Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
M. A...D...a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser la somme de 519 610 euros en réparation de ses préjudices. Agissant en qualité de représentant de ses enfants mineurs B...etC..., il a également demandé la condamnation de l'Etat à leur verser à chacun la somme de 8 000 euros en réparation de leur préjudice moral.
Par un jugement n° 1401021, 1402117 du 3 novembre 2016, le tribunal administratif de Pau a condamné l'Etat à verser à M. D...la somme de 50 000 euros en réparation de ses préjudices, sous déduction de la provision de 20 000 euros qui lui avait été déjà versée, et a condamné l'Etat à lui verser, en qualité de représentant de ses enfants mineurs, la somme de 6 000 euros pour chacun d'eux en réparation de leurs préjudices propres.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 décembre 2016, et un mémoire enregistré le 30 novembre 2017, M.D..., représenté par MeE..., demande à la cour, agissant en son nom propre et en qualité de représentant de ses enfants mineurs :
1°) de faire intégralement droit à ses demandes indemnitaires de première instance ;
2°) de réformer en ce sens le jugement du tribunal administratif de Pau du 3 novembre 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal n'a pas statué sur la responsabilité pour faute de l'Etat ;
- le signataire du courrier rejetant sa demande indemnitaire n'était pas compétent puisqu'il n'avait compétence pour statuer que sur des demandes portant sur un montant inférieur à 54 000 euros ;
- il a droit à une réparation intégrale de ses préjudices dans la mesure où l'accident est imputable à une faute de l'Etat ; en effet, les moyens mis à la disposition du personnel militaire pour la patrouille de nuit du 17 septembre 2005 étaient manifestement insuffisants ; en particulier, alors qu'il existe depuis 2003 des tapis anti-mines et des brouilleurs électroniques, ces matériels n'ont équipé les véhicules qu'à compter de 2006 en dépit des demandes des personnels en ce sens ;
- la pension militaire d'invalidité qu'il perçoit n'assure pas la réparation intégrale de ses préjudices ;
- la perte de rémunération et de gains professionnels actuels et futurs est manifeste ; le médecin évalue notamment l'ITT à deux ans et demi pour une reprise du travail avec un poste et des horaires aménagés ;
- il justifie d'un déficit fonctionnel temporaire qui doit être évalué à 21 462,50 euros, d'un déficit fonctionnel permanent partiel de 40 % évalué à 150 000 euros, de souffrances évaluées à 30 000 euros pour un taux de 5,5 sur 7, d'un préjudice esthétique évalué à 20 000 euros pour un taux de 3 sur 7, d'un important préjudice d'agrément évalué à 80 000 euros, d'un préjudice de perte de rémunération et de gains professionnels évalué à 254 610 euros jusqu'à l'âge de 50 ans, et d'une perte de chance de rémunération en tant que moniteur de ski évaluée à 130 000 euros ;
- le préjudice moral subi par ses enfants ne saurait être évalué à moins de 8 000 euros pour chacun.
Par un mémoire enregistré le 2 octobre 2017, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- aucune faute de l'Etat n'est établie en l'espèce ; la seule et unique cause des préjudices est la mine anti-char qui a explosé au passage du véhicule ;
- M. D...ne peut donc prétendre qu'à l'indemnisation des souffrances endurées, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel et du préjudice d'agrément ;
- le tribunal n'a pas fait une inexacte appréciation de ces préjudices.
Par une ordonnance du 4 décembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 8 janvier 2018 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laurent Pouget,
- les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public,
- et les observations de MeE..., représentant les consortsD....
Une note en délibéré présentée par les consorts D...a été enregistrée le 17 décembre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., adjudant-chef de l'armée de terre affecté au 1er régiment de parachutistes d'infanterie de marine de Bayonne, a été victime dans la nuit du 17 au 18 septembre 2005, alors qu'il se trouvait en mission opérationnelle dite " Arès 6 " dans la région de Kandahar, en Afghanistan, de l'explosion d'une mine anti-char au passage du véhicule de patrouille dans lequel il se trouvait. Grièvement blessé, il a notamment dû subir une amputation partielle de la jambe gauche. M.D..., qui s'est vu proposer par le ministre des armées une indemnité de 45 000 euros en réparation de ses préjudices, ainsi qu'une indemnité additionnelle de 12 000 euros au titre du préjudice moral subi par ses deux enfants mineurs, a estimé insuffisante une telle indemnisation et a sollicité en vain du ministre l'allocation d'une indemnité de 519 610 euros en réparation de ses divers préjudices propres, ainsi que d'une indemnité de 16 000 euros au nom de ses deux enfants. Il relève désormais appel du jugement du 3 novembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Pau a limité à respectivement 50 000 euros et 12 000 euros le montant de l'indemnisation par l'Etat de ses préjudices et de ceux de ses enfants.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Contrairement à ce que soutient le requérant, le tribunal n'a pas omis de répondre à son argumentation relative à la responsabilité pour faute de l'Etat, qui fait l'objet des points 7 et 8 du jugement attaqué. Le moyen tiré de l'irrégularité dudit jugement à cet égard ne peut donc qu'être rejeté.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Les vices dont pourraient être entachée la décision du 13 octobre 2014 par laquelle le ministre de la défense a rejeté la réclamation présentée par M. D...sont en tout état de cause sans incidence sur le droit à indemnisation de ce dernier, qui ne peut dès lors invoquer utilement l'incompétence de son signataire.
4. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service (...) ".
5. Eu égard à la finalité qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et aux éléments entrant dans la détermination de son montant, tels qu'ils résultent des dispositions des articles L. 8 bis à L. 40 du même code, la pension militaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer, d'une part, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle de l'incapacité physique et, d'autre part, le déficit fonctionnel, entendu comme l'ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de la qualité de la vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, à l'exclusion des souffrances éprouvées avant la consolidation, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique, sportive ou de loisirs, et du préjudice d'établissement lié à l'impossibilité de fonder une famille. Lorsqu'elle est assortie de la majoration prévue à l'article L. 18 du code, la pension a également pour objet la prise en charge des frais afférents à l'assistance par une tierce personne.
6. En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires peuvent prétendre, au titre des préjudices mentionnés ci-dessus, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'Etat de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Cependant, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. En outre, dans l'hypothèse où le dommage engage la responsabilité de l'Etat à un autre titre que la garantie contre les risques courus dans l'exercice des fonctions, l'intéressé peut prétendre à une indemnité complémentaire au titre des préjudices que la pension a pour objet de réparer, si elle n'en assure pas une réparation intégrale. Lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, il incombe au juge administratif de déterminer le montant total des préjudices que la pension a pour objet de réparer, avant toute compensation par cette prestation, d'en déduire le capital représentatif de la pension et d'accorder à l'intéressé une indemnité égale au solde, s'il est positif.
7. M. D...fait valoir, en produisant des attestations en ce sens établies par des militaires de son unité, que le véhicule à bord duquel il circulait dans la nuit du 17 au 18 septembre 2005 n'était pas doté de tapis anti-mines ni d'un dispositif de brouillage électronique contre la menace des engins improvisés de destruction commandés à distance (IED), du type de celui qui a explosé à son passage. Toutefois, cette seule circonstance, quand bien même le requérant allègue que de tels dispositifs de protection étaient disponibles et équipaient les véhicules de l'armée américaine déployés en Afghanistan, et produit une fiche de bilan de la mission " Arès 6 " émettant un doute sur l'efficacité des gilets pare-balles utilisés comme tapis de protection, ne caractérise pas une faute de nature à engager en l'espèce la responsabilité de l'Etat.
8. En conséquence de ce qui vient d'être dit, M. D...ne peut donc prétendre à la réparation intégrale de ses préjudices et, dès lors qu'il est constant qu'il perçoit une pension militaire d'invalidité, celle-ci doit être regardée, comme il a été dit au point 5, comme assurant entièrement la réparation de ses pertes de revenus, de l'incidence professionnelle de son incapacité physique et de son déficit fonctionnel. Le requérant ne saurait, dès lors, prétendre à l'octroi d'indemnités complémentaires au titre des déficits fonctionnels temporaire et permanent partiel calculées conformément aux évaluations de l'expert judiciaire désigné par le président du tribunal administratif de Pau, ni au titre des pertes de primes pour service aériens et pour missions d'opérations extérieures, ni encore au titre de la perte de chance d'exercer une activité de moniteur de ski.
9. M. D...peut en revanche prétendre, ainsi que cela résulte des principes exposés au point 6, et comme l'a jugé le tribunal, à l'indemnisation par l'Etat des souffrances qu'il a endurées et de son préjudice d'agrément.
10. Il résulte de l'instruction que le requérant, qui a subi de nombreuses interventions chirurgicales, des soins et une rééducation longs et douloureux, et qui souffre d'un stress post-traumatique et de séquelles psychologiques importantes, présente des souffrances physiques et morales que l'expert a évalué à 5,5 sur une échelle de 1 à 7. Le préjudice esthétique, résidant en une déformation importante du membre inférieur gauche, une boiterie, et des cicatrices multiples, a été évalué à 3 sur 7 par l'expert. Il sera fait une plus juste appréciation de ces préjudices en portant à respectivement 30 000 euros et 7 000 euros les indemnités allouées à ces titres par le tribunal.
11. M.D..., âgé de 37 ans au moment des faits, était avant l'accident un sportif accompli, pratiquant de nombreuses activités sportives, en compétition comme avec ses enfants. Licencié en rugby et en parapente, titulaire du brevet d'état de moniteur de ski, il pratiquait également régulièrement de multiples activités en haute montagne, telles que l'escalade et la randonnée, ainsi que la plongée sous-marine. Il reste apte à pratiquer certains types de randonnées, ainsi que le cyclisme sur route et le ski de descente, avec un matériel adapté. Il n'apparaît pas que le tribunal a fait une inexacte appréciation du préjudice d'agrément subi par le requérant en lui accordant de ce chef une indemnité de 20 000 euros.
12. Enfin, les premiers juges n'ont davantage fait une appréciation erronée du préjudice moral et d'affection subi par les enfants mineurs de M.D..., tenant à l'état physique et moral de celui-ci et à l'incidence de cet état sur les relations et les activités familiales, en fixant celui-ci à 6 000 euros pour chacun d'eux.
13. Il résulte de ce qui précède que M. D...est seulement fondé soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a fixé l'indemnité qu'il a condamné l'Etat à lui payer au titre des souffrances endurées à un montant inférieur à 30 000 euros et qu'il a fixé l'indemnité due au titre du préjudice esthétique à un montant inférieur à 7 000 euros.
Sur les dépens :
14. Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 600 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Pau du 11 juillet 2012, sont définitivement maintenus à la charge de l'Etat.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D...et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. D...la somme de 30 000 euros au titre des souffrances endurées et la somme de 7 000 euros au titre du préjudice esthétique.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Pau du 3 novembre 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : Les frais de l'expertise sont maintenus à la charge définitive de l'Etat.
Article 4 : L'Etat versera à M. D...la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...D..., à M. B...D..., à Mme C... D...et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 13 décembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président-rapporteur,
M. David Katz, premier conseiller,
Mme Sylvie Cherrier, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 31 décembre 2018.
Le premier conseiller,
David KATZ Le président,
Laurent POUGET Le greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX04179