Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. I...E...et Mme H...E...ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner solidairement la société Direction de Projet Réalisation (DPR) Cosea et la société Vinci Construction Terrassement à réparer les désordres résultant, selon eux, des travaux de construction de la ligne à grande vitesse (LGV) entre Tours et Bordeaux réalisés à proximité de leur habitation et de leur verser en conséquence la somme globale de 66 969,60 euros, outre les dépens.
Par un jugement n° 1403719 du 13 juillet 2016, le tribunal administratif de Bordeaux, après avoir mis hors de cause la société DPR Cosea, a condamné la société Vinci Construction Terrassement à verser la somme de 7 853,10 euros à M. et Mme E...en réparation de leur préjudices et a mis à la charge de cette même société les frais d'expertise, d'un montant de 9 058,20 euros, ainsi que la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 12 septembre 2016 et le 4 juillet 2018, M. I... E..., Mme G... F...épouseL..., M. I...P...E..., M. D... F..., Mme M...B..., agissant en son nom propre et sa qualité de représentante légale de son fils mineur, M. A...F..., Mme J...K..., agissant en son nom propre et en sa qualité de représentant légal de sa fille mineure, O...G...F..., représentés par MeN..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 juillet 2016 en tant qu'il a limité les condamnations prononcées à l'encontre de la société Vinci Construction à la somme de 7 853,10 euros ;
2°) de condamner solidairement la société DPR Cosea et la société Vinci Construction Terrassement à réparer les désordres résultant, selon eux, des travaux de construction de la LGV entre Tours et Bordeaux réalisés à proximité de leur habitation et de leur verser en conséquence la somme globale de 68 532,72 euros correspondant à leur préjudice matériel, à leur préjudice de jouissance et à la dépréciation de la valeur vénale de leur bien ;
3°) de mettre à la charge solidaire de la société DPR Cosea et de la société Vinci Construction Terrassement les entiers dépens de l'instance, et notamment les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 9 058,20 euros ;
4°) de mettre à la charge solidaire de la société DPR Cosea et de la société Vinci Construction Terrassement la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- M. E...et son épouse, décédée le 16 février 2015, sont propriétaires d'une maison située à Cubzac Les Ponts à proximité des emprises de la construction de la ligne de train à grande vitesse (LGV) entre Tours et Bordeaux ; en leur qualité de tiers par rapport aux travaux réalisés, ils sont bien fondés à demander l'engagement de la responsabilité des sociétés DPR Cosea et Vinci Construction Terrassement pour réparer les nuisances et désordres qu'ils ont subis ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a écarté toute responsabilité de la société DPR Cosea au motif que celle-ci était mandataire du groupement dénommé Cosea-C, alors qu'elle n'est pas étrangère aux travaux litigieux ;
- l'expert a indiqué que si certaines fissures étaient présentes sur la maison avant les travaux, ceux-ci ont eu un effet amplificateur sur la dégradation de l'état général de cet immeuble ; en outre, l'expert a relevé la présence d'eau stagnante et de boue aux abords de la maison ; l'expert a relevé que les constructeurs étaient responsable à hauteur de 25 % pour les préjudices résultant des fissurations et à hauteur de 60 % pour les préjudices apparus aux abords de la maison ;
- M. E...et son épouse ont supporté des nuisances sonores imputables aux travaux litigieux pendant plus d'une année ; l'expert a relevé que la responsabilité des constructeurs était entière à cet égard ;
- le préjudice matériel s'élève à la somme de 8 532,72 euros TTC ;
- le préjudice financier, résultant d'une dépréciation de la valeur vénale de la maison, s'élève à la somme de 40 000 euros ;
- le préjudice moral et de jouissance s'élève à la somme de 20 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2016, la société DPR Cosea, représenté par la SELARL Lexavoue, conclut à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que la société Vinci Construction Terrassement la garantisse de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre et à ce que la charge des frais d'expertise soit répartie entre les parties ; elle demande enfin qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge des requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa mise hors de cause sera confirmée ; en sa qualité de mandataire du groupement dénommé " Cosea-C ", elle est étrangère au litige ; les requérants ne sauraient se prévaloir des dispositions de l'article 1984 du code civil, lequel concerne exclusivement les rapports entre le mandataire et le mandant, rapports au regard desquels les requérants ont la qualité de tiers ; sa responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle ne saurait davantage être recherchée à l'égard d'un tiers, dès lors qu'aucune faute de sa part n'est démontrée ;
- les requérants ne peuvent aucunement se prévaloir d'une solidarité entre elle-même, en sa qualité de mandataire, et le mandant ;
- les fissures pour lesquelles les requérants demandent indemnisation préexistaient aux travaux litigieux et n'ont pas été causées par ces travaux ;
- le mur de clôture des requérants pour lequel ils demandent réparation en raison de désordres qui auraient été causés par les travaux litigieux était mal conçu et mal construit, de sorte que le lien de causalité entre les préjudices allégués et les travaux litigieux n'est pas établi ;
- si les requérants demandent, à titre d'indemnisation de leurs préjudices matériels, la somme de 8 532,72 euros, en arguant du fait que le tribunal administratif, à la suite de l'expert, a commis une erreur de calcul, ils ne sauraient obtenir une somme supérieure à celle de 6 969,60 euros, qui est celle qu'ils ont demandé en première instance ;
- l'existence de nuisances sonores n'a pas été démontrée par l'étude réalisée par l'APAVE ; le préjudice de jouissance ne saurait être indemnisé, dès lors que les nuisances alléguées n'ont pas présenté un caractère d'anormalité ;
- le préjudice moral allégué n'est pas établi ;
- le préjudice de perte de valeur vénale de l'immeuble n'est pas établi.
Par des mémoires en défense enregistrés le 24 février 2017 et le 26 janvier 2018, la société Vinci Construction Terrassement, représenté par MeC..., conclut à titre principal, à l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il prononce une condamnation à son encontre et au rejet des demandes de première instance, à titre subsidiaire, à ce que la condamnation prononcée à son encontre soit limitée à la somme de 4 419,60 euros ; elle demande également que les frais d'expertise soient partagés entre les parties et que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge des consorts E...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande indemnitaire présentée à la cour pour la réparation des désordres allégués affectant le mur de clôture des requérants, pour un montant de 6 811,20 euros, excède la demande de première instance qui était limitée à 4131,60 euros ;
- les fissures pour lesquelles les requérants demandent indemnisation n'ont pas été causées par les travaux litigieux ;
- il est permis de douter des conclusions de l'expert quant aux désordres affectant le mur de clôture des requérants ;
- rien ne permet d'établir que les requérants aient supporté une gêne excédant les inconvénients normaux du voisinage d'un chantier de la LGV réalisé dans l'intérêt général ; le préjudice moral et de jouissance allégué n'est donc pas établi ;
- la perte de valeur vénale de l'immeuble des requérants, dont la réalité n'est pas démontrée ainsi que l'a relevé le jugement attaqué, se rattache à une responsabilité du fait de l'existence de l'ouvrage public, qui n'a pas été invoqué en première instance, pas plus qu'elle ne l'est en appel.
Par courrier du 14 avril 2017, Mme G... F...épouseL... a été désignée en tant que représentant unique, pour l'ensemble des requérants de première instance, en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative.
Par une ordonnance du 8 décembre 2017 la clôture d'instruction a été fixée au 31 janvier 2018 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. David Katz,
- et les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. E...est propriétaire d'un ensemble immobilier, composé d'une maison et d'un garage, situé rue du Broustella à Cubzac-les-Ponts. L'immeuble est édifié sur un terrain voisin de l'emprise du projet de la ligne à grande vitesse (LGV) Sud-Europe-Atlantique entre Tours et Bordeaux. Le chantier de la construction a débuté au printemps 2013 et, en son point le plus proche, il se situait à 35 mètres de la maison. Se plaignant de désordres affectant leur immeuble, qu'ils ont imputé aux travaux précités, ainsi que de nuisances sonores et de poussières occasionnées par le chantier, et arguant d'une dépréciation de la valeur vénale de leur bien, M. E... et son épouse, H...E..., décédée le 16 février 2015, ont sollicité, le 19 juin 2013, la désignation d'un expert judiciaire aux fins de constater ces désordres, d'en déterminer les responsables et d'évaluer leurs préjudices. Par une ordonnance du 9 août 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à leur requête. L'expert a déposé son rapport définitif le 18 juin 2014. Les époux E...ont demandé la condamnation solidaire de la société DPR Cosea, mandataire du groupement d'entreprises conjointes " Cosea-C " chargées des missions relatives à la conception, la construction et l'intégration de la ligne ferroviaire à grande vitesse entre Saint-Avertin et Ambarès et Lagrave, et de la société Vinci Construction Terrassement, mandataire du sous-groupement infrastructure en charge notamment du génie civil et des ouvrages en terre, à leur verser une somme de 6 969,60 euros au titre de leur préjudice matériel, une somme de 40 000 euros au titre de la dépréciation de la valeur vénale de leur bien ainsi qu'une somme de 20 000 euros au titre de leur préjudice moral et de jouissance. Par un jugement du 13 juillet 2016, le tribunal administratif de Bordeaux, après avoir mis hors de cause la société DPR Cosea, a condamné la société Vinci Construction Terrassement à verser la somme de 7 853,10 euros à M. et Mme E...en réparation de leur préjudices et a mis à la charge de cette même société les frais d'expertise. M. E..., agissant en son nom propre et en sa qualité de co-héritier d'EugénieE..., ainsi que les descendants de cette dernière, agissant également en leur qualité de co-héritiers de la défunte, relèvent appel de ce jugement et demandent à la cour, de condamner solidairement la société DPR Cosea et la société Vinci Construction Terrassement à réparer les désordres résultant, selon eux, des travaux de construction de la LGV entre Tours et Bordeaux réalisés à proximité de leur habitation et de leur verser en conséquence la somme globale de 68 532,72 euros correspondant à leur préjudice matériel, outre les entiers dépens. La société Vinci Construction Terrassement, par la voie de l'appel incident, demande à titre principal, l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il a prononcé une condamnation à son encontre, à titre subsidiaire, à ce que cette condamnation soit limitée à la somme de 4 419,60 euros et, en tout état de cause, à ce que les frais d'expertise soient partagés entre les parties. La société DPR Cosea conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que la société Vinci Construction Terrassement la garantisse de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre et à ce que la charge des frais d'expertise soit répartie entre les parties.
Sur la responsabilité :
2. En cas de dommage causé à des tiers par un ouvrage public ou à l'occasion de l'exécution de travaux publics, la victime peut en demander réparation, même en l'absence de faute, aussi bien au maître de l'ouvrage, au maître de l'ouvrage délégué, à l'entrepreneur qu'au maître d'oeuvre. Elle est en droit de rechercher la responsabilité solidaire de ces différents intervenants. La mise en jeu de la responsabilité sans faute d'une collectivité publique pour dommages de travaux publics à l'égard d'un justiciable qui est tiers par rapport à un ouvrage public ou à une opération de travaux publics est subordonnée à la démonstration par cet administré de l'existence d'un dommage anormal et spécial directement en lien avec cet ouvrage ou cette opération.
3. Pour écarter la responsabilité solidaire de la société DPR Cosea et mettre hors de cause cette dernière, les premiers juges ont relevé qu'elle avait seulement la qualité de mandataire du groupement dénommé " Cosea-C " et que, n'ayant exercé que des fonctions de mandataire dudit groupement, elle n'avait pas été directement impliquée dans la conception et l'organisation des travaux litigieux, ni n'avait participé à leur exécution. Pour demander devant la cour la condamnation in solidum de la société DPR Cosea, les requérants ne sauraient se prévaloir des dispositions de l'article 1984 du code civil, lequel régit uniquement les rapports entre le mandataire et les mandants. Ils ne peuvent davantage se borner à faire référence à la responsabilité quasi-délictuelle ou délictuelle du mandataire vis-à-vis des tiers sans démontrer une quelconque faute, en l'espèce, de la société DPR Cosea à leur égard. Par conséquent, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a mis hors de cause la société DPR Cosea.
4. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise ordonnée en référé, d'une part, qu'une fissuration importante s'est formée sur le mur intérieur de la maison, laquelle fissure a été provoquée par les vibrations du sol résultant du passage des engins de chantier durant la réalisation des travaux, d'autre part, que les travaux litigieux sont à l'origine d'une détérioration du mur de clôture de la propriété des consortsE.... Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, les préjudices résultant de ces désordres présentent un caractère anormal et spécial et engagent la responsabilité sans faute des constructeurs. Toutefois, cette responsabilité doit être atténuée du fait de l'état initial de la maison appartenant aux consorts E...et du fait des vices de conception et de construction du mur de la clôture de leur propriété. En conséquence, il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité qui devra être supportée par les constructeurs en l'évaluant à 25 % pour ce qui est des désordres relatifs à la fissuration de la maison et à 60 % pour ce qui concerne les désordres affectant le mur de clôture.
5. En revanche, si les consorts E...ont dû supporter des poussières et des nuisances sonores, dont l'ampleur n'a d'ailleurs pas pu être établie avec certitude, il ne résulte pas de l'instruction que les préjudices qu'ils allèguent avoir subi du fait de ces nuisances aient présenté un caractère d'anormalité. Les requérants ne sont donc pas fondé à demander l'indemnisation d'un " préjudice moral et de jouissance ".
Sur les préjudices :
6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert judiciaire, corrigé d'une erreur matérielle, que le montant de la réparation des désordres liés à la fissuration s'élève à la somme de 6 886 euros TTC et que le montant du remplacement du mur de clôture s'élève à la somme de 11 352 euros TTC. Compte tenu des taux indiqués au point précédent, il y a lieu de condamner la société Vinci à verser aux consorts E...la somme totale de 8 532,70 euros TTC en réparation des préjudices résultant de ces désordres.
7. Enfin, il y a lieu, par adoption des motifs pertinemment retenus par les premiers juges, de rejeter la demande d'indemnisation de la " perte de valeur vénale " de l'immeuble des consortsE....
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir partielle opposée à la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a condamné la société Vinci Construction Terrassement à leur payer une somme inférieure à 8 532,70 euros TTC.
Sur les frais d'expertise :
9. Il y a lieu de maintenir les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 9 058,20 euros, à la charge définitive de la société Vinci Construction Terrassement.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les requérants, qui ne sont pas condamnés aux dépens, versent une somme aux sociétés Vinci Construction Terrassement et DPR Cosea réclamée au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Vinci Construction Terrassement la somme de 1 500 euros au profit des consorts E...au titre des mêmes frais.
DECIDE :
Article 1er : La société Vinci Construction Terrassement est condamnée à verser la somme de 8 532,70 euros aux consorts E...en réparation de leurs préjudices.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 13 juillet 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Les frais d'expertise, d'un montant de 9 058,20 euros, sont maintenus à la charge définitive de la société Vinci Construction Terrassement.
Article 4 : La société Vinci Construction Terrassement versera la somme de 1 500 euros aux consorts E...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... F...épouseL..., représentant unique, désignée en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à la société Direction de Projet Réalisation (DPR) Cosea et à la société Vinci Construction Terrassement.
Délibéré après l'audience du 13 décembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Sylvie Cherrier, premier conseiller,
M. David Katz, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 31 décembre 2018.
Le rapporteur,
David KATZ
Le président,
Laurent POUGETLe greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX03088