commercial ;
- la demande d'aide fiscale afférente à l'acquisition des passerelles télescopiques ne nécessite la mise en oeuvre d'aucune prérogative de puissance publique exorbitante de droit commun ; elle n'a d'ailleurs pas sollicité l'avis ou l'autorisation du ministre chargé de 1'aviation civile ; la demande d'agrément, objet du présent litige, est une simple décision de gestion intervenant dans le cadre de l'exploitation commerciale d'un aéroport régional.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 août 2018 et le 8 février 2019, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que compte tenu de l'objet du service, de ses ressources et de ses modalités de fonctionnement, l'activité de la SAMAC se rapporte, pour ce qui a trait à l'aménagement et au développement d'un aéroport, à une concession de service public local à caractère administratif. Ce faisant, la SAMAC, à l'occasion de l'acquisition des passerelles réalise une activité administrative ; dès lors, ces investissements ne sont pas affectés " à l'exploitation d'une concession de service public local à caractère industriel et commercial " et ne répondent pas à la condition posée par le quatrième alinéa du I de l'article 217 undecies du code général des impôts.
Par ordonnance du 24 octobre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 4 novembre 2019 à 12 heures.
Par lettre du 2 avril 2020, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de ce que les dispositions du III de l'article 217 undecies du code général des impôts ne permettent pas au ministre de refuser l'agrément qu'elles prévoient, en totalité ou en partie, pour des raisons autres que celles qui sont fixées par la loi.
Par un mémoire, enregistré le 4 mai 2020, le ministre de l'action et des comptes publics a présenté ses observations en réponse au moyen d'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florence Madelaigue, rapporteur,
- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la société anonyme Aéroport de Martinique Aimé Césaire.
Considérant ce qui suit :
1. La société anonyme Aéroport de Martinique Aimé Césaire (SAMAC), titulaire d'un contrat de concession de service public conclu avec le ministre chargé de l'aviation civile, agissant au nom de l'État, a présenté le 5 juin 2014 au ministre chargé du budget une demande d'agrément afin de bénéficier d'une réduction d'impôt sur le fondement de l'article 217 undecies du code général des impôts à raison d'un investissement productif consistant en l'acquisition de passerelles télescopiques de transport de passagers et en la réalisation de travaux d'aménagements relatifs à ces investissements. Elle relève appel du jugement du 15 février 2018 du tribunal administratif de la Martinique qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 décembre 2014 par laquelle le ministre chargé du budget a refusé de lui octroyer l'agrément nécessaire à l'obtention du bénéfice de la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies B du code général des impôts.
2. Aux termes de l'article 199 undecies B du code général des impôts : " I. - Les contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des investissements productifs neufs qu'ils réalisent dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, dans les îles Wallis-et-Futuna et les Terres australes et antarctiques françaises, dans le cadre d'une entreprise exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l'article 34. (...) II. - 1. Les investissements mentionnés au I et dont le montant total par programme est supérieur à 1 000 000 € ne peuvent ouvrir droit à réduction que s'ils ont reçu un agrément préalable du ministre chargé du budget dans les conditions prévues au III de l'article 217 undecies (...) 2. Pour ouvrir droit à réduction et par dérogation aux dispositions du 1, les investissements mentionnés au I doivent avoir reçu l'agrément préalable du ministre chargé du budget dans les conditions prévues au III de l'article 217 undecies lorsqu'ils sont réalisés dans les secteurs des transports, de la navigation de plaisance, de l'agriculture, de la pêche maritime et de l'aquaculture, de l'industrie charbonnière et de la sidérurgie, de la construction navale, des fibres synthétiques, de l'industrie automobile ou concernant la rénovation et la réhabilitation d'hôtel, de résidence de tourisme et de village de vacances classés ou des entreprises en difficultés ou qui sont nécessaires à l'exploitation d'une concession de service public local à caractère industriel et commercial ".
3. Aux termes du III de l'article 217 undecies du code général des impôts dans sa rédaction applicable à la date de la demande d'agrément : " 1. Pour ouvrir droit à déduction, les investissements mentionnés au I réalisés dans les secteurs des transports, de la navigation de plaisance, de l'agriculture, de la pêche maritime et de l'aquaculture, de l'industrie charbonnière et de la sidérurgie, de la construction navale, des fibres synthétiques, de l'industrie automobile, ou concernant la rénovation et la réhabilitation d'hôtel, de résidence de tourisme et de village de vacances classés ou des entreprises en difficultés, ou qui sont nécessaires à l'exploitation d'une concession de service public local à caractère industriel et commercial doivent avoir reçu l'agrément préalable du ministre chargé du budget, après avis du ministre chargé de l'outre-mer.(...) L'agrément est délivré lorsque l'investissement : a) Présente un intérêt économique pour le département dans lequel il est réalisé ; il ne doit pas porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou constituer une menace contre l'ordre public ou laisser présumer l'existence de blanchiment d'argent ; b) Poursuit comme l'un de ses buts principaux la création ou le maintien d'emplois dans ce département ; c) S'intègre dans la politique d'aménagement du territoire, de l'environnement et de développement durable ; d) Garantit la protection des investisseurs et des tiers. L'octroi de l'agrément est subordonné au respect par les bénéficiaires directs ou indirects de leurs obligations fiscales et sociales et à l'engagement pris par ces mêmes bénéficiaires que puissent être vérifiées sur place les modalités de réalisation et d'exploitation de l'investissement aidé. (...) ".
4. Pour refuser de délivrer l'agrément sollicité, le ministre s'est fondé sur la circonstance que l'investissement en litige ne remplissait pas les conditions fixées par l'article 199 undecies B du code général des impôts dès lors que la SAMAC ne présente pas des conditions de gestion comparables à celles d'une entreprise commerciale et que les investissements nécessaires à l'exercice de ces missions ne relevant pas d'une activité agricole, industrielle, commerciale ou artisanale, mais participant à la réalisation de services publics à caractère administratif, ne sont pas éligibles à l'aide fiscale sollicitée et, " à titre surabondant ", sur la circonstance que son activité ne relève pas du secteur du transport.
5. Les dispositions de l'article 217 undecies du code général des impôts instituent, au profit des sociétés qui remplissent les conditions qu'elles fixent, un droit au bénéfice de l'agrément qu'elles prévoient. Elles ne permettent au ministre chargé du budget ni de refuser l'agrément prévu au III, ni de limiter le montant des investissements productifs pour lesquels il est délivré en se fondant sur d'autres conditions que celles qui sont prévues par la loi.
6. La circonstance que l'investissement en litige ne remplirait pas les conditions fixées par les dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts, relatif à l'ouverture du droit à la réduction d'impôt qu'il prévoit, ne se rattache à aucune des conditions fixées par l'article 217 undecies du même code pour l'obtention de l'agrément préalable de l'opération d'investissement. Dès lors, en se fondant sur ce motif, le ministre a méconnu le champ d'application de cet article.
7. Il résulte de ce qui précède que la société SAMAC est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à la société SAMAC au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 15 février 2018 et la décision du ministre des finances et des comptes publics du 18 décembre 2014 sont annulés.
Article 2 : L'État versera à la société SAMAC une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SA SAMAC et au ministre de l'action et des comptes publics. Copie sera adressée au ministre des outre-mer.
Copie en sera, en outre, adressée à la direction générale des finances publiques.
Délibéré après l'audience du 20 mai 2020 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme B..., présidente-assesseure,
Mme Florence Madelaigue, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 juin 2020.
Le président,
Éric Rey-Bèthbéder
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX01654