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31/12/2018 | FRANCE | N°16BX03855,16BX03789

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 31 décembre 2018, 16BX03855,16BX03789


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme O...G..., veuve Q...H..., et M. A...H...,

Mme D...H..., épouseK..., M. E...H...et M. C...H..., enfants du couple, ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à leur verser en leur qualité d'ayants droit de FrançoisH..., décédé le 2 septembre 2012, la somme de 18 599,50 euros pour les préjudices personnels subis par leur époux et père, la somme de 27 550 euros en indemnisation des préjudices de Mme O...H..., et la somme de 7 5

00 euros à chacun des enfants en réparation de leur préjudice d'affection.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme O...G..., veuve Q...H..., et M. A...H...,

Mme D...H..., épouseK..., M. E...H...et M. C...H..., enfants du couple, ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à leur verser en leur qualité d'ayants droit de FrançoisH..., décédé le 2 septembre 2012, la somme de 18 599,50 euros pour les préjudices personnels subis par leur époux et père, la somme de 27 550 euros en indemnisation des préjudices de Mme O...H..., et la somme de 7 500 euros à chacun des enfants en réparation de leur préjudice d'affection.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde a demandé au tribunal de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à lui verser la somme

de 134 602,88 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir au titre des prestations versées pour le compte de son assuré social, la somme de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire et la somme de 300 euros au titre des frais irrépétibles.

Par un jugement n° 1401502 du 4 octobre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande des consorts H...et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2016, sous le n° 16BX03789, et deux mémoires enregistrés les 28 juillet et 28 août 2017, Mme G..., veuveH...,

M. A... H..., Mme D...H..., épouseK..., M. E...H...et M. C...H..., représentés par MeM..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 4 octobre 2016 ;

2°) de condamner conjointement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à payer :

- aux ayants droit de FrançoisH..., les sommes de 3 151 et 448,50 euros au titre des déficits fonctionnels temporaires total et partiel, ainsi que de 15 000 euros au titre des souffrances que ce dernier a subies ;

- à Mme O...G..., veuveH..., la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice d'affection, de son préjudice d'accompagnement et des frais d'obsèques ;

- à M. A... H..., Mme D...H..., épouseK..., M. E...H...et

M. C...H..., la somme de 7 500 euros chacun au titre de leur préjudice d'affection ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Bordeaux et de l'ONIAM une somme

de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de les condamner aux entiers dépens.

Ils soutiennent que :

- leur requête est recevable ;

- le CHU de Bordeaux a commis une faute dans l'organisation du service de nature à engager sa responsabilité en raison du retard à drainer le volumineux hématome que François H...présentait et à pratiquer une intervention chirurgicale, 16 jours après son entrée à l'hôpital, à l'origine de complications infectieuses et cutanées sévères ;

- il est également responsable au titre des infections nosocomiales que François H...a contractées lors de son séjour au sein de cet établissement après le 27 mars 2012, qui même si elles ne sont pas à l'origine de son décès, ouvrent droit à une indemnisation des préjudices en résultant ;

- ils sont bien fondés à solliciter la condamnation du CHU de Bordeaux à leur verser une indemnisation de 18 599,50 euros au titre du préjudice corporel du défunt constitué du déficit fonctionnel total durant toute la durée de son hospitalisation du 26 mars au 23 juillet et

du 19 août au 2 septembre, partiel à 75 % du 24 juillet au 18 août 2012 et des souffrances endurées évaluées à 4,5 sur 7 par l'expert en raison d'un retard dans la prise en charge chirurgicale de sa fracture qui a conduit à diverses complications douloureuses, notamment infectieuses ;

- Mme O...H...a subi un préjudice d'affection devant être indemnisé à hauteur de 15 000 euros après application du taux de perte de chance retenu par l'expert judiciaire, un préjudice d'accompagnement pour lequel elle sollicite la somme de 7 500 euros dès lors qu'elle est restée aux cotés de son défunt époux durant ses derniers mois et a assumé des frais d'obsèques dont elle sollicite l'indemnisation par l'allocation d'une somme de 2 500 euros;

- les quatre enfants de François H...qui ne vivaient pas au domicile de leurs parents sollicitent pour chacun d'eux une somme de 7 500 euros pour compenser leur préjudice d'affection ;

- ils sont fondés à solliciter une indemnisation auprès de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dès lors que les complications subies par François H...ne sont pas dues qu'à son état antérieur, son âge et sa fracture mais sont directement imputables aux actes de soins réalisés au sein du CHU de Bordeaux, ont eu des conséquences anormales au regard de son état de santé et un caractère de gravité suffisant.

Par deux mémoires, enregistrés les 5 juillet et 11 septembre 2017, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête.

L'ONIAM soutient que les conditions pour une indemnisation des préjudices subis par François H...et par ses ayants droits au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies en l'absence d'accident médical indemnisable au titre du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique et d'infection nosocomiale indemnisable au titre de l'article L. 1142-1-1 du même code. En toute hypothèse, aucun recours des tiers ne saurait être accueilli contre l'ONIAM.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juillet 2017, le directeur du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, représenté par MeN..., conclut au rejet de la requête et des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde.

Le CHU de Bordeaux soutient que :

- aucune faute ne saurait lui être imputée pour ne pas avoir effectué l'intervention chirurgicale dès le 27 mars 2012, et avant le 11 avril 2012, ni pour ne pas avoir ponctionné l'hématome de François H...et qu'en tout état de cause, un éventuel retard fautif n'a eu aucune incidence ; François H...n'a pas non plus été victime, selon le rapport d'expertise, d'une infection nosocomiale, laquelle n'est en tout état de cause pas à l'origine de son décès ;

- à titre subsidiaire, il appartiendrait à l'ONIAM de prendre en charge l'infection nosocomiale en application du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique et si la cour retenait une faute, celle-ci ne saurait être à l'origine que d'une perte de chance d'éviter la survenance du dommage dont il est demandé réparation ;

- à titre infiniment subsidiaire, il conviendra de ramener les indemnités sollicitées à de plus justes proportions ;

- enfin, la CPAM de la Gironde ne justifie pas que les débours dont elle sollicite le remboursement soient exclusivement et directement imputables aux fautes et non à l'état initial de FrançoisH....

II. Par une requête enregistrée le 2 décembre 2016, sous le n° 16BX03855, et trois mémoires enregistrés les 17 et 25 juillet 2017 et le 13 octobre 2017, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde, représentée par MeF..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 4 octobre 2016 ;

2°) de condamner le CHU de Bordeaux à lui rembourser la somme de 67 301,44 euros correspondant à 50 % des débours qu'elle a exposés pour le compte de François H...;

3°) de condamner le CHU de Bordeaux à lui verser l'indemnité forfaitaire de gestion d'un montant de 1 055 euros ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Bordeaux une somme de 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la responsabilité du CHU de Bordeaux est engagée sur le fondement des dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dès lors que, selon son médecin conseil, les complications présentées par François H...sont imputables à 50 % au retard de la prise en charge médicale de sa fracture fémorale résultant d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service, l'état antérieur du patient ne pouvant faire obstacle à l'octroi d'une indemnisation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2017, le centre hospitalier universitaire de Bordeaux, représenté par MeN..., conclut au rejet de la requête.

Le CHU de Bordeaux soutient qu'aucun retard fautif ne saurait lui être imputé pour avoir opéré François H...le 11 avril 2012, l'intervention chirurgicale ne pouvant être réalisée dès le 27 mars 2012. En tout état de cause, ce retard n'est à l'origine d'aucun préjudice,

François H...présentant de multiples antécédents pathologiques, et ne pourrait, à titre subsidiaire, entraîner que la réparation d'une perte de chance. Enfin, la CPAM ne justifie pas que les débours dont il est sollicité le remboursement soient exclusivement et directement imputables aux fautes du CHU de Bordeaux et non à l'état initial de FrançoisH....

Par un mémoire, enregistré le 5 juillet 2017, l'ONIAM, représenté par MeB..., conclut à sa mise hors de cause.

L'ONIAM soutient que les conditions pour une indemnisation des préjudices subis par François H...et ses ayants droits au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies en l'absence d'accident médical indemnisable au titre du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique et d'infection nosocomiale indemnisable au titre de l'article L. 1142-1-1 du même code. En toute hypothèse aucun recours des tiers ne saurait être accueilli contre l'ONIAM.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme I...,

- les conclusions de M. Normand, rapporteur public,

- et les observations de MeM..., représentant MmeG..., de MeP..., représentant le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux et de MeJ..., représentant l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 16BX03789 et n° 16BX03855 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

2. À la suite d'une chute sur la voie publique devant son domicile, le 26 mars 2012, FrançoisH..., né le 16 avril 1928, aux antécédents de cardiopathie, broncho-pneumopathie chronique obstructive et d'hypertension artérielle, a été transporté au service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux où une fracture de l'extrémité supérieure du fémur gauche a été diagnostiquée. En raison, notamment, de ses antécédents cardiovasculaires pour lesquels il était traité par anticoagulants (Previscan), il n'a pas été possible de l'opérer immédiatement et le patient a alors été mis en traction pour sa fracture fémorale et transféré dans le service d'orthopédie jusqu'à l'intervention chirurgicale d'ostéosynthèse qui n'a été réalisée que le 11 avril 2012 avec pose d'un clou gamma. Les suites opératoires ont été marquées par des complications liées en particulier à l'alitement prolongé, notamment des escarres, à un volumineux hématome de la cuisse consécutif à la fracture avec une déglobulisation, une infection pulmonaire ainsi qu'une infection à staphylocoque capitis. Le 16 mai 2012, François H...a été transféré vers le service des maladies infectieuses puis, du 26 juin au

24 juillet 2012, il a été hospitalisé dans le service des soins de suite et de réadaptation de la clinique du Tondu à Bordeaux. Il a regagné son domicile le 24 juillet 2012 mais, à la suite d'une forte fièvre et d'une altération de son état général sur pneumopathie et troubles trophiques de la jambe gauche, il a de nouveau été hospitalisé, le 19 août 2012, au CHU de Bordeaux où il a subi, en raison d'une ischémie aiguë de son membre inférieur gauche, une amputation à hauteur de la cuisse le 27 août suivant. Il est décédé le 2 septembre 2012 d'une occlusion intestinale opérée le 29 août et à l'origine d'un choc septique.

3. Mme O...G..., veuve Q...H...et leurs enfants Marc, Édith,

Serge et Cyril H...ont présenté les 15 janvier et 4 février 2014 une réclamation préalable indemnitaire au CHU de Bordeaux et saisi le tribunal administratif de Bordeaux.

Par ordonnance du 27 août 2014, le juge des référés a ordonné une expertise médicale confiée à M.L..., lequel a déposé son rapport le 3 juillet 2015. Reprochant au CHU de Bordeaux une faute dans l'organisation du service, caractérisée selon eux par un retard dans la prise en charge chirurgicale de François H...ayant conduit à des infections puis au décès de ce dernier, les consorts H...ont recherché la condamnation de cet établissement. Par une requête enregistrée sous le n° 16BX03789, ils relèvent appel du jugement du 4 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à la condamnation du CHU de Bordeaux à leur verser la somme de 18 599,50 euros pour les préjudices personnels subis par leur époux et père, la somme de 27 550 euros en indemnisation des préjudices de

Mme O...H..., et la somme de 7 500 euros à chacun des enfants en réparation de leur préjudice d'affection. Par une requête enregistrée sous le n° 16BX03855, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde relève également appel de ce jugement et demande à la cour de condamner le CHU de Bordeaux à lui verser la somme de 67 301,44 euros correspondant à 50 % des débours qu'elle a exposés pour le compte de François H...ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur la responsabilité du CHU de Bordeaux :

En ce qui concerne la faute dans l'organisation du service :

4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".

5. Les consorts H...soutiennent que la responsabilité du CHU de Bordeaux doit être retenue pour avoir tardé à opérer François H...de la fracture dont il a été victime et n'avoir pas procédé à un drainage de l'hématome du psoas qu'il présentait.

6. Il est constant que, dans les suites de sa prise en charge au sein du CHU de Bordeaux le 26 mars 2012, François H...a présenté plusieurs complications. Il a ainsi développé un volumineux hématome de la cuisse du fait de sa fracture et la prise d'anticoagulants nécessaires en raison de la fibrillation auriculaire dont il était atteint, une anémie et une hyperthermie en lien avec cet hématome, des complications cutanées à type escarres en raison du décubitus prolongé, et des complications pulmonaires en lien avec un antécédent de broncho-pneumopathie chronique obstructive, ainsi qu'une infection à staphylocoque capitis. Il résulte également de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que François H...a été hospitalisé le

19 août 2012 pour une pneumopathie d'inhalation, syndrome subocclusif avec insuffisance rénale et est décédé le 2 septembre 2012 d'une " sigmoïdite diverticulaire avec rupture d'un diverticule existant (...) sans doute, bien avant fracture entrainant une péritonite stercorale ".

7. En premier lieu, s'il résulte de l'instruction qu'un hématome volumineux est apparu sur la cuisse de François H...le lendemain de sa chute, qui s'est compliqué d'une infection nécessitant une antibiothérapie mise en place à compter du 18 avril 2012, il n'est pas établi que le CHU de Bordeaux aurait commis une faute en ne procédant pas à son drainage immédiatement.

8. En second lieu, il est constant que le traitement anticoagulant que prenait FrançoisH..., en raison d'antécédents cardio-vasculaires, lorsqu'il s'est présenté aux urgences

du CHU de Bordeaux, le 26 mars 2012, l'exposait à un risque hémorragique grave justifiant le report de l'intervention chirurgicale nécessaire pour traiter la fracture du fémur qu'il présentait. Il résulte, par ailleurs de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif, que cette intervention programmée, selon le dossier de suivi médical, pour le lendemain, 27 mars 2012, a été reportée à plusieurs reprises en raison notamment de problèmes de gestion des blocs opératoires et que le patient n'a finalement été opéré que le 11 avril 2012, soit seize jours après son accident. L'expert indique que " l'on pouvait envisager une intervention sans trop de risques hémorragiques le 28 mars (...) et le 31 mars ", en tout état de cause plus précocement avant le 11 avril 2012, et conclut qu'" une prise en charge chirurgicale dans des délais plus réduits aurait peut être pu permettre une évolution différente sans que cela ne soit une certitude ". Le CHU de Bordeaux doit ainsi être regardé comme ayant commis une faute dans l'organisation du service.

9. Toutefois, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le décès de François H...survenu le 2 septembre 2012 est " sans rapport avec la pathologie fracturaire et ses suites ". Dès lors, si le retard à la réalisation de l'intervention chirurgicale nécessaire au traitement de la fracture du fémur qu'il présentait à son admission au CHU de Bordeaux, a pu, en prolongeant l'alitement de FrançoisH..., favoriser les complications décrites au point 6, notamment les escarres, dont l'expert indique au demeurant qu'elles ont été correctement prises en charge, il n'est pas établi que cette faute dans l'organisation du service ait un lien direct et certain avec son décès, ni même qu'elle ait privé l'intéressé d'une chance de survie. Si l'expert reconnaît que les difficultés de traitement de l'accident survenu cinq mois plus tôt ont " sans doute " fragilisé ce patient âgé de 83 ans, aux multiples antécédents, la circonstance que ce dernier n'ait été opéré que le 11 avril 2012 n'est pas à l'origine de son décès et n'a pas non plus compromis ses chances d'échapper à la survenance de l'occlusion intestinale qui a conduit à cette issue fatale. Il suit de là que les consorts H...ne sont pas fondés à obtenir réparation sur le fondement de la responsabilité pour faute du CHU de Bordeaux.

En ce qui concerne l'infection nosocomiale :

10. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. ".

11. Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial au sens du second alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique (CSP) une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.

12. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que François H...dont les analyses biologiques n'avaient révélé aucune fièvre, ni germe à son arrivée au service des urgences du CHU de Bordeaux le 26 mars 2012, a présenté une infection par staphylococcus capitis meti-R diagnostiquée le 31 mars 2012, et une infection de l'hématome du psoas. Si l'ONIAM et le CHU de Bordeaux soutiennent que ces infections résultent des pathologies dont le patient était atteint à son admission dans l'établissement du fait de sa fracture initiale et de la prise d'anticoagulants, cette circonstance, à la supposer même établie, n'est pas de nature à faire regarder ces infections, survenues au cours de sa prise en charge au CHU de Bordeaux, comme ne présentant pas, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Bordeaux, un caractère nosocomial.

13. Toutefois, si dans le cas où une infection nosocomiale a compromis les chances d'un patient d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de cette infection et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage, il ne résulte pas en l'espèce de l'instruction que les infections dont François H...a été victime, lesquelles, selon le rapport d'expertise, ont été correctement prises en charge, aient entrainé pour ce dernier la perte d'une chance d'échapper à l'occlusion intestinale et au choc septique à l'origine de son décès. Si, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les complications qu'il a présentées lors de son hospitalisation au CHU de Bordeaux à compter du 26 mars 2012, notamment l'infection à staphylocoque capitis, ont pu affaiblir ce patient polypathologique, il ne ressort pas des constatations de l'expert qu'en l'absence d'infection l'intéressé aurait eu une chance plus importante de survie. Les appelants ne sont par suite pas fondés à solliciter la condamnation du centre hospitalier sur le fondement de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique précité.

14. Il résulte de ce qui précède que les consorts H...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à la condamnation du CHU de Bordeaux à leur verser en leur qualité d'ayants droit de FrançoisH..., décédé le 2 septembre 2012, la somme de 18 599,50 euros pour les préjudices personnels subis par leur époux et père, la somme de 27 550 euros en indemnisation des préjudices de Mme O...H..., et la somme de 7 500 euros à chacun des enfants en réparation de leur préjudice d'affection.

Sur l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :

15. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire./ Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. "

En ce qui concerne l'infection nosocomiale :

16. Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du même code : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de

l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales ; ".

17. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il ne résulte pas de l'instruction que les infections nosocomiales dont François H...a été victime au cours de sa prise en charge par le CHU de Bordeaux aient provoqué son décès, ni emporté une perte de chance d'éviter cette issue fatale. Dès lors, ses ayants droits ne sont pas fondés à demander réparation des préjudices en résultant alors même que ces infections avaient un caractère nosocomial.

En ce qui concerne l'accident médical :

18. Il résulte de ce qui précède que si François H...a subi des complications dans les suites de sa prise en charge médicale au CHU de Bordeaux, aucune de ces complications, lesquelles sont en outre en lien avec son état antérieur, ne peut être regardée comme à l'origine de son décès qui résulte d'un choc septique sur péritonite stercorale chez un patient aux multiples antécédents cardio-vasculaires et respiratoires. Dès lors et en l'absence de lien d'imputabilité direct entre le dommage et un acte de prévention, diagnostic ou soins, ses ayants droits ne sont pas fondés à invoquer un accident médical ouvrant droit à réparation au titre de la solidarité nationale.

Sur les conclusions de la CPAM de la Gironde :

19. La CPAM de la Gironde demande le remboursement de la moitié des dépenses de santé qu'elle a engagées pour le compte de son assuré, FrançoisH..., correspondant à des frais d'hospitalisation du 26 mars au 23 juillet 2012, des frais médicaux et pharmaceutiques, des frais d'appareillage du 13 juillet 2012 et des frais de transport pour un montant total

de 134 602,88 euros. Elle produit une attestation d'imputabilité établie par son médecin conseil indiquant que les complications présentées par le patient lors de son séjour hospitalier ont prolongé la durée de son hospitalisation et sont imputables à 50 % au retard de la prise en charge chirurgicale de sa fracture fémorale.

20. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que dans le cas d'une intervention chirurgicale plus précoce de la fracture occasionnée par sa chute du 26 mars 2012, la prise en charge thérapeutique de FrançoisH..., qui devait en tout état de cause être hospitalisé à compter de cette date, aurait été différente et que l'organisme de sécurité sociale n'aurait pas été contraint d'engager les mêmes frais qui y sont liés. La caisse n'établit pas ainsi que les dépenses qu'elle a exposées, telles que détaillées dans l'état de ses débours, et dont elle demande le remboursement à hauteur de 50 %, seraient en lien avec l'existence d'un retard fautif dans la prise en charge chirurgicale de nature à engager la responsabilité du CHU de Bordeaux et non avec l'état du patient. Elle n'est dès lors pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions tendant à obtenir le remboursement de ses débours et le versement de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU de Bordeaux et de l'ONIAM, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, la somme que les consortsH..., d'une part, et la CPAM de la Gironde d'autre part, demandent au titre des frais qu'ils ont exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête des consorts H...est rejetée.

Article 2 : La requête de la CPAM de la Gironde est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme O...G..., veuveH..., à M. A...H..., Mme D...H..., épouseK..., M. E...H...et M. C...H..., au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 18 décembre 2018, à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 31 décembre 2018.

Le rapporteur,

Aurélie I...

Le président,

Éric Rey-BèthbéderLe greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX03789,16BX03855


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX03855,16BX03789
Date de la décision : 31/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-01 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Aurélie CHAUVIN
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : CABINET BARDET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-12-31;16bx03855.16bx03789 ?
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