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25/02/2020 | FRANCE | N°19BX03437

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 25 février 2020, 19BX03437


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 1er octobre 2018 par lequel la préfète de la Dordogne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1805716 du 11 mars 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 septem

bre 2019 et le 23 janvier 2020, Mme C..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'ann...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 1er octobre 2018 par lequel la préfète de la Dordogne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1805716 du 11 mars 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 septembre 2019 et le 23 janvier 2020, Mme C..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 11 mars 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 1er octobre 2018 de la préfète de la Dordogne ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Dordogne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le même délai et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement au profit de son conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué et le jugement contesté sont insuffisamment motivés et révèlent un défaut d'examen particulier de sa situation dans la mesure où il n'a pas été tenu compte de son histoire familiale en Albanie et des violences qu'elle et ses trois enfants ont subies de la part de son ancien époux et d'un neveu, non plus que de la parfaite intégration scolaire en France de ses trois enfants ;

- l'avis émis par l'OFII est irrégulier dès lors qu'il porte, suivant les productions du préfet, deux dates différentes, de sorte que la réalité d'une délibération du collège médical n'est pas établie ;

- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance du point C de l'annexe II de l'arrêté du 5 janvier 2017 dès lors que le collège n'a pas procédé à une évaluation précise du risque de réactivation d'un état de stress post-traumatique en cas de retour dans son pays d'origine, des risques d'une exceptionnelle gravité en cas de défaut de soins et de l'existence ou non de soins appropriés effectivement accessibles ;

- l'arrêté et le jugement sont entachés d'une méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et d'une " dénaturation des pièces du dossier " dès lors que le défaut de soins auquel elle sera confrontée aura des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé, ainsi qu'en attestent les certificats de son médecin traitant des 28 juin et 29 décembre 2018 ; le lien patient-médecin serait notamment rompu ;

- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et s'avère entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation et de celles de ses trois enfants mineurs, qui ont brillamment réussi leur insertion scolaire en France et doivent se reconstruire après les traumatismes vécus dans leur pays ;

- il méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 et s'avère également entaché d'une erreur manifeste d'appréciation sur l'intérêt supérieur de ses enfants.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2020, le préfet de la Dordogne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une décision n° 2019/009518 du 1er août 2019, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux a admis Mme C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;

- et les observations de Mme C... et de Mme E..., mandatée par Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante albanaise née en septembre 1968, est entrée en France le 16 septembre 2017, accompagnée de ses trois enfants alors âgés de 14, 12 et 10 ans. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 23 novembre 2017, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 25 avril 2018. Sa demande de réexamen a été rejetée pour irrecevabilité par l'OFPRA le 6 juin 2018. Mme C... a sollicité, le 25 mai 2018, la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, au regard de son état de stress post-traumatique. Elle relève appel du jugement du 11 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er octobre 2018 de la préfète de la Dordogne lui refusant la délivrance du titre sollicité, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et fixant le pays de renvoi.

2. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

3. Il ressort des pièces du dossier, notamment d'un certificat médical du 13 juin 2019 et de certificats du psychologue qui suit les trois enfants de Mme C..., en date des 16 et 17 avril 2019, certificats postérieurs à la décision attaquée mais qui ont trait à une situation antérieure à celle-ci, qu'au moins deux des trois enfants ont subi des violences physiques de la part de leur père et des agressions sexuelles de la part de membres de leur famille ainsi qu'une tentative d'enlèvement pour l'aînée. Ils restent ainsi fortement traumatisés par ces évènements, ont développé un état de stress post-traumatique et un syndrome d'évitement qui nécessitent une prise en charge médicale et psychologique au long cours. Compte tenu du contexte existant dans leur pays d'origine et de l'incapacité dans laquelle se trouverait leur mère de les protéger, un éventuel retour en Albanie les exposerait à des risques pour leur intégrité physique et psychique. Il ressort, par ailleurs, des pièces du dossier que les trois enfants sont scolarisés, parlent parfaitement le français et sont intégrés dans la société française. Il suit de là que le refus de titre de séjour pris à l'encontre de Mme C..., qui est de nature à affecter, de manière suffisamment directe et certaine, la situation personnelle des trois enfants et de porter atteinte à leur intérêt supérieur, méconnaît les stipulations précitées et doit, pour ce motif, être annulé, ensemble et par voie de conséquence, la mesure d'éloignement et la décision fixant le pays de renvoi.

4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement et les autres moyens de la requête, Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté de la préfète de la Dordogne du 1er octobre 2018.

5. L'annulation prononcée par le présent arrêt implique la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à Mme C..., dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le paiement au conseil de Mme C... d'une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve pour Me B... de renoncer au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

DECIDE :

Article 1er : L'arrêté de la préfète de la Dordogne du 1er octobre 2018 et le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 11 mars 2019 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Dordogne de délivrer à Mme C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera au conseil de Mme C... une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me B... renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de Mme C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Dordogne.

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme Anne Meyer, président-assesseur,

M. Thierry A..., premier-conseiller.

Lu en audience publique, le 25 février 2020.

Le rapporteur,

Thierry A...Le président

Catherine Girault

Le greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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No 19BX03437


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX03437
Date de la décision : 25/02/2020
Type d'affaire : Administrative

Analyses

335-01-03-04 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour. Motifs.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Thierry SORIN
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : PERRIN

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-02-25;19bx03437 ?
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