La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/06/2020 | FRANCE | N°18BX01417

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 08 juin 2020, 18BX01417


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

La société à responsabilité limitée (SARL) Boucherie Market I... a, par trois requêtes distinctes, demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler, d'une part, la décision du 15 décembre 2015 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la somme de 35 200 euros au titre de la contribution spéciale pour l'emploi irrégulier de deux travailleurs étrangers et la somme de 4 248 euros au titre de la contribution forfaitaire repr

sentative des frais de réacheminement des étrangers dans leur pays d'origine, e...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

La société à responsabilité limitée (SARL) Boucherie Market I... a, par trois requêtes distinctes, demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler, d'une part, la décision du 15 décembre 2015 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la somme de 35 200 euros au titre de la contribution spéciale pour l'emploi irrégulier de deux travailleurs étrangers et la somme de 4 248 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement des étrangers dans leur pays d'origine, ensemble la décision du 29 février 2016 rejetant son recours gracieux et, d'autre part, les titres de perception émis à son encontre le 16 décembre 2015 pour le recouvrement de ces contributions et de prononcer la décharge de l'obligation de payer ces sommes.

Par un jugement commun n° 1600456 - 1600671 - 1601802 du 8 février 2018, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 avril 2018 et le 10 septembre 2019, la SARL Boucherie Market I..., représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 février 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 15 décembre 2015 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, ensemble la décision du 29 février 2016 rejetant son recours gracieux ;

3°) d'annuler les titres de perception émis le 16 décembre 2015 ;

4°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 39 448 euros ;

5°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de la contribution spéciale à 1 000 fois le taux horaire minimum d'un salarié ;

6°) à titre infiniment subsidiaire, de réduire le montant de la contribution forfaitaire à 2 000 fois le taux horaire minimum d'un salarié ;

7°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 2 500 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les titres de perception ont été émis par une autorité incompétente, ces titres devant être émis par le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration en vertu des articles L. 8253-1, R. 5223-24 et R. 8253-4 du code du travail ;

- elle n'a pas été informée de la possibilité de solliciter la communication du procès-verbal fondant les contributions en litige en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure. En effet, le gérant n'a pas été entendu par les services de police et n'a donc pas connaissance des faits reprochés ;

- la décision du 15 décembre 2015 est insuffisamment motivée faute d'indiquer l'activité et la nationalité de chacun des étrangers employés irrégulièrement ;

- s'agissant de M. H..., titulaire d'une carte d'identité italienne, il n'a pas besoin de titre de séjour pour séjourner en France. En outre, des vérifications ont été effectuées par l'expert-comptable auprès de la préfecture et des services d'immatriculation de sécurité sociale pour les travailleurs ;

- s'agissant de M. I..., il n'est en France que pour des raisons de santé et ne travaille pas dans la boucherie son état de santé faisant obstacle à l'exercice d'une activité de boucher. Il a été contrôlé non pas en position de travail mais alors qu'il faisait ses courses et se rendait aux toilettes. Enfin, étant reparti volontairement en Algérie, la France n'a exposé aucun frais pour son réacheminement dans son pays d'origine ;

- M. I... n'exerçant aucun travail rémunéré, la contribution spéciale pourra être réduite, à titre subsidiaire, à 1 000 fois le taux horaire en application du III de l'article R. 8253-2 du code du travail ou, à titre infiniment subsidiaire, à 2 000 fois le taux horaire en application du II de cet article ;

- il résulte de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le montant cumulé des contributions par étranger ne peut excéder 15 000 euros. Elle doit dès lors être déchargée de l'obligation de payer la somme de 9 448 euros ;

- le montant réclamé est disproportionné au regard de la taille de l'entreprise et de la bonne foi de ses dirigeants et méconnaît donc l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2018, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me F..., conclut :

- au rejet de la requête ;

- à ce que soit mise à la charge de la SARL Boucherie Market I... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens invoqués par la SARL Boucherie Market I... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 13 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 4 octobre 2019 à midi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- le décret n° 2004-1085 du 14 octobre 2004 ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- l'arrêté du 5 décembre 2006 relatif au montant de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement des étrangers dans leur pays d'origine ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. J... A...,

- et les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'un contrôle effectué le 24 juin 2015 dans le local de la boucherie exploitée par la SARL Boucherie Market I... sous l'enseigne " Boucherie Market I... " situé 41 rue Bayard à Toulouse, un procès-verbal d'infraction à la législation du travail pour l'emploi de deux étrangers non muni d'un titre les autorisant à exercer une activité salariée en France a été dressé. A l'issue de la procédure administrative contradictoire prévue à l'article R. 8253-3 du code du travail, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a appliqué à la SARL Boucherie Market I..., par une décision du 15 décembre 2015, d'une part, la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-l du code du travail d'un montant de 35 200 euros et, d'autre part, la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-l du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 4 248 euros. En conséquence, deux titres de perception ont émis le 16 décembre 2015 à l'encontre de cette société afin d'assurer le recouvrement de ces contributions. Puis, le recours gracieux formé par la SARL Boucherie Market I... a été rejeté par une décision du 29 février 2016. Cette dernière a, par trois requêtes distinctes, sollicité devant le tribunal administratif de Toulouse, l'annulation des décisions du 15 décembre 2015 et du 29 février 2016, l'annulation des deux titres de perception émis à son encontre le 16 décembre 2015 et la décharge de l'obligation de payer la somme de 39 448 euros. La SARL Boucherie Market I... relève appel du jugement du 8 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté l'ensemble de ses demandes.

Sur la légalité des décisions du 15 décembre 2015 et du 29 février 2016 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 alors applicable : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) - infligent une sanction (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette même loi alors applicable : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Il résulte de ces dispositions qu'une décision qui met à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui fondent cette sanction.

3. En l'espèce, la décision du 15 décembre 2015 se réfère au procès-verbal dressé le 24 juin 2015 et renvoie également à la lettre du 14 octobre 2015 adressée à la SARL Boucherie Market I... qui, d'une part, mentionne les dispositions du code du travail et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont la décision du 15 décembre 2015 fait application et qui, d'autre part, énonce les considérations de fait motivant l'application des contributions spéciales et forfaitaires en indiquant que le contrôle effectué le 24 juin 2015 a permis de relever l'emploi de deux travailleurs démunis de titres les autorisant à séjourner sur le territoire national et les autorisant à exercer une activité salariée dont les identités sont déclinées en annexe de ce courrier. Si, comme le soutient la société requérante, il n'est pas fait mention de l'activité exercée par chacun des travailleurs en cause, cette précision n'est pas nécessaire à l'application des contributions en litige et ne saurait dès lors être regardée comme une circonstance de fait fondant la décision du 15 décembre 2015. Enfin, si comme le soutient également la société requérante, il n'est pas fait mention de la nationalité des travailleurs concernés, laquelle permet de déterminer le montant de la contribution forfaitaire conformément à ce que prévoit l'arrêté du 5 décembre 2006 susvisé, cette précision n'est pas requise dès lors que, comme indiqué précédemment, la motivation précise l'identité de chacun des étrangers concernés. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision du 15 décembre 2015 doit dès lors être écarté.

4. En deuxième lieu, s'agissant des mesures à caractère de sanction, le respect du principe général des droits de la défense, applicable même sans texte, suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu'elle en fait la demande.

5. Si les dispositions législatives et réglementaires relatives à la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail et à la contribution forfaitaire mentionnée à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prévoient pas expressément que le procès-verbal transmis au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration en application de l'article L. 8271-17 du code du travail, constatant l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger non autorisé à exercer une activité salariée en France, soit communiqué au contrevenant, le silence de ces dispositions sur ce point ne saurait faire obstacle à cette communication, en particulier lorsque la personne visée en fait la demande, afin d'assurer le respect de la procédure contradictoire préalable à la liquidation de ces contributions, qui revêtent le caractère de sanctions administratives.

6. Comme indiqué au point 3, par un courrier du 14 octobre 2015, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a informé la SARL Boucherie Market I... qu'il avait été établi par procès-verbal, lors d'un contrôle effectué le 24 juin 2015 par les services de police, qu'elle avait employé deux travailleurs démunis de titres les autorisant à séjourner sur le territoire national et les autorisant à exercer une activité salariée, qu'elle était donc susceptible de se voir appliquer la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'elle disposait d'un délai de quinze jours à compter de la réception de cette lettre pour faire valoir ses observations. Si, ainsi que le relève la société requérante, ce courrier ne faisait pas expressément mention de la faculté de solliciter la communication du procès-verbal, il la mettait néanmoins à même de solliciter la communication de ce document de sorte que le caractère contradictoire de la procédure a été respecté.

7. En troisième lieu, d'une part, il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi d'un recours dirigé contre la décision par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration met à la charge de l'employeur les contributions spéciales et forfaitaires instituées respectivement par l'article L. 8253-1 du code du travail et par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. D'autre part, aux termes de l'article L. 8113-7 du code du travail dans sa rédaction alors en vigueur : " Les inspecteurs du travail, les contrôleurs du travail et les fonctionnaires de contrôle assimilés constatent les infractions par des procès-verbaux qui font foi jusqu'à preuve du contraire (...) ".

8. En première part, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lorsque, tout à la fois, il s'est acquitté des vérifications qui lui incombent, relatives à l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail, et n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité. En outre, lorsqu'un salarié s'est prévalu lors de son embauche de la nationalité française ou de sa qualité de ressortissant d'un Etat pour lequel une autorisation de travail n'est pas exigée, l'employeur ne peut être sanctionné s'il s'est assuré que ce salarié disposait d'un document d'identité de nature à en justifier et s'il n'était pas en mesure de savoir que ce document revêtait un caractère frauduleux ou procédait d'une usurpation d'identité.

9. S'agissant du travailleur qui s'est prévalu lors de son embauche en 2013 d'une carte d'identité italienne, la société requérante soutient que son cabinet comptable a procédé aux vérifications requises. Il résulte de l'instruction que le cabinet d'expertise comptable de la société a effectué les démarches concernant l'immatriculation de ce travailleur et aurait, selon une attestation peu circonstanciée, effectué une demande de renseignement téléphonique auprès de la préfecture. Cependant une telle attestation qui ne précise ni la date de la demande de vérification, ni la nature du contrôle sollicité, ni la réponse des services de la préfecture ne peut être regardée comme établissant que la SARL Boucherie Market I... a effectué les diligences lui permettant de s'assurer que la carte d'identité italienne présentée ne revêtait pas un caractère frauduleux ou procédait d'une usurpation d'identité. Il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal d'audition de ce travailleur, que ce dernier est en réalité de nationalité tunisienne et qu'il n'était que valablement titulaire d'une carte de séjour italienne valable jusqu'au 12 janvier 2016. A supposer même que, comme le soutient la société requérante, cette carte autorisait l'intéressé à séjourner en France, elle ne l'autorisait néanmoins pas à y travailler. Par conséquent, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a pu valablement décider de mettre à la charge de la SARL Boucherie Market I... les contributions en litige à raison de l'emploi irrégulier de ce travailleur.

10. S'agissant du second travailleur, qui est l'un des fils du gérant de la société, il résulte du procès-verbal du 24 juin 2015 qu'il n'a pas été contrôlé en position de travail mais comme se trouvant dans un local réservé au personnel et avec sa veste suspendue avec les vêtements des employés. Ce dernier a déclaré ne pas travailler pour la boucherie et cette affirmation n'a été contredite par aucune des personnes entendues au cours de l'enquête, laquelle n'a pas davantage mis en évidence le versement d'une rémunération à son profit. Dans ces conditions, la seule circonstance que le fils du gérant de la société se soit trouvé dans un local réservé au personnel lors du contrôle de la boucherie ne permet pas d'établir l'existence d'une relation de travail.

11. Il résulte de ce qui précède que la SARL Boucherie Market I... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des décisions du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 15 décembre 2015 et du 29 février 2016 en tant qu'elles concernent les contributions mises à sa charge à raison de l'emploi irrégulier de l'un des fils du gérant.

Sur la régularité des titres de perception émis le 16 décembre 2015 :

12. Il résulte de ce qui précède que les titres de perception doivent, en tant qu'ils concernent les contributions mises à la charge de la SARL Boucherie Market I... à raison de l'emploi irrégulier de l'un des fils du gérant, être annulés par voie de conséquence de l'annulation des décisions des 15 décembre 2015 et 29 février 2016 en tant qu'elles concernent ces mêmes contributions.

13. Aux termes de l'article R. 5223-24 du code du travail relatif à l'organisation de l'Office français de l'immigration et de l'intégration alors applicable : " Le directeur général est ordonnateur secondaire à vocation nationale pour l'émission des titres de perception relatifs à la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 et de ceux relatifs à la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine mentionnée à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. ". L'article R. 8253-4 de ce code dans sa rédaction alors en vigueur précise que : " A l'expiration du délai fixé, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1, la liquide et émet le titre de perception correspondant (...) ". L'article 11 du décret n° 2012-1246 susvisé dispose que : " " Les ordonnateurs constatent les droits et les obligations, liquident les recettes et émettent les ordres de recouvrer. Ils engagent, liquident et ordonnancent les dépenses. Le cas échéant, ils assurent la programmation, la répartition et la mise à disposition des crédits. Ils transmettent au comptable public compétent les ordres de recouvrer et de payer assortis des pièces justificatives requises, ainsi que les certifications qu'ils délivrent. Ils établissent les documents nécessaires à la tenue, par les comptables publics, des comptabilités dont la charge incombe à ces derniers. ". Il résulte de ces dispositions que si les services de l'Etat assurent, pour le compte de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, le recouvrement des créances afférentes à la contribution spéciale due par l'employeur d'un travailleur étranger non autorisé à travailler, il n'appartient qu'au directeur général de l'Office, après avoir constaté et liquidé la contribution, d'émettre le titre de perception correspondant qui est ensuite transmis, conformément à l'article 11 du décret du 7 novembre 2012, au comptable public chargé du recouvrement.

14. En l'espèce, les titres de perception émis le 16 décembre 2015 mentionnent qu'ils ont été rendus exécutoires, sur le fondement des articles 11 et 28 du décret du 7 novembre 2012, par Mme E... B..., en qualité d'" ordonnateur " et de " responsable des recettes ". Il résulte toutefois de l'instruction que Mme B..., qui n'appartient pas au personnel de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, est un agent du ministère de l'intérieur affecté au centre de prestations financières rattaché à la direction de l'évaluation, de la performance et des affaires financières et immobilières de ce ministère. Elle bénéficie à ce titre, en vertu d'une décision du 13 octobre 2015, d'une délégation de signature du directeur de l'évaluation de la performance et des affaires financières et immobilières pour signer, au nom du ministre de l'intérieur, un certain nombre d'actes comptables. Pour soutenir que Mme B... était compétente pour signer les titres de perception en cause, l'Office français de l'immigration et de l'intégration se prévaut d'une convention de délégation de gestion de l'ordonnancement des contributions spéciales et forfaitaires qui lui sont dues, conclue le 11 février 2013 entre cet établissement public et le directeur de l'évaluation, de la performance et des affaires financières et immobilières du ministère de l'intérieur. Par cette convention, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a confié au directeur de l'évaluation, de la performance et des affaires financières et immobilières du ministère de l'intérieur l'ordonnancement " en son nom et pour son compte " des " titres de perception relatifs à la contribution spéciale et à la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine ". Il ressort cependant des visas de la convention du 11 février 2013 qu'elle est fondée sur les dispositions du décret du 14 octobre 2004 relatif à la délégation de gestion dans les services de l'Etat, qui n'est toutefois pas applicable aux établissements publics tel que l'Office français de l'immigration et de l'intégration. En l'absence d'un autre fondement, cette convention est ainsi dépourvue de base légale. Mme B... n'était donc pas compétente pour émettre ces titres à la place du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

15. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués à ce titre, que la SARL Boucherie Market I... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation des titres de perception émis à son encontre le 16 décembre 2015.

Sur les conclusions à fin de décharge :

16. L'annulation d'un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n'implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d'une régularisation par l'administration, l'extinction de la créance litigieuse, à la différence d'une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre. Il en résulte que, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions tendant à l'annulation d'un titre exécutoire, des conclusions à fin de décharge de la somme correspondant à la créance de l'administration, il incombe au juge administratif d'examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens qui seraient de nature à justifier le prononcé de la décharge mais retient un moyen mettant en cause la régularité formelle du titre exécutoire, le juge n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler le titre : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande de décharge de la somme litigieuse.

17. Dans ces conditions, eu égard aux motifs d'annulation retenus aux points 10 et 12, la SARL Boucherie Market I... doit uniquement être déchargée de l'obligation de payer les sommes mises à sa charge en raison des contributions qui lui sont réclamées au titre de l'emploi irrégulier de l'un des fils du gérant. Il résulte ainsi de ce qui précède que la SARL Boucherie Market I... est seulement fondée à soutenir que, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande de décharge de l'obligation de payer les sommes mises à sa charge en raison de l'emploi irrégulier de l'un des fils du gérant.

Sur les conclusions à fin de réduction des contributions :

18. En premier lieu, la SARL Boucherie Market I... reprend en appel, sans apporter d'éléments de fait ou de droit nouveaux par rapport à l'argumentation développée en première instance et sans contester la réponse apportée par le tribunal administratif, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en tant qu'il fixe le montant total des sanctions pécuniaires pouvant être mises à la charge de l'employeur. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

19. En second lieu, lorsque le juge administratif est saisi de conclusions dirigées contre une décision mettant à la charge d'un contrevenant la contribution spéciale sur le fondement des dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail, il lui appartient, après avoir contrôlé les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, de décider, selon le résultat de ce contrôle, soit de maintenir le taux retenu, soit de lui substituer celui des deux autres taux qu'il estime légalement justifié, soit, s'il n'est pas établi que l'employeur se serait rendu coupable des faits visés au premier alinéa de l'article L. 8251-1 précité du code du travail, de le décharger de la contribution spéciale. En revanche, les dispositions précitées ne l'habilitent pas davantage que l'administration elle-même à moduler les taux qu'elles ont fixés. Par suite, la SARL Boucherie Market I... ne peut utilement se prévaloir de sa bonne foi et du caractère disproportionné du montant mis à sa charge pour solliciter une réduction du montant des contributions. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, en tout état de cause, être écarté.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SARL Boucherie Market I..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'Office français de l'immigration et de l'intégration demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme que la SARL Boucherie Market I... demande à ce titre.

DECIDE

Article 1er : Les décisions du 15 décembre 2015 et du 29 février 2016 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration sont annulées en tant qu'elles concernent les contributions mises à sa charge à raison de l'emploi irrégulier de l'un des fils du gérant.

Article 2 : Les titres de perception émis le 16 décembre 2015 sont annulés.

Article 3 : La SARL Boucherie Market I... est déchargée de l'obligation de payer les sommes mises à sa charge à raison de l'emploi irrégulier de l'un des fils du gérant.

Article 4 : Le jugement n°1600456 - 1600671 - 1601802 du 8 février 2018 du tribunal administratif de Toulouse est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la SARL Boucherie Market I... et de l'Office français de l'immigration et de l'intégration est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Boucherie Market I..., à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et au ministre de l'action et des comptes publics. Copie en sera adressée à la direction des finances publiques de Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 11 mai 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

Mme D... C..., présidente-assesseure,

M. J... A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 juin 2020.

Le président,

Pierre Larroumec

La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX01417


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX01417
Date de la décision : 08/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Étrangers - Emploi des étrangers - Mesures individuelles - Contribution spéciale due à raison de l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger.

Travail et emploi - Réglementations spéciales à l'emploi de certaines catégories de travailleurs - Emploi des étrangers (voir : Étrangers).


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: M. Paul-André BRAUD
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : CABINET CANTIER et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-06-08;18bx01417 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award