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20/05/2020 | FRANCE | N°19BX02218

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 20 mai 2020, 19BX02218


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C..., épouse B..., et M. A... B... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés des 11 et 13 mars 2019 par lesquels le préfet de l'Ariège a refusé leur admission exceptionnelle au séjour, les a obligés à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de leur reconduite à la frontière, a interdit leur retour sur le territoire français pour une durée de trois mois et les a assignés à résidence.

Par un jugement n° 1901470, n° 1

901471, n° 1901472 et n° 1901473 du 22 mars 2019, le magistrat désigné par le président du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C..., épouse B..., et M. A... B... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés des 11 et 13 mars 2019 par lesquels le préfet de l'Ariège a refusé leur admission exceptionnelle au séjour, les a obligés à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de leur reconduite à la frontière, a interdit leur retour sur le territoire français pour une durée de trois mois et les a assignés à résidence.

Par un jugement n° 1901470, n° 1901471, n° 1901472 et n° 1901473 du 22 mars 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a renvoyé l'examen des conclusions de la requête n° 1901470 de M. A... B... tendant à l'annulation de la décision portant refus d'admission exceptionnelle au séjour en formation collégiale, et annulé les arrêtés préfectoraux des 11 et 13 mars 2019 en tant qu'ils obligent, respectivement, Mme B... et M. B... à quitter le territoire français sans délai, fixent le pays de renvoi et leur interdisent le retour sur le territoire français pour une durée de trois mois.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 4 juin 2019 sous le n° 19BX02218, le préfet de l'Ariège demande à la cour d'annuler le jugement n° 1901470 du 22 mars 2019 en tant qu'il annule son arrêté du 13 mars 2019 emportant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de renvoi et interdisant le retour sur le territoire français durant une durée de trois mois et de rejeter les conclusions présentées par M. A... B... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a suivi l'argumentaire relatif à l'état de santé de M. B... ainsi que celui relatif à l'éducation et à l'entretien de ses petits-enfants pour retenir des considérations humanitaires liées à sa situation ;

- il n'existe aucun traitement possible pour la maladie de Stargardt d'origine génétique dont souffre l'intéressé ni en France ni en Albanie ;

- l'abandon des enfants par leurs père et mère n'est pas établi ; aucun élément ne permet de justifier que ces enfants nés en 2005 et 2007 ne pourraient suivre une scolarité en Albanie ;

- aucun élément ne permet de justifier l'absence de toutes attaches familiales en Albanie ;

- arrivé sur le territoire de manière irrégulière en 2013 M. B... n'a bénéficié de titre de séjour qu'en raison de son état de santé et pour une durée limitée de trois ans ; le tribunal a également retenu à tort la durée de séjour régulière pour juger que l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- le jugement du tribunal doit être annulé en l'absence de toute nouvelle circonstance de fait et de droit depuis la décision de la cour administrative d'appel du 24 août 2018 confirmant que la situation de M. B... ne répond pas à des considérations humanitaires et que son admission au séjour ne se justifie pas au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2020, M. B..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du préfet de l'Ariège ;

2°) d'annuler l'arrêté du 13 mars 2019 par lequel le préfet de l'Ariège a refusé son admission exceptionnelle au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière et a interdit son retour sur le territoire français pour une durée de trois mois ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Ariège, sous astreinte de 150 euros par jour de retard de lui délivrer un titre de séjour et à titre subsidiaire de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de 15 jours.

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que :

- la requête du préfet de l'Ariège est tardive et donc irrecevable ;

- le jugement doit être confirmé ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'un défaut de compétence de son auteur ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation compte tenu des considérations humanitaires dont il fait état ;

- les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ; il peut prétendre à la délivrance d'un titre de séjour de plein droit sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ont été méconnues ;

- la mesure d'éloignement est illégale par exception d'illégalité du refus de titre de séjour ;

- l'exécution de la mesure d'éloignement entraînerait des conséquences disproportionnées au regard des buts poursuivis de la mesure ; il a été contraint de quitter l'Albanie en raison des persécutions dont il a fait l'objet en Albanie ;

- le préfet s'est estimé lié par les critères posés par le d) du 3 du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour refuser de lui accorder un délai de départ volontaire ; cette décision est entachée d'un défaut de base légale et d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de renvoi est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision prononçant une interdiction de retour est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire ;

- cette décision est disproportionnée au regard de sa situation personnelle et entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que son comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public.

Par ordonnance du 17 janvier 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 31 janvier 2020 à 12 heures.

Un mémoire a été présenté par le préfet le 14 février 2020 par le préfet de l'Ariège.

II. Par une requête, enregistrée le 4 juin 2019 sous le n° 19BX02220, le préfet de l'Ariège demande à la cour d'annuler le jugement n° 1901472 du 22 mars 2019 en tant qu'il annule son arrêté du 13 mars 2019 emportant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de renvoi et interdisant le retour sur le territoire français durant une durée de trois mois et de rejeter les conclusions présentées par Mme E... B... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a suivi l'argumentaire relatif à l'état de santé de l'époux de Mme B... ainsi que celui relatif à l'éducation et à l'entretien de ses petits-enfants pour retenir des considérations humanitaires liées à sa situation et partant faire bénéficier Mme B... des droits de ce dernier ;

- si Mme B... est suivie pour des troubles psychologiques, elle n'a sollicité un titre pour raison de santé qu'une fois déboutée de sa demande d'asile et se borne à produire des pièces anciennes au vu desquelles la cour administrative d'appel s'est prononcée ;

- il ressort de l'avis de l'OFII du 27 mars 2017 que l'état de santé de Mme B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'elle peut bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ; compte tenu du traitement médical qu'elle suit, il n'est pas établi qu'elle ne pourra poursuivre en Albanie les soins et le suivi mis en place en France ;

- aucun élément ne permet de justifier l'absence de toutes attaches familiales en Albanie ;

- arrivée sur le territoire de manière irrégulière en 2013 elle n'a bénéficié de titre de séjour qu'en raison de son état de santé et pour une durée limitée ; le tribunal a également retenu à tort la durée de séjour régulière pour juger que l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- le jugement du tribunal doit être annulé en l'absence de toute nouvelle circonstance de fait et de droit depuis la décision de la cour administrative d'appel du 24 août 2018 confirmant que son admission au séjour ne se justifie pas.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2020, Mme B..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du préfet de l'Ariège ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 mars 2019 par lequel le préfet de l'Ariège a refusé son admission au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière et a interdit son retour sur le territoire français pour une durée de trois mois ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Ariège, sous astreinte de 150 euros par jour de retard de lui délivrer un titre de séjour et à titre subsidiaire de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de 15 jours.

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle fait valoir que :

- la requête du préfet de l'Ariège est tardive et donc irrecevable ;

- le jugement doit être confirmé ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'un défaut de compétence de son auteur ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation compte tenu des considérations humanitaires dont son époux fait état ;

- les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ; elle peut prétendre à la délivrance d'un titre de séjour de plein droit sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ont été méconnues ;

- la mesure d'éloignement est illégale par exception d'illégalité du refus de titre de séjour ;

- l'exécution de la mesure d'éloignement entraînerait des conséquences disproportionnées au regard des buts poursuivis de la mesure ; elle a été contrainte de quitter l'Albanie en raison des persécutions dont elle a fait l'objet en Albanie ;

- elle rencontre des problèmes de santé nécessitant des soins et un suivi régulier dont elle ne peut bénéficier en cas de retour dans son pays d'origine ;

- le préfet s'est estimé lié par les critères posés par le d) du 3 du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour refuser de lui accorder un délai de départ volontaire ; cette décision est entachée d'un défaut de base légale et d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de renvoi est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision prononçant une interdiction de retour est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire ;

- cette décision est disproportionnée au regard de sa situation personnelle et entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que son comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public.

Par ordonnance du 17 janvier 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 31 janvier 2020 à 12 heures.

Un mémoire a été présenté par le préfet le 14 février 2020 par le préfet de l'Ariège.

Par des décisions du 13 février 2020, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux a décidé de maintenir de plein droit l'aide juridictionnelle accordée le 14 mai 2019 à M. et Mme B....

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme F... G... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., né le 20 mars 1967, et Mme E... C..., épouse B..., née le 14 janvier 1968, ressortissants albanais d'origine rom, sont entrés en France le 5 juillet 2013, selon leurs déclarations, afin de solliciter leur admission au séjour au titre de l'asile. Chacun d'eux a fait l'objet d'une décision de refus du bénéfice de l'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 23 mai 2014, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 14 novembre suivant. Ils ont, par la suite, bénéficié de titres de séjour en qualité d'étrangers malades de 2014 à 2017. Le 15 décembre 2017, au vu d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du 30 août 2017, M. et Mme B... ont fait l'objet d'un premier arrêté portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi, confirmé par le tribunal administratif le 2 mai 2018 et par la présente cour le 24 août suivant. Le 11 octobre 2018, ils ont sollicité leur admission exceptionnelle au séjour au titre de la vie privée et familiale. Le préfet de l'Ariège a pris à leur encontre, les 11 et 13 mars 2019, deux arrêtés distincts portant refus d'admission exceptionnelle au séjour, obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de renvoi et leur a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois mois. Le préfet relève appel, par deux requêtes enregistrées sous les n° 19BX02218 et n° 19BX02220, du jugement du 22 mars 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé, par un même jugement, les décisions portant, pour les intéressés, obligation de quitter le territoire français sans délai à destination de leur pays d'origine et interdiction de retour de trois mois contenues dans ces arrêtés.

Sur la jonction :

2. Les requêtes susvisées n° 19BX02218 et n° 19BX02220 concernent la situation d'un couple. Elles présentent ainsi à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la recevabilité de l'appel du préfet :

3. Il ressort des pièces figurant aux dossiers de première instance que le jugement attaqué a été notifié au préfet de l'Ariège le 6 mai 2019. Par suite, ses requêtes d'appel, enregistrées le 4 juin 2019, n'étaient pas tardives.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

4. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7 ".

5. L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

6. Pour annuler les arrêtés attaqués du 11 mars et du 13 mars 2019 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a considéré que le préfet de l'Ariège a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que M. B... ne justifiait pas de considérations humanitaires au sens de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'il a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au regard de la situation de Mme B....

7. Il ressort des pièces du dossier que le collège médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a émis un avis en date du 30 août 2017 par lequel il a estimé que l'état de santé de M. B... ne nécessitait pas une prise en charge médicale et que l'intéressé pouvait voyager sans risque vers son pays d'origine. S'il n'est pas contesté que M. B... souffre d'une maladie de Stargardt, pathologie génétique oculaire entraînant une baisse très importante de l'acuité visuelle pouvant conduire à la cécité et que la maison départementale des personnes handicapées, par une décision du 21 février 2017, a reconnu à l'intéressé un taux d'incapacité permanente supérieur ou égal à 80 %, il ressort des pièces du dossier et notamment des certificats médicaux qu'il produit qu'il n'existe aucun traitement ni de l'affection génétique à l'origine de ce trouble, qui amoindrit sa vision centrale, ni de la symptomatologie associée, et ce, ni en Albanie ni en France. Dans ces conditions, le préfet de l'Ariège n'a pas commis d'erreur d'appréciation de l'état de santé de M. B.... D'autre part, si M. et Mme B... se sont prévalus de la présence en France de leurs deux petites-filles, nées en 2005 et en 2007, dont ils soutiennent qu'ils assument l'éducation et l'entretien en raison de leur abandon en Albanie par leur mère, qui est la fille des intimés, aucun élément ne permet de le justifier ou d'établir que cette dernière serait l'objet d'un réseau de prostitution en Albanie. Aucun élément n'établit, de plus, un abandon de l'autorité parentale des parents sur ces deux enfants et à cet égard l'autorisation signée par le père et la mère de ces enfants pour que ces derniers puissent voyager avec leurs grands-parents, ne vient pas utilement au soutien de leurs allégations d'abandon. Par ailleurs, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, aucun élément ne justifie qu'ils n'auraient plus d'attaches familiales en Albanie alors que M. B... a lui-même déclaré que son frère réside à Tirana et qu'il n'est pas établi que le couple n'aurait plus de contact avec leur fille en Albanie. En outre, si M. B... fait valoir que sa situation répond à des motifs humanitaires dès lors qu'il encourt des risques en cas de retour en Albanie, il n'établit ni la réalité des menaces subies par le passé ni les risques encourus pour l'avenir en cas de retour dans ce pays. De surcroît, M. et Mme B... ne justifient pas d'une entrée régulière en France, où ils n'ont été admis à séjourner que le temps nécessaire à l'instruction de leurs demandes d'asile puis en tant qu'étrangers malades, et pas davantage d'une insertion particulière dans la société française où ils n'ont pas tissé des liens personnels et familiaux en dehors de leur cellule familiale. Enfin, les intéressés font l'objet d'une mesure d'éloignement identique et concomitante et aucune circonstance particulière avérée ne s'oppose à ce que la cellule familiale se reconstitue en Albanie ou dans tout autre pays dans lequel le couple établirait être légalement admissible avec leurs petits-enfants dont aucun élément ne permet non plus d'établir qu'ils ne pourraient suivre leur scolarité en Albanie.

8. Dans ces conditions, M. B... n'établissant pas que son admission au séjour répondrait à des motifs exceptionnels au sens des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'a pas méconnu les dispositions de cet article en prenant l'arrêté du 13 mars 2019 à son encontre, ni porté, par la décision du 11 mars 2019, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme B... au regard des buts en vue desquels elle a été prise et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ces décisions ne sont pas davantage entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur la situation de M. et de Mme B.... C'est, dès lors, à tort que le tribunal administratif a annulé par voie d'exception d'illégalité des refus de séjour les arrêtés attaqués pour ces motifs.

9. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme B... tant devant le tribunal administratif qu'en appel.

Sur les arrêtés dans leur ensemble :

10. En premier lieu, le signataire des arrêtés attaqués, M. Stéphane Donnot, secrétaire général de la préfecture, dispose d'une délégation de la préfète de l'Ariège prise par un arrêté en date du 8 octobre 2018, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs du département, du même jour, à l'effet de signer tous actes relevant des attributions de l'État à l'exception des arrêtés de conflit. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des arrêtés attaqués doit être écarté comme manquant en fait.

11. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme B..., les décisions litigieuses comportent les considérations de droit et de fait qui en constituent les fondements. Elles sont, par suite, suffisamment motivées.

12. En troisième lieu, il ne s'évince ni des pièces des dossiers, ni de la motivation des décisions susvisées que le préfet de l'Ariège n'aurait pas procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de M. et de Mme B..., ces derniers soutenant par ailleurs à tort que le préfet n'aurait pas examiné leur situation familiale ni leur situation au regard des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, ce moyen doit être écarté.

Sur les mesures d'éloignement :

13. En premier lieu, il ressort des pièces des dossiers que M. et Mme B... sont arrivés sur le territoire français sans justifier d'une entrée régulière en France et n'ont été admis à y séjourner que le temps nécessaire à l'instruction de leurs demandes d'asile qui, comme il a été dit précédemment, ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, puis ont bénéficié de titres de séjour délivrés du 3 décembre 2014 au 24 juillet 2017 s'agissant de M. B... et du 4 février 2015 jusqu'au 9 mars 2017 s'agissant de son épouse, uniquement en raison de leurs états de santé. Comme il a été dit au point 7 du présent arrêt, ils ne justifient pas d'une insertion particulière dans la société française et n'établissent pas y avoir tissé des liens personnels et familiaux en dehors de leur cellule familiale et ils font l'objet d'une mesure d'éloignement identique et concomitante tandis qu'aucune circonstance particulière avérée ne s'oppose à ce que la cellule familiale se reconstitue en Albanie ou dans tout autre pays dans lequel le couple établirait être légalement admissible avec leurs petits-enfants. Dans ces conditions, les décisions les obligeant à quitter le territoire français n'ont pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de M. et de Mme B... une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent qu'être écartés.

14. En deuxième lieu, si Mme B... soutient qu'elle rencontre des problèmes de santé nécessitant des soins et un suivi régulier dont elle ne peut bénéficier en cas de retour dans son pays d'origine, il ressort des pièces du dossier que le collège médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a émis un avis en date du 27 mars 2017 par lequel il a estimé que l'état de santé de Mme B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'elle peut bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine et voyager sans risque vers ce pays. Dès lors, en l'absence de tout élément susceptible de remettre en cause cet avis, le préfet de l'Ariège n'a pas commis d'erreur d'appréciation de l'état de santé de Mme B....

15. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

16. Il ne ressort pas des pièces des dossiers que les mesures d'éloignement en litige seraient intervenues en méconnaissance de l'intérêt supérieur des enfants au sens des stipulations précitées, dès lors que rien ne s'oppose à ce que leur vie familiale se poursuive avec leurs grands-parents en Albanie, où ils pourront poursuivre leur scolarité.

17. En quatrième lieu, aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) ".

18. Comme il a été dit précédemment, au point 1, M. et Mme B... ont déjà fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement qu'ils n'ont pas exécutée. Cette circonstance était à elle seule de nature à justifier le refus d'octroi d'un délai de départ volontaire. Dans ces conditions, en refusant de leur accorder un délai de départ volontaire, le préfet n'a pas entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur les décisions fixant le pays de renvoi :

19. L'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (...) ".

20. En l'espèce et ainsi qu'il a été dit, notamment au point 1, les demandes d'asile de M. et de Mme B... ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 23 mai 2014 et ce rejet a été confirmé par la Cour nationale du droit d'asile le 14 novembre suivant. Les intéressés, qui ne produisent aucun élément tendant à démontrer la réalité des risques qu'ils allèguent encourir, ne sont donc pas fondés à soutenir que le préfet de l'Ariège aurait méconnu les dispositions et stipulations précitées.

Sur les décisions portant interdiction de retour :

21. En premier lieu, M. et Mme B..., qui n'établissent pas l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire dont ils ont fait l'objet, ne sont pas fondés à soutenir que la décision portant interdiction de retour les concernant est illégale par voie de conséquence de cette mesure.

22. En deuxième lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

23. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour fixer la durée de l'interdiction de retour prononcée à l'encontre d'un étranger soumis à une obligation de quitter le territoire français sans délai, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que certains d'entre eux.

24. Comme il a été dit précédemment, M. et Mme B... n'établissent ni qu'ils disposent d'attaches personnelles anciennes en France, ni qu'ils ont fait preuve d'une intégration particulière. Eu égard à la durée restreinte de la mesure d'interdiction, et en dépit du fait que leur présence sur le territoire français ne représenterait pas une menace pour l'ordre public, le préfet n'a commis ni erreur de fait, ni erreur de droit, ni erreur d'appréciation en prononçant à leur encontre, sur le fondement des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une mesure d'interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de trois mois.

25. Compte tenu, notamment, de la durée limitée de la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français contestée, le moyen tiré de ce que les conséquences de cette décision sur la situation personnelle de M. et de Mme B... seraient excessives doit être écarté.

26. Il résulte de ce tout qui précède que le préfet de l'Ariège est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé ses arrêtés des 11 et 13 mars 2019.

27. Enfin, les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. et par Mme B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 22 mars 2019 du tribunal administratif de Toulouse est annulé en tant qu'il a statué sur les demandes présentées par M. B... et par Mme C..., épouse B....

Article 2 : Les demandes présentées devant le tribunal administratif de Toulouse par M. B... et par Mme C..., épouse B..., sont rejetées, ainsi que leurs conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Mme E... C..., épouse B..., et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Ariège.

Délibéré après l'audience du 20 février 2020 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme H..., présidente-assesseure,

Mme F... G..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 mai 2020.

Le président,

Éric Rey-Bèthbéder

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX02218-19BX02220


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 19BX02218
Date de la décision : 20/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Florence MADELAIGUE
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : CANADAS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-05-20;19bx02218 ?
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