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17/10/2019 | FRANCE | N°17BX04007

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 17 octobre 2019, 17BX04007


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Industrie Service B... (ISD) a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, ainsi que de la pénalité de 80 % qui lui a été appliquée pour manoeuvres frauduleuses.>
Par un jugement n° 1502412 du 24 octobre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Industrie Service B... (ISD) a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, ainsi que de la pénalité de 80 % qui lui a été appliquée pour manoeuvres frauduleuses.

Par un jugement n° 1502412 du 24 octobre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2017, la société Industrie Service B... (ISD), représentée par la Selarl Quesnel et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 24 octobre 2017 ;

2°) de prononcer la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012 pour un montant de 114 950 euros ;

3°) de prononcer la décharge de la pénalité de 80 % qui lui a été appliquée pour manoeuvres frauduleuses ;

4°) à titre subsidiaire, de substituer la pénalité de 40 % pour manquement délibéré à celle de 80 % qui lui a été appliquée ;

5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la substitution de base légale intervenue au stade de la réclamation préalable emporte violation des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant le respect des droits de la défense ;

- les prestations facturées ont été réalisées à titre onéreux car M. B... s'est acquitté de leur paiement et l'exigibilité de la TVA collectée correspondante doit par conséquent être fixée à la date du paiement des opérations, lequel n'était pas intervenu au terme de la période vérifiée ;

- s'agissant de la déduction en amont de la TVA, en vertu de la doctrine administrative BOFIP TVA-CHAMP-10-20-20-§ 80- du 12/09/2012 : " Lorsqu'un bien ou service est, dès son acquisition ou importation, affecté à des besoins autres que ceux de l'entreprise, la taxe y afférente n'est pas déductible, conformément aux 1° à 5° du 2 du IV de l'article 206 de l'annexe 11 au CGI déjà cités, de sorte qu'ultérieurement, il n'y a pas matière à imposition de la livraison à soi-même. " ; dès lors que l'opération était dès l'origine affectée à des besoins autres que ceux de l'entreprise spécialisée dans la fabrication et la distribution de sous-ensembles mécaniques et électrotechniques, la livraison à soi-même des travaux fondée sur le 1° du 2 du II de l'article 257 du code général des impôts ne peut faire l'objet d'un assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée ;

- pour les mêmes motifs, les rectifications opérées en matière d'impôt sur les sociétés ne sont pas fondées ;

- la pénalité de 80 % pour manoeuvres frauduleuses n'est pas justifiée ;

- à titre subsidiaire, la pénalité de 40 % pour manquement délibéré doit être substituée à celle de 80 % qui lui a été appliquée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juin 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la SARL Industrie Service B... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 9 novembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 17 décembre 2018 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... D...,

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. La société Industrie Service B... (ISD), qui exerce une activité de fabrication de matériel de distribution et de commande électrique et dont M. A... B... est co-gérant et associé, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité pour la période du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2013 en matière d'impôt sur les sociétés et du 1er octobre 2010 au 31 décembre 2013 en matière de taxe sur la valeur ajoutée à l'issue de laquelle le service a notifié, par proposition de rectification du 27 mai 2014, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée collectée non déclarée correspondant à sept factures non comptabilisées et remis en cause le taux réduit de TVA mis en oeuvre au titre de cinq des sept opérations facturées. Il a également rehaussé le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés des exercices clos en 2011 et 2012 au titre de l'incidence financière des rappels de TVA à raison de l'absence de comptabilisation des produits d'exploitation. Les impositions, établies selon la procédure contradictoire, ont été assorties de la sanction de 80 % prévue au c de l'article 1729 du code général des impôts et mises en recouvrement le 8 décembre 2014, pour un montant total de 114 948 euros. La société ISD relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande en décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés qui trouvent leur origine dans le contrôle précité ainsi que de la pénalité de 80 % qui lui a été appliquée pour manoeuvres frauduleuses. Elle demande à titre subsidiaire de substituer la pénalité de 40% pour manquement délibéré à celle de 80 % pour manoeuvres frauduleuses.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Lors du rejet de la réclamation préalable, le 31 juillet 2015, l'administration fiscale a procédé à une substitution de base légale, en motivant le rappel de TVA collectée sur la base des dispositions du 2° du 2 du II de l'article 257 du code général des impôts et de l'article 175 de l'annexe II au même code. Le tribunal a fait droit à cette demande de substitution de base légale et la société appelante admet expressément en appel que la substitution de base légale n'a pas eu pour effet de la priver d'une garantie offerte par le livre des procédures fiscales.

3. Contrairement à ce qu'elle soutient, une telle substitution de base légale ne porte, en tout état de cause, pas atteinte au droit à un procès équitable énoncé par les stipulations du 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que le contribuable a la possibilité, devant le juge de l'impôt, d'en contester, de manière contradictoire, le bien-fondé.

Sur le complément de taxe sur la valeur ajoutée :

4. L'article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige prévoit que : " I. - Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent. ... II. - Les opérations suivantes sont assimilées, selon le cas, à des livraisons de biens ou à des prestations de services effectuées à titre onéreux. ... 2. Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux : 1° L'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée ; 2° Les prestations de services à titre gratuit effectuées par l'assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise. ". L'article 175 de l'annexe II au code général des impôts précise que : " La taxe due en application du II de l'article 257 du code général des impôts est exigible à la date de la première utilisation du bien ou lorsque la prestation de service est effectuée. ".

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que la société ISD a effectué, entre octobre 2010 et mars 2012, des travaux de réhabilitation sur deux immeubles de rapport appartenant à M. B... et a émis au bénéfice de ce dernier des factures constatant les travaux réalisés par ses soins mais n'a ni comptabilisé ni déclaré les factures correspondant à ces travaux. La fourniture gratuite de ces travaux par un assujetti à des fins étrangères à son entreprise, s'analyse en une prestation assurée pour les besoins privés du personnel, et doit être regardée comme une prestation à soi-même, passible de la taxe sur la valeur ajoutée entrant dans le champ d'application des dispositions du II de l'article 257 du code général des impôts. En se bornant à soutenir que les prestations facturées ont été réalisées à titre onéreux car M. B... s'est acquitté de leur paiement, alors que ce paiement est intervenu le 1er décembre 2014, soit quatre ans après la date d'émission de la première facture le 7 octobre 2010, plus de deux ans après l'émission de la dernière le 29 mars 2012, et après que la dette a été enregistrée au débit du compte courant d'associé de M. B..., le 30 novembre 2014, donc après l'intervention, le 27 mai 2014, de la proposition de rectification clôturant le contrôle, la société appelante ne saurait utilement soutenir que les compléments de taxe sur la valeur ajoutée ainsi mis à sa charge n'entraient pas dans le champ du II de l'article 257 du code général des impôts et que la taxe sur la valeur ajoutée n'était pas exigible au titre des périodes contrôlées.

6. En deuxième lieu, eu égard aux termes de ses écritures, la société appelante doit être regardée comme se prévalant, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du paragraphe 80 de la doctrine administrative BOI-TVA-CHAMP-10-20-20 dans sa version publiée au 12 septembre 2012. Toutefois, elle ne peut utilement se prévaloir de la doctrine susmentionnée dans le champ duquel elle n'entre pas dès lors qu'elle concerne uniquement les livraisons à soi-même de biens affectés à des besoins autres que ceux de l'entreprise et non les prestations de services à soi-même.

7. En troisième lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rejet de la réclamation préalable dans le cadre de laquelle la substitution de base légale a été demandée par l'administration que le rappel de TVA collectée a été effectué sur la base des dispositions du 2° du 2 du II de l'article 257 du code général des impôts. La société ISD ne saurait dès lors utilement se fonder sur le 1° du 2 du II de l'article 257 du code général des impôts pour soutenir qu'elle ne peut faire l'objet d'un assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée car elle n'a pas déduit la taxe relative à l'achat du matériel utilisé pour la réalisation des travaux dès lors qu'elle savait à la date de leur acquisition que l'opération était affectée à des besoins autres que ceux de l'entreprise. Au demeurant, en l'espèce la société appelante, qui a falsifié les factures en litige par attribution d'un numéro déjà utilisé pour les factures d'autres clients, n'établit pas l'absence de déduction de TVA d'amont des achats affectés auxdits travaux.

Sur les suppléments d'impôt sur les sociétés :

8. Il résulte des dispositions de l'article 38-1 du code général des impôts qu'un contribuable réalisant des opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée et tenant une comptabilité hors taxes qui, avant la clôture d'un exercice, n'a ni enregistré certaines recettes, ni déclaré et acquitté spontanément la taxe sur la valeur ajoutée afférente à ces opérations par versement au Trésor, a minoré son résultat imposable non seulement du montant hors taxe de ces opérations mais du montant de la taxe y afférente. En l'espèce, les opérations litigieuses n'ont donné lieu à aucune comptabilisation.

9. Ainsi qu'il a été dit précédemment, c'est à bon droit que l'administration fiscale a mis à la charge de la société ISD la totalité des rappels de taxe sur la valeur ajoutée contestés. Il s'ensuit que la société appelante n'est pas fondée à soutenir que le service ne pouvait constater l'existence, à hauteur du montant de ces rappels, d'un profit sur le Trésor et réintégrer ce dernier dans son résultat imposable.

10. Pour le surplus, en l'absence de moyen dirigé contre les rehaussements correspondants s'agissant des rappels entraînés par la réintégration au résultat imposable des exercices clos en 2011 et 2012 des produits non comptabilisés correspondant aux services rendus à M. B..., la société appelante n'est pas fondée à contester le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande.

Sur les pénalités :

11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...); c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses (...) ".

12. Le service vérificateur a relevé qu'outre l'absence de comptabilisation de recettes d'un montant très important, en dehors de l'objet social, la société avait volontairement falsifié les factures non comptabilisées en leur attribuant un numéro déjà utilisé pour des factures libellées à d'autres clients, dans le but de conserver l'apparence d'une numérotation respectant l'obligation de séquence chronologique et continue prévue au 7° du I de l'article 242 nonies A de l'annexe II du code général des impôts. Pareilles falsifications, même si la société a sollicité la procédure de régularisation prévue par l'article L. 62 du livre des procédures fiscales dès le début des opérations de contrôle ou que les sommes qui lui étaient dues par M. B... ont été ultérieurement payées, constituent des manoeuvres frauduleuses destinées à égarer ou restreindre le pouvoir de vérification de l'administration, justifiant l'application des pénalités pour manoeuvres frauduleuses prévues par les dispositions précitées du code général des impôts.

13. Ainsi qu'il vient d'être dit, l'administration apporte la preuve qui lui incombe de la réalité de ces manoeuvres frauduleuses. Par suite, la demande de la société ISD de substituer les pénalités de mauvaise foi aux pénalités pour manoeuvres frauduleuses doit être rejetée.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société ISD n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE

Article 1er : La requête de la société ISD est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Industrie Service B... et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Ouest.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2019 à laquelle siégeaient :

M. Eric Rey-Bèthbéder, président,

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, président-assesseur,

Mme C... D..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 17 octobre 2019.

Le rapporteur,

Florence D...

Le président,

Éric Rey-Bèthbéder

Le greffier,

Caroline Brunier

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 17BX04007


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 17BX04007
Date de la décision : 17/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-04-03 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales. Détermination du bénéfice imposable.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Florence MADELAIGUE
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS QUESNEL ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-10-17;17bx04007 ?
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