Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Videlio-IEC a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'annuler le contrat correspondant au lot n° 21 " matériels audio-visuels et multimédia " du marché de réalisation du centre international de l'art pariétal à Montignac-Lascaux et conclu entre le département de la Dordogne et le groupement dont la société Atelier du son et de l'image est le mandataire, d'autre part, de condamner le département de la Dordogne à lui verser la somme de 310 215,64 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis à raison de son éviction irrégulière de ce marché.
Par un jugement n° 1501595 du 18 avril 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le département de la Dordogne à verser à la société Videlio-IEC une somme de 40 000 euros et a rejeté le surplus de ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 juin 2017, et un mémoire, enregistré le 24 mai 2018, le département de la Dordogne, représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 avril 2017 ;
2°) à titre subsidiaire de réformer ce jugement en tant qu'il a fixé à 40 000 euros la somme qu'il l'a condamné à verser à la société Videlio-IEC au titre de son manque à gagner et, à titre très subsidiaire, de le réformer en tant qu'il n'a pas calculé le montant de ce manque à gagner en se fondant sur un taux de marge égal à 2,21 % ;
3°) de mettre à la charge de la société Videlio-IEC une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué a méconnu le principe du contradictoire, est insuffisamment motivé et a omis d'examiner un des moyens d'irrecevabilité qu'il avait soulevé ;
- la demande présentée devant le tribunal administratif par la société Videlio-IEC était tardive ;
- l'offre présentée par cette société étant irrégulière, celle-ci n'a pas été lésée dans ses intérêts de sorte que sa demande devant le tribunal administratif était irrecevable, que les moyens qu'elle invoque sont inopérants et qu'elle n'avait aucune chance de remporter le marché ;
- la société Videlio-IEC ne justifie pas de la réalité du préjudice commercial dont elle se prévaut ;
- cette société ne justifie que d'un manque à gagner égal à 23 000 euros.
Par des mémoires, enregistrés les 22 février et 29 août 2018, la société Videlio-IEC, représentée par MeD..., demande à la cour de rejeter la requête du département de la Dordogne, et, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement attaqué en tant qu'il n'a pas condamné le département de la Dordogne à lui verser une somme de 310 215,64 euros assortis des intérêts au taux légal capitalisés en réparation de ses préjudices. Elle demande également à la cour de mettre à la charge de ce département une somme de 12 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens d'irrecevabilité soulevés par le département sont infondés, que c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré, d'une part, qu'il n'avait pas respecté les règles de publicité et de mise en concurrence applicables, d'autre part, qu'elle avait été privée d'une chance sérieuse de remporter le marché, enfin qu'elle justifie de son manque à gagner ainsi que du préjudice commercial que lui a causé son éviction.
Une note en délibéré, présentée par la société Videlio-IEC, a été enregistrée le 17 mai 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.C...,
- les conclusions de M. Normand, rapporteur public,
- et les observations de MeE..., représentant le département de la Dordogne, et de MeB..., représentant la société Videlio-IEC.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence du 24 mai 2014, le département de la Dordogne a engagé une procédure d'appel d'offres restreint pour l'attribution du lot n° 21 " matériels audio-visuels et multimédia " du marché relatif à la réalisation du centre international de l'art pariétal de Montignac-Lascaux. Ce lot a été attribué, le 19 janvier 2015, à un groupement d'entreprises dont la société " Atelier du son et de l'image " était le mandataire. La société Videlio-IEC, candidate évincée, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer l'annulation du contrat correspondant à ce lot et de condamner le département de la Dordogne à l'indemniser des préjudices qu'elle a subis à raison du caractère irrégulier de son éviction. Le département de la Dordogne demande à la cour d'annuler le jugement du 18 avril 2017 par lequel ce tribunal l'a condamné à verser à la société Videlio-IEC une somme de 40 000 euros en réparation de ses préjudices et a rejeté le surplus des conclusions présentées par cette société. La société Videlio-IEC demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de réformer ce jugement en tant qu'il n'a pas condamné le département de la Dordogne à lui verser une somme globale de 310 215,64 euros.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative : " Postérieurement à la clôture de l'instruction ordonnée en application de l'article précédent, le président de la formation de jugement peut inviter une partie à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l'instruction. Cette demande, de même que la communication éventuelle aux autres parties des éléments et pièces produits, n'a pour effet de rouvrir l'instruction qu'en ce qui concerne ces éléments ou pièces ". Et en application des dispositions de l'article R. 611-1 du même code : " La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ".
3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société Videlio-IEC a produit, à la demande du tribunal administratif, son compte de résultat et que la communication de cette pièce n'a rouvert l'instruction qu'en ce qui la concerne, conformément aux dispositions précitées de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative. En outre, le département de la Dordogne ne peut pas utilement soutenir que le tribunal administratif aurait méconnu le principe du contradictoire en ne communiquant pas à la société Videlio-IEC le mémoire qu'il a présenté le 22 mars 2017 en réponse à la pièce produite par cette dernière, dès lors que, contrairement à ce qu'il soutient, le tribunal n'a pas considéré que ce mémoire avait été enregistré postérieurement à la clôture de l'instruction mais l'a analysé et a pu, légalement, décider de ne pas le communiquer à la société Videlio-IEC après avoir constaté qu'il ne contenait pas d'élément nouveau.
4. En second lieu, il ressort des motifs du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre explicitement à tous les arguments avancés par les parties, ont indiqué, de façon suffisamment circonstanciée, d'une part, qu'eu égard à la date de l'avis d'attribution du marché, la demande présentée par la société Videlio-IEC n'était pas tardive, d'autre part, que cette société avait été privée d'une chance sérieuse de remporter le marché et qu'elle justifiait d'un manque à gagner qui devait être évalué à la somme de 40 000 euros compte tenu, notamment, de la différence de prix entre son offre et celle de l'attributaire du marché, ainsi que de son taux de marge. Par suite, le département de la Dordogne n'est fondé à soutenir ni que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé ni que le tribunal administratif aurait omis d'examiner la fin de non recevoir tirée de ce que, compte tenu de la connaissance qu'elle aurait acquise de la signature du marché, la demande de la société Videlio-IEC aurait été tardive.
Sur le bien fondé du jugement attaqué :
5. Aux termes du I de l'article 35 du code des marchés publics : " 1° (...) Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation (...) ". En application du III de l'article 53 du même code : " Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées. (...) ". Enfin le I de l'article 59 de ce code prévoit que : " Il ne peut y avoir négociation avec les candidats. Il est seulement possible de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre ". Ces dispositions interdisent au pouvoir adjudicateur de modifier ou de rectifier lui-même une offre incomplète, comme telle irrégulière. Si le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu d'inviter un candidat à préciser ou à compléter une offre irrégulière, il peut toutefois demander à un candidat des précisions sur son offre si celle-ci lui paraît ambiguë ou incertaine, ou l'inviter à rectifier ou à compléter cette offre sans que le candidat puisse alors en modifier la teneur. Toutefois, ce principe ne saurait recevoir application dans le cas exceptionnel où il s'agit de rectifier une erreur purement matérielle, d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où le candidat verrait son offre retenue.
6. Les dispositions de l'article 5.1.6.27 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) relatif à la zone dite " Lascaux 3D et monde de l'art rupestre " indiquaient que " le dispositif de projection vidéo immersive 3D active et interactive et sonorisation spatialisée " serait composé de " 3 projecteurs de type A, avec module 3D actifs, installés en mode frontal " et de " deux projecteurs de type A installés en position zénithale sur support motorisé " et précisait, dans la rubrique " matériels ", que ce dispositif était composé de " 5 projecteurs de type A, avec module 3D actifs ", de sorte que la société Videlio-IEC ne peut utilement soutenir que les dispositions de cet article seraient ambiguës en ce qui concerne le nombre de projecteurs devant être équipés de modules 3D. En réponse à la demande de précisions et de confirmation de conformité formulées sur ce point par le département de la Dordogne, la société Videlio-IEC a indiqué, le 10 décembre 2014, que " notre compréhension était que seuls les trois projecteurs de la projection frontale étaient équipés du module 3D actif. Toutefois si la demande est d'équiper les deux autres projecteurs de ce module 3D actif, cette fonctionnalité sera intégrée sans surcoût ".
7. Il résulte de cette réponse que l'offre présentée par la société Videlio-IEC ne respectait pas, sur ce point, les prescriptions du règlement de la consultation et qu'elle en a proposé la modification. En outre, ce défaut de conformité ne concernait pas une erreur purement matérielle mais les caractéristiques techniques de l'offre de sorte que la société Videlio-IEC aurait pu s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où son offre aurait été retenue. Par suite, le département de la Dordogne est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'offre de la société Videlio-IEC était régulière et, par voie de conséquence, que la société disposait d'une chance sérieuse d'emporter le marché alors qu'il était, au contraire, tenu de rejeter son offre comme irrégulière sans que la société appelante puisse utilement soutenir que son offre n'a pas été rejetée comme irrégulière ou que l'offre présentée par l'attributaire du marché aurait été entachée de la même irrégularité.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête relatifs au bien fondé du jugement attaqué, que le département de la Dordogne est fondé à demander l'annulation de ce jugement et le rejet des conclusions incidentes présentées par la société Videlio-IEC.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que demande la société Videlio-IEC soit mise à la charge du département de la Dordogne. En outre, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Videlio-IEC la somme que demande le département de la Dordogne au titre des frais exposés pour l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 18 avril 2017 est annulé.
Article 2 : Les conclusions indemnitaires présentées par la société Videlio-IEC devant le tribunal administratif de Bordeaux et les conclusions incidentes qu'elle a présentées devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions du département de la Dordogne tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Dordogne, à la société par actions simplifiée Videlio-IEC et à la société " Atelier du son et de l'image ".
Délibéré après l'audience du 14 mai 2019 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 juin 2019.
Le rapporteur,
Manuel C...Le président,
Éric Rey-BèthbéderLe greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au préfet de la Dordogne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N°17BX01909