La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/10/2019 | FRANCE | N°19BX00800,19BX00801

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 17 octobre 2019, 19BX00800,19BX00801


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 21 janvier 2019 par lesquels le préfet de la Haute-Garonne a prononcé, d'une part, son transfert aux autorités italiennes dans le cadre du traitement de sa demande d'asile et, d'autre part, son assignation à résidence dans ce département.

Par un jugement n° 1900382 du 24 janvier 2019, le tribunal administratif de Toulouse a annulé ces deux arrêtés, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne d'enregistrer la deman

de d'asile de M. A... en procédure normale dans un délai de sept jours à compter d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 21 janvier 2019 par lesquels le préfet de la Haute-Garonne a prononcé, d'une part, son transfert aux autorités italiennes dans le cadre du traitement de sa demande d'asile et, d'autre part, son assignation à résidence dans ce département.

Par un jugement n° 1900382 du 24 janvier 2019, le tribunal administratif de Toulouse a annulé ces deux arrêtés, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne d'enregistrer la demande d'asile de M. A... en procédure normale dans un délai de sept jours à compter de la notification du jugement et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 28 février 2019, sous le n° 19BX00800, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement du 24 janvier 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que c'est à tort que le magistrat désigné a annulé l'arrêté de transfert de M. A... aux autorités italiennes au motif tiré de ce qu'il avait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne le faisant pas bénéficier de la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dès lors que, d'une part, il n'est pas démontré que l'Italie ne respecte pas les droits fondamentaux des étrangers sollicitant l'asile, et que, d'autre part, M. A... ne démontre ni être atteint d'une grave pathologie, ni que l'exécution du transfert peut entraîner une aggravation de son état de santé et que cette aggravation sera irrémédiable.

Par ordonnance du 2 avril 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 29 mai 2019 à 12 heures.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2019, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;

2°) d'enjoindre au préfet d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile, dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que c'est à bon droit que le tribunal administratif de Toulouse a annulé les arrêtés en date du 21 janvier 2019 et informe la cour qu'il reprend l'ensemble des moyens de première instance.

Par un mémoire enregistré le 29 août 2019, M. A... informe la cour de ce que le préfet de la Haute-Garonne lui a délivré une attestation de demande d'asile en procédure normale le 22 août 2019, et conclut au non-lieu à statuer.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 septembre 2019.

II. Par une requête, enregistrée le 28 février 2019 sous le n° 19BX00801, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du 24 janvier 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que :

- sa requête au fond contient des moyens sérieux de nature à entraîner l'annulation du jugement et le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par M. A... devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse ;

- l'exécution de la décision du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse entraîne des conséquences irréparables pour l'autorité administrative justifiant le sursis à exécution eu égard à la caducité dont sera frappé l'arrêté de transfert à l'expiration du délai de six mois à compter de la date du jugement attaqué.

Par ordonnance du 2 avril 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 29 mai 2019 à 12 heures.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2019, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;

2°) d'enjoindre au préfet d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile, dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient qu'il n'y a aucune impérieuse nécessité à prononcer un sursis à exécution du jugement rendu par le tribunal administratif de Toulouse le 24 janvier 2019 ; le délai de six mois ne saurait être à nouveau interrompu par une procédure d'appel ou un sursis à exécution accordé par le juge d'appel de sorte que la procédure engagée par le préfet est dépourvue d'objet.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen né le 1er janvier 1997, déclare être entré irrégulièrement sur le territoire français le 24 octobre 2018, en provenance d'Italie. Le 8 novembre 2018, il s'est présenté à la préfecture de la Haute-Garonne pour y formuler une demande d'asile. Constatant, au vu du résultat du relevé de ses empreintes décadactylaires, que l'intéressé avait introduit une demande d'asile en Italie le 4 août 2017, l'autorité préfectorale a formé, le 14 novembre 2018, une demande de reprise en charge auprès des autorités italiennes, sur le fondement du b) de l'article 18.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que ces dernières ont implicitement acceptée. Par deux arrêtés du 21 janvier 2019, le préfet de la Haute-Garonne a prononcé, d'une part, le transfert de M. A... aux autorités italiennes et, d'autre part, son assignation à résidence dans ce département pour une durée de 45 jours renouvelable une fois. Par une requête n° 19BX00800, le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 24 janvier 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse, saisi par M. A..., a annulé ces deux arrêtés et demande, sous le n° 19BX00801, d'en ordonner le sursis à exécution.

2. Les requêtes n° 19BX00800 et n° 19BX00801 du préfet de la Haute-Garonne portent sur la contestation d'un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Dès lors, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la requête n° 19BX00800 :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le premier juge :

3. Aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". En vertu de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

4. Il résulte de ces dispositions et stipulations que la présomption selon laquelle un État " Dublin " respecte ses obligations découlant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant subi par ces derniers. Les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 prévoient ainsi que chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement. Cette possibilité, également prévue par l'article 17 du même règlement et reprise par l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ce cas, les autorités d'un pays membre peuvent, en vertu du règlement communautaire précité, s'abstenir de transférer le ressortissant étranger vers le pays pourtant responsable de sa demande d'asile si elles considèrent que ce pays ne remplit pas ses obligations au regard de la Convention, notamment compte tenu de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé du demandeur.

5. En application du principe qui vient d'être énoncé, il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date de l'arrêté contesté, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et de la situation particulière de M. A..., il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités italiennes, il ne bénéficierait pas d'un examen effectif de sa demande d'asile et risquerait de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales justifiant la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

6. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à celles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsque qu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

7. M. A... se prévaut, d'une part, de ce que les autorités italiennes sont confrontées à un afflux massif de migrants sans précédent entraînant de grandes difficultés pour traiter les demandes d'asiles correspondantes et qui allongerait considérablement les délais de traitement, précariserait les conditions d'accueil et mettrait les autorités italiennes dans l'impossibilité de prendre en charge de façon satisfaisante les personnes vulnérables. Toutefois, l'Italie est un État membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption est réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, M. A... n'établit pas l'existence de défaillances en Italie qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Au demeurant, à les supposer même établies, ces défaillances ne concernent que la gestion matérielle de l'accueil initial des flux de réfugiés arrivant dans certaines zones saturées du territoire, et ne sont pas structurelles, de sorte qu'elles ne sauraient être regardées comme révélant une défaillance systémique. D'autre part, si M. A... se prévaut de ses problèmes de santé et d'un entretien individuel du 8 novembre 2018 par lequel il affirme ne pas avoir eu accès à des soins médicaux en Italie, il n'apporte toutefois aucune pièce de nature à établir la réalité et la gravité de ses problèmes de santé. Il ne produit pas davantage d'élément indiquant qu'il ne pourrait voyager sans risque ni qu'il lui serait impossible de bénéficier de soins appropriés à son état de santé en Italie. Ainsi, les circonstances invoquées par M. A... ne suffisent pas à établir qu'en s'abstenant de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet de la Haute-Garonne se serait livré à une appréciation manifestement erronée de sa situation personnelle, notamment du degré de gravité des conséquences de son éloignement vers l'Italie.

8. Dès lors, le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé, pour ce motif, l'arrêté litigieux du 21 janvier 2019 ordonnant le transfert de l'intéressé vers l'Italie ainsi que, par voie de conséquence, le second arrêté du même jour l'assignant à résidence.

9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse :

S'agissant de la décision portant transfert aux autorités italiennes :

10. En premier lieu, aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. / (...) ". Aux termes de l'article L. 742-1 du même code : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'État responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet État. (...) ". En vertu de l'article L. 742-3 dudit code : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ".

11. L'arrêté litigieux portant transfert aux autorités italiennes de M. A... vise les textes sur lesquels il se fonde, notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le règlement (UE) n° 604-2013 du Conseil du 26 juin 2013 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il mentionne, rappel fait de son identité et de ses conditions d'entrée en France, que M. A... a sollicité l'asile le 8 novembre 2018 auprès des services de la préfecture et que, dès lors qu'il ressortait du relevé de ses empreintes décadactylaires qu'il avait déposé une demande d'asile en Italie le 4 août 2017, les autorités italiennes ont été saisies, le 14 novembre 2018, d'une demande de reprise en charge sur le fondement des dispositions de l'article 18.1 b) du règlement (UE) n° 604/2012 du 26 juin 2013, à laquelle elles ont donné leur accord implicite le 29 novembre 2018, conformément à l'article 25-2 de ce même règlement. Ce même arrêté, qui rappelle expressément qu'il résulte des observations formulées par l'intéressé le 8 novembre 2018 que sa volonté de rester en France est motivée principalement par le fait qu'il n'a pas été pris en charge par les autorités italiennes et qu'il souhaite avoir un titre de séjour en France, indique que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de l'intéressé ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n°604/2013, l'Italie ne constituant pas un État où des défaillances systémiques sont établies. Enfin, il précise qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale que M. A... tient de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France, n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Italie et, surtout, n'atteste pas que l'Italie serait dans l'incapacité d'assurer sa protection et sa prise en charge, notamment médicale. Dès lors, l'arrêté portant transfert de l'intéressé aux autorités italiennes, qui comporte l'énoncé de l'ensemble des considérations de droit et de fait qui le fondent, est suffisamment motivé au regard des dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

12. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de la motivation de l'arrêté contesté, telle qu'elle vient d'être exposée au point précédent que le préfet de la Haute-Garonne, qui ne s'est pas estimé lié par la seule circonstance que les autorités italiennes avaient rendu un accord implicite à sa demande de reprise en charge, a procédé à un examen particulier et attentif de la situation personnelle de M. A..., et qu'il a examiné la possibilité de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 avant d'ordonner son transfert aux autorités italiennes. Dès lors, le moyen tiré de ce que ledit arrêté serait entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle doit être écarté.

13. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de 1'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de 1'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement / f) de 1'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, dit " Dublin III ", doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus à l'article 4.1 de ce règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

14. Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'il allègue, M. A... s'est vu remettre en langue française, le 8 novembre 2018, lors de son entretien individuel, le guide du demandeur d'asile en France, un document d'information sur le relevé d'empreintes et Eurodac, ainsi que les brochures d'information sur le règlement " Dublin III " contenant la brochure A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande ' " et la brochure B " Je suis sous procédure Dublin. Qu'est-ce que cela signifie ' ", ainsi qu'en atteste sa propre signature, apposée sur chacun des documents correspondants. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a déclaré comprendre le français et la langue peule et qu'il a bénéficié des services d'un interprète en langue peule. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'intéressé n'a pas reçu l'ensemble des éléments d'information requis par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté comme manquant en fait.

15. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013: " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. (...) ".

16. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des mentions claires et précises du compte rendu mentionné au point précédent, que M. A... a bénéficié, le 8 novembre 2018, d'un entretien individuel, réalisé par un agent de la préfecture de la Haute-Garonne, qui en l'absence de tout élément de preuve contraire, doit être regardé comme qualifié pour mener un tel entretien. Les circonstances que le compte rendu de cet entretien ne mentionne ni le nom ni la qualité de la personne l'ayant réalisé, ne suffisent pas, à elles seules, à considérer que cet entretien n'a pas été conduit par une personne " qualifiée en vertu du droit national " au sens et pour l'application du 5 de l'article 5 précité du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. En tout état de cause, l'absence de mention du nom et de la qualité de l'agent qui a mené l'entretien n'a pas eu d'incidence sur le sens de la décision prise par le secrétaire général de la préfecture de la Haute-Garonne et n'a pas privé M. A... d'une garantie, dès lors notamment qu'une telle obligation n'est nullement prévue par l'article 5 du règlement n°604/2013. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des garanties prévues à l'article 5 dudit règlement doit être écarté.

17. En cinquième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013/UE du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (....) ".

18. Si la mise en oeuvre par les autorités françaises de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, selon lequel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ", la faculté laissée à chaque État membre, par les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile concernés.

19. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, et en particulier des termes de l'arrêté attaqué, que le préfet de la Haute-Garonne a estimé, compte tenu de la situation de M. A... et des observations qu'il a formulées le 8 novembre 2018, qu'il n'y avait pas lieu de mettre en oeuvre les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que le préfet se serait estimé, à tort, en situation de compétence liée pour prendre la décision de transfert et aurait, ainsi, entaché cette décision d'une erreur de droit doit être écarté.

S'agissant de la décision portant assignation à résidence :

20. En premier lieu, le moyen tiré de ce que la mesure d'assignation à résidence serait dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de la décision portant transfert aux autorités italiennes ne peut qu'être écarté, cette décision, compte tenu de ce qui précède, n'étant pas exposée à la censure.

21. En deuxième lieu, la décision portant assignation à résidence mentionne, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé d'en comprendre les motifs, et dépourvue de caractère stéréotypé, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

22. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.-L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : " 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ".

23. La décision contestée, qui interdit à M. A... de se déplacer en dehors de la commune de Toulouse sans autorisation préalable du préfet de la Haute-Garonne, a été prise pour une durée de quarante-cinq jours et prévoit une obligation de présentation de l'intéressé au commissariat central de Toulouse chaque lundi et mercredi à 14 heures. Il n'est par ailleurs pas établi qu'il n'existerait pas une perspective raisonnable à l'éloignement du requérant vers l'Italie. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la mesure prise ne serait pas adaptée, nécessaire et proportionnée aux finalités qu'elle poursuit alors que le requérant se borne à l'affirmer et à indiquer qu'il a respecté l'ensemble des convocations collaborant ainsi avec l'autorité administrative. Par suite, l'assignation à résidence ne procède pas d'une erreur manifeste d'appréciation.

24. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé les deux arrêtés du 21 janvier 2019 portant transfert de M. A... aux autorités italiennes et assignation à résidence.

Sur la requête n° 19BX00801

25. La cour statuant au fond par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du 24 janvier 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions de la requête n° 19BX00801 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement sont devenues sans objet.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 :

26. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du recours n° 19BX00801 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 1900382 du 24 janvier 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse.

Article 2 : Le jugement n° 1900382 du 24 janvier 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse et ses conclusions présentées devant la cour au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... A.... Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2019 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, président-assesseur,

Mme C... D..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 17 octobre 2019.

Le rapporteur,

Florence D...

Le président,

Éric Rey-Bèthbéder

Le greffier,

Caroline Brunier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX00800, 19BX00801


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 19BX00800,19BX00801
Date de la décision : 17/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

.

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Florence MADELAIGUE
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : FRANCOS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-10-17;19bx00800.19bx00801 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award