Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M.C... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision du 28 décembre 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande d'entrée en France au titre de l'asile et a prescrit son réacheminement vers le territoire du Sri Lanka ou, le cas échéant, vers tout autre pays où il sera légalement admissible.
Par un jugement n° 1801174 du 2 janvier 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 janvier 2019, M. B..., représenté par Me Ali, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de La Réunion du 2 janvier 2019 ;
2°) d'annuler la décision du ministre de l'intérieur du 28 décembre 2018 ;
3°) de l'admettre provisoirement à l'aide juridictionnelle ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le principe de confidentialité des éléments d'information de la demande d'asile et de la qualité de demandeur d'asile, garantie du droit d'asile prévue par l'article 41 de la directive n° 2005/85 du 1er décembre 2005 et l'article L. 723-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a été méconnu par la mise en relation avec les services de l'ambassade du Sri Lanka alors qu'il croyait qu'il s'agissait des services de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;
- la tenue et les conditions de cet entretien ont été reconnues par l'administration lors de l'audience au tribunal administratif ;
- il encourt un risque de torture en cas de retour au Sri Lanka, de sorte que la décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2019, le ministre de l'intérieur, représenté par MeA..., conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- l'administration est obligée de présenter l'intéressé aux autorités de son pays pour organiser son départ ;
- l'atteinte au principe de confidentialité est une cause de réexamen de la demande d'asile et non une cause de libération, de sorte qu'elle est sans incidence sur la légalité du refus d'entrée au titre de l'asile ;
- en tout état de cause, l'atteinte à ce principe manque en fait car l'intéressé ne peut sérieusement soutenir qu'il se serait mépris sur l'identité de son interlocuteur, un représentant diplomatique ne pouvant être confondu avec un agent de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;
- l'erreur d'appréciation du caractère manifestement infondé de la demande d'asile n'est plus invoqué ;
- le récit de l'intéressé n'est pas de nature à accréditer la thèse selon laquelle il encourt un risque de traitement inhumain ou dégradant en cas de retour dans son pays. D'ailleurs, le caractère infondé de sa demande d'asile n'est nullement contesté. Les manifestations auxquelles il a participé démontrent qu'il a quitté son pays pour un motif économique. En outre, ces manifestations n'ont pas été réprimées violemment. L'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est donc pas méconnu.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Par décision du 1er septembre 2018, le président de la cour a désigné Mme Déborah De Paz pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Paul-André Braud,
- et les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C...B..., ressortissant sri lankais né le 18 juin 1969, a sollicité le 26 décembre 2018 l'accès au territoire français en présentant une demande d'asile. Après consultation de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui a émis un avis de non-admission le 27 décembre 2018, le ministre de l'intérieur a, le 28 décembre 2018, rejeté sa demande d'entrée en France et a prescrit son réacheminement vers le Sri Lanka ou tout autre pays où il sera légalement admissible. M. B...relève appel du jugement du 2 janvier 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'appréciation des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président. ( ...) ".
3. Le 16 janvier 2019, M B...a présenté pour cette procédure une demande d'aide juridictionnelle, sur laquelle le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Bordeaux n'a pas encore statué. Par conséquent, il y a lieu de prononcer, en application des dispositions précitées, l'admission provisoire de M. B...au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur la légalité de la décision du 28 décembre 2018 :
4. Aux termes de l'article L. 213-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision de refuser l'entrée en France à un étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile ne peut être prise par le ministre chargé de l'immigration que si : (...) 3° (...) la demande d'asile est manifestement infondée. Constitue une demande d'asile manifestement infondée une demande qui, au regard des déclarations faites par l'étranger et des documents le cas échéant produits, est manifestement dénuée de pertinence au regard des conditions d'octroi de l'asile ou manifestement dépourvue de toute crédibilité en ce qui concerne le risque de persécutions ou d'atteintes graves. Sauf dans le cas où l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat, la décision de refus d'entrée ne peut être prise qu'après consultation de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui rend son avis dans un délai fixé par voie réglementaire et dans le respect des garanties procédurales prévues au chapitre III du titre II du livre VII. L'office tient compte de la vulnérabilité du demandeur d'asile (...) ".
5. La confidentialité des éléments d'information relatifs aux personnes sollicitant l'asile en France constitue une garantie essentielle du droit d'asile, lequel est un principe de valeur constitutionnelle. S'il est loisible à l'autorité administrative d'adresser aux autorités du pays d'origine d'un ressortissant étranger en situation irrégulière tout élément en vue de son identification pour assurer la mise en oeuvre d'une mesure d'éloignement prise à son encontre, la transmission à ces autorités, après qu'une demande d'asile a été définitivement rejetée, d'informations relatives à l'existence ou au contenu de cette demande constitue un fait nouveau justifiant un nouvel examen de la demande d'asile. Lors de ce nouvel examen, la demande d'admission au statut de réfugié ou, le cas échéant, d'octroi de la protection subsidiaire, est appréciée compte tenu notamment du pays d'origine du demandeur, de la nature de l'information et des conditions dans lesquelles elle a été transmise ainsi que des risques qu'il court.
6. Il n'est pas contesté qu'à la suite de son entretien par visioconférence avec un agent de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 27 décembre 2018 et avant que l'Office n'émette un avis sur sa demande d'asile, M. B...a été mis en contact par visioconférence avec l'ambassade du Sri Lanka alors que, selon les allégations de l'intéressé, il croyait toujours s'entretenir avec un agent de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. La circonstance que cet entretien aurait été organisé pour obtenir un laissez-passer consulaire ne saurait faire obstacle, pour les motifs énoncés au point précédent, au respect de la garantie de confidentialité des éléments d'information relatifs au demandeur d'asile. En l'espèce, sans que les pièces versées au dossier permettent d'identifier avec précision les éléments d'information communiqués aux autorités sri lankaises, il n'est à tout le moins pas contesté que ces dernières ont été avisées du dépôt de la demande d'asile de M.B.... Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de l'avis de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, que ce fait ait été pris en compte lors de l'examen de la demande d'asile de M.B.... La communication de cet élément d'information à ces autorités, de surcroit alors que la demande d'asile de M. B...était pendante, a ainsi privé l'intéressé d'une garantie essentielle du droit d'asile durant l'examen de sa demande d'asile. La décision en litige ayant été prise au motif que la demande d'asile de M. B...était manifestement infondée, l'irrégularité affectant l'examen de sa demande d'asile est de nature à entacher d'illégalité la décision en litige.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen invoqué, que M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 28 décembre 2018 du ministre de l'intérieur.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
8. Comme indiqué au point 3, M. B...est admis provisoirement à l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Ali, avocat de M.B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et sous réserve de l'admission définitive de son client à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Ali d'une somme de 1 200 euros. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à M. B... par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1 200 euros sera versée à M. B....
DECIDE
Article 1er : M. B...est admis provisoirement à l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Le jugement n° 1801174 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de La Réunion en date du 2 janvier 2019 est annulé.
Article 3 : La décision du ministre de l'intérieur du 28 décembre 2018 est annulée.
Article 4 : Sous réserve de l'admission définitive de M. B...à l'aide juridictionnelle et sous réserve que Me Ali renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, ce dernier versera à Me Ali, avocat de M.B..., une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à M. B...par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1 200 euros sera versée à M.B....
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Ali. Copie en sera adressée au ministre des Outre-mer et au préfet de La Réunion.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2019 à laquelle siégeaient :
Marianne Pouget, président,
Paul-André Braud, président-conseiller,
Romain Roussel, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 6 juin 2019.
Le rapporteur,
Paul-André Braud
Le président,
Marianne Pouget Le greffier,
Florence Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX00180