La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/05/2020 | FRANCE | N°18BX00343

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 12 mai 2020, 18BX00343


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le centre hospitalier de l'Ouest Guyanais Franck Joly sur sa demande tendant au paiement d'une indemnité de 40 000 euros assortie des intérêts légaux, et de condamner l'établissement public à lui payer ce montant.

Par un jugement n° 1600384 du 24 novembre 2017, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté les conclusions de la requête de Mme E... tendant à la répa

ration des conséquences dommageables de l'accident du travail dont elle a été victi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le centre hospitalier de l'Ouest Guyanais Franck Joly sur sa demande tendant au paiement d'une indemnité de 40 000 euros assortie des intérêts légaux, et de condamner l'établissement public à lui payer ce montant.

Par un jugement n° 1600384 du 24 novembre 2017, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté les conclusions de la requête de Mme E... tendant à la réparation des conséquences dommageables de l'accident du travail dont elle a été victime comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 janvier 2018, Mme E..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 24 novembre 2017 ;

2°) d'annuler la décision implicite née le 19 avril 2016 par laquelle le directeur du centre hospitalier de l'Ouest Guyanais Franck Joly de Saint-Laurent du Maroni a rejeté sa demande indemnitaire préalable tendant à la réparation de ses préjudices à hauteur d'un montant de 40 000 euros, à parfaire ;

3°) de condamner le centre hospitalier de l'Ouest Guyanais à lui verser cette somme assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable du 19 février 2016 et de la capitalisation ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de l'Ouest Guyanais le paiement de la somme de 2 600 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il ne comporte pas les signatures prévues à l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de l'inertie de l'établissement hospitalier, qui n'avait pas saisi le CHSCT, à prendre en considération les risques auxquels l'exposaient ses conditions de travail ;

- c'est à tort que les premiers juges ont écarté le principe de l'engagement de la responsabilité sans faute de l'établissement à raison des risques qu'il lui a fait encourir au regard de son handicap physique ;

- l'établissement a fait preuve d'inertie en ne répondant pas à ses demandes d'aménagement de son poste de travail ; elle n'a pas refusé un bureau en rez-de-chaussée mais exigé un aménagement de son poste ; le centre hospitalier a commis une faute par son inaction alors qu'il avait connaissance des risques auxquelles elle était exposée ; elle a notamment subi deux accidents du travail en lien avec ces conditions de travail alors qu'elle était munie d'un appareillage externe de la jambe et qu'elle devait emprunter quotidiennement un escalier en colimaçon menant à son bureau ;

- elle est fondée à demander la réparation de son préjudice liés aux souffrances endurées et de son préjudice moral à hauteur de 25 000 euros, ainsi que des troubles subis dans ses conditions d'existence à hauteur de 15 000 euros, à parfaire ;

- elle a fait l'objet d'une discrimination en raison de son handicap.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2019, le centre hospitalier de l'Ouest Guyanais, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de Mme E... le paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- le jugement n'est pas irrégulier ;

- la requête est irrecevable faute d'avoir été portée devant l'ordre juridictionnel compétent ;

- la requérante n'apporte pas la preuve d'une faute intentionnelle de son employeur ;

- le régime de la responsabilité sans faute n'est pas invocable ;

- aucune faute ne peut lui être reprochée dès lors qu'il a cherché à mettre en oeuvre les aménagements préconisés par le médecin du travail ; Mme E... a pour partie refusé ces aménagements de son poste ;

- les préjudices invoqués ne sont pas établis, ni en lien avec une faute du centre hospitalier.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;

- et les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... a été recrutée le 10 novembre 2014 en qualité d'agent contractuel à la direction des services économiques du centre hospitalier de l'Ouest Guyanais Franck Joly à Saint-Laurent du Maroni. Elle est dotée d'un appareillage externe de la jambe droite et indique avoir dû emprunter quotidiennement un escalier en colimaçon pour se rendre dans son bureau, situé au premier étage du bâtiment de la direction. Elle a été victime de deux chutes, reconnues comme accidents du travail, le 3 mars 2015, puis le 12 novembre suivant, date à laquelle elle a été placée jusqu'au 31 mars 2016 en arrêt de travail reconnu imputable au service. Mme E... relève appel du jugement du 24 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa requête tendant à la condamnation du centre hospitalier de l'Ouest Guyanais à lui verser une indemnité de 40 000 euros, à parfaire, en réparation de ses souffrances physiques et morales et des troubles qu'elle estime avoir subis dans ses conditions d'existence.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, l'article R. 741-7 du code de justice administrative dispose : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". L'article R. 741-10 du même code ajoute : " La minute des décisions est conservée au greffe de la juridiction pour chaque affaire, avec la correspondance et les pièces relatives à l'instruction (...) En cas de recours formé contre la décision devant une juridiction autre que celle qui a statué, le dossier de l'affaire lui est transmis ".

3. La seule circonstance que la version électronique du jugement attaqué telle qu'elle est notifiée aux parties via l'application Télérecours ne comporte pas la signature du président de la formation de jugement, du magistrat rapporteur et du greffier d'audience n'est pas de nature à établir que le tribunal administratif de la Guyane aurait méconnu les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la minute du jugement a été régulièrement signée par le président de la formation de jugement, le magistrat rapporteur et le greffier de l'audience qui s'est tenue le 14 septembre 2017.

4. En second lieu, il résulte des termes mêmes du jugement attaqué, et notamment de ses points 5 à 8, que les premiers juges ont répondu au moyen soulevé par la requérante, tiré de l'inertie alléguée du centre hospitalier de l'Ouest Guyanais à prendre en considération les risques qu'elle invoquait au regard de ses conditions de travail.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

5. En vertu des dispositions du 1° de l'article 2 du décret n° 91-155 du 6 février 1991 susvisé et des articles L.451-1, L. 452-5 et L. 454 -1 du code de la sécurité sociale, un agent contractuel de droit public peut demander au juge administratif la réparation par son employeur du préjudice que lui a causé l'accident du travail dont il a été victime, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du code de la sécurité sociale, lorsque cet accident est dû à la faute intentionnelle de cet employeur ou de l'un de ses préposés. Il peut également exercer une action en réparation de l'ensemble des préjudices résultant de cet accident non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale, contre son employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, en cas de faute inexcusable de ce dernier, ou contre une personne autre que l'employeur ou ses préposés, conformément aux règles du droit commun, lorsque la lésion dont il a été la victime est imputable à ce tiers. En revanche, en dehors des hypothèses dans lesquelles le législateur a entendu instituer un régime de responsabilité particulier, cet agent, dès lors qu'il ne se prévaut pas d'une faute intentionnelle de son employeur ou de l'un des préposés de celui-ci, ne peut exercer contre cet employeur une action en réparation devant les juridictions administratives, conformément aux règles du droit commun, à la suite d'un accident du travail dont il a été la victime.

6. Ainsi et comme l'a justement relevé le tribunal, le juge administratif est compétent pour statuer sur les actions formées par un agent contractuel en réparation des carences fautives des collectivités publiques qui l'ont employé, de sorte que les demandes de Mme E... tendant à l'indemnisation d'une faute commise par son employeur indépendamment des droits et obligations qu'elle tient du régime d'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles prévu par la législation de la sécurité sociale ressortissent à la compétence du juge administratif. En revanche, la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître de la demande de Mme E... en tant qu'elle vise à la réparation des conséquences dommageables de ses accidents du travail, dont il n'appartient qu'aux juridictions de l'ordre judiciaire de connaître, dès lors qu'il n'est ni soutenu, ni établi que les accidents dont elle a été victime résulteraient d'une faute intentionnelle de son établissement employeur. Il suit de là que c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions de la requête de Mme E... tendant à la réparation des conséquences dommageables des accidents du travail dont elle a été victime.

Sur le surplus des conclusions de la requête tendant à l'engagement de la responsabilité du centre hospitalier de l'Ouest Guyanais :

7. En premier lieu, si Mme E... persiste à recherche la responsabilité de l'établissement hospitalier sur le fondement du risque, ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges et comme il a été dit plus haut, le régime de réparation forfaitaire prévu par le législateur fait obstacle à l'engagement de la responsabilité sans faute de l'établissement employeur.

8. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que le médecin du travail avait, le 26 novembre 2014, émis un avis favorable à l'embauche de Mme E..., sous réserve de l'aménagement de son poste de travail. Si celle-ci fait valoir qu'avec l'aide du service d'appui au maintien des travailleurs handicapés, elle aurait alerté en vain son employeur, qui se serait abstenu de saisir le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la question de l'aménagement de son poste de travail, il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que l'établissement a adapté son poste de travail et changé son fauteuil de bureau. Par ailleurs, face aux difficultés qu'elle a évoquées pour emprunter quotidiennement l'escalier menant aux locaux du service où elle était affectée, situés au premier étage d'un bâtiment classé, le centre hospitalier de l'Ouest Guyanais lui avait proposé en novembre 2014 d'installer son bureau au rez-de-chaussée de ce même bâtiment, ce que Mme E... a refusé, ainsi qu'en atteste par écrit un membre du CHSCT, dont une délégation s'était d'ailleurs déplacée au sein desdits locaux. Dans ces conditions, aucune carence fautive ne peut être regardée comme imputable à l'établissement, qui n'est pas resté inactif et avait au demeurant saisi le CHSCT, de sorte que la requérante, par ailleurs indemnisée sur le fondement des dispositions de l'article L.451-1 du code de la sécurité sociale, n'est pas fondée à rechercher, dans les conditions du droit commun, la responsabilité de son employeur devant le juge administratif.

9. En troisième et dernier lieu, en vertu de l'article 6 de la loi du 11 janvier 1984, il appartient à l'agent public qui allègue avoir été victime de discrimination de soumettre des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Pour renverser cette présomption, l'administration doit établir que ces faits sont justifiés par des considérations étrangères à toute pratique discriminatoire. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements sont ou non établis compte tenu des comportements respectifs, se détermine au vu de ces échanges contradictoires qu'il peut, le cas échéant, compléter par toute mesure d'instruction.

10. Si Mme E... soutient avoir fait l'objet d'une discrimination en raison de son handicap, prohibée par l'article 6 susvisé de la loi du 11 janvier 1984, elle n'apporte en appel aucun élément nouveau de nature à corroborer ses allégations et à remettre en cause l'appréciation portée par les premiers juges quant à l'absence de tout élément laissant présumer l'existence de pratiques discriminatoires. Il y a lieu, par suite, d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinemment développés par le tribunal.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier de l'Ouest Guyanais les frais que Mme E... a exposés dans la présente instance et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la requérante le paiement au centre hospitalier de l'Ouest Guyanais de la somme qu'il demande sur ce même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier de l'Ouest Guyanais présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... et au centre hospitalier de l'Ouest Guyanais.

Délibéré après l'audience du 11 février 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme Anne Meyer, président-assesseur,

M. Thierry A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 mai 2020.

Le président de la 2ème chambre,

Catherine Girault

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

No 18BX00343


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award