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07/10/2019 | FRANCE | N°19BX01295,19BX01296

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 07 octobre 2019, 19BX01295,19BX01296


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 12 février 2019 par lesquels le préfet de la Haute-Garonne a prononcé, d'une part, son transfert aux autorités italiennes dans le cadre du traitement de sa demande d'asile et, d'autre part, son assignation à résidence dans ce département pour une durée de 45 jours renouvelable trois fois.

Par un jugement n° 1900836 du 19 février 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulo

use a annulé ces deux arrêtés et a enjoint au préfet de la Haute-Garonne d'enregistr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 12 février 2019 par lesquels le préfet de la Haute-Garonne a prononcé, d'une part, son transfert aux autorités italiennes dans le cadre du traitement de sa demande d'asile et, d'autre part, son assignation à résidence dans ce département pour une durée de 45 jours renouvelable trois fois.

Par un jugement n° 1900836 du 19 février 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé ces deux arrêtés et a enjoint au préfet de la Haute-Garonne d'enregistrer la demande d'asile de Mme E... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 28 mars 2019 sous le n° 19BX01295, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 février 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) de rejeter la demande de Mme E....

Il soutient que :

- c'est à tort que le magistrat désigné a annulé l'arrêté de transfert de Mme E... aux autorités italiennes au motif tiré de ce qu'il avait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne la faisant pas bénéficier de la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dès lors que, d'une part, il n'est pas démontré que l'Italie ne respecte pas les droits fondamentaux des étrangers sollicitant l'asile, et que, d'autre part, Mme E... n'établit pas, par des éléments précis et circonstanciés, qu'elle a fait l'objet de mauvais traitements en Italie ou qu'elle y a été privée des garanties attachées à l'exercice du droit d'asile ;

- sa requête au fond contient des moyens sérieux de nature à entraîner l'annulation du jugement et le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par Mme E... devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse ;

- l'exécution de la décision du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse entraîne des conséquences irréparables pour l'autorité administrative justifiant le sursis à exécution eu égard à la caducité dont sera frappé l'arrêté de transfert à l'expiration du délai de six mois à compter de la date du jugement attaqué.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 juillet 2019, Mme B... E..., représentée par Me A..., conclut, à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, à la confirmation du jugement du 19 février 2019 du tribunal administratif de Toulouse, à ce qu'il soit enjoint au préfet d'enregistrer sa demande d'asile ou, a minima de procéder au réexamen de sa demande et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de 24heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titres des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle fait valoir que :

- l'arrêté ordonnant sa remise vers l'Italie apparait entaché d'une erreur de droit outre d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- cet arrêté est entaché d'un défaut de motivation ;

- La décision portant assignation à résidence est entachée d'un défaut de motivation et d'un défaut de base légale.

Par ordonnance du 17 juillet 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 19 août 2019 à 12 heures.

II. Par une requête, enregistrée le 28 mars 2019 sous le n° 19BX01296, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du 19 février 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que :

- sa requête au fond contient des moyens sérieux de nature à entraîner l'annulation du jugement et le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par Mme E... devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse ;

- l'exécution de la décision du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse entraîne des conséquences irréparables pour l'autorité administrative justifiant le sursis à exécution eu égard à la caducité dont sera frappé l'arrêté de transfert à l'expiration du délai de six mois à compter de la date du jugement attaqué.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 juillet 2019, Mme B... E..., représentée par Me A..., conclut, à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, au rejet de la requête du préfet de la Haute-Garonne, à ce qu'il soit enjoint au préfet d'enregistrer sa demande d'asile ou, a minima de procéder au réexamen de sa demande et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de 24heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titres des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle fait valoir que :

- l'arrêté ordonnant sa remise vers l'Italie apparait entaché d'une erreur de droit outre d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- cet arrêté est entaché d'un défaut de motivation ;

- La décision portant assignation à résidence est entachée d'un défaut de motivation et d'un défaut de base légale.

Par ordonnance du 17 juillet 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 19 août 2019 à 12 heures.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... E..., ressortissante nigériane née le 1er juin 1990, déclare être entrée irrégulièrement sur le territoire français le 28 mai 2018, en provenance d'un autre Etat membre. Le 12 juin 2018, elle s'est présentée à la préfecture de la Haute-Garonne pour y formuler une demande d'asile. Constatant, au vu du résultat du relevé de ses empreintes décadactylaires, que l'intéressée avait fait l'objet d'un contrôle de police en Italie le 16 octobre 2017, l'autorité préfectorale a formé, le 17 juillet 2018, une demande de reprise en charge auprès des autorités italiennes, sur le fondement de l'article 13.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que lesdites autorités ont implicitement acceptée. Par deux arrêtés du 12 février 2019, le préfet de la Haute-Garonne a prononcé, d'une part, le transfert de Mme E... aux autorités italiennes et, d'autre part, son assignation à résidence dans ce département pour une durée de 45 jours renouvelable trois fois. Le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 19 février 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse, saisi par Mme E..., a annulé ces deux arrêtés et demande d'en ordonner le sursis à exécution.

2. Les requêtes n° 19BX01295 et n° 19BX01296 du préfet de la Haute-Garonne portent sur la contestation d'un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Dès lors, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur les demandes d'aide juridictionnelle à titre provisoire :

3. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'appréciation des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président (...) ". En vertu de l'article 62 du décret du 19 décembre 1991 pris pour l'application de ces dispositions : " L'admission provisoire est demandée sans forme au président du bureau ou de la section ou au président de la juridiction saisie. (...) L'admission provisoire peut être prononcée d'office si l'intéressé a formé une demande d'aide juridictionnelle sur laquelle il n'a pas encore été définitivement statué ".

4. Eu égard aux circonstances de l'espèce, les demandes de Mme E... ayant été enregistrées le 26 juin 2019, il y a lieu de prononcer en application des dispositions précitées, son admission provisoire à l'aide juridictionnelle.

Sur la requête n° 19BX01295 :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le premier juge :

5. Aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". Selon l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

6. Il résulte de ces dispositions et stipulations que la présomption selon laquelle un État " Dublin " respecte ses obligations découlant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant subi par ces derniers. Les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 prévoient ainsi que chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement. Cette possibilité, également prévue par l'article 17 du même règlement et reprise par l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ce cas, les autorités d'un pays membre peuvent, en vertu du règlement communautaire précité, s'abstenir de transférer le ressortissant étranger vers le pays pourtant responsable de sa demande d'asile si elles considèrent que ce pays ne remplit pas ses obligations au regard de la Convention, notamment compte tenu de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé du demandeur.

7. En application du principe qui vient d'être énoncé, il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date de l'arrêté contesté, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et de la situation particulière de Mme E..., il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités italiennes, elle ne bénéficierait pas d'un examen effectif de sa demande d'asile et risquerait de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales justifiant la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

8. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à celles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsque qu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

9. Mme E... se prévaut, d'une part, de ce que les autorités italiennes sont confrontées à un afflux massif de migrants sans précédent entraînant de grandes difficultés pour traiter les demandes d'asiles correspondantes et qui allongerait considérablement les délais de traitement, précariserait les conditions d'accueil et mettrait les autorités italiennes dans l'impossibilité de prendre en charge de façon satisfaisante les personnes vulnérables. Toutefois, si les pièces produites devant le premier juge, notamment les conclusions d'un rapport de l'OSAR du 12 décembre 2018 et celles d'un rapport de mission d'observation de l'association luxembourgeoise " Passerell " du 28 janvier 2019, révèlent des défaillances sans pour autant que celles-ci puissent être qualifiées de systémiques, il n'est pas établi que les autorités italiennes seraient dans l'incapacité structurelle d'examiner sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

10. D'autre part, s'il résulte d'une " note sociale " établie le 18 février 2019 par une éducatrice spécialisée de l'association " Grisélidis ", produite en première instance, que Mme E... y est suivie depuis le mois de juin 2018 en qualité de victime de la traite des êtres humains à fin d'exploitation sexuelle et des observations, également produites devant le premier juge, que l'intéressée a faites dans le cadre de la procédure Dublin, sur l'obligation qui lui a été imposée de se prostituer, le préfet fait valoir à juste titre que Mme E... n'a apporté aucun élément matériel permettant d'établir qu'elle aurait été victime d'un réseau de prostitution forcée qu'elle n'allègue au demeurant pas avoir dénoncé.

11. Dès lors, le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé, pour erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'arrêté litigieux du 12 février 2019 ordonnant le transfert de Mme E... aux autorités italiennes ainsi que, par voie de conséquence, l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

12. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme E... devant le tribunal administratif de Toulouse.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par Mme E... devant le tribunal administratif de Toulouse :

S'agissant de la décision portant transfert aux autorités italiennes :

13. En premier lieu, aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / (...) ". Aux termes de l'article L. 742-1 du même code : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. (...) ". En vertu de l'article L. 742-3 dudit code : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ".

14. L'arrêté litigieux portant transfert aux autorités italiennes de Mme E... vise les textes sur lesquels il se fonde, notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen du 26 juin 2013, le règlement (UE) n° 604-2013 du Conseil du 26 juin 2013 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il mentionne, rappel fait de son identité et de ses conditions d'entrée en France, que Mme E... a sollicité l'asile le 12 juin 2018 auprès des services de la préfecture et que, dès lors qu'il ressortait du relevé de ses empreintes décadactylaires qu'elle avait fait l'objet d'un contrôle de police en Italie le 16 octobre 2017, les autorités italiennes ont été saisies, le 17 juillet 2018, d'une demande de reprise en charge sur le fondement des dispositions de l'article 13.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, à laquelle elles ont donné leur accord implicite le 18 septembre 2018. Ce même arrêté, qui rappelle expressément qu'il résulte des observations formulées par Mme E... le 21 juin 2018 que sa volonté de rester en France est motivée principalement par le fait qu'elle est victime de la traite des êtres humains en Italie, indique que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de l'intéressée ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n°604/2013, l'Italie n'étant pas un Etat où des défaillances systémiques sont établies. Enfin, il précise qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale que Mme E... tient de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale dès lors qu'elle ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France, n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Italie et, surtout, n'atteste pas que l'Italie serait dans l'incapacité d'assurer sa protection. Dès lors, l'arrêté portant transfert de l'intéressée aux autorités italiennes, qui comporte l'énoncé de l'ensemble des considérations de droit et de fait qui le fonde, est suffisamment motivé au regard des dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

15. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de la motivation de l'arrêté contesté, telle qu'elle vient d'être exposée au point précédent, que le préfet de la Haute-Garonne, qui ne s'est pas estimé lié par la seule circonstance que les autorité italiennes avaient rendu un accord implicite à sa demande de reprise en charge, a procédé à un examen particulier et attentif de la situation personnelle de Mme E..., et notamment des risques qu'elle avait fait valoir et qu'il a examiné la possibilité de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 avant d'ordonner son transfert aux autorités italiennes. Dès lors, le moyen tiré de ce que ledit arrêté serait entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle doit être écarté.

16. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de 1'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de 1'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement / f) de 1'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, dit " Dublin III ", doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus à l'article 4.1 de ce règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

17. Il ressort des pièces du dossier de première instance que Mme E... s'est vue remettre en langue anglaise, le 14 juin 2018, lors de son entretien individuel, le guide du demandeur d'asile en France, un document d'information sur le relevé d'empreintes et Eurodac, ainsi que les brochures d'information sur le règlement " Dublin III " contenant la brochure A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande ' " et la brochure B " Je suis sous procédure Dublin. Qu'est-ce que cela signifie ' ", ainsi qu'en atteste sa propre signature apposée sur les documents. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'intéressée n'a pas reçu l'ensemble des éléments d'information requis par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté comme manquant en fait.

18. En quatrième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013/UE du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (....) ".

19. Si la mise en oeuvre par les autorités françaises de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, selon lequel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ", la faculté laissée à chaque Etat membre, par les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile concernés.

20. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, et en particulier des termes de l'arrêté attaqué, que le préfet de la Haute-Garonne a estimé compte tenu de la situation de Mme E... et des observations qu'il a formulées le 21 juin 2018, qu'il n'y avait pas lieu de mettre en oeuvre les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que le préfet se serait estimé, à tort, en situation de compétence liée pour prendre la décision de transfert et aurait, ainsi, entaché cette décision d'une erreur de droit doit être écarté.

21. En cinquième lieu, il résulte de ce qui a déjà été dit aux points 2 à 10 que le moyen tiré de ce que le préfet aurait exposé l'intéressée à des traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ordonnant son transfert vers l'Italie doit être écarté.

S'agissant de la décision portant assignation à résidence :

22. En premier lieu, le moyen tiré de ce que la mesure d'assignation à résidence serait dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de la décision portant transfert aux autorités italiennes ne peut qu'être écarté, cette décision, compte tenu de ce qui précède, n'étant pas exposée à la censure.

23. En second lieu, la décision portant assignation à résidence mentionne, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressée d'en comprendre les motifs, et dépourvue de caractère stéréotypé, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

24. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé les deux arrêtés du 12 février 2019 portant transfert de Mme E... aux autorités italiennes et assignation à résidence.

Sur la requête n° 19BX01296 :

25. La cour statuant au fond par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du 19 février 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement sont devenues sans objet.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 :

26. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante, la somme que Mme E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 19BX01296 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 1900836 du 19 février 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse.

Article 2 : Mme E... est admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 3 : Le jugement n° 1900836 du 19 février 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 4 : La demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Toulouse et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 9 septembre 2019, à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

Mme D... C..., présidente assesseure

M. Paul-André Braud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 octobre 2019.

La présidente assesseure,

Karine C...

Le président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°s 19BX01295, 19BX01296 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01295,19BX01296
Date de la décision : 07/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

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Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme karine BUTERI
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : DIALEKTIK AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-10-07;19bx01295.19bx01296 ?
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